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 WA - exercice n°20 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Mercredi 25 juillet 2007 à 19:35:17
Ah la langueur des soirs d’été, où les désirs inassouvis font battre la chamade même aux coeurs les plus sages... Pour une fois, laissez-vous aller, cédez à la tentation... Ecrivez-nous une belle histoire d’amour romantique à souhait ! Mais attention, pas question de tomber dans la mièvrerie ou la littérature Harlequin ! A vous de réussir, par la finesse de votre style et par le choix du contexte, à éviter de sombrer dans le sirop... Ce n’est peut-être pas si facile...
Pour que vous ayez le temps de profiter de vos vacances (et moi aussi !), je vous laisse jusqu’au jeudi 30 août, où je vous attendrai de pied ferme avec plein de nouvelles idées, dont certaines qui... eh eh... mais chut ! Vous le saurez en temps voulu... Bonnes vacances à tous !
Narwa Roquen, l'amour, toujours l'amour!


  
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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-07-25 23:06:48 

 C'est la rentrée...Détails
Pour moi.


Mais je promets un texte inassouvi!


M

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Limie  Ecrire à Limie

2007-07-27 07:33:42 

 Ca c'est pas pour moi...Détails
Car déjà tenter un texte normal, c'est pas mon truc, mais le romantisme... huum, ce n'est pas trop ma tasse de thé, même si on ne rentre pas dans la mievrerie.
Mais cela ne m'empêchera pas de lire les superbes textes que vous nous proposez.

Et puis, je dois vous avouer que même si le délai est plutôt long, la vouivre est très occupée à couver son oeuf et à lui préparer un nid!! :)

Bonne vacances à ceux qui ont la chance d'y être!

Limie, vouivre dégoutée de ce lever pour aller au travail.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-07-27 11:56:47 

 WA - Participation exercice n°20 - partie 1Détails
L'été sera long, l'été sera chaud
dans les campings, au bord de l'eau...

Non.., je m'égare.

Comme le délai imparti est large, j'en profite. Voici la 1ère partie d'une histoire dans laquelle j'ai versé les ingrédients prescrits mais la marmite en contient beaucoup d'autres. Il faut laisser mijoter à feu très doux. Vous connaissez mon goût immodéré pour les soupes touillées dans le chaudron du diable.

_____________


LE CHATEAU AU BORD DE L’EAU


Les années passent....les soleils meurent. Le temps s’égrène irrémédiablement. Un soupir entropique dans un univers de glace. Tourner la page et ne plus savoir quoi ajouter sous la dorure des enluminures.

Le musée n’a pas vieilli finalement, ancre de pierre jetée dans les eaux du temps. Juste une autre lumière, une luminosité légèrement altérée. Ombres et reflets envahissant les perspectives. Debout au centre géométrique de la salle déserte, je courbe la tête sous la pluie. Elle inonde la fragile passerelle qui me rattache encore à ce que fus. L’orage gronde dans ma tête depuis si longtemps, crayonnant en gris mes paysages. Cette pluie de l’âme me glace le coeur.

Trois ans qu’il pleut en moi. Mille quatre cent quatre vingt seize jours.

Le musée est un lieu secret où dorment les passés en assemblées silencieuses. L’atmosphère y est décalée, plus épaisse, alourdie de présences invisibles. Comme si les multitudes ayant déambulé là avaient laissé leur empreinte émotionnelle follement flottante entre les hauts murs. Si un seul lieu devait être hanté, cela serait sans doute ce musée, immense caisse de résonance amplifiant mes propres émotions.

Ce musée...d’une certaine façon, c’est mon royaume des rêves. D’une autre façon, c’est ma cellule où je reste hypnotisé par le charme d’un tableau, envoûté par la pureté de ses couleurs juxtaposées, prisonnier de sa magie chatoyante. Oh, il n’est guère différent des autres mais il entre en correspondance intime avec ce qui soupire en mon sein.

Il y a trois ans, j'y revenais, après une longue absence. Je me rappelle la tristesse, un souvenir particulièrement douloureux. Un visage et un paysage indissociablement mêlés. Des mots tournant en boucle dans ma mémoire. Un prénom. Une lassitude générale. Des idées noires et monotones. Des salles au silence murmurant, phrases incompréhensibles décrivant des cercles autour des colonnes d’albâtre. Et cette pluie froide et serrée. Rien n’est plus triste que la plainte de la pluie solitaire dans ces pièces climatisées.

Le souvenir reste vivace et étonnamment présent. Détail après détail. Impression après impression. Le tableau illumine d’un étrange jour la froide muraille de mes pensées comme l’épée de soleil déchire un ciel de plomb. Et puis cette voix qui semble m’appeler dans le lointain. Le tableau perturbe ma perception du temps, me maintenant dans un état de passé artificiel. La sensation n’est pas purement intellectuelle, ni l’émanation de mes lectures romantiques. Elle m’est extérieure et m’entraîne entre les ombres menaçantes des contre-allées du temps.

Heureusement, il y a Viviane. Sa force dresse une barrière qui me protège du tableau. Viviane est un astre qui chasse les nuages gros de pluie. Sans elle, je crois qu’il y a longtemps que le flot du passé m’aurait emporté vers le bas, spirale descendante, vertigineusement sombre et désolée.

Mais la mélancolie est une force irréductible.

Je ne parviens pas à oublier, à reconstruire autre chose. Comme dans une vieille tragédie grecque.

Le tableau m’enveloppe dans un cocon hors du temps où le réel s’effiloche. Ses couleurs tissent une trame immatérielle qui me retient aussi sûrement que le filet du rétiaire. Là, se déploie une dimension étrangère se nourrissant des fragments de présent enchâssés au coeur des oeuvres d’art épinglées aux murs. Ne sont-elles pas immortelles ? Qu’est-ce que l’immortalité sinon la conservation perpétuelle du présent. Un présent d’éternité ! Une immortalité teintée de rouge, mais nul autre que moi ne discerne les ruisseaux de sang qui s’échappent des agrafes. Les murs du musée forment ainsi une immense mosaïque de passés où les cadres dorés ont remplacé les croix ! Art combinatoire. Et je suis englué dans cette toile, otage de son présent aliéné.

Quand enfin je trouve la force de rompre le charme et quitter ce lieu enchanté, le bruit de la ville tranche brutalement. Animation, vie, cris, lumière, vent. Mais avec cette pluie dans les yeux, je ressens une sorte de difficulté à réintégrer le réel. Une forme de désajustement rapide, comme un mobile du passé surgissant des limbes. L’espace d’une seconde, à la frontière entre deux univers. Etranger en terre étrangère. Puis la correction intervient, réflexe instinctif. Mon horloge interne synchronisée, je redescends lentement le temps jusqu’au seuil du présent, avec cette douleur persistante au côté gauche, juste sous le coeur. Les couleurs se juxtaposent aux objets. Le décor familier reprend ses droits, banalement reconnu.

J’ai encore abandonné quelque chose d’intime derrière moi, entre les bleus et les mauves du tableau singulier. Quelque chose perdu à jamais. Un peu de moi, un peu de cet amour. Je sais. L’averse redouble alors de violence sous le soleil de Provence.

Dehors, ils conduisent leur destin à leur guise, comportement humain. J’adapte le mien à la moyenne générale. Je vais revoir Viviane, boire à sa fontaine pour rincer ma gorge des poussières accumulées. Accrocher enfin un soleil sur mon ciel gris indigo. Sentir battre mon sang dans les veines. Dormir à ses côtés. Rien de plus. Dormir tout contre son corps. Dieux, je sacrifierais mon âme immortelle pour gagner ce refuge.

Viviane !

C’est une joie de vie. Un amour de vie. Une parenthèse sous l’averse. L’unique but de mon existence depuis trois ans. Je vais la rejoindre. La douleur sous le coeur s’accentue, irradiant comme un feu dévorant. L’image du tableau se reforme devant mes yeux, étirant ses pièges multicolores. Là naît soudain le visage de Viviane, chimérique superposition, se mêlant peu à peu aux couleurs de la peinture. Comme un stéréogramme vaguement artistique, il reste cependant perceptible. Inquiétude. Elle n’est pas mon passé. Je me mets à courir, malgré l’ouragan muet qui claque sous mon crâne, au milieu de la chaussée, ne prêtant aucune attention aux cris de colère des automobilistes qui m’évitent de justesse.

Cela n’a aucune importance. Viviane vit au bout de cette rue. Quatre cents mètres. Je connais par coeur le parcours. Jeu innocent.
Les façades de pierre, les murailles ternes et fermées. Je suis arrivé...mais devant moi se dresse le musée, impitoyable.


M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-07-28 21:16:46 

 WA - Participation exercice n°20 - partie 2Détails
La suite de la romance picturale...bon courage! Overdose de festival d'Avignon sans doute.

Mais si ces lignes semblent sans doute réfléchir la beauté de Lucy In The Sky with Diamonds, aucune substance illicite n'aura été consommée à part quelques bocs de bière fraîchement blonde....et incidemment allemande.

____________________

Je suis revenu à mon point de départ. L’entrée du musée est béante devant moi, dévoilant impudiquement son obscurité humide. C’est tapi là, comme une araignée au fond de sa toile, attendant, m’attendant. Malgré la pluie, la fournaise de ce mois de juillet m’accable alors que je n'ai qu’un pas à faire pour me plonger dans sa maudite fraîcheur. Si je fais ce pas de trop, je suis perdu. Je m’égarerai sans espoir de retour entre les couleurs fondamentales. Je ne rêve pas.

Je recule lentement. Un bus démarre. Le chauffeur m’interroge du regard. Je lis dans ses yeux qu’il en va de mon salut. Je grimpe à l’intérieur. Clac. Les portes du véhicule se referment derrière moi comme les ailes protectrices d’un ange. J’achète un ticket au passeur. La canicule de l’après-midi a vidé les rues d’Avignon, la cité papale. J’avise une place libre et m’y assieds en calant ma tête contre la vitre taguée. Les cahots du véhicule me bercent doucement, rythme hypnotique. Une allure marine, illuminée par les jeux de cache-cache du soleil, lumière, ombre, lumière. Je suis bientôt emporté par une étrange somnolence.

Viviane s’approche de moi, vaporeuse et aérienne. Elle sourit. De son sourire éternellement complice, ce sourire qui promet la douceur soyeuse de ses lèvres moqueuses. Mais, mais, je ne peux avancer. Mes mains heurtent une sorte de paroi invisible. Je comprends vite que je suis prisonnier d’une sphère, bulle transparente infranchissable. Viviane est toute proche, à quelques centimètres de ce mur de verre. Ses lèvres s’arrondissent pour former les deux syllabes de mon nom. Je n’entends pas le son de sa voix.

La lumière est tamisée, profonde et douce, aux teintes délicatement émeraude, curieusement vieillie. Autour, la forêt millénaire est dangereusement calme. Les grands arbres centenaires se penchent gracieusement. Nul souffle de vent. Mon château se dresse sur le lointain, resplendissant d’un éclat roux.

Quelque part, hors du champ de ma conscience, un signal d’alarme se déclenche. Pas de défense dans un rêve. Je suis impuissant, jouet entre les mains de forces incompréhensibles. La bulle s’aplatit, devient surface place, deux dimensions. Un panneau vertical. Je reconnais ses pigments colorés et son harmonie picturale. C’est lui, le tableau.

Le rêve vire au cauchemar.
Terminus.
La voix du chauffeur me sort de cette torpeur psychotique.
Terminus de la ligne, il faut descendre.
Le chauffeur me regarde tristement, comme un ange défait.
Les portes s’ouvrent, ailes fatiguées.
J’obéis à ce commandement. Pourtant, sous mon crâne, la boucle démentielle du cauchemar résonne encore et encore.
Le bus rentre au dépôt et de l’autre côté de la rue, je découvre....le musée.
Viviane, au secours, le monde est une bulle où je me noie !

Que puis-je contre mon destin ? Que puis-je contre cette fatalité ? J’aurais beau fuir au bout du monde, au bout de la dernière route, au bout du dernier chemin, au bout de la dernière piste, le musée sera toujours là, m’attendant patiemment. Je rends les armes, il n’existe nul endroit où je pourrais me cacher. Je me retrouverais inéluctablement face à lui, avec un mur dans le dos.

Alors, à quoi bon résister à son destin ? Trespass, je fais le pas interdit. La toile est là. Il y a un château au bord d’un grand fleuve. Les arches d’un pont brisé enjambent le flot dans un élan inachevé. Un soir étrange nimbe le ciel de couleurs fantastiques et embrase les créneaux d’un roux chatoyant. C’est un ciel rouge aux reflets indigo, un ciel frangé de vert et pailleté de jaune. Un ciel d’outre-terre.

Je m’approche plus près. Encore plus près. Jusqu’au bord de la toile. Encore plus près. Alors la peinture éclate en myriades de touches aux teintes différentes, en alignements de points de même couleur. Cela transfigure la texture de l’oeuvre, rompant l’équilibre du ton et déchirant l’impression suggérée par la juxtaposition de cette multitude de points colorés.

Trop tard pour comprendre, je suis déjà au-delà de la limite. Au-delà de l’harmonie cohérente du tableau. Au bord du Rhône qui scintille féériquement dans un crépuscule hors du temps, non loin de ce pont tendu vers l’inconnu. La force irrésistible m’entraîne plus bas encore. Je plonge dans l’orbe de la toile, qui devient un monde suspendu dans un écrin de verre. Un voyage au coeur d’une trombe commence. Et tombant des cieux comme jadis Icare, je suis précipité vers un océan chamarré où vogue tel une île de légende, un grand château papal.

