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De : Narwa Roquen Date : Mardi 11 septembre 2007 à 16:33:01 | ||
« Hiiiiiii... » Un long hurlement, sirène stridente vrillant les tympans, s’éleva avec la fulgurance d’une fusée de détresse, dans le silence endormi du petit matin tiède. Marinette, onze ans et demi (presque douze !), restait pétrifiée, effrayée par l’insoutenable cri qui venait de jaillir avec une force inconnue de sa poitrine maigrelette. Presque aussitôt, un petit trot cadencé et sec résonna dans l’allée centrale des écuries, tandis que les huit chevaux de sport, tirés de leur sommeil, pointaient des oreilles inquiètes au dessus de la porte de leur box. Huit ? Non, sept. « Evidemment », constata Blaise, le vieux chat blanc, qui avait passé la nuit roulé en boule sur un vieux tapis de selle oublié, porteur d’effluves enivrantes...« J’en aurais mis ma moustache au feu... » Alcibiade, le selle français, qui n’avait jamais brillé par son courage (il avait eu une enfance difficile), s’était réfugié dans le coin le plus sombre du box, aussi immobile qu’une statue qui cherche à se faire oublier. Le poitrail d’Akhbar, le patriarche arabe, étalon à la robe plus noire que le jais, s’encadra dans la porte ouverte de la graineterie, derrière Marinette. « Nom d’un oxer polonais ! », cracha-t-il avec fureur. « Si je tiens celui qui... » D’un museau autoritaire il donna une bourrade dans l’épaule de la fillette. « Ne reste pas plantée là ! Va chercher Shetlock ! Tu n’as touché à rien, j’espère ? » Muette, la gamine secoua la tête, la larme à l’oeil. « Allez, file, file, au galop de charge ! Heureusement c’est Jour-Sans, aujourd’hui, mais il va quand même falloir nourrir... - Oui Patron... » Akhbar contempla tristement l’horrible scène. Puis l’instinct de commandement reprit le dessus. Il renâcla de dépit et poussa deux hennissements brefs et sévères. « La Volante, au rapport ! La BSS, au rapport ! » Les hirondelles furent les plus rapides ; elles entrèrent en formation dans la graineterie, tournoyèrent dans le plus grand désordre au dessus du spectacle affligeant, en lançant en canon le cri du désarroi suprême : « Bord d’aile de merle ! Bord d’aile de merle ! Bord d’aile... - Garde à vous ! » commanda Akhbar, que ces pépiements excités agaçaient au plus haut point. Les hirondelles se posèrent côte à côte à distance réglementaire sur la grande poutre qui traversait toute la largeur de la pièce, face au Chef, le torse bombé et le regard fixe, petits grenadiers vaillants et fidèles. Les souris arrivèrent en colonne par trois, sous la conduite du Sergent-Chef Achille, dit Le Balafré. « Brigade de Surveillance au Sol au rapport, mon Commandant ! » Il réprima un haut-le-corps en apercevant le cadavre couché sur le foin, mais garda le silence. « Lieutenant Avril », reprit Akhbar, « envoyez trois hommes de votre Escadrille vérifier les écuries extérieures et les prés. Ah, j’entends Shetlock... D’un pas placide de shetland à la retraite, le chapeau de travers et la pipe à la bouche, apparut alors le grand détective Shetlock d’Olmes, gloire des Monts éponymes, le poil un peu ébouriffé mais le maintien digne et l’oeil vif. « On ne fume pas dans les écuries ! » tonitrua Akhbar. - « Je ne fume pas », répondit le poney du tac au tac, « je me concentre. Par la barbe de Jappeloup ! Il y a eu du grabuge, ici. Marinette, prends des notes. Alors, voyons ! Tu es prête, ma fille ? Graineterie, au petit matin. Troisième Jour-Sans du mois d’août. Je constate que la grosse balle de foin toute neuve a été ouverte dans la nuit. La ficelle bleue a été sectionnée en plusieurs points et le foin répandu au sol de manière inégale. Il a été tassé sur la partie droite, comme si on s’était couché dessus... Hum... Il sent bon, ce foin... Il est de l’année... Faudra faire attention, il n’a pas fini de jeter son feu... Je peux goûter ? Fétuque, dactyle, trèfle... C’est du foin de chez Christophe... Ah, ce Christophe... » Akhbar ronfla de colère. « Ca va, ça va... Je n’ai jamais pu résister à un bon foin... C’est quoi ce point rouge ? Va chercher, Marinette... Ah, une barrette à cheveux ! Pas à toi ? Tu sais à qui elle appartient ? Tant pis... C’était trop simple... Note, Marinette, une barrette à cheveux, rouge. Près de la balle de foin, je note deux sacs de granulés éventrés, je dirais d’un coup porté de bas en haut... mais ce n’est pas un instrument tranchant, on dirait un coup de sabot non ferré, ou bien une chaussure lourde... Le grain est répandu au sol. Mais non, ça va, je flaire, je ne le mange pas...De toute façon j’ai horreur du floconné, ça me ballonne. Par contre un équidé s’en est servi abondamment, il y a des petits paquets pleins de salive, qui ont dû tomber de la bouche du goinfre pendant son forfait... Note, Marinette. Près du troisième sac en partant de la droite, sur le foin, gît le cadavre d’une souris. Oh, c’est Renifleur, pauvre garçon... » Un pépiement alarmé l’interrompit. « Patron, Patron, Mélinda a disparu ! » Akhbar pointa les oreilles. « Comment ça ? - Son box est ouvert, elle n’est pas dans les allées ni dans les prés. - Le manège ? - Ni dans le manège, ni sur la carrière... - Des signes de lutte, du sang ? - Pas une trace, Patron. Nous n’avons pas relevé d’empreintes, mais le sol est sec... - Escadrille, prête à décoller ? Survolez tout le club, fouillez partout, et TROUVEZ-MOI CETTE PONETTE ! » Shetlock d’Olmes avait baissé la tête ; il avait horreur des cris. « Je peux reprendre ? Note, Marinette. Il semblerait que la ponette Mélinda, Connemara de huit ans, ait disparu. Fugue ou enlèvement ? Y a-t-il un lien avec le crime de la graineterie ? L’enquête devra le déterminer. Voyons... Il y a un sac de grain qui est tombé, là. Relève-le. Oh ! » Sous le sac, le cadavre d’une autre souris, la gueule ouverte, était étendu au sol. « Deux meurtres... Pauvre Virgule... - Elle patrouillait avec Renifleur, cette nuit », murmura le Sergent-Chef Achille d’un ton qui se voulait ferme. Ils ont dû être surpris... - Note, Marinette. Renifleur a le crâne défoncé. Virgule est morte étouffée par la chute du sac de grain, vraisemblablement ; ce n’est donc pas le même mode opératoire. Aucun des deux n’a été mangé, même partiellement. Pousse-toi, Marinette. Tiens, derrière la porte, trois feuilles de luzerne, piétinées. Rien derrière les autres sacs ? Bien. - Alors ? » Akhbar trépignait sur place. « Il faut que Marinette nourrisse, tu as fini ? - Presque... Pour moi ça sera un demi litre de « Classique », ma chérie... Ben quoi ! Tout travail mérite salaire, non ? Je vais interroger les chevaux et ensuite tu pourras t’y mettre, ma fille. - Une piste ? - Plusieurs, Patron, plusieurs... Mais l’enquête ne fait que commencer... » Narwa Roquen, le paradis sur terre est sur le dos d'un cheval Ce message a été lu 6457 fois | ||
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