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De : Narwa Roquen Date : Jeudi 11 octobre 2007 à 18:01:22 | ||
Ah si tu te voyais, mon pauvre garçon ! Mais ce n’est plus de la myopie, c’est de l’aveuglement ! Je croyais t’avoir transmis un peu de mon intelligence, mais j’en doute de plus en plus... Je te regardais, ce matin, quand tu es venu m’apporter mon petit déjeuner : étriqué dans ce costume gris mal taillé – tu as dû trouver ça au supermarché du coin - , le noeud de cravate de travers, et cette eau de toilette... Ca a viré sur toi, c’est pas possible, ça empeste ! Tu as posé le plateau sur ma table de nuit, en renversant un peu de café, comme d’habitude, tu as toujours eu deux mains gauches... Tu as déposé un baiser filial sur mon front, c’est ridicule, je supporte ça par bonté d’âme... Et puis tu es parti prendre ton RER, une heure et demie de trajet, même pas capable de garder ton poste, il a fallu que tu te fasses muter en banlieue nord ! Du coup maintenant tu me réveilles à 6 heures 30 tous les matins, c’est dur...J’avais pourtant réussi à te faire avoir une place à la Poste, à dix minutes à pied... Je me demande comment tu t’es débrouillé. Il est vrai que tu découragerais un saint. Tu es trop maigre pour soulever les gros colis, trop lent pour t’occuper du tri, tu n’as pas réussi à décrocher le permis de conduire, et au guichet tu es incapable d’aligner deux phrases...Et ce regard de veau derrière tes grosses lunettes ! Et cette mèche de cheveux absurde que tu t’obstines à garder trop longue, je suis sûre que ça te fait loucher... Et ce bouc ! Tout ça parce qu’en regardant un vieux film à la télé je t’ai dit que j’aimais bien cet acteur... Mais tu n’es pas acteur, mon fils, tu es transparent comme le verre, et d’ailleurs il vaut mieux qu’on ne te remarque pas, dès qu’on te regarde tu rougis comme une gamine effarouchée... A trente ans ! Ah il est beau, l’homme, tiens ! A la moindre réflexion de ma part, tu t’enfermes dans un silence coupable. Je peux t’insulter, exiger de toi toutes les absurdités les plus inimaginables, jamais un mot de révolte, jamais un geste de colère ! Une vraie lavette ! Tu m’écoeures, tiens... Dès le début de ma grossesse, de toute façon, tu as été pénible. Tu m’as fait vomir, tu m’as fait grossir ... Ton père disait qu’il était content, mais ça ne l’empêchait pas de traîner au bistrot avec ses copains. A six mois, j’étais difforme ! J’ai bien essayé de te faire passer, mais tu étais déjà bien accroché à moi comme une sangsue, et tu me suçais le sang...Et en plus, il a fallu que je souffre pour te mettre au monde, ces salauds de toubibs ne voulaient pas m’endormir ! Je te l’ai dit, à ta naissance: tu as voulu naître, tant pis pour toi ! Tu étais tellement petit, malingre et laid que ton père est parti aussitôt, il était sûr que tu serais débile ! Remarque, bon débarras, c’était un minable. J’ai pourtant essayé de t’endurcir, je t’ai privé de repas, je t’ai enfermé dehors au froid, au soleil, pendant des heures... Mais tu tombais malade tout le temps ! Jusqu’à douze ans tu avais la goutte au nez en permanence, tu respirais la bouche ouverte avec souvent un filet de bave dégoulinant... Quelle honte ! Tu voulais faire du rugby, m’en as-tu parlé de ce satané rugby ! Mais ils t’auraient piétiné, étouffé, démoli ! Non, j’ai tenu bon, je t’ai sauvé la vie. C’est comme pour le vélo : bien sûr que j’ai toujours refusé de t’en acheter un ! Tu ne tenais déjà pas sur tes jambes ! Tu as réussi à te casser le poignet deux fois, et puis la clavicule et la cheville ! Quand tu n’étais pas sous antibiotique, tu étais dans le plâtre... A la moindre bousculade à l’école, c’était toi qui étais par terre... Heureusement que Monsieur le Maire connaissait les chirurgiens de l’hôpital : grâce à moi, tu as toujours été bien soigné. Quelquefois je le regrette. Si tu étais resté handicapé, tu aurais eu droit à une pension... Ca m’aurait évité bien des sacrifices... Monsieur le Maire avait été battu aux élections, et son successeur, un crétin de coco, m’aurait bien virée s’il avait pu... Il a fallu que j’aille voir le Receveur, pas un mauvais bougre, mais pas la classe de Monsieur le Maire, qui m’offrait toujours des fleurs quand il... Non, le Receveur, c’était moins bien. Mais bon, tu as eu ta place. Dire que tu es persuadé d’avoir réussi ton concours ! Sans le piston de maman, tu serais encore au chômage... Je te l’avais bien dit que tu n’étais pas fait pour les études ! Monsieur a fait son fier quand il a eu son bac, il rêvait de faculté et de diplômes ! Un CAP, non, c’était pour le peuple... Mais moi je n’avais pas les moyens... Attends, je n’allais pas me priver de tout pour que tu te rendes compte au bout de quatre ans que tu n’arriverais à rien ! Si tu étais intelligent, je le saurais ! Moralité, au lieu d’avoir une belle vie comme Lemarchal, le plombier – grosse voiture, belle maison, il en a fait du fric, celui-là ! - , tu t’accroches à mes basques comme un parasite. Même pas fichu de te trouver une bonnne femme ! Je parierais que tu es encore puceau ! Mais ça, compte pas sur moi, mon petit bonhomme, pour te dégotter une gonzesse ! Bon, allez, neuf heures, faut que je me lève, sinon ce taré de Bergougnou va encore me sonner les cloches. Le mardi, c’est permanence. Monsieur le Maire reçoit les prolétaires, beaucoup de bla-bla pour les camarades, mais la secrétaire elle a droit qu’aux engueulades. Ah c’est dur de vivre seule... Narwa Roquen Narwa Roquen, in extremis... Ce message a été lu 6368 fois | ||
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3 Exercice 23 : Narwa => Commentaire - Estellanara (Mer 23 jan 2008 à 12:24) 3 peut-être pas de la haine... - z653z (Mar 23 oct 2007 à 17:14) 3 Pourquoi tant de haine... - Maedhros (Jeu 11 oct 2007 à 20:58) |