Je dégringole de l’azur, chute ascensionnelle non maîtrisée. Sous moi, le paysage se décompose en groupes indépendants, en structures hallucinantes, en combinaisons géantes. Chaque détail devient un point lumineux, un segment coloré. Les couleurs se durcissent progressivement, plus froides aussi, plus crues. De plus en plus fondamentales. Je traverse des membranes de perceptions élémentaires, pénétrant des espaces infinis d’incohérence. Je crois que l’objectivité disparaît au fur et à mesure que le facteur de grossissement grandit.

A présent, le château baigné d’ombres rousses et olivâtres cède place à de gigantesques murs de briques vertes et rouges, rouges et bleues. Ces murs s’étendent de part et d’autre de l’horizon. Ma chute ne ralentit pas, croisant leur trajectoire. Alors je frappe ces murailles titanesques à mains nues, plaqué par cette force qui me pousse vers le bas. Impression d’éclater. Compression insupportable. Il me faut briser l’obstacle. Cela flamboie dans mon esprit comme une torche enflammée. Briser l’obstacle.

Répondant à ma volonté, le mur semble se dissoudre et je glisse plus bas encore, toboggan géant vers un océan de vide où voguent d’immenses plates-formes. C’est rapide et silencieux. Le vide se fait océan, la plate-forme, île immobile. Sans transition, je me retrouve naufragé sur cette île, naufragé d’une goutte de couleur primaire. L’île devient monde. La couleur change, moins formelle. Elle se dissocie en teintes différentes, reconstituant la palette originelle.

Ce monde évolue. J’ai à construire un monde. Mon monde. Même si je ne suis plus rien d’autre qu’un infime grain de poussière, invisible sur un tableau ensorcelé. J’ai couru au bout d’une vaste plaine où elle m’attend. La pluie a cessé. Je ne peux dire précisément quand mais il ne pleut plus derrière mes yeux.

Viviane est là. Je reconnais déjà sa silhouette. Nous allons nous retrouver. Trois longues années. A ses pieds coule une rivière scintillante. Un bond, et je serai sur l’autre berge, tout près d’elle. Etrangement, il me semble que plus je m’approche, plus la rivière s’élargit. Quelques foulées encore mais la distance décroît difficilement tandis que la rivière devient fleuve. Un fleuve tumultueux, charriant sédiments et embâcles. Ce pont qui se matérialise soudain est une bénédiction de la Providence s’il me ramène vers Viviane qui m’attend sur l’autre rive, de l’autre côté, telle que je la revois dans mes plus fiévreux souvenirs. Malheur, ce pont s’arrête brutalement, brisé après la quatrième arche, au-dessus des eaux furieuses. Je ne peux aller plus loin. Viviane. Elle est juste là. Je la contemple, interdit. C’est elle et ce n’est pas elle !


M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-07-29 20:49:24 

 WA - Participation exercice n°20 - FinDétails
J'espère que cette histoire insolite vous intéressera. Elle se situe finalement entre le gris et le noir. Et c'est tant mieux.

_______________

Impression déstabilisante. Choc émotionnel. Chaque fibre de mon corps me rappelle que c’est bien Viviane qui me sourit, qui me tend ses bras aimants. Un tel amour ne saurait mentir. Pourtant, une ombre obscurcit mon âme et jette un trouble dans mes certitudes. Je crie son nom mais le Mistral, vent capricieux, l’emporte au loin. La rive où elle se tient s’éloigne de plus en plus vite. Nous sommes bientôt séparés par un lac aux eaux parfaitement immobiles reflétant les ocres et les mauves du ciel. Elle n’est plus qu’un point qui perd peu à peu toute consistance.

Abattu, je tourne le dos au lac et rebrousse tristement chemin vers le château papal. Il y a une foule immense qui m’attend au bout du pont, une multitude immobile qui m’observe en silence. Ils sont si nombreux comme autant de points lumineux qui semblent clignoter doucement. Le corps enveloppé dans une longue cape de couleur, ils portent tous un masque, blanc ou noir, chacun exprimant une émotion différente : ennui, peur, colère, envie, regret, amour, espoir, renoncement....Il y a tant d’émotions que je ne peux toutes les déchiffrer alors que je m’avance vers eux. Le château papal me domine de sa masse gigantesque, ses plus hautes tours se confondent avec les cieux au-dessus. Son ombre étend ses ailes sur l’esplanade. Je serre un peu plus la cape autour de mes épaules et me courbe pour résister à la violence du vent.

Parvenu sur la berge, je tourne mes regards vers l’autre rive mais celle-ci a disparu, emportant Viviane hors d’atteinte, hors de vue...elle a disparu, pas mon amour. Cet amour qui se lit sur le masque que je porte désormais comme une seconde peau. Il fait partie de moi et jamais je ne l’ôterai. C’est le seul lien qui me rattache encore à Viviane, le seul témoignage de notre amour, le dernier vestige de mon désir romantique

Parmi les autres masques, j’ai trouvé ma place, celle qui m’a été assignée. A mes côtés, à ma droite et à ma gauche, silencieux, ils sont là mais je ne les regarde pas, me contentant de fixer droit devant moi. Fixant un horizon fermé au-delà des eaux magiques du Rhône, lui aussi immobilisé, figeant ses eaux aux reflets mauves et aux teintes turquoises. Je ne parviens pas à distinguer plus loin que cette surface verticale à la blancheur immaculée. Nul paradis à attendre de ce côté. Juste une neige lumineuse qui agresse les yeux quand on la contemple trop longtemps.

Je suis finalement bien. Je ne ressens ni tristesse ni mélancolie à présent. Je suis empli de cet amour inaliénable et éternel et cela me suffit. Nul besoin de bouger ou de parler. Nulle fatigue également. Oui, je suis étonnamment bien. Nulle soif. Nulle faim. Ni trop chaud ni trop froid. Extase et plénitude. Nulle question à se poser non plus et c’est reposant. Plus de doute, plus d’angoisse, plus de peur. Elle m’aime. Elle m’aimera toujours ici. Aucun danger ne nous guette, le temps s’est arrêté. Extase d’éternité. Je suis un masque et une belle cape bleu indigo. Corps et âme. Je ne les quitterais pour tout l’or du monde. Jamais.

Elle reviendra, je le sais, un jour, demain peut-être. Elle reviendra, c’est écrit dans les taches vertes du ciel, dans les reflets roux du château. Elle reviendra pour moi. Et ensemble, nous emprunterons ce pont qui s’élance au-delà de notre pauvre imagination, au-delà des eaux dansantes du Rhône. Il rejoint l’autre rive, celle que nous avons tous rêvé un jour d’atteindre avec l’être aimé pour ne plus quitter cette plage où s’abandonnent les amants fatigués.

Je dessinerai des arabesques magiques pour qu’elle n’oublie pas la route qui la mènera vers moi. Demain. Oui, c’est ça, demain. Je ne souris pas, seul le masque que je porte exprime mes émotions. La matière dont il est constitué est si douce que je ne la sens pas sur ma peau, mélange intime.

Quelque part entre les roux et les bleus, passent les années et déclinent les soleils. Pour moi, c’est le même instant. Chantent les sirènes et pleurent les muses sur leur balancelle. Les fontaines ruissellent et le fleuve rejoint la mer. Je vis dans un monde figé et éternel. Un monde à deux dimensions. Une bulle magique au coeur d’une forêt oubliée. Nul regret. J’aime Viviane. Mon masque en porte la marque. Viviane. Nulle amertume. Dans ce monde sans hier et sans demain, mon amour ne se délitera pas au fil du temps. Un temps qui corrompt tout, qui jaunit le plus bel éclat de rire et qui éteint la lueur dansante au fond d’un regard amoureux. Ici j’aime Viviane et Viviane m’aimera, à jamais.

Sur le pont, j’aperçois une autre silhouette masquée, emmitouflée dans une grande cape magenta qui s’avance vers nous lentement. Encore quelques pas et nous pourrons lire son masque, connaitre cette émotion ou ce sentiment qui, comme chacun d'entre nous, restera ici à jamais...


OOO



La pluie a cessé. Pour toujours. Elle était tombée sans discontinuer durant trois longues années, rongeant mon âme comme une pluie acide. Trois années ramenées à néant. La page est enfin tournée.

Je peux affronter le tableau. Ce tableau devant lequel nous nous étions rencontrés, il y a si longtemps, riant comme des adolescents miraculeusement confrontés à une évidence amoureuse. Plus tard, sous les toits, dans sa petite chambre d’étudiante, elle m’avait expliqué la technique picturale employée par Signac tandis que j’explorais le creux de ses reins. Viviane, nullement fâchée du résultat de mes explorations, et de ses effets sur moi, m’avait doctement chapitré sur l’emploi que l’artiste faisait des couleurs primaires et sur son approche résolument scientifique.

« Signac considère que l’oeuvre ne nait réellement que dans l’oeil de celui qui la contemple. C’est pourquoi, il utilise ces juxtapositions de touches de couleurs pures. C’est toi qui reconstitue la cohérence d'ensemble, ton regard. Il y a une magie dans chaque oeuvre d'art, une magie qui capture l'émotion qu'elle suscite chez celui qui la contemple, un petit bout de présent enfermé à jamais. Elle nous restitue ensuite, sur un plan sans doute inconscient, la charge émotionnelle qu'elle contient!»

Pointillisme et divisionnisme furent ainsi les deux mamelles, si j’ose dire, du plus beau cours sur l’impressionnisme que j’ai jamais suivi. J'avoue que j'ai été attentif comme un écolier du fond de la classe, plus intéressé par des appâts moins géométriques, plus courbes et beaucoup plus sensuels.

« Tu ne comprends rien » disait-elle en riant et en ramenant le drap jusqu’au menton. « Tu ne comprendras jamais rien à la peinture ».

Je ne lui ai jamais dit que c’était Courbet mon peintre favori, elle aurait rougi.

Puis le temps, cet affreux monstre, nous a éloignés, séparés. Les examens, les universités étrangères. La science financière ne rime pas harmonieusement avec l’histoire de l’art. Harvard est bien loin de Florence. Elle a quitté ma vie comme j’avais déserté la sienne. Mais, de retour en France, voici trois ans, je me suis précipité en Avignon, espérant comme un collégien qu’elle serait là, m’attendant devant le tableau de Signac.

Il n’y avait personne bien sûr.. J’allais quitter la salle lorsque mes regards ont plongé, l’espace d’un instant, dans l’alchimie des couleurs du tableau. Un flot d’émotions que je croyais disparues m'a alors submergé. Ensorcelé par les couleurs féériques, piégé par la vague de remords et de regret qui a tout emporté sur son passage. C’est à ce moment qu'il a commencé à pleuvoir.

Aujourd’hui, les nuages se sont écartés et la pluie a cessé. Je suis devant le tableau, je ne ressens plus aucune douleur. Je n’ai rien oublié mais la blessure semble s’être cicatrisée. Pourtant, j’ai la sensation très nette d’avoir déposé un peu de moi entre les bleus et les roux de ce tableau. Quelque chose de précieux et de secret, d’indiciblement brillant. Quelque chose qui sera conservé intact tant que survivra cette toile, dépositaire universelle d’une émotion pure et sincère. Il y a un peu de moi entre ces couleurs primaires et c’est tant mieux. Viviane, même si nos vies ont pris des trajectoires différentes, même s'il n'y a plus rien entre nous, quelque part entre les bleus et les roux, nous nous aimons encore.

Et c’est bien.

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-08-02 15:09:34 

 WA - Participation exercice n°20 - Histoire 2Détails
Une histoire américaine...mais l'amour là-bas est une chose compliquée...

_______________

C’EST LARA QUE J'AIME


Elle est partie me dites-vous, avec vos filets déployés tout autour de moi. Vous tournoyez comme de noirs oiseaux, attendant le moment. Le bon moment. Mensonges. Ils sont venus chez moi, au petit matin. Sans rien dire, ils m’ont emmené, dans un fourgon ils m’ont poussé ,dans une cellule, ils m’ont enfermé.

Lorsqu’ils ont enfin parlé, je n’ai rien entendu. Je sais ce que je connais. Et je connais chaque grain de sa peau, chaque ligne de son corps, chaque trait de son visage. Ce qu’elle ressent, je le ressens. Alors, ne me dites pas que c’est une inconnue. Vous mentez. Je connais vos ruses, vos feintes et vos simulacres. Votre art consommé de ce subtil jeu de massacre mental. Votre patience trompeuse qui cherche la faille, le moindre interstice à investir.

Lorsqu’ils m’ont affirmé qu’elle était morte, je les ai frappés. Regardez, le monde continue de tourner, vous continuez à exister, je vis encore. Sans elle, c’est impossible, aussi sûr qu’il y a un soleil dans le ciel, une île sur la mer. Comment pourrais-je vivre sans elle ?

D’autres hommes sont venus ensuite. Ils ont parlé. Gravement. A voix basse. Réfléchissant tout en marchant lentement en cercle autour de moi. Posant des questions ennuyeuses. Leurs mots fuyaient en tous sens mais n’en avaient aucun. Des voix ont hurlé. Des voix m’ont condamné. Mais je ne peux certifier qu’elles n’étaient pas dans ma tête.

Il ne me reste que le souvenir de notre première rencontre.

OOO


Les manèges tournent en rondes magiques. Les lampions tissent un jour artificiel, coloré et agréable. Les feuilles s’agitent doucement, bercées par les flonflons de la fête. Je reste à l’écart, comme d’habitude, masqué par l’ombre d’un stand. La grande roue offre une place inespérée pour un voyage où tout est réduit à si peu de chose. Pourquoi pas ? Installé dans la nacelle, la ronde m’entraîne vers le haut. Un à un, les poids qui m’empêchent de respirer librement retombent en décrivant des trajectoires d’acier. Ils s’écrasent enfin sur le sol jonché de confettis.

