| ||
De : Maedhros Date : Mercredi 7 novembre 2007 à 14:37:58 | ||
Bonjour, La suite. J'ai essayé de retrouver des ambiances de certains films d'horreur japonais (the ring, the grudge...). A vous de juger! _________ « Oui, je suis revenue en France en septembre dernier. Je me suis inscrite en auditrice libre aux Beaux-Arts. Je veux approfondir certaines techniques graphiques particulières. Je pense que je resterai un an, deux au maximum. Puis je m’envolerai vers d’autres horizons. » Ouf, elle ne paraît pas s’être offusquée de la platitude de mes paroles. « Vous étiez ainsi à l’étranger ? - Oui, comme vous l’aviez compris au Japon. C’est un pays cher à mon coeur et je peux vous l’avouer, il y a un peu de moi qui est resté pour toujours sur cette terre où le soleil se lève! - Ne dit-on pas que les voyages forment la jeunesse ! » Le croque-mort se tient les côtes, secoué par des quintes de rires irrépressibles. Il tasse bien proprement la terre fraîchement retournée en me faisant un clin d’oeil complice. Il semble attendre ma prochaine réplique d’anthologie pour planter la croix en bois qu’il a préparée. Je n’arrive pas à lire les inscriptions gravées dessus. Elle paraît soudain rêveuse, comme habitée par un souvenir trop prégnant : «Au sud-est de Hondo se trouve Hagi, une ville-château, le berceau de la poterie japonaise. Voyez, ces bols à thé viennent d’ailleurs de cette ville. Leur céramique, secret des maîtres potiers coréens, laisse le thé s’infiltrer superficiellement, entraînant de subtiles variations de teintes, elles-mêmes évoluant avec le temps. Ainsi, chaque bol vit une vie propre et précieuse. Là-bas, au nord de Hagi, il est une forêt longtemps interdite, une forêt doucement alanguie au bord de la mer du Japon. Oh bien sûr, j’en ai vu de plus grandes et de plus profondes mais aucune comme celle là. » Je n’avais pas encore remarqué. La pénombre s’est installée imperceptiblement autour de nous. Je n’ose consulter ma montre mais il ne peut être déjà si tard. Sa main...sa main repose sur la mienne, la pressant tendrement contre le tana. Une douce sensation m’envahit tandis que de légers picotements courent le long de mon épiderme. Je lis dans son regard une attente muette. On dit que les yeux sont les miroirs de l’âme. Au fond des siens, je contemple l’azur et une infinie sérénité. La douceur de feuilles mordorées bercées dans un vent automnal. La lumière bleutée et translucide qui oblique du Mont Fuji en éclaboussures d’écume. Dieu qu’il fait sombre soudain. Un orage doit se préparer au-dessus de Paris. Je n’aime pas le mois de Novembre. Le mois des morts et de la fin des belles choses. Elle ne fait pas mine d’allumer une lampe ou la chandelle que je vois posée près de la fontaine qui pépie toujours gaiement. Cette semi obscurité me rapproche d’elle, espace intime et secret. « Pourquoi cette forêt en particulier ? » Ma voix se fait murmure, ne voulant pas rompre la magie du moment. Personne ne m’attend ailleurs. Personne ne m’a parlé comme elle aujourd’hui. « C’est une forêt composée uniquement de camélias. Lorsqu’ils sont en fleurs, entre octobre et novembre, la forêt revêt son manteau pourpre. Même la lumière du jour, en plein midi, semble prendre une teinte écarlate, comme si le ciel pleurait des larmes de sang. C’est là, au plus profond des ombres vermillon des tsubaki, que je me suis sentie revivre, rappelée à la vie. Je suis sortie de cette forêt magique et j’ai respiré à pleins poumons un air neuf et frais. J’étais chez moi, de retour. Enfin, cela m’a donné cette impression, comprenez-vous ? C’était grisant et troublant à la fois. J’ai regardé mes mains et j’ai touché mon visage. Il m’a fallu un peu de temps pour que les choses rentrent dans l’ordre. - Votre description me donne envie de me précipiter dans la plus proche agence de voyage pour acheter un voyage au Japon ! » répondis-je. Une lueur dans son regard m’incite à poursuivre : « Et