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Trahisons

Trois fois le chant du coq, et l'or changea de main.
Et toujours le Pouvoir, qui aveugle les âmes,
Assoiffé et cruel devant l'appât du gain
Piétine l'innocent et du Droit se réclame !
            Lou Rigel, poète du 12ème


" Formen, hyarmen (1) ? On joue à pile ou face ? "
Je fouillai mes poches à la recherche d'une pièce, que je ne trouvai point ; Radagast était aussi démuni que moi. Nous éclatâmes de rire.
" Peut-être devrions-nous chasser un peu et vendre le gibier à Indil ... "
Lui à l'arc, moi au poignard, nous tirâmes chacun un cerf. J'avais été blessée à l'épaule gauche lors d'un récent combat, et j'en gardais encore une certaine gêne. Frère Loup ne fut pas en reste, et Kyo l'oiseau de proie nous offrit deux lièvres pour le repas du soir. Rolanya s'attela de bon coeur au travois confectionné en un tournemain par Radagast, qui excellait dans l'utilisation de la triade couteau, branchages et bouts de ficelle. Nous étions presque arrivés au bourg quand des gémissements venus d'un fourré attirèrent notre attention. Ah j'aurais dû alors écouter Frère Loup, qui se mit à grogner. Mais le bonheur endort la méfiance, et l'insouciance aveugle le guerrier.
A moitié recouverte par un roncier, gisait une vieille femme aux habits déchirés, le corps couvert de griffures et d'hématomes.
" Au secours ", murmurait-elle, "les voleurs... Je vais mourir... A boire... "
Quand elle fut soignée, abreuvée et réchauffée, elle nous raconta son histoire.
" J'ai été attaquée par des bandits. Ils ont pris ma mule et le peu d'argent que j'avais. Sans vous, mes Seigneurs, je serais morte...
- Tout ira bien, maintenant. Nous sommes des Istari, nous allons veiller sur vous. "
Radagast approuva d'un signe de tête.
" Demain, j'irai à Indil, puis nous vous ferons escorte. Ce n'est quand même pas très prudent de voyager seule à votre âge !
- Hélas, Maître Istar, je vivais à Falassin, près de Minas Tirith, et toute ma famille a été balayée par l'épidémie de fièvre boutonneuse ; je leur ai fermé les yeux à tous, mon mari, mes deux filles, mes gendres, mes petits-enfants... Pourquoi le destin m'a-t-il épargnée ? J'aurais préféré mourir avec eux ! Il me reste un fils, à Pélargir. Je ne m'entends pas trop bien avec sa femme, mais j'espère qu'il acceptera de me recueillir... "