Je suis libre. Juste le temps d’un tour de manège. Si seulement il existait un manège qui tournerait sans cesse pour maintenir ensemble les atomes déséquilibrés de ma vie. Au coeur de cette danse immobile, où la sensation vient de l’intérieur, je perçois sa présence. Elle est là. Nul mortel n’a survécu à l’apparition d’une déesse. Impossible d’imaginer une fille aussi belle, aussi désirable. La ronde verticale s’affole et tout n’est que musique. Le monde se brouille à devenir flou entre les horizons qu tanguent encore et encore.

OOO

Beaucoup d’entre vous pensent que je suis fou. Il faut être fou pour penser ça. L’amour rend fou mais c’est une saine folie non ? Comprenez-vous ? Derrière vos lunettes teintées, je ne peux voir vos yeux. Je ne peux lire votre âme. Vos lunettes me narguent. Impersonnelles. Froides et lointaines. La lumière crue qui tombe du plafonnier se multiplie à l’infini sur le poli glacial de leurs verres.

Essayez de comprendre ! Je l’aime plus que tout. Non, elle n’est pas morte. Dites-le. Si vous le dites, alors nous rirons ensemble de cette farce tragique. Si vous le dites, c’est qu’elle vit. Mais vos jeux sont sans pitié et vos règles sans issue.

La première fois que je l’ai serrée dans mes bras, je me rappelle qu’elle portait un ensemble bleu, un tissu doux et lisse. Elle avait noué un ruban autour de son cou. Impression féline, impression câline. Un jeune chat prêt à jouer. J’ai eu deux chats, vous savez. Deux durs. Ils aimaient se battre. C’étaient les terreurs du quartier. Même les chiens les craignaient. Pourtant, quelques fois, ils attendaient une caresse. Ils avaient l’art et la manière de me faire comprendre ça. Ils me regardaient d’une drôle de façon, immobiles, la tête légèrement inclinée. Attentifs à ne pas rompre la magie de l’instant. Avez-vous vraiment plongé vos regards dans les prunelles d’un chat qui vous observe ? Deux lacs d’émeraude.

Elle s’appelle Lara.

Je vous ai dit qu’elle adore les chats ? Les gris. Aux yeux verts, comme les siens. Vert pâle. Si délicats, si fragiles. Le soir, quand nous sortons, elle se retourne fréquemment. Elle est certaine que nous sommes suivis. Epiés. J’ai beau lui répéter que c’est une illusion, elle ne veut pas me croire. Ses yeux, dans ces moments-là, ressemblent à des cristaux prêts à se briser.

Je donnerais un empire pour la convaincre et réussir à faire disparaître la peur de la surface de ses lacs d’Irlande. Je vous ai déjà dit que nous avions fait des tas de projets ? Visiter Venise et se laisser dériver le long du Rio di Noale jusqu’au grand canal. Visiter Rome et sentir la présence des Augustes au-dessus des colonnes abattues du forum romain. Escalader le ciel avec le Chihuahua du Pacifique, le petit train bleu, pour atteindre la Barranca del Cobre. Puis à tire d’aile, rallier la Côte d’Azur. Lara est folle de la France. Elle m’a dit un jour qu’elle irait vivre là-bas, un jour, en Provence ou en Bretagne. Elle dit que c'est là, le berceau de ses ancêtres.

Pourquoi ne dites-vous rien ?

Vos ray-bans s’opacifient de plus en plus. Maintenant, il y a un gouffre noir qui bée sous vos sourcils. Que dire d’autre ? Avant de la connaître, j’ignorais tout de moi. Qui j’étais, qui j’aimais. Elle a surgi dans mon existence à la façon d’un ouragan. C’est peut-être à cause de ça qu’on donne presque toujours des prénoms féminins aux cyclones. Comment dire ? Lorsque je suis près d’elle, plus rien d’autre ne compte. Elle paraît toujours distante, lointaine, c’est ça, lointaine, quand je tente de lui parler de ma vie. Celle que je menais avant de la rencontrer. Comme si elle m’en voulait d’avoir pu vivre sans elle.

Ne me dites pas qu’elle est morte.
Ne me dites pas que je l’ai tuée.
Je l’aime. J’ai vu ses yeux quand tout bascule de l’autre côté du plaisir. J’aurais voulu plonger dans l’eau de ses yeux, nager dans ses larmes. Et m’endormir ensuite sur la plage de ses paupières.
Je l’aime. Elle m’aime. Laissez-moi la rejoindre.
Dites-moi où aller.

Avant tout ça, l’arrestation, le fourgon, la prison et le reste, cela faisait plusieurs jours que je l’appelais sans résultat. Personne ne m’a donné son nouveau numéro. Chez elle, vous savez, c’est si gai, si frais, si féminin. Son lit est vaste et douillet. Mais c’est juste pour la frime. Elle a gardé son nounours sur l’oreiller. J’ai toujours fait attention à ne rien déranger.

Vous me dites que je vais mourir.
Cette nuit.
C’est curieux, le temps semble s’être contracté.
J’ai vu le lit, les sangles et le goutte-à-goutte. Je ne comprends toujours pas.
Qu’ai-je fait sinon l’aimer. Aimer n’est pas un crime.
Vous dites que le procès a eu lieu déjà. Vous dites que je suis fou.
Mais où est Lara ? Elle, elle sait. Elle saura vous convaincre. La voir c’est me croire.

Mais je parle à des hommes-lunettes trop occupés à se regarder pour voir au fond de mon âme. Vos oreilles écoutent mais n’entendent pas. Vous restez muets de l’autre côté de vos miroirs. De l’autre côté de votre légalité. Vous restez loin de moi. Trop loin pour discerner ma vérité. Si loin de Lara.

Vous me dites que cela ira vite, que tout sera fini dans quelques heures. Je n’ai pas peur. Je sais que vous mentez. Oui, je me rappelle mon procès. La barrière fermée des fronts derrière la balustrade de bois. Les yeux qui me condamnent avant la fin. Une voix désincarnée qui énonce le verdict. Une voix amicale qui murmure à mes côtés. J’entends leurs cris de victoire et de haine.

Mais de quoi m’ont-ils accusé ? Du meurtre d’une Clara. Mais je ne connais pas cette femme. Oui j’ai vu les photos qu’ils m’ont montrées. Celles de cette Clara. Oui, elle ressemble beaucoup à Lara. Je ne l’ai jamais vue. Vous dites que je l’ai étranglée, après. Mais je vous jure que je n’ai jamais touché un seul cheveu de cette Clara. Je suis fou d’amour pour Lara.

Ils m’ont dit que Lara est Clara. Impossible.
Ils ont prétendu que je n’ai jamais rencontré Lara. C’est un mensonge. J’ai mille souvenirs de notre vie. Elle m’aime. Oh, elle est très pudique et montre rarement ses sentiments intimes. Mais oui, elle m’aime. Ils ont assuré que tout ça, c’est un scénario que j’ai inventé. Un pur produit de mon imagination maladive. Comment ont-ils dit ? Oui, un fabulateur. Un rêve qui a fini en cauchemar. Des mots, des mots vides de sens.

Je vous dis une dernière fois que j’aime Lara et que je n’ai rien fait à Clara. Mais vous tirez déjà les rideaux et disparaissent les visages derrière la vitre. Dites bien à Lara que je l’aime. Je vois les gouttes qui commencent à glisser dans les tubes...

M
:diable:

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-08-03 18:44:39 

 WA - Participation exercice n°20 - Histoire 3Détails
Encore une petite histoire...(1ère partie typiquement masculine et hard SF)

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NIET TIME


Ce récit a recueilli toutes les autorisations préalables nécessaires. Il été validé sans observation par les plus hautes autorités en charge de la colonisation « Galaxie Spirale ». C’est un récit d’un autre monde, et en raison du décalage lumière, d'un d’autre temps.

Les caractéristiques de ce monde, orbitales, physiques et atmosphériques, sont assez courantes même si la pollution a fortement contribué à la dégradation de son écologie. Morphologiquement, l’habitant type de cette planète est un hominidé bipède standard. Les annexes 8 à 15 présentent différentes représentations de cette espèce.

Politiquement, il y a deux camps, les bleus et les rouges, qui se sont partagés la planète. L’hémisphère nord pour les bleus, le sud pour les rouges. Entre les deux, une bande équatoriale assez large, réservée à un autre usage. Ce monde est en guerre permanente. L’origine du conflit se perd dans la nuit des temps. Il paraît qu’il existerait un endroit secret où serait précieusement conservé un document relatant son commencement. Sans preuve tangible, il se pourrait bien que cela ne soit qu’une légende.

Le peuple de ce monde aime l’émulation, la concurrence, la confrontation et la violence. Son histoire est émaillée d’invasions, de colonisations, de conflits, de génocides, d’épurations ethniques. Cela ne l’a pas empêché d’atteindre un niveau technologique avancé, même selon nos critères. Il a investi son espace proche et se prépare à faire le saut inter-espace. De grands artistes ont contribué à l’essor des arts et des lettres. Les annexes 28 à 88 contiennent une sélection, forcément subjective, de quelques oeuvres parmi les plus marquantes. Ce peuple est attachant par bien des aspects.

Mais là n’est pas l’objet de ce récit. Si les deux camps sont en guerre pour des raisons oubliées, leurs sociétés sont régies par des dogmes militaires qui transmettent de génération en génération cet héritage belliqueux, entretenant la flamme guerrière et la haine viscérale de l’autre. Pour perdurer si longtemps, le conflit s’est sacralisé à tel point qu’il fait partie de leur vie quotidienne. Selon les statistiques officielles, la guerre jouit ainsi d’un taux d’acceptation de 98% dans l’ensemble des couches sociales alors que 63% d’une classe d’âge sont mobilisés chaque année sous les drapeaux.

La guerre est d’abord circonscrite dans l’espace : un segment sphérique, dont les limites nord et sud sont équidistantes de l’équateur d’environ 12 parallèles. Là sont cantonnés les théâtres des opérations. Ensuite, elle est circonscrite dans le temps : une campagne hivernale de 35 jours locaux et une campagne estivale de 65 jours locaux, pour une année locale de 365 jours. Cent jours, pas une seconde de plus ou de moins.

C’est dans ce laps de temps que se joue le sort des deux camps. Les combattants survivants acquièrent prestige et avancement dans la société. Il faut éviter tout contresens, même si la guerre est parfaitement domestiquée, elle conserve tous ses attributs ataviques : héroïsme, dévouement, sacrifice, mais aussi trahison, tuerie et mégalomanie. Selon les statistiques officielles, 68% des combattants des deux camps sont blessés ou tués au cours des affrontements, sur terre, sur mer ou dans l’espace.

Les grands médias proposent des flashs spéciaux et des reportages quotidiens sur les principales victoires ou défaites. Hebdomadairement, sont diffusés les meilleurs moments de la semaine avec interviews des combattants et réactions des spectateurs. Le peuple est également appelé à voter pour désigner l’unité à encourager, renforcer ou à « retirer », ce qui signifie pudiquement à exterminer grâce aux manoeuvres combinées des autres unités, amies ou ennemies.

Enfin, une Haute Autorité, investie du pouvoir d’arbitrage en cas de litige, tient les comptes officiels et dresse le Bilan Universel de la Guerre. Elle dépose très solennellement après la campagne hivernale, sur le bureau des Assemblées, bleue et rouge, un rapport sur l’année de guerre écoulée. C’est un moment fort et très attendu car ce rapport, en effet, décide de la nomination des gouvernants et des administrateurs généraux, des hausses ou des baisses d’impôts, du taux de chômage applicable, des promotions ou des licenciements, des droits à polluer ou à procréer et des prorogations des dates légales de congé létal. Tout ceci se mesure à l’aune des victoires ou des défaites recensées pour chaque camp.

Les statistiques officielles soulignent que sur un trend séculaire, les variations sont minimes et qu’il n’y a jamais eu de véritable décrochage d’un camp par rapport à l’autre. La guerre profite aux deux camps sur un long terme grâce à son effet levier sur l’ensemble de l’économie.

Voilà brossé en quelques lignes le contexte dans lequel s’inscrit enfin l’histoire qui va suivre...

M

:diable:

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-08-08 15:36:02 

 WA n°20, participationDétails
Je ne doutais pas de Nous. Je n'ai jamais douté. Je regardais les autres couples autour, leurs baisers ridicules du bout des lèvres, leurs Je t'aime vidés, leur lassitude, leur habitude, leur transparence, et je nous sentais indestructibles et merveilleux. Une chance sur plusieurs milliards, et ce fut Nous: l'harmonie osmotique parfaite.
Jamais nous n'avons eu à nous regarder comme deux ennemis. Jamais ses mains ne se sont fermées aux miennes. Jamais il ne m'a fait l'affront de me cacher une brune qui le troublait ou une autre qui le déstabilisait. Il se montrait à moi tel qu'il était, nu, beau, parfois faible, toujours humain, toujours aimant. Pas une fois je n'ai eu peur. Il était libre de partir ou de rester, et chaque matin, il était là. J'ouvrais les yeux sur l'univers de ses cheveux emmêlés, ma peau naissait sous la chaleur de la sienne, et ainsi, le Monde était à sa place.
Tout était Bien et Bon, je connaissais la Plénitude.
Pas une fois je n'ai douté de Nous.

J'allais dans un monde serein, j'y aimais tout sans en être bousculée, lui seul m'atteignait de douceur. Pas un instant je n'ai douté. Je contemplais ma confiance en lui... mais on ne raconte pas ces choses-là... quand j'en ai oublié de douter de moi. Le sourire étranger m'a exterminée d'une seule note, un seul coup de fouet brûlant où j'ai tout perdu. "Nous" a explosé avec violence tout au fond de moi, moi, soudainement méprisable animal échoué du paradis terrestre. Ma raison a crié au stupide, à l'absurde, au gâchis innommable de notre chance unique. Mon coeur a cherché les morceaux de rêve, les bribes de paix, les preuves d'amour. Je les entendais sans pouvoir les réintégrer, toute entière envahie de ce mâle autre, vibrante, vivante, honteuse, effrayée, ennivrée, égarée, insensée. J'ai voulu fermer les yeux et fuir ce sourire, mais il est resté là, gravé dans le roc devenu pauvrement argileux de mes désirs.

