Faeries / Concours : Fraternité -> Estellanara -> Hybris | ||
le 04-04-2008 à 16h52 | Commentaire-fleuve, et spoiler+++ | |
Un vent de gémellité a soufflé sur ce Concours… « Mon enfant, ma sœur Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble ! » C’est une histoire dure, nerveuse, écorchée, riche, complexe, dense, qui ballotte le lecteur entre des sentiments divers. Personnellement j’ai dû la lire cinq ou six fois avant de pouvoir en parler… Mais ça prouve que tu as dû beaucoup travailler… J’aime bien ce genre de texte, en jardin japonais, où à chaque lecture on découvre un autre aspect. Les mauvaises langues diront que si j’étais plus fûtée, une seule lecture suffirait, mais je les laisse dire. Le temps est mon ami. Le contexte est irréprochable, c’est de la SF pure, bien documentée, parfaitement cohérente. J’ai juste un problème de temps. Tu dis que les E.T. sont là depuis un an. Ca me semble bien court pour avoir une implantation aussi forte. De plus tu dis que Eva a été condamnée 7 mois auparavant, donc 5 mois après l’arrivée des E.T. Ca fait peu de temps pour se faire une opinion et perpétrer autant de crimes. Dans les souvenirs qui suivent l’exécution, tu dis que les sœurs se sont éloignées depuis un an ( dans un autre passage tu dis « quelques années »), donc avant l’arrivée des E.T. Il y a donc d’autres raisons à cet éloignement ? Ne crois pas que je pinaille. Les lecteurs aiment bien les choses claires. La présence des E.T., qui est au cœur de l’histoire, est décrite avec une grande habileté ; le lecteur oscille entre les deux opinions contraires, et du coup il se retrouve au milieu du conflit des deux sœurs, ça, c’est très bien, ça le met dans l’histoire. D’Annunzio, dans « L’enfant de volupté » (« Il piacere »), utilise un processus apparenté. Il raconte la vie du héros, et quand celui-ci est adulte, il lui fait évoquer des souvenirs qu’il nous avait déjà décrits au début du livre – nos souvenirs se mêlent donc à ceux du personnage… Mais je m’égare… Les personnalités des jumelles sont intéressantes. Elles se ressemblent… à s’y méprendre, aussi violentes et excessives l’une que l’autre, Lenina plus fragile affectivement, plus dépendante, mais toutes deux capables de violer les lois sans scrupules. L’extrême violence du meurtre m’interpelle un peu : le laser, l’injection mortelle… Ce n’est pas très féminin… J’aurais plutôt vu un poison à boire… D’autant que le curare en injection sous-cutanée, ou intramusculaire, ne provoque pas une mort immédiate mais un lent étouffement par paralysie musculaire, c’est quand même cruel quand on aime quelqu’un… Ce qui m’embête un peu, c’est qu’elles ne sont pas sympathiques, tes filles. Eva est courageuse et idéaliste, mais son côté froid et sa volonté de perfection la rendent antipathique. Sa sœur est plus attendrissante, mais à aucun moment elle ne fait d’effort pour comprendre l’autre, elle ne veut rien lâcher de sa propre vie… Pas très aimable non plus… L’histoire est bien construite, avec ce flash-back au milieu et la boucle, justifiée, qui se referme. La jalousie, la perte de l’autre font perdre la tête à celle qui semblait la plus raisonnable… La réflexion, les interrogations de Lenina sur leurs cheminements différents sont très bien menées, de même que le raisonnement qui la conduit à la re-création de son double. C’est toute cette partie-là que je préfère. C’est parfaitement logique, l’émotion y est juste, le mélange éléments extérieurs/réflexion intérieure est savamment dosé et très efficace. C’est vraiment un très bon passage. Personnellement (mais c’est mon côté rebelle qui parle), j’aurais envisagé un troisième épisode, où Lenina re-créerait sa sœur une deuxième fois, mais cette fois en essayant de la comprendre, de prendre son parti et pourquoi pas, de partager sa révolte quitte à mourir avec elle … C’est sûrement mon côté romantique qui ressort… Tu me diras que j’exagère et tu auras raison. Sur la forme : - le mot « fiole » me gêne. Il évoque un flacon à long col, genre Roméo et Juliette, mais pas le conditionnement d’un produit pharmaceutique (ampoule ou flacon) - une répétition : « longs cheveux », « visage long » - Le « Mouais » me dérange. Le texte est écrit dans un autre langage, ça détonne. - « un robot femelle » : habillé en femme, je veux bien - pour info : je dois, je dus, j’ai dû, un dû, une somme due… Après, mais c’est une remarque intuitive et subjective à laquelle je te demande simplement de réfléchir, je n’aime pas l’endroit où tu as situé le premier « aujourd’hui, je vais tuer ma sœur ». Ca tombe un peu à plat. Soit tu commences par là, première phrase, boum. Soit tu fais un long paragraphe d’intro, sur le temps qu’il fait, le soleil, la navette, le contexte, les Envoyés… et en fin de paragraphe, tu balances. Là tu l’as intercalé entre deux descriptions, je trouve que ça coupe l’effet ; mais je le répète, c’est totalement subjectif. En conclusion, c’est un texte extrêmement riche et nuancé, très travaillé, original. Un très bon texte. |