Au matin, l'aïeule dormait encore et Radagast devait réparer une de ses bottes dont les coutures s'effilochaient. Ce fut donc moi qui me rendis à Indil, escortée par mes trois compagnons ; Frère Loup gardait un silence buté et ne répondait même pas à Kyo, qui jouait à foncer sur lui en piqué. Je négociai habilement ma chasse et achetai quelques provisions. Sur le chemin du retour, un vent furieux se leva, porteur de gros nuages noirs. Etait-ce l'imminence de l'orage? Je ressentis un malaise confus en arrivant au camp. Kyo s'était envolé très haut, Frère Loup boudait toujours et Rolanya fouaillait sans cesse de la queue - et j'avais vérifié l'absence de mouche plate; quant à Radagast, il évitait ostensiblement mon regard.
J'installai Miwen sur le dos de Rolanya, qui coucha les oreilles mais me suivit calmement. Nous n'avions pas fait un quart de lieue qu'à ma grande surprise, la jument se cabra brutalement, jetant à terre sa vénérable cavalière. J'avais une totale confiance en Rolanya, et je commençai alors à me sentir en alerte.
" Elle a dû voir un serpent, je crois que j'ai entendu quelque chose... "
Je lui fis des excuses polies, mais je réconfortai mon cheval à qui je laissais un peu plus que le bénéfice du doute. Miwen continua à pied, en s'appuyant sur une canne de fortune que lui improvisa Radagast, qui marchait à sa hauteur ; je gardais les arrières avec ma petite troupe. Une heure plus tard, alors que l'orage se déchaînait, je vis Rolanya trébucher et s'écrouler lourdement. Elle était brûlante de fièvre et respirait avec difficulté.
" Allez vous abriter dans la grotte du Raca (2), puis continuez en suivant l'Anduin. Je vous rejoindrai dès que je pourrai. "
Je demeurai figée, sous cette pluie torrentielle, perplexe et désemparée devant ce mal soudain, tandis que Rolanya posait sur moi un regard lourd de souffrance et éperdument confiant. Son haleine était fétide, son ventre ballonné, son coeur battait la chamade. J'inspectai scrupuleusement les membres, puis le corps, à la recherche, qui sait, d'une morsure de serpent, de scorpion, de... ? Et je trouvai ! A droite, près du garrot, je découvris une plaie punctiforme, profonde, dont les pourtours étaient déjà nécrosés, et qu'entourait une zone gonflée, chaude et douloureuse... Le cabrer ! Aussi invraisemblable que cela pût paraître... La pluie tombait en rafales glacées, m'aveuglant presque. Ma jument était là, en train de mourir sous mes yeux, et j'étais seule... Je levai les yeux vers ce ciel impitoyable et la colère me prit. Avec l' énergie sauvage du désespoir, je tendis les bras et je criai assez fort pour que même Oromë m'entende :
" Farea (3) ! "
Il y eut un dernier éclair, et la pluie cessa aussitôt. Je me mis au travail. Je ramassai, aidée de Kyo au repérage et de Frère Loup à la cueillette, les plantes nécessaires à la confection d'un antidote. Elle avait parlé de fièvre boutonneuse, c'était peut-être un mensonge de plus. Les signes m'évoquaient plutôt le nuruculuma, l'orange de mort, petit fruit sauvage dont le suc était un poison létal. J'appliquai sur la plaie des herbes écrasées, et je lui en fis mâcher autant qu'elle put avec le peu de forces qui lui restaient. Puis je la recouvris de mon manteau, j'allumai un feu et Frère Loup et moi nous nous couchâmes contre elle pour la réchauffer. J'essayai alors de contacter mentalement Radagast, mais sans succès.
Petit à petit le pouls se fit plus calme, la respiration plus légère. Enfin, peu avant la tombée du jour, la jument se redressa et réussit à se mettre debout. Je trouvai un ruisseau où elle but à longues gorgées voluptueuses. Elle était encore faible, mais j'étais sûre qu'elle survivrait, et quand elle posa sa tête sur mon épaule dans un soupir de reconnaissance, je sentis les larmes me monter aux yeux. Je la caressai longuement, puis nous marchâmes à petits pas jusqu'à la grotte du Raca. Elle était vide. Il n'y avait pas de trace de feu. Ils n'avaient pas dû s'y arrêter longtemps. Nous nous installâmes pour la nuit, le temps que Rolanya se repose et que nous nous séchions un peu. Kyo accepta d'aller aux nouvelles, sa vision nocturne étant de loin la meilleure.
" Pourquoi n'as-tu pas parlé ? ", demandai-je à Frère Loup tandis que nous partagions un reste de viande séchée.
" J'avais peur que tu ne me croies pas. C'était juste une impression. Je ne sais pas ce qu'est cette femme, mais elle est mauvaise.
- Radagast est en danger, et je n'arrive pas à le joindre ! "
Quelques heures plus tard, Kyo revint bredouille. Je ne fermai pas l'oeil de la nuit, déchirée entre le désir de laisser récupérer Rolanya et l'envie brûlante de me porter au secours de mon compagnon.

Le lendemain, Rolanya traînait encore un peu l'antérieur droit, mais pouvait se déplacer. Je décidai de filer devant, la laissant me rejoindre à son rythme sous la bonne garde de Frère Loup ; Kyo assurerait la jonction. Je courus aussi vite qu'un Elfe, délaissant la route, coupant à travers champs, vallons et fondrières.
L'Anduin me barra le passage. Il avait sa couleur gris-vert des mauvais jours, le vent soulevait des vaguelettes aux embruns incisifs, et le fond semblait agité de remous plutôt sinistres. J'apercevais devant moi le pont qui le franchissait, après une grande courbe à gauche. J'aurais pu suivre la berge et rattraper la route plus loin, passer le pont. Je plongeai. J'aurais pu me laisser dériver, c'était la bonne direction. Mais je voulus aller tout droit, oubliant dans ma hâte que mon épaule gauche était encore fragile... Au milieu du fleuve, un tourbillon puissant me saisit comme un fétu de paille et m'entraîna. Je luttai en vain, l'eau me submergea. Il me sembla voir une ombre blanche sur la rive. Je levai le bras droit dans un ultime sursaut de volonté... Ma dernière pensée fut pour ceux que j'aimais. Namarie... (4)