Je me suis résignée. Je me suis tue.



Elemm', n'allez pas me demander le pourquoi du comment et encore moins comment ça finit, c'est comme ça que ça m'est venu et rien n'est venu après! Et pour ceux qui voulaient du tout beau tout heureux, désolée, encore raté ^^

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-08-08 23:20:47 

 Sublime...Détails
Sublime description, la première partie de ce texte, dans le musée, m'a complètement subjuguée; on relève parfois les images qu'on trouve belles dans les participations, là je devrais quoter la totalité du texte! Félicitations et merci...

Elemm', qui peut enfin lire maintenant qu'elle a écrit!

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-08-10 21:34:40 

 Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre...Détails
Chapeau Elemmirë,

Ton texte possède la saveur de ces bonbons d'antan, je ne sais si tu les connais, mais qui sous un enrobage de sucre léger, cachaient un coeur acidulé qui nous piquait la langue délicieusement.

En deux paragraphes, tu peins à la fois les couleurs claquantes de la belle pomme rouge et ensuite, hop...hop... tu décris le ver qui se love juste sous la belle peau écarlate.

Et loin de moi l'idée d'émettre la moindre critique sur sa brièveté ou son absence de contexte. Au contraire, cela renforce sa charge émotionnelle. Tu te places juste sur la frontière, celle qui sépare l'avant et l'après. Avant, rien ne pouvait atteindre la certitude amoureuse, après, rien ne sera plus comme avant!

Et puis, j'apprécie ces traits rapides qui peignent ces états d'âme comme un ciel bleu et serein où passent de gros nuages noirs.

Well done

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-08-11 17:45:35 

 Brrr....Détails
Bah dans le genre histoire d'amour pas gaie, ça...
D'abord, il semblerait qu'il n'y ait que dans sa tête que l'amour soit partagé. Et puis si les deux amants sont morts à la fin, même pas ensemble... Snif...

:(((

Elemm', pas gaie!

PS: Autrement, c'est très bien écrit, hein!

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-08-11 17:48:02 

 WA - Participation exercice n°20 - Histoire 3 (suite)Détails
La suite... montrez-vous les petits Rambo!
__________

Le document que vous allez découvrir a été importé grâce aux balises neuronales situées sur une orbite discrète. Le signal a traversé l’espace et le temps mais il est fort et clair. Veillez à disposer des bons codecs et de leurs librairies dynamiques habituelles. En principe, les kits parabellum sont mis à niveau avant chaque session. Enfin, les compresseurs empathiques utilisés par les routines psy sont de classe intermédiaire, pour garantir une meilleure induction des liaisons synaptiques.

OOO

Je progresse lentement sous le couvert des hautes herbes. La savane est écrasée de soleil. Cela fait près de dix heures. Malgré mon camouflage dernier cri, je sais que leurs foutus traqueurs audiovisuels sont sur moi. Leur matériel est bien plus évolué que le mien. Le spectacle est le plus puissant des pouvoirs. Ma signature génétique doit clignoter bien visible sur les écrans de tous les réseaux. Je n’échapperai pas aux infos du prime time. Quelle poisse. A deux jours de la fin de la campagne. J’avais atteint un score enviable : deux médailles, douze citations et les galons de sergent. Tous les espoirs m’étaient permis.

Mais hier soir, rideau. Comment justifier la folie collective qui a saisi notre peloton? Juste à quelques heures du dernier vote. Tout ça, à cause de ce psychopathe de lieutenant. Une bleusaille. Un remplaçant de dernière heure. Aucune expérience. Il aurait dû être écarté des sélections annuelles. Un fou n’a rien à faire ici. Mais d’après ce qu’il nous a chanté, son père était un administrateur en vue. Alors il a dû être repêché in extremis en échange d’un gros pot-de-vin. Ca aurait fait désordre dans la famille si le rejeton avait été aiguillé sur la voie de garage.

Putain de colline. Putain de cote 424. Qui sait d’ailleurs où elle se trouve. Y en a des tas comme elle sur cette zone, sans enjeu stratégique particulier. Il paraît qu’avant vivaient ici des animaux sauvages. Aujourd’hui, les seuls organismes vivants rampent sous terre, petits charognards à l’appétit insatiable, humant la chair morte.

C’est vrai que le lieutenant a perdu la tête. Mais nous avec lui. Comme un seul homme. Moi compris. Pourtant, ça se sentait que nous étions tous à cran, prêts à craquer. Et on a craqué, bien aidé c’est vrai par cette tâche de Sandhurst. Et au plus mauvais moment. On a appris le verdict sur les ondes courtes : 73% des spectateurs ont demandé notre retrait.

Puis le décompte a commencé. D’abord le lieutenant qui s’est fait allumer la tête par un sniper. Celui-là a fait ça pour le fric. Nous avons tous une cible sur le coeur et un prix au-dessus de la tête. Puis, un par un, les camarades ont mordu la poussière. C’est dur de rester en vie quand il n’y a plus d’endroit sûr où fuir, où se cacher.

Mon pote, mon frère en armes, Mercurio, est là, à quelques mètres, le dos appuyé contre le tronc massif d’un arbre équatorial dont j’ignore le nom. Je n’avais jamais remarqué que c’était encore un gosse. Son visage à peine sorti de l’adolescence est levé vers le ciel. Il semble rêvasser mais j’ai vu l’horreur dans ses yeux restés grand ouverts. Elle raconte son calvaire. Il a déclenché une mine génétique. Je pourrais être à sa place. Maintenant, je suis le dernier. Le jackpot, le bonus et la prime pour celui qui m’aura. Je suis traqué par les rouges sans rémission, le code militaire est formel : pas de quartier pour toute unité retirée. Ma cote ne doit pas être brillante chez les bookmakers. Et les médias adorent ça. Ca fait remonter l’audience. Ils ne manqueront aucune miette. Les citoyens si courtois et si policés vivront une expérience recherchée. Ils seront au coeur de l’action. Ils pourront même voir siffler les balles dans le salon, gicler le sang tout autour d’eux. Ils pourront même sentir l’odeur de la mort envahir leurs narines pincées. La maîtresse de maison n’a rien à craindre, ça ne tâche pas. Pourquoi leur en vouloir du reste. Je suis comme eux. Je ferais comme eux. La seule différence c’est que la balle traversera bien ma chair. Je suis si loin de chez moi.

Ils en auront pour leur abonnement, je suis bien décidé à vendre chèrement ma peau. La campagne estivale s’achève dans deux jours. Si je tiens jusque là, alors la chasse s’arrêtera. Je passerai devant une cour martiale. Au pire, je ferai vingt ans de forteresse. A ma libération, j’aurai 40 ans et une chance de refaire ma vie. Oh, sans espoir de voir les étoiles, je récurerai sans doute les chiottes d’un fast-food au fin fond d’une zone de transit, citoyen de troisième classe. Mais je serai vivant.

Non, je ne finirai pas dans le ventre de ces petits affamés.
Non, je ne resterai pas sur la Bande.

J’entends encore la promesse de Juliette à la radio, juste avant qu’elle cesse de fonctionner. Juliette, c’est ma fiancée de l’autre côté de la mer. Nous devions nous unir après la campagne. Ici, sur la Bande, nous sommes deux combattants bleus. Elle a été affectée dans une unité d’exfiltration, quelque part vers le sud et elle pense pouvoir m’aider. Avant l’enrôlement, nous avions convenu d’un code secret entre nous. Au cas où. Grâce à lui, sans se faire remarquer, elle m’a communiqué les coordonnées de l’endroit où elle m’attend. Elle m’a dit qu’elle m’aiderait à me cacher pour attendre la fin de la campagne. Juliette. Notre amour sera plus fort que cette épreuve.


M

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-08-11 17:57:07 

 Roméo IVDétails
Et voilà, Maedhros nous remet de la guerre de garçon là où on veut du romantisme de filles!! Non mais!!! :p

Bon, blague à part, moi je préfère quand l'amour est plus présent, là il n'envahit pas son esprit, il n'est pas une raison de survivre, juste une aide stratégique. C'est pas très fleur bleue, tout ça...
Sans condition, donc, je préfère ta première participation pour ce WA, participation qui, je le redis, étais sublime, vraiment.

Elemm', les poux et les couleuvres, hein... :)

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-08-11 20:11:02 

 Juliette 1 - Romeo 0Détails
Qui dit que la guerre n'a pas un côté romantique? Je conteste votre Honneur!

Il se peut que l'histoire d'amour finisse par transcender la marche militaire. Quoique... peut-être que oui...peut-être que non...je n'ai qu'une vague idée de la fin...disons que j'ai la direction générale et le final cut. Tout le reste me manque encore. Et je peux louper complètement la cible. Tiens encore un terme militaire!

Ce qui m'a intéressé sur ce texte, c'est, à partir d'une base vraiment testostéronée (ça se dit?) pas du tout conforme au cadre fixé, voir comment petit à petit réintroduire une vraie histoire d'amour. Il me faut un peu d'espace pour ça!

Une histoire d'amour bien sûr, où le sgt Barnes est amoureux du lt Ripley ( Ripley version 4).

Pour l'heure, c'est encore un peu flou! Sauf le clin d'oeil à Shakespeare... Après tout, le drame de Vérone est rempli aussi de duels, d'épées qui s'entrechoquent, de trahison et de mort!

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-08-19 18:46:06 

 WA - Participation exercice n°20 - Histoire 3 (suite)Détails
La suite...

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La savane à perte de vue. Un silence surnaturel plane sur cette terre désolée. Je connais les légendes qui circulent sur ce coin. Ils appellent ça le berceau de l’humanité. La naissance de l’homme. Aujourd’hui j’ai l’impression que la boucle est bouclée. Il y avait aussi un autre nom...un nom qui renvoie à un vieux, un très vieux film où les Jets affrontaient les Sharks. Toujours la même histoire n’est-ce pas? Je me souviens, un spécialiste de l’évolution humaine avait échafaudé la théorie de l’East Side Story. Une arnaque, comme aujourd’hui. Il faut que j’avance. Ne pas perdre de temps. Plus qu’une journée. Moins si ce satané soleil consent à s’abaisser derrière la majestueuse montagne qui ferme l’horizon sur la droite. Ils l’appellent la montagne de l’Autruche. L’océan est à gauche, vers l’est. Le port n’est plus très loin, assoupi au bord de l’eau.

Lamu, tous y arrivent. Beaucoup en repartent. Certains dans des ces sacs noirs et brillants, d’autres aidés par les médics de l’Ordre du Serpent qui assistent également les bleus et les rouges. Mais tous ceux qui en repartent ont de la chance, malgré la marque noirâtre qui leur brûle le coeur. Lamu est un port ouvert et neutre. Juliette est quelque part entre lui et moi.

Un éclair entre les hautes herbes. Je m’immobilise, le coeur battant la chamade, la bouche collée à cette terre rouge au goût de fer. Cette terre qui pénètre ma bouche, comme si elle voulait investir mon corps. Un amour terreux et organique. C’est la promesse d’une prochaine rencontre. Je lève la tête très lentement pour voir une poignée d’hommes, aux nobles visages d’ébène. Je reconnais les insignes cousus sur leurs treillis. Ils appartiennent à la légendaire division Chaka. Des rouges. Ils disparaissent bientôt dans le soleil couchant, je ne les intéresse pas.

Qu’ont-ils prévu pour moi, ceux qui planent au-dessus de ma tête ? Quel scénario pour maintenir l’attention des Ménautes? Il faut bien vendre. Quels sentiments seront sélectionnés pour exalter cette poursuite infernale, pour les scotcher dans la zone multimédia? L’héroïsme d’un prolétaire de basse extraction qui prouvera sa valeur pour connaître gloire, amour et fortune? Non, trop galvaudé. Les affres éthiques d’un intellectuel qui pleurera sur ma dépouille? Non, trop convenu. Il y a tellement d’options. Les magiciens sont embauchés à prix d’or par les grands studios pour fournir la dose d’adrénaline quotidienne aux classes laborieuses. Nul n’en meurt mais tous sont atteints. Les fins sont interchangeables. Pas la mienne.

« Roméo ! »

Il y a un grand acacia parasol, non loin. Dans la nuit africaine, les âmes perdues sanglotent et appellent les vivants. Seuls ceux qui vont mourir entendent ces voix. Les histoires de ce genre parcourent la bande. Mais cette voix-là, je l’ai reconnue. C’est Juliette. Mon coeur ne se trompe pas, elle m’a retrouvé. Elle me l’avait promis. Je ne veux pas penser à ce qu’elle risque pour me soustraire à la trame du prime time. Je lui fais confiance, elle connaît son job. Ce n’est pas pour rien qu’elle a été affectée dans une unité d’exfiltration. La production les soigne, matériel, entraînement, manipulation...rien ne leur est refusé afin qu’ils mènent à bien leurs opérations de sauvetage derrière les lignes ennemies. L’audimat sur de telles (é)missions crève tous les plafonds. Les visages de ces héros sont connus aussi bien au Nord qu’au Sud et tous leur vouent un profond respect. Qui ne pourrait les adorer alors qu’ils arrachent d’une mort certaine le brave gars qui habite juste de l’autre côté de la rue? Oui, ce sont eux, les vrais anges de la guerre moderne. Après chaque mission, ils replient consciencieusement leurs ailes de nylon et éteignent leur infocasque qui coiffe leur visage parfait d’une auréole luminescente.


Juliette a réussi. Nul ne sait ce qui se passe ici. Ni le système Apollon qui veille au-dessus des nuages, messager de Zeus, le conglomérat international des majors de l’information. Ni les réseaux Ares ou Dingane, les supercalculateurs militaires qui tracent nos bips sur la bande. Juliette est invisible cette nuit, aussi invisible que l’amour semble l’être dans cette histoire. Mais ce qui est invisible affecte profondément le visible. Quelques fois, l’invisible guide nos pas mais bien souvent il guide nos coeurs.

Je progresse en silence jusqu’à l’acacia, masse sombre dans la nuit qui a succédé brutalement au jour. Je ne m’y ferai pas. Aucune transition. C’est comme si quelqu’un venait brusquement de couper la lumière. S’il existe un Dieu ou plutôt s’il reste encore un Dieu ici-bas, je l’imagine avec une télécommande géante à la main, assis devant un immense écran. Oui, Dieu est un zappeur fou qui ne trouve pas le bon programme. Il se rappelle qu’il y a une super émission mais il a oublié le numéro de la chaîne, parmi l’infinité disponible sur le câble installé par son pote Lucifer? Et nous, nous vivons à crédit entre les publicités pour les zapfoods et les produits financiers.

Mais elle est là, adossée au tronc noueux. Au coeur des ténèbres, c’est une ombre fraîche et légère. J’ai peu d’effort à faire pour la voir, la lumière n’est pas vraiment nécessaire. Des cheveux coupés courts encadrant des yeux lumineux, des pommettes hautes et sensuelles, une bouche mobile et toujours prête à sourire. Juliette. Elle porte une de ces tenues de camouflage zéro, qui absorbent pas mal de choses sauf l’harmonie de son corps et la grâce qu’elle dégage naturellement. Je suis épuisé, malade à vomir mes tripes, crotté et meurtri un peu partout. J’ai tout oublié, pays, honneur, famille. Il ne me reste que peu de choses à moi sur cette terre. La peau et les os. Mais chacun de mes os, chaque centimètre carré de cette peau qui ne vaut plus grand-chose ce soir, oui, la plus infime partie de mon être ne pourra jamais oublier l’amour de Juliette. Si je meurs sur la bande et que les petits affamés me grignotent jusqu’à ne rien laisser derrière eux, ils ne pourront pas effacer l’amour que je lui porte.

M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2007-08-21 12:31:16 

 Exercice 20 : Maedhros => Commentaire histoire 1Détails
Je me suis perdue dans ce récit labyrinthique, sans vraiment d’histoire, mosaïque d’impressions plus ou moins oniriques, ambiances juxtaposées. Les métaphores très nombreuses et pas toujours claires surchargent le style, à mon goût. Certaines phrases m’ont laissée perplexe : « soupir entropique », « ciel gris indigo », « chute ascensionnelle »... Tu te laisses emporter, comme souvent, dans une longue exploration des psychoses du héros, de ses images mentales, trop longue, au dépens du rythme. Au risque de perdre le lecteur en route. Je ne sais ce qu’en pensent les autres, mais je trouve cela dommage. Tu as pourtant maintes fois écrit des récits passionnants, riches d'action.
La dernière partie change de style pour expliquer en quelques sortes les méandres de la première. Mention spéciale pour « dévoilant impudiquement son obscurité humide », une métaphore qui eut peut-être gagné à être filée.

Est', et que claque le fouet enflammé.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2007-08-21 12:33:18 

 Exercice 20 : Maedhros => Commentaire histoire 2Détails
« J’aurais voulu plonger dans l’eau de ses yeux, nager dans ses larmes. Et m’endormir ensuite sur la plage de ses paupières. » C’est drôlement joli, ça, et c’est romantique. Je remarque néanmoins que même ce thème guilleret ne parvient pas à t’éloigner de tes ténèbres personnelles... Chacun son style.
J’ai trouvé ce récit beaucoup plus efficace que l’autre, plus court et plus fort. Les phrases ont un rythme intéressant, la construction est bien maîtrisée avec le « je » qui restitue l’action et les dialogues des autres protagonistes de façon indirecte. Les émotions sonnent justes. Je trouve la fin un peu abrupte.
C’est une manie de visiter l’esprit des fous !

Est', balrog de compétition.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2007-08-21 12:35:38 

 Exercice 20 : Elemmire => CommentaireDétails
Ben merde alors, ça commence bien, pis ça s’arrête !
Pas de doute, j’adore ton style. Mention spéciale pour : « Il était libre de partir ou de rester, et chaque matin, il était là. ». Les images sont jolies et le style vivant. Vibrant même, dirais-je.

Est', convaincue.

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z653z  Ecrire à z653z

2007-08-23 14:27:58 

 comme souvent...Détails
... je préfère la fin de tes histoires où les fils de la toile que tu as tissée se rejoignent enfin et montrent toute la beauté de l'ensemble. Je préfère quand il y a moins de fils, car en te suivant (cette fois-ci en particulier) j'ai eu l'impression de me perdre...

a+

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z653z  Ecrire à z653z

2007-08-23 15:01:15 

 style plus direct...Détails
... mais aucun souvenir du meurtre (ou d'une action s'en rapprochant) en lui-même ? Ni même un petit détail dans son histoire ?

a+

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z653z  Ecrire à z653z

2007-08-23 16:16:21 

 /me soutient Maedhros de ces 4 fils électriquesDétails
Tout est dans le titre :)
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z653z  Ecrire à z653z

2007-08-23 16:37:04 

 une fin "asiatique" ....Détails
.... ça faisait longtemps que j'attendais une fin comme celle-là, où justement la suite de l'histoire n'a pas d'importance.
Merci :)

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z653z  Ecrire à z653z

2007-08-23 16:42:27 

 doutais douté ........ douté douterDétails
Les 4 mots sont idéalement répartis, je m'attendais presque à en voir un 5e dans la conclusion.
Très beau texte :)

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-08-23 18:15:31 

 Merci!Détails
...c'est exactement l'impression que je voulais rendre. C'est pour ça que je n'ai pas mentionné "fin" dans le titre car pour une fois, la fin importe peu.


M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-08-24 17:37:28 

 Les gouts et les couleurs....Détails
Estellanara,

Si tu veux voir à quoi ressemble le gris indigo, suis le lien :

Couleur Gris Indigo



M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2007-08-24 19:39:26 

 M'enfin ?Détails
Cf titre.

Est', perplexe.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-08-24 20:29:26 

 Joke...Détails
ouais, je sais l'anthracite d'un écran TV, ça fait mesquin....

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2007-08-29 19:30:38 

 WA, exercice n°20, participationDétails
L’Eau et le Feu




Autour de ces souvenirs, j’ai érigé les plus fortes murailles qu’un esprit humain ait pu jamais concevoir. Et je les ai maintenues en place tout au long de ma vie, sachant l’énergie qu’il m’en coûtait. J’étais promise à une brillante carrière mais, utilisées ailleurs, mes forces incomplètes m’amenèrent à me contenter d’une position subalterne dans l’Ordre des Chamanes, à la grande déception de mon Maître Thyrion, qui voyait en moi celle qui devait lui succéder à la tête de la Grande Maison. Cela ne m’a jamais peinée.
Le temps a passé. Je sens la vieillesse arriver à grands pas, et les tissus nobles de mon cerveau, soumis à de trop fortes contraintes, se détériorent de jour en jour. J’ai souvent des pertes de mémoire, un manque du mot, je confonds les lieux et les visages... Il me suffirait de baisser légèrement mes défenses pour retrouver un peu de vigueur. Je ne le ferai pas. Je n’ai plus à rougir de ce qui fut. Ma vie d’ascétisme et de discipline a racheté ma honte, et je n’ai pas de regret. Je pourrais garder le front haut et le coeur léger devant le regard de celui qui me découvrirait. Mais je ne puis me résoudre à ce que ce sanctuaire inviolé reçoive la visite d’un intrus profanateur. Pendant toutes ces années, la petite lumière qui a brillé dans ce temple secret, logé au fond de ma mémoire, a été mon seul guide et ma seule étoile. J’ai connu quelques malheurs, mon mari m’a quittée, mes enfants sont partis dans l’indifférence, mes amis, méprisant mon faible statut social, se sont éloignés de moi, et j’ai souvent été en butte au dédain de ceux qui, fiers de leur pouvoir, moquaient mon incompétence. Plus encore, mon incapacité à manifester une quelconque émotion m’a empêchée de tisser le moindre lien, même de camaraderie. Mais dans la pauvreté et la solitude je pouvais traverser le quotidien terne de mes jours sans ambition et sans souffrance. Qu’aurais-je pu souhaiter de plus ? J’ai aimé.
Si je dois être appelée dans la mort à l’âge où d’autres encore se délectent ou se déchirent dans la puissance et la gloire, que cela soit : la mort comme la vie peut être un acte d’amour.


La Grande Epidémie de 06 fit des ravages effroyables parmi la population de la Colonie. Il s’agissait vraisemblablement d’un germe autochtone, de nature virale, excessivement contagieux et mortel dans la plupart des cas. Les chercheurs ne réussirent pas à l’identifier, et tous les traitements qui furent tentés, antiviraux, antibactériens, corticoïdes et même antimitotiques, restèrent sans résultat.
Dans le but de limiter la contagion, des mesures préventives drastiques furent instaurées, comme le port permanent de masques et de gants filtrants, et l’interdiction absolue de tout contact cutané direct. L’épidémie cessa, mais dans la crainte d’un nouveau fléau similaire, les Gouvernants promulguèrent une loi prohibant tout contact physique entre humains, exception faite pour les couples dans leur intimité, les mères et leurs enfants de moins de sept ans, et pour les Soignants en cas de force majeure. Conséquence ou coïncidence, les générations qui suivirent développèrent plus souvent des pouvoirs télépathiques, et l’on vit l’émergence d’une nouvelle médecine de type chamanique, basée sur une profonde empathie et sur la mobilisation positive des énergies corporelles, à travers l’imposition de mains gantées, dans un état de méditation proche de la transe. Cette médecine fonctionnarisée par l’Etat et gratuite pour tous permit de développer une politique de prévention de haut niveau, et beaucoup des pathologies habituelles disparurent. De moins en moins de remèdes furent nécessaires, et l’on ne garda en usage que certains breuvages à base de plantes. Petit à petit la médecine traditionnelle perdit de son audience, jusqu’à disparaître, puisque même les interventions chirurgicales pouvaient être effectuées par les remaniements énergétiques, et ceci sans besoin d’anesthésie et sans perte de sang.


Parallèlement deux modifications importantes changèrent les habitudes de la population. D’une part les livres furent cantonnés dans quelques grandes bibliothèques, où des rayonnements désinfectants étaient diffusés toutes les nuits. Par manque de place, ou par une volonté délibérée de restreindre les activités subversives ou émotionnellement agressives, seuls les ouvrages didactiques récents furent conservés ; les oeuvres artistiques, philosophiques et ludiques furent détruites.
De plus les moeurs devinrent extrêmement rigides, privilégiant un modèle où l’homme se consacrait essentiellement au travail, la notion même de loisir devenant absconse. L’alcool, le tabac et toutes les substances qui pouvaient occasionner une addiction ne furent plus ni produits ni importés. La peinture, la littérature, le théâtre disparurent ; l’activité sportive, individuelle et hors compétition, fut prônée comme un élément d’équilibre et de bonne santé. La musique et la danse gardèrent un droit de cité limité, d’autant mieux tolérées qu’elles revêtaient un caractère sacré.
En effet, si dans un souci de pacification les premiers Colons avaient été choisis parmi les agnostiques, la peur qui accompagna la Grande Epidémie fit surgir une nouvelle religion, où étaient vénérés les quatre éléments : le Vent, la Terre, l’Eau et le Feu.
En ce qui concerne la faune et la flore, l’utilitaire ici encore prima sur le superflu ; quelques animaux sauvages subsistèrent dans les montagnes, mais les seuls animaux tolérés près de l’homme étaient d’usage alimentaire. De même, la flore d’agrément ne fut pas entretenue.
Il va sans dire que dans un semblable contexte la plus grande sévérité régissait les échanges sociaux ; les jeunes gens devaient se présenter vierges à leur mariage, et toute forme de libertinage voire de déviance était considérée comme un crime et comme tel passible de sanctions pénales lourdes.
Il faut bien voir que cette population, n’ayant pas accès aux archives, avait perdu le souvenir du mode de vie de sa planète d’origine, en l’occurrence Terra; et comme toute contestation était étouffée dans l’oeuf, la Colonie vivait des jours paisibles et de ce fait, prospérait.


Extrait de « Histoire de Segovia IV », in « Carnets de voyage », tome II, de Hans Vermeer.