Quand j'ouvris les yeux, il faisait sombre. Il y avait des cris, des bruits de combats, des hennissements affolés. Au loin, une ville était en flammes. Je regardais, je ne comprenais pas. Un groupe de soldats courait vers moi. Je me cachai derrière un arbre.
" Où est Ornendil ? ", cria un des hommes de tête.
" Il vous suit, Seigneur Eldacar !
- Halte là, bâtard de métèque ! A moi, mes braves ! Nous allons débarrasser le Gondor de sa plus grande honte ! "
J'étais forcément en train de rêver. J'étais témoin de l'incendie d'Osgiliath ! La Guerre Fratricide! C'était en 1437, donc un peu plus de 500 ans en arrière ! Mais mes poignards piquaient, et l'odeur des brasiers était bien réelle... Etais-je dans une autre vie ? La bataille faisait rage autour de moi, et Eldacar était le roi légitime du Gondor. Je me joignis à lui sans plus réfléchir. Me battre, quelle que fût l'époque, je savais faire. Eldacar était vaillant, mais un sac sur son épaule gauche entravait ses mouvements. Je me mis donc à son côté, parant plusieurs fois un coup mortel.
" Il faut fuir, Seigneur, les troupes de Castamir nous talonnent.
- A l'Anduin, tous ! "
Des barques les attendaient. Je restai sur le bord pour couvrir leur retraite, car déjà d'autres soldats arrivaient. Hélas, la lune était pleine et les archers avaient la tâche facile. Ils enflammèrent leurs flèches et le feu prit dans la barque d'Eldacar qui dut sauter à l'eau pour rejoindre l'embarcation suivante.
" Le Palantir ! J'ai perdu la Pierre !
- De grâce, Seigneur, couchez-vous, sauvez votre vie ! "
Les flèches volaient toujours, mais les barques étaient loin. Me rendant invisible, je pus m'esquiver dans le bosquet le plus proche, où je passai la nuit. En fait, la fuite du roi avait mis fin au combat. Les soldats de Castamir regagnèrent leur campement aux portes d'Osgiliath, qu'ils avaient assiégée pendant de longs mois.
A l'aube tout était calme, le rivage était désert. Je plongeai plusieurs fois et j'eus la chance de retrouver la Pierre Clairvoyante. C'était un globe lisse et brillant, taillé dans une sorte de cristal noir, qui pesait bien une dizaine de livres. La pensée de Radagast me tenaillait douloureusement. Je fis le vide en moi, et je focalisai ma pensée sur lui en regardant la Pierre. La surface s'éclaira d'une lueur jaune, avant que n'apparaisse une scène d' une étonnante clarté.
Assis près des restes de notre feu, Radagast réparait sa botte. Devant lui Miwen, agenouillée et les mains jointes, le suppliait. Il l'écouta, hocha la tête, et refusa avec une ferme douceur. Elle se frappa le coeur et parla encore. Il regarda autour de lui, l'air gêné, sembla hésiter, tergiverser, puis accepter. Elle lui baisa avec reconnaissance une main qu'il retira très vite. Je souris malgré moi : même s'il était capable d'une grande tendresse, il était pudique comme un chat, et détestait les effusions débordantes... J'aurais donné cher pour entendre leurs paroles ! Mais même le Palantir d'Osgiliath, l'un des plus puissants parmi les sept, ne pouvait montrer que des images. Je scrutai minutieusement Miwen. Elle souriait à travers ses larmes, les bras croisés sur son ventre. Je ne sais par quel prodige, sans doute dû à la force de la Pierre, mes yeux virent au travers du tissu de sa ceinture : elle cachait trois pièces d'or ! Je ne doutai pas un instant qu'elle eût été payée pour nous séparer, et certainement aussi pour attirer Radagast dans un piège infernal !
Je me concentrai à nouveau. Quatre hommes étaient assis près d'un feu, au sommet d'une colline escarpée que je reconnus pour être Emyn Arnen. Ils avaient étalé leur butin sur une couverture : pièces d'or, pierreries, bijoux... Je notai en particulier un gros médaillon, qu'ils avaient laissé un peu à l'écart. Sans raison apparente, ils se levèrent et s'éloignèrent de quelques pas. C'est alors qu'apparut un aigle gigantesque qui se posa près du feu et tendit le bec vers le médaillon. Les hommes, qui s'étaient disposés en demi-cercle, ramassèrent leurs arcs et lâchèrent leurs flèches vers le ciel. Chosta linanda (5) ! Mais... Ce que je vis me sidéra : quand l'oiseau aperçut le filet qui se déployait au dessus de lui, porté par les quatre flèches, il se changea en dragon et d'un seul jet vigoureux incendia les cordes, avant de prendre son envol en renversant d'un grand coup de queue les bandits impuissants... J'avais d'abord cru que c'était Gandalf le Gris. Mais mon coeur ne pouvait se tromper : c'était Radagast.
L'image se brouilla, et laissa place à une lointaine silhouette blanche dont je ne pouvais voir le visage, aux trois quarts caché sous son capuchon. Sa voix résonna dans ma tête, une voix hautaine où je distinguai nettement l'accent aux résonances graves de la Volonté Impérieuse. Je contrôlai mes pensées pour ne point réagir, mais je fermai mon Noyau Intérieur , me mettant ainsi hors de portée.
" Si tu veux jamais revoir Radagast, ramène le Palantir. Tu m'entends ? Ramène le Palantir ! "
Je voilai la Pierre avec ma cape et repris mon souffle. Le Commandement était fort, celui qui l'avait émis devait être rompu à cette pratique. J'avais un soupçon, mais pas de certitude.