C’était il y a vingt ans – un jour ordinaire, ou qui aurait dû l’être. En ce temps-là, ma vie était régulière comme les battements de mon coeur. Tout était en ordre, et j’en étais fière. Après une nuit calme de sommeil sans rêve, je m’étais arrachée aux bras aimants de mon mari Gilferth pour aller réveiller mes enfants, Vic et Tom, et préparer le petit déjeuner : lait de soja, galettes de blé dur et compote de pommes. Laissant Gilferth se hâter de rejoindre son collègue Alfin qui passait le prendre chaque matin dans son glisseur, j’avais accompagné les garçons à l’hydronavette : leur école était sur la rive opposée du lac. Enfin je partis à pied comme presque tous les jours, vers la Maison des Chamanes. C’était un trajet de trois quarts d’heure si on marchait bien – cinq minutes en glisseur. Mais une activité physique régulière était souhaitable, et mon Maître Thyrion recommandait de garder le contact avec la population. Je traversai donc une partie de la ville, saluant d’un signe de tête et d’un sourire mes voisins et mes patients. Ce temps me permettait également de faire le vide en moi et de me recentrer avant d’aller exercer la médecine chamanique.
Cette journée-là fut chargée. Beaucoup d’enfants souffraient d’une vilaine toux ; les personnes âgées se plaignaient de rhumatismes depuis les fortes pluies de la semaine précédente ; une femme enceinte était folle d’inquiétude après un cauchemar où elle avait vu son enfant mort-né ; un chanteur de la Chorale d’Ollian, le Dieu de l’Eau, s’était enroué, et enfin l’éternelle Manaude s’était encore trouvé depuis la veille une demi-douzaine de maladies imaginaires.
Le soir commençait à tomber ; les jours raccourcissaient, en ce début d’automne, et je n’aimais pas trop rentrer à la nuit : Gilferth me reprochait toujours de délaisser ma famille. Dans la Salle d’Accueil il restait encore une personne. Je soupirai. C’était une grande jeune fille blonde, qui se leva maladroitement de son siège et vint vers moi en boitillant. Sa voix était chantante et ses gestes gracieux malgré sa boiterie.
« Pardonnez-moi, Mère Chamane, je sais qu’il est tard... Je me suis tordue la cheville et... Je suis Danseuse, j’ai un spectacle dans trois jours... Auriez-vous un moment à m’accorder ? »
C’était encore une enfant, et elle me sembla désarmante d’innocence.
« Bien entendu. »
Assise sur le lit de Soins elle me montra une cheville gauche gonflée et violacée.
« Comment avez-vous fait ça ?
- Bêtement », me sourit-elle en secouant sa longue chevelure. « Ce matin, après la répétition, je chahutais avec mes amis. J’ai couru dans les escaliers et je suis tombée. Sur le moment je n’ai pas eu très mal. Mais j’ai marché un peu cet après-midi et la douleur n’a fait qu’augmenter. Vous pensez que je serai remise dans trois jours ?
- Je vais faire mon possible. Allongez-vous, fermez les yeux, détendez-vous. »
Mes mains gantées au dessus d’elle captaient une énergie bouillonnante, un peu anarchique, une soif de vivre démesurée, et je pressentais qu’elle avait tout le jour négligé sa douleur et de ce fait aggravé son état. Le désordre était encore plus grand au niveau de la cheville, où l’entorse pourtant minime avait déjà entraîné des tensions importantes aussi bien dans les fascias que dans les muscles voisins, sidérant la circulation. Il n’y avait pas de lésion majeure, mais le corps surmené aspirait au repos.
« Vous semblez mener une vie trépidante...
- Oh non... Je suis active, c’est vrai, mais c’est ma nature... »
Autour de son cou je remarquai le pendentif de verre renfermant la petite flamme rouge des natifs du Feu. Comme tous ceux de son Signe, elle devait être ardente, passionnée... et épuisante, pour elle comme pour les autres. Et je n’arrivais pas à mettre ses flux au repos.
« Parlez-moi de votre Danse ; mais parlez lentement, en vous concentrant sur ce qui vous apaise et vous apporte de la joie. »
Alors elle parla.
Je n’écoutais jamais ce que les gens disaient à ce moment-là. Je les faisais parler pour qu’ils relâchent leurs tensions, ce qui facilitait mon travail. Je me concentrais sur leur corps, sur mes flux dans leur corps, ce qui était la seule chose importante.
Mais sa voix... si mélodieuse, si riche d’intonations variées, si limpide... Fraîcheur cristalline, source inattendue au milieu du désert... Des images courent sur mes flux... J’ai si longtemps marché... J’ai tellement soif... Comment peut-elle... Si feu, si flamme, et cette voix d’eau bienfaisante, écho à ma structure, reconnaissance inouïe... Je me laisse porter par ce flot paisible, calquant mon énergie sur son rythme, et ma puissance devient profonde et pure. J’absorbe la chaleur de l’inflammation, et je restitue l’ordre et le sens. La circulation se rétablit, la peau redevient rose. La guérison est presque acquise.
A regret je rompis le contact, doucement, et je me plaçai à sa tête. Elle se tut. Le silence était encore rempli d’elle, et jamais silence ne m’avait paru aussi lumineux. Je travaillai sur les centres supérieurs ; il fallait qu’elle ressente sa fatigue pour offrir enfin à son corps le repos qu’il réclamait. C’était comme d’essayer de garder dans ses bras un jeune enfant qui ne voulait que courir. Je la tenais, elle glissait, s’échappait, se laissait reprendre, se débattait en riant... Enfin, à ma contenance douce et insistante elle céda, en poussant un long soupir.
« Voilà. Vous allez vous lever lentement, rentrer chez vous calmement, et prendre deux jours de repos – aucun geste brusque, pas d’activité physique, ne courez pas. Mangez des fruits, des légumes, pas de viande. Je vous verrai après-demain soir, en fin de journée, et si vous êtes raisonnable le jour d’après vous pourrez danser. »
Elle s’assit d’un bond en s’écriant « C’est vrai ? », et aussitôt porta la main à sa tête.
« Ca tourne ! »
Je souris.
« Je vous avais dit : lentement...
- Je ne saurai jamais !
- Il vous suffit d’essayer... »
Elle leva les yeux vers moi, deux grands lacs plus clairs que l’azur où je lis à la fois de la confiance et de l’admiration...
Je la laissai partir. La fatigue de ma journée s’était totalement évaporée. Je humai l’air de la nuit avec bonheur. Les lumières de la ville me semblaient chaudes et joyeuses, j’éprouvais un bien-être parfait à marcher, mon pas résonnait fièrement sur le bitume. Relevant mes dignes jupes, je me lançai dans une course folle, juste pour la joie de sentir mon corps en mouvement ; je m’arrêtai dans un éclat de rire. J’étais jeune, j’étais libre, j’étais moi !
Sa voix. Sa voix qui revenait chanter dans ma tête. Ainsi malgré son air juvénile elle avait vingt-deux ans. Elle était Danseuse. Elle préférait le profane au sacré, mais si elle voulait vivre de son art, elle n’avait pas le choix... Oh ce ton boudeur qui sentait la grimace... Elle parlait de la musique comme d’une seconde peau. Elle parlait de son corps comme de quelqu’un d’autre. Elle le ressentait, et elle le jugeait sévèrement dans le miroir. Quand elle dansait, elle se sentait en apesanteur, elle fusionnait avec le monde... et en même temps, elle avait l’esprit en hyper-éveil, et le contrôle absolu de toutes les énergies de son corps. Je n’avais rien répondu à cela, mais c’était exactement la sensation que j’éprouvais chaque jour en soignant, ce que j’appelais le Contrôle Détaché. Comment pouvait-elle, si jeune... Ce que j’avais appris par le travail et l’expérience, avec la patience d’une fourmi, elle semblait le connaître d’instinct – ou peut-être l’avait-elle découvert en se jetant sans retenue dans la passion de son art, chose dont j’étais, dont nous étions tous, nous autres Chamanes, totalement incapables...
Le souvenir de ses paroles enchantait mon pas, j’esquissai une pirouette, quelques entrechats, j’avais envie de chanter, la vie était merveilleuse... Je rentrai chez moi euphorique, riant pour un rien, chahutant avec mes garçons, me découvrant cinquante projets pour la maison, pour les enfants... Gilferth était silencieux et me regardait comme si j’avais perdu la raison. Il avait préparé un ragoût de mouton, sûrement avec beaucoup d’amour, mais je n’avais pas faim, trop d’idées se bousculaient dans ma tête. Il alla se coucher juste après le repas, me laissant jouer avec mes fils à une partie de cache-cache endiablée. Sa désertion me déçut : je le trouvai vieilli et terne, ne ressemblant plus au jeune officier fringant que j’avais épousé sept ans plus tôt.
Ce soir-là, après avoir rangé mille choses qui auraient pu attendre, j’eus du mal à trouver le sommeil. Il y avait tant à faire ! Et dormir me semblait une perte de temps...



Le lendemain j’étais plus calme, mais toujours d’excellente humeur. Je m’appliquai à mon travail, donnant le meilleur de moi-même, débordant d’attentions bienveillantes et de sourires chaleureux. Sur le chemin du retour, je pensai que j’allais revoir cette jeune fille, et je m’aperçus alors que je ne savais même pas son nom : j’avais oublié de le noter dans le registre, et cette négligence me surprit.
Le jour d’après je m’éveillai inquiète. Je me demandais si mon traitement avait été efficace, si elle avait encore mal, si elle boitait, j’imaginais ma grande honte si j’avais dû lui dire qu ‘elle ne pourrait pas danser le lendemain, j’imaginais que peut-être, mécontente de mes soins elle était allée consulter quelqu’un d’autre, ou au contraire, se sentant trop bien, elle n’allait pas revenir. Au fur et à mesure que la journée avançait, j’étais agacée, énervée, impatiente. Les gens me semblaient stupides, bavards, gênants, j’avais hâte de les voir repartir. Chaque fois je la cherchais dans la Salle d’Accueil, en vain.
Il était sept heures du soir. La Salle d’Accueil était vide ; le ciel s’était voilé de lourds nuages noirs, et elle n’était pas là. Je m’assis à mon bureau et me pris la tête entre les mains. Il n’était pas possible qu’elle ne vienne pas. Cela n’aurait pas eu de sens. Je l’avais soignée de mon mieux, elle ne pouvait pas ne pas revenir. Il n’y avait ni raison ni excuse possible. Il fallait absolument qu’elle vienne.
Un pas régulier retentit sur le dallage. Je sautai sur mes pieds, le coeur battant, m’arrêtai, me forçai à prendre une contenance anodine. Je passai le seuil de la porte. Mon coeur s’arrêta, mon ventre se tordit. Elle était là.
« Pardon, Mère Chamane. »
Son sourire aurait arrêté une guerre.
« Je suis sans doute un peu en retard. Je ne fais que dormir depuis deux jours... Je n’ai plus mal, vous savez, ma cheville est guérie. Mais je suis épuisée...
- Ne vous inquiétez pas. Demain vous aurez retrouvé vos forces. »
Pendant qu’elle s’installait sur le lit de Soins, je sortis le grand registre.
« J’ai oublié de vous inscrire, l’autre soir. Quel est votre nom ?
- Ambre Mellorn. »
Ambre. Je me chantais ce nom tout bas, je le trouvais étonnant, distingué, rayonnant. Ambre. Sa cheville était guérie. J’inspectai minutieusement tous ses centres d’énergie, ce qui n’était pas vraiment indispensable, mais j’éprouvais un plaisir intense à entrer en contact avec son corps, contact lointain et professionnel, mais contact intime et secret... Ses canaux génitaux étaient ouverts, donc... Je faillis rougir, je me contrôlai. Je ne la trahirais pas. Je libérai les atténuations que j’avais installées deux jours plus tôt, et le flot de son énergie se remit à couler librement, vaguelettes joyeuses courant sur ses méridiens... Je puisai dans mes réserves pour compenser la fatigue qu’elle portait encore. Je n’y étais pas tenue, mais ce don de moi qu’elle ne saurait pas m’enivrait de bonheur. Le lendemain, quand elle danserait, il y aurait au fond d’elle un petit morceau de moi ...
J’avais presque fini quand j’entendis gronder le tonnerre. L’orage éclata aussitôt, lumière crue d’éclairs en rafale, explosions assourdissantes, salves de gouttes violentes assaillant les carreaux.
Elle se redressa lentement, jeta un regard contrarié vers la fenêtre.
« Vous avez peur de l’orage ?
- Non, le feu est mon élément. Mais j’ai horreur d’être mouillée ! »
J’eus un rire bref.
« Vous pouvez attendre ici, si vous voulez. J’ai encore des dossiers à remplir, ma journée n’est pas finie.
- Oh, c’est gentil à vous ! »
Je commençai distraitement à taper sur le clavier, en la regardant lacer ses sandales. Elle releva sa jupe longue, découvrant la peau dorée de deux jambes fines et musclées. Mon esprit était totalement tendu vers elle, et sans réfléchir je demandai :
« Vous avez soif ?
- Oh oui », soupira-t-elle.
Je lui tendis un verre d’eau qu’elle vida d’un trait.
Devant moi elle se mit debout, puis sur la pointe des pieds, pirouetta sur deux tours en souriant.
« C’est merveilleux ! Je me sens toute neuve, toute légère ! Vous exercez un métier fabuleux !
- J’essaie d’apporter du bien-être. Mais c’est ce que vous faites vous aussi, je suppose. »
Ses yeux s’allumèrent d’un éclat presque sauvage.
« A la vérité... Aucun d’entre nous n’a choisi de danser. Nous dansons parce que nous ne pouvons pas faire autrement, c’est plus fort que nous ! La Danse nous a pris... Oui, peut-être que nous apportons une part de rêve... à ceux qui ne nous considèrent pas comme des parias parce que nous faisons étalage de notre corps... La Danse leur semble tolérable quand elle a l’excuse du sacré... Alors que ce n’est que le prolongement de la musique, et toute musique est divine... »
Elle parlait. Je buvais ses paroles. Dehors l’orage se déchaînait et je priais qu’il ne s’arrête jamais. Une partie de moi savait qu’il était tard, que j’aurais dû rentrer, mais j’étais près d’elle et je me moquais du reste. Je me chauffais à sa flamme, j’étais portée par sa musique, hypnotisée, subjuguée, ensorcelée...
« ... Nous avons une tradition orale, chez les Danseurs. Les Anciens nous transmettent ce qu’ils ont appris de leurs Anciens, et même si les livres ont été détruits, nous sommes instruits des coutumes des Temps d’Avant. Savez-vous qu’autrefois les gens se serraient la main pour se dire bonjour ? Non seulement ils se touchaient librement, de peau à peau, mais quand vous rencontriez un inconnu, la plus élémentaire politesse était de lui serrer la main en vous présentant... »
J’ouvris des yeux éberlués, presque effrayés.
« En public nous portons des gants, mais entre nous, nous nous touchons les mains, le visage. Ce n’est pas pour autant que nous nous vautrons dans la luxure, ni que nous tombons malades... Comment un corps pourrait-il exprimer des émotions s’il est toujours enfermé dans une carapace de tissu ? Comment danser au rythme de l’autre, des autres, si nous sommes toujours séparés ? »
Elle ôta ses gants.
« Vous voulez essayer ? »
En tremblant, je l’imitai. Elle me tendit les mains, de longues mains fines, mobiles, élégantes. Je lui confiai les miennes, maladroitement.
Elle, l’audace. Sa peau chaude, vibrante. Moi, la honte. Mes mains froides et sèches. Le choc ! Séisme extrême, raz de marée, bouleversement, soleil, chute, envolée, frissons brûlants, tempête de sable, trembler, s’ouvrir, naître ! Au delà de la peur. Au delà des mots. Je cours dans son corps, elle traverse le mien. Elle est ma Vie...
« Je m’appelle Livia », murmurai-je.
« Eh bien, Livia, vous voilà initiée au Secret des Danseurs. Est-ce que vous trouvez ça sale, dégradant ? »
Je secouai la tête en riant.
« Non ! Je ne me suis jamais sentie aussi vivante, aussi humaine... »
Elle rompit le contact, effleura ma joue d’un doigt mutin.
« C’est bien. Il est tard, il faut que je me sauve. Merci de m’avoir guérie.
- C’est moi qui vous remercie... »
Déjà elle disparaissait, flamme libre et bondissante, vers la sortie.
« Ambre ! Où dansez-vous demain ? »
Elle avait ouvert la porte sur la rue, un courant d’air glacé me figea.
« Sur l’esplanade des Trois Saules, c’est vers la sortie nord, pas loin de l’astroport... A bientôt... »
Le silence retomba. La pluie avait cessé. Je fermai mes yeux brûlants. Un torrent de larmes montait en moi, rompant les digues de la discipline et de la bienséance. J’étais reconnue. J’avais le droit de vivre. C’étaient des larmes du passé, que je n’avais pas versées. Unifiée. Je n’étais plus séparée. Je les laissai couler librement. C’était un soulagement infini, un baume apaisant sur une cicatrice toujours douloureuse. Pas de la joie, pas de la peine. Plus que ça. Autrement. J’étais profondément moi et plus la même. J’avais déchiré le voile qui cachait le miroir. Je n’avais plus peur.
Je rentrai en marchant posément, découvrant pas à pas un nouveau monde, des odeurs mouillées plus intenses, des lumières plus sereines ; une lune complice me fit un clin d’oeil entre deux nuages. J’étais le monde ; comme lui, l’orage qui avait éclaté m’avait fait trembler, m’avait abreuvée, avait réparé ma sécheresse et sauvegardé ma fertilité.
La maison était silencieuse et obscure. Les enfants dormaient paisiblement. Je me couchai sans bruit dans le lit où Gilferth ronflait doucement. Sans s’éveiller tout à fait, il se tourna vers moi, grommela « tard... », et se rendormit. Sa main moite se posa machinalement sur mon bras nu. Ce toucher me sembla visqueux et froid, et j’en frissonnai de dégoût. Lentement je glissai hors de sa portée. Il n’aurait pas pu comprendre.



Je désertai le lit conjugal bien avant la sonnerie du réveil : j’avais un rendez-vous immanquable en début de soirée. Prétextant une longue journée, je pris le glisseur. Je travaillai dans l’urgence tout le jour, mon urgence, ma nécessité. Les heures ne passaient pas assez vite à mon gré. Je rangeais le bureau avant de m’échapper enfin, le coeur fébrile, quand se présenta une fois de plus Manaude la boulangère, se plaignant de douleurs au ventre. Je fronçai les sourcils.
« Je n’ai pas le temps ce soir. Revenez demain matin.
- Mais j’ai mal ! »
Je sortis de l’armoire un flacon d’élixir d’aneth.
« Prenez-en vingt gouttes ce soir, et vingt gouttes dans la nuit si vous souffrez encore. A demain. »
Je démarrai le glisseur en trombe, joyeuse comme un gamin qui a séché l’école, et quelques minutes plus tard, j’étais assise au dernier rang d’une petite assemblée de spectateurs placides, souhaitant que personne ne me reconnaisse, mais trop heureuse pour redouter quoi que ce soit.
Toute de rouge vêtue, elle apparut enfin sous les projecteurs, au milieu d’une troupe de Danseurs jeunes et beaux comme elle. C’est peu de dire que j’étais éblouie ! Tant de grâce et tant de passion... Sa combinaison à longues manches, à peine agrémentée de quelques voiles courts aux épaules et aux hanches, mettait en valeur son corps de liane fluide, souple et félin dans les cambrés, aérien dans les sauts, innocent dans les portés... Elle enchaînait équilibres parfaits, déboulés, pirouettes, elle s’envolait dans les bras de ses partenaires, libre, légère, étincelante... Et moi dans l’ombre je retenais mon souffle, d’émerveillement et de crainte mêlés... Et debout au milieu du public enthousiaste, j’applaudissais à tout rompre...
Vite, vite, repartir, se faufiler parmi les spectateurs nonchalants, ne pas regarder en arrière, enfermer ce trésor dans ma mémoire, plus le temps de s’émouvoir, rentrer... J’eus le temps d’embrasser les garçons avant leur coucher ; je réalisai alors avec terreur que Vic allait avoir sept ans dans quelques mois. Ces lois de non-contact étaient absurdes ! Je ne pourrais plus embrasser mon propre fils !
« Tu as mangé ? », me proposa Gilferth.
Je l’ai vue danser, reine parmi les hommes.
« Non, laisse, je n’ai pas faim.
- Tu as l’air fatigué. Tu devrais prendre soin de toi. Tu as un regard complètement halluciné. »
Elle danse dans mes yeux, elle danse dans mes veines, elle est toute ma vie...
Je sentis son esprit effleurer le mien, et je montai d’un coup de féroces barrières, si brutalement qu’il en sursauta.
« Je ne cherchais pas à être indiscret. Je sais respecter le secret du travail.
- Excuse-moi », lui souris-je faiblement. « Je suis peut-être plus fatiguée que je ne pense. »
J’allai me coucher quelques instants après, et il eut la délicatesse de ne rien me demander.


Le lendemain matin vers dix heures, mon Maître Thyrion me fit convoquer.
« Tu as vu une certaine Manaude Dex, hier soir ?
- Elle est arrivée tard. Je lui ai donné de l’élixir d’aneth, et je dois la recevoir ce matin.
- Elle ne viendra pas. Elle est morte cette nuit. Son mari a appelé la Brigade Volante. Elle a vomi un flot de sang et a succombé malgré les protocoles d’usage. Ulcère perforé ou varices oesophagiennes, j’attends l’autopsie. »
Je restai sidérée, muette. C’était injuste. J’avais toujours travaillé sans compter mes heures... et Manaude passait son temps à se plaindre pour un rien. J’essayai de me remémorer la dernière fois que je l’avais examinée... Elle avait des vertiges, et je n’avais rien trouvé. Est-ce que j’avais scruté son estomac ? Ma mémoire était un gouffre sans fond. Je ne me souvenais plus de rien.
« Ecoute, Livia, ça nous est arrivé à tous. Tu sembles épuisée. Si tu t’arrêtais quelques jours ?
- Non... Je ne sais pas... Ca va aller... »
Je revins à la salle de Soins, me raidissant contre la honte, tentant en vain de rejeter la faute qui était la mienne. Pendant la pause du déjeuner, je m’enfermai à double tour. Personne ne devait savoir. Pas tellement pour moi, mais pour elle. Je devais verrouiller cette partie de ma mémoire afin que nul sondeur ne puisse mettre à jour ce que je savais sur elle ; et puis, notre secret... Je pensai à Dennit, ce collègue de mon mari à la tête de fouine, à qui l’on confiait les interrogatoires des criminels les plus pervers, et qui s’était vanté un soir devant moi de pouvoir lever les défenses les plus sophistiquées... Je songeai aussi à Thyrion, mon Maître si compatissant dont la puissance mentale avait guéri, devant une cour d’étudiants extasiés, le mutisme d’un homme survenu vingt ans plus tôt après un traumatisme... Personne, qu’il fut tendre ou cruel, agressif ou gentil, ne devait pouvoir passer cette frontière. Pièce après pièce, recourant à mes forces les plus vives et les plus profondes, sans crainte de mettre pour cela en péril l’essence même de ma structure, je tricotai un barrage serré qui devait rester érigé en permanence. Mais, par un artifice qui me vint alors spontanément et que je serais incapable de reproduire aujourd’hui, ce noyau serait perçu non comme une zone opaque et dense, mais comme une lacune transparente, un petit morceau de rien totalement anodin. Je l’insérai au milieu de mes souvenirs d’enfance, les journées solitaires à attendre le retour d’un père qui ne reviendrait pas, les longues soirées à écouter soupirer ma mère... Si le sondeur réussissait à sentir que ce vide apparent contenait un souvenir, il penserait que ce n’était qu’un moment pénible de plus dans un passé ennuyeux et solitaire, que j’aurais verrouillé pour ne plus en souffrir. De plus, comme je renforçai l’intensité du mal-être environnant, l’observateur, qui ne pouvait travailler que barrières baissées, serait contaminé par un sentiment de tristesse nauséabonde confinant au désespoir, ce qui pourrait également le dissuader de poursuivre sa recherche...
Quand je repris le travail, j’étais exténuée mais rassurée. Ambre était en sécurité grâce à moi, et personne ne pourrait m’utiliser pour lui nuire.



Les jours suivants je traînai une fatigue maussade, me réfugiant dans mon secret quand j’étais sûre de ne pas être dérangée, et y puisant un réconfort fugace.
Puis un matin je m’éveillai avec le désir impérieux de la revoir – un instant, une seconde, de loin, sans qu’elle le sache, m’assurer qu’elle existait, qu’elle allait bien, que rien ne la tourmentait... Par coïncidence, Gilferth devait partir huit jours en mission excentrée. Je l’embrassai négligemment et aussitôt je me mis à réfléchir : comment la retrouver sans que personne n’en sache rien ? Ayant pris le glisseur, je passai devant l’esplanade des Trois Saules ; les chaises et les projecteurs avaient été retirés. Je ne connaissais que son nom ; les soins étant gratuits, nous ne relevions pas l’adresse des patients. Je compulsai sans y croire l’annuaire des vidéocom, mais elle n’y figurait pas ; peu de célibataires avaient les moyens de s’équiper. Il ne me restait que la patience : matin midi et soir, entre mes temps de soins, je parcourus les rues de la ville, les yeux fixes, le coeur défait, sursautant à la moindre chevelure blonde, m’affolant devant une démarche, un port de tête, un rire clair. Tout ce qui me la rappelait me déchirait et m’illuminait. Je la cherchais, dans les silhouettes et les visages, asphyxiée par un désir qui n’avait pas de nom, me débattant comme un nageur dans un courant sauvage pour respirer coûte que coûte. Et plus je la cherchais en vain plus l’obsession de la revoir devenait envahissante.
La nuit je rêvais d’elle, dansant sous les étoiles devant mes yeux hagards, se noyant dans les eaux boueuses du lac en plein hiver malgré tous mes efforts pour l’atteindre, dénouant le chignon strict qui retenait mes cheveux avec un sourire engageant, puis emportée soudain par une lame de fond haute comme une montagne... Je me réveillais en sueur, haletante, terrifiée. Elle était peut-être en danger, abandonnée de tous, et moi ici, loin, trop loin... Une fois j’essayai de la contacter par l’esprit mais ma tentative trop timide n’aboutit pas. Elle dormait, sans doute, et je ne voulais pas la réveiller...



Gilferth rentra, manifestant un empressement envers moi dont je me serais passée. Sa présence me retardait, le matin, et m’obligeait à rentrer plus tôt le soir. Ma voisine Léonta s’occupait volontiers des enfants quand j’étais en retard, mais Gilferth n’aurait pas compris que je déserte trop souvent la table familiale ; de plus, je n’avais pas envie de lui mentir. Il ne me restait que la pause de midi, et je sautais volontiers le repas pour profiter de cette heure entière ; de toute façon je n’avais pas faim. Je voyais bien à mes vêtements que j’avais maigri, à mes cernes noirs sous les yeux que je manquais de sommeil, à mes crises d’angoisse au milieu d’un soin facile que ma concentration s’en ressentait, mais le feu qui me dévorait était trop intense pour que je me préoccupe d’autre chose.



Un jour enfin, après un mois d’errements infructueux, les Dieux eurent pitié de moi : je retins de justesse un cri en la voyant marcher sur un trottoir entre deux jeunes gens. Je garai le glisseur un peu plus loin et je revins à pied dans sa direction, m’obligeant à garder un pas calme et régulier quand mes jambes hurlaient de l’envie de courir vers elle, mobilisant toutes mes forces de contrôle pour que mon coeur ne bondisse pas hors de ma poitrine et que mon souffle paniqué me permettre d’émettre quelques sons humains. En la croisant je lui souris, et elle m’interpella joyeusement :
« Mère Livia ! Que je suis contente de vous voir ! Je vous présente mes deux partenaires, Skell et Reus ! »
Les deux Danseurs s’inclinèrent poliment.
« Vous savez », ajouta-t-elle à leur intention, « c’est grâce à Mère Livia que j’ai pu danser avec vous aux Trois Saules ! C’est la meilleure Chamane que je connaisse ! »
J’esquissai un geste de déni, incapable malgré toute ma science de prononcer un mot. D’un signe de tête je pris congé avant que mon trouble croissant ne me fasse commettre un irréparable impair. Après quelques pas nonchalants, je fis demi tour et je les suivis discrètement de loin, jusqu’à ce qu’ils entrent dans une vieille maison. Il n’y avait pas de nom sur la porte, mais une étiquette collée sur la boîte aux lettres indiquait « Compagnie de l’Etincelle ». C’était là qu’elle répétait, et probablement tous les jours ! Enfin j’avais une piste, et la certitude de la revoir.