Je retrouvai facilement l'endroit où j'étais passée. J'entrai dans l'eau calmement, en souhaitant de tout mon coeur revenir en 1942. Je me laissai emporter sans résistance dans le tourbillon, et cette fois je ne perdis pas connaissance. Je vis toutes sortes de choses dans cet étrange voyage, des batailles sanglantes, le siège de Pélargir, des hommes émigrant sur les routes, la Grande Peste du Gondor, les Gens des Chariots en guerre, et se dressant comme un message d'espoir, la Tour Blanche de Minas Tirith. Toute l'histoire d'Arda, sur ces derniers 500 ans, défilait devant moi...
Je touchai enfin la terre ferme, une lourde besace meurtrissant mon épaule droite. Je me laissai choir pesamment sur l'herbe en toussant comme quelqu'un qui aurait failli se noyer.
Saroumane m'attendait.
" Où est Radagast ?
- As-tu la Pierre ? "
Je posai mon sac dégoulinant et couvert de vase. J'entendis alors hennir Rolanya, et dans l'instant mes trois compagnons m'entouraient. Tout en les caressant et en les étourdissant d'un babillage ridicule, digne d'une mère poule au milieu de ses poussins, j'entrai en contact avec leurs esprits et ils s'unirent à moi pour appeler Radagast.
Le Blanc se dressa, son grand bâton à la main. Il me fixa intensément, et je reconnus dans ma tête la même voix hautaine.
" Si tu veux jamais revoir Radagast... "
Je soutins son regard. Mon Noyau Intérieur respirait en toute quiétude, inaltéré. Le Magicien brandissait toute sa puissance déployée comme la queue d'un paon, mais j'étais le roseau dans la tempête, libre de toute colère et de toute haine et par cela même, impossible à briser.
Alors il laissa l'impatience le gagner.
" Donne-moi la... "
L'aigle géant de ma vision se posa entre nous, laissant tomber à mes pieds un drôle de paquet ficelé où je reconnus non sans peine la vieille Miwen. Radagast reprit forme humaine et me serra contre lui.
" Tu es trempée ! Que s'est-il passé ? Aman Oromë (6), Rolanya va bien ! Cette vieille diablesse m'a tendu un traquenard, maintenant il va falloir qu'elle s'explique ! "
Saroumane avait fait asseoir Miwen au pied d'un arbre et lui avait donné à boire.
" Parle, inya (7), pourquoi en veux-tu à mes amis ? "
L'ancienne le regarda avec une expression de terreur extrême, ouvrit la bouche pour crier et s'écroula comme foudroyée. Saroumane se pencha sur elle.
"Firiel. Yerna chon. Marië (8) ! Justice est faite. "
Radagast se tourna vers moi.
" Il va falloir te sécher, ma belle. Mais qu'as-tu fait ?
- Ce n'est rien, "- et j'éclatai de rire- " je voulais retrouver un de mes poignards qui était tombé au fond.
- Qu'y a-t-il dans ton sac ? " intervint Saroumane.
- " Oh ... Juste une pierre très lourde pour me lester. Mais je suis plus bête qu'un âne ! Avec mon épaule blessée, je n'ai pas pu l'enlever pour remonter... et sans Frère Loup j'y serais encore !
- Vraiment ? "
J'ouvris le sac de ma main valide et j'en fis glisser un gros morceau de rocher absolument quelconque.
" E centye, cherulma linistima... (9) Penses-tu qu'un Istar pourrait mentir? "