La période qui suivit fut étrange. Mon Maître Thyrion m’avait confié un travail administratif qui me déchargeait des Soins. Il s’agissait de rédiger le rapport annuel d’activité de la Grande Maison, tâche qui lui incombait mais qu’il avait souhaité me confier pour cette année. Cela pouvait être interprété comme un privilège, ou bien comme une sanction à la suite de mon manquement récent. C’était en tout cas l’occasion de me retrouver un peu seule, avec des horaires fixes, d’échapper à la dépense d’énergie que représentaient les Soins, et de fréquenter un peu plus mes collègues, à qui j’allais demander des précisions sur leurs annotations dans les registres. Cependant cette occupation répétitive et peu créative me lassa très vite et m’attira un ennui profond, rapidement teinté de tristesse. Malgré l’approche de l’hiver, je cessai de prendre le glisseur. Gilferth penserait ainsi que tout était normal, et un peu plus d’exercice physique me permettrait sans doute de mieux dormir – quand je ne faisais pas de cauchemars, je restais des heures éveillée à l’entourer de mes pensées comme un cocon protecteur, m’imaginant que j’avais le pouvoir d’éloigner d’elle toutes les forces du Mal. Je consacrais tout mon temps libre à faire le guet non loin de la maison de la rue des Moissons. J’arrivais ainsi à l’apercevoir une à deux fois par semaine, seule ou en compagnie d’autres Danseurs, le plus souvent avec le grand blond qu’elle avait nommé Skell. Jamais elle ne me vit, et cela m’allait très bien. Je n’aurais pas su quoi lui dire, et elle aurait probablement trouvée ridicule cette addiction insensée ; mais je n’étais en paix que si je l’avais vue. De jour en jour je me persuadais que je veillais sur elle, que j’étais là pour empêcher quiconque de lui nuire, et que ses rires insouciants étaient la conséquence de mon attention sans faille – et son juste salaire. Plusieurs fois je rêvai que je lui sauvais la vie, l’arrachant aux flammes d’un incendie, ou arrêtant d’un geste solennel la vague géante d’un raz de marée qui allait la submerger.



Ce jour-là, je m’en souviens, j’allai à ce simulacre de rendez-vous le coeur léger. J’avais bien travaillé dans la matinée, mon rapport avançait, il était clair, précis, concis, les chiffres étaient justes et les commentaires avisés. Je la vis sortir de la maison, et au lieu de m’en repartir aussitôt comme à mon habitude par un autre chemin, dans un élan euphorique je décidai de la suivre. Son pas alerte était une danse joyeuse dont il me semblait entendre la musique. Elle se dirigea vers le bord du lac, où sur la berge avait été aménagé un espace ombragé pour le jeu et le repos des enfants en bas âge. A l’heure du déjeuner, ce lieu était le plus souvent désert. Je me disais que peut-être, si elle s’asseyait sur un banc, j’oserais l’approcher, échanger avec elle quelques phrases banales, ou qui sait ? tenter un mot d’esprit qui l’aurait fait rire. Elle aurait peut-être besoin de quelque chose, d’un conseil, d’un soutien, d’une aide que je serais la seule à pouvoir lui offrir... Mais elle traversa le parc en regardant alentour comme si elle cherchait quelqu’un. Je me cachai derrière un tronc d’arbre. Et je vis s’avancer dans l’allée, à sa rencontre, le grand échalas blond. Elle courut vers lui, sauta dans ses bras, et il la souleva pour la faire tourner... Quand il la reposa, leurs lèvres se joignirent. Je restai là, pétrifiée, sidérée, anéantie. Je ne pouvais pas détacher mes yeux... Ces deux corps... Pas le droit ! Ils n’ont pas le droit, ils ne sont pas mariés, ils n’ont... Douleur féroce, pulsion de mort, elle est heureuse, elle l’aime, et moi ? Je ne suis rien, je n’existe pas, je ne sers à rien, je peux mourir ! Elle ne sait même pas que je... Pensée arrêtée, informulable. Que je quoi ? J’étouffe de honte. Je l’aime ? Moi, Livia Delbosc, Mère Chamane, future Directrice de la Maison, je l’aime, elle, Ambre, une Danseuse... une femme !!
L’arbre me soutient. Je ferme les yeux. Je suffoque. Douleurs emmêlées, jalousie, honte, amour inutile. Je glisse au sol la tête dans les genoux, amas informe de souffrance. Une solitude déchirante lacère mes entrailles. Le sentiment de mon indignité scelle mes yeux – disparaître ! Puis tout se mélange, la dispute de mes parents, une porte claquée, moi enfant lâchant le verre que je tiens à la main, le cri de ma mère « Méchante, Livia ! », et cette même sensation de solitude, d’abandon, de faute... Je sursaute, regarde l’heure à ma montre. Ne pas penser, rentrer, vite. Etendre un masque impassible sur ce visage défait. Marcher, vite. Eviter le regard des passants. Toute la vilenie de ma conduite m’entoure d’un halo maudit. Je sens leur mépris peser sur mes épaules comme une chape de plomb.
M’enfermer dans le bureau. Epuisées, mes défenses s’effondrent. Je grelotte, je claque des dents. Mon pouls s’affole, je transpire, j’ai la fièvre. En tremblant je me prépare une tisane d’écorce de saule et je me remets à ma tâche. Les mots et les chiffres grouillent devant mes yeux. Falaises, précipices, montagnes qui s’élèvent et redescendent comme d’immenses vagues de pierre, fondent sur moi pour m’engloutir, se tordent en spirales terrifiantes comme des noeuds de serpents gigantesques – mal au ventre, nausée, vertige... Et ce rythme obsédant des montagnes qui dansent, peur primale, terre qui vibre, terre qui tremble...
Dans un moment d’accalmie je me lève, vacillante, je vais boire un peu d’élixir de quinine. Dormir... Je me réveille en sursaut, trempée de sueur. La fièvre va remonter, c’est sûr. Vite. Rien n’est plus urgent. Je m’assieds sur le sol, en position de méditation. Mon corps est raide, douloureux, exténué, courbatu. J’invoque Ollian, mon Dieu, le Dieu de l’Eau, accorde-moi ta miséricorde, il me faut juste un peu plus de forces... J’invoque Ardell, son Dieu, le Dieu du Feu, c’est pour elle, ce n’est que pour Elle... J’enferme tous mes souvenirs récents avec les autres, dans mon temple secret. Et je renforce encore mes barrières. Même si je délire, aucun son ne sortira de ma bouche qui puisse trahir. Oui, je l’aime. Eperdument, à la folie, je suis possédée et je revendique comme mienne cette possession, cet amour absurde, anormal, injuste, dévoyé, c’est ma Chose et mon Bien et je le garderai au fond de moi jusqu’à la mort. Comment y renoncer ? Autant renier ma propre existence, renier la Beauté, l’Harmonie, renier Ambre... Jamais.
Résolue et apaisée, je me lève. J’ouvre la porte du bureau. Je vais rentrer chez moi, à pied, au milieu de cette foule ignorante qui ne pourra jamais comprendre. Je regarde tous ces gens qui attendent dans la Salle d’Accueil. D’un sourire narquois, je les défie. Je fais un pas en avant. Et puis tout devient noir, la terre s’ouvre sous mes pieds, et je tombe, je tombe sans fin...


Pendant trois jours, à ce que me raconta Gilferth à mon réveil, je fus la proie d’une forte fièvre. Je délirais la plupart du temps, je me débattais en criant « non ! », quand je ne sombrais pas dans l’inconscience. Mon Maître Thyrion m’avait ramenée lui-même à la maison, et il était venu tous les jours à mon chevet. Il avait semblé à Gilferth qu’il était perplexe et démuni devant mon état, et tous ses soins étaient restés sans effet. Ce qui l’intriguait le plus, c’était que je gardais les mâchoires serrées, ce qui m’empêchait de boire.
« C’est un mal très profond », avait-il dit ; « une de ses patientes est décédée récemment, et cela a peut-être réactivé les souvenirs douloureux de la perte de son père. Son esprit hurle à la mort comme un loup en cage, et elle rejette violemment tout contact. Elle est forte, elle devrait se remettre. Mais je crains qu’elle ne garde des séquelles. Quelques petits vaisseaux situés dans la substance grise du cerveau sont complètement spasmés, et je redoute qu’il ne s’ensuive une nécrose. J’ai essayé de les dilater, mais je n’ai pas réussi. »
Je guéris. Mon corps guérit. Je restai prostrée une dizaine de jours, indifférente à tout, même à mes enfants qui faisaient de leur mieux pour cacher leurs larmes. Quand je commençai à bouger, je me rendis compte que mon bras et ma jambe gauches manquaient de force. Comme l’avait craint Thyrion, j’étais hémiplégique, partiellement, et la récupération ne serait jamais complète. Ma voix était devenue plus lente, plus grave, mes pensées étaient comme engourdies. La vivacité des enfants m’était pénible, le bruit et le mouvement m’agressaient.
Je pus retourner en boitillant à la Maison des Chamanes, je pus même recommencer à soigner des pathologies légères qui ne requéraient pas trop de puissance. Parler représentait cependant un effort gigantesque, dont je m’abstenais le plus souvent.
Au bout de deux ans il m’arriva de pouvoir sourire du bout des lèvres.
Je ne pus par contre plus jamais accepter le contact de Gilferth, qui après des années de patience et d’abnégation obtint sans peine une séparation légale et la garde des enfants. Je quittai la maison pour aller vivre dans un petit appartement au deuxième étage de la Maison. Je n’avais plus de trajet à faire, c’était une bonne chose.
Quand Thyrion mourut, son successeur, beaucoup moins compatissant à mon égard, m’attribua le rangement et l’entretien de la Bibliothèque, et je dus déménager dans une petite chambre au dernier étage. Je voyais tout cela se produire dans une indifférence totale. J’étais incapable d’éprouver la moindre émotion, et cela est encore vrai aujourd’hui. Il m’arrive parfois de croiser de jeunes étudiantes, pâles et soupirantes, et de deviner la cause de leur tourment. Je voudrais leur dire que je les comprends, que j’ai ressenti autrefois le même mal d’amour. Mais avant que je puisse émettre un son, mes mâchoires se crispent douloureusement, et cela peut durer des heures.
Parfois, dans mes rêves, je vois Ambre qui danse et qui me sourit. Je ne l’ai jamais revue. Je sais que je ne lui ai pas fait de mal, et c’est la seule chose qui compte.
Un jour, en faisant le ménage dans une des petites réserves reculées de la Bibliothèque, j’ai trouvé un livre dont le titre m’a intriguée. « Les tolérances sexuelles sur Erydien III ». L’auteur parlait d’une planète où les gens avaient le droit de se toucher, où le mariage n’existait pas, où l’homosexualité était banalisée. Cela me choqua d’abord, puis me fit rêver. Quelle aurait été ma vie sur cette planète ? Cela n’aurait peut-être rien changé. Je n’ai pas aimé Ambre parce que c’était une femme, mais parce que c’était Ambre. Cette révélation a bouleversé ma vie, essentiellement en raison des moeurs en usage dans notre Colonie. J’ai fini par me rendre compte avec le recul que je n’étais pas responsable de cette attirance. Pourquoi tombe-t-on amoureux ? Personne n’a jamais su répondre à cette question. Parfois les Dieux prennent un malin plaisir à brouiller les pistes, et les pauvres humains se perdent en chemin.
J’avais autrefois une puissance hors du commun, supérieure même à celle de Thyrion. En toute lucidité, je le savais. Une grimace du destin m’a transformée en déficiente mentale et physique, rejetée par tous. Je n’ai pas de rancoeur. J’ai choisi de suivre cette voie. Ce que je garde au fond de moi surpasse en beauté tout ce que j’ai pu voir dans la réalité des autres. J’ai aimé. Elle s’appelait Ambre. Elle était Danseuse. Elle m’a fait naître, et je lui ai donné ma vie.

Narwa Roquen

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Clémence  Ecrire à Clémence

2007-08-29 19:46:39 

 ... (désolée, jamais aucune idée pour les titres...)Détails
J'ai lu l'extrait et j'ai beaucoup aimé!! je vais d'ailleur cherché ce roman, -ou tout au moins le tome I- dès que possible. J'aime les écritures épurées ou qui, comme M.Duras (je pense à L'Amant), semblent tanguer. Le flux; le reflux.

Pour ton texte, Narwa Roquen, je ne l'ai pas encore lu en entier, mais je vais l'imprimer d'abord. Lire un écran, c'est perdre la chair du livre et ça m'est désagréable.
Mais, pour les quelques lignes que j'ai lu, cela me plait profondément; sans flagornerie aucune.^^ Merci.
A bientôt, j'espère.

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Clémence  Ecrire à Clémence

2007-08-29 20:14:55 

 Rainer Maria RilkeDétails
"Nulle part, ô bien-aimée, le monde
ne sera comme à l'intèrieur de nous-mêmes.
Notre vie s'use en transfigurations.
Et de plus en plus mince, le dehors, disparait."

- Elégies de Duino-, RILKE.

(aucun rapport avec ce qui précède)

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