Il nous fallut plusieurs heures pour nous raconter nos aventures respectives. Miwen avait fait croire à Radagast que je lui faisais peur, parce qu'elle avait rêvé, la veille de notre rencontre, que je la menaçais de mort. Ce matin-là, au campement, elle lui expliqua qu'elle ne nous avait pas tout dit ; les brigands lui avaient pris le médaillon offert par son défunt mari, où elle gardait son unique souvenir de ses filles : deux mèches de cheveux, relique irremplaçable pour son vieux coeur de mère éplorée. Elle implora Radagast de le lui retrouver, mais sans mon aide, elle s'en excusait, mais elle était si effrayée ! Elle proposa de trouver une ruse juste pour me retarder...
" Je me suis vraiment inquiété quand Rolanya est tombée, mais elle m'avait juré que c'était sans risque !
- Oui, le curuculuma, sans risque... Mais elle a payé, qu'elle repose en paix - un poison encore plus rapide...
- Non, ce n'est pas possible...
- Saroumane voulait le Palantir d'Osgiliath.
- Eh bien mais... Peut-être... Il en aurait sûrement fait bon usage...
- Crois-tu ?
- Je me refuse à penser que... "
Il ne me demanda pas pourquoi je n'avais pas rapporté la Pierre, comme je ne parlai pas de ce qui avait pu nous empêcher de communiquer pendant presque deux jours.

Le soir tombait sur l'Anduin, repeint en reflets d'or par un soleil généreux dont la douce chaleur nous réconfortait. Le fleuve était calme et murmurait des chants pacifiques, ponctués par le croassement amical des grenouilles et le clapotis joyeux de quelques poissons qui nous avaient échappé. De Rolanya, couchée dans l'herbe haute, je ne voyais que les deux oreilles, frémissantes dans la brise légère, et je l'entendais de temps en temps pousser un soupir bienheureux. Kyo avait rencontré une demoiselle de son espèce, et paradait dans tout l'azur pour mieux lui plaire et la séduire. Frère Loup essayait de garder sa dignité en salivant malgré lui devant le festin de poissons qui finissait de griller sur le feu. Pour des gens bien installés dans une vie normale, c'eût été un pique-nique ordinaire au bord de l'eau. Dans notre existence nomade et aventureuse, c'était un des rares moments où nous pouvions reprendre des forces.
L'âme de Radagast était pure et droite, il rechignait à voir le mal. Il respectait Saroumane, qui était le plus ancien d'entre nous ; c'est pourquoi je renonçai à le convaincre de sa perfidie. J'eus le pressentiment que viendrait peut-être un jour où cela nous séparerait. Valar valuvar (10) ! Des siècles entiers seraient à passer avant cela, et il se pouvait aussi que nous soyons réunis au delà de cette divergence. Je savais que le lien qui m'unissait à lui survivrait au désaccord, au ressentiment et à la rupture. J'espérait simplement qu'il en serait de même pour lui.
Sin simen, inye quentale equen, ar atanyaruvar elye enyare (11).

N.d.A.

(1) : Nord, sud
(2) : Loup
(3) : Assez
(4) : Adieu...
(5) : Beaucoup trop haut
(6) : Bienheureux Oromë
(7) : Femme
(8) : Elle est morte. Le coeur (était) usé. C'est bien
(9) : En vérité, tu vois bien, notre Maître très sage...
(10) : Que la volonté des Valar soit faite
(11) : Ici et maintenant, je vous ai conté ce récit, et vous le raconterez à votre tour

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© Narwa Roquen



Publication : 13 juin 2005
Dernière modification : 07 novembre 2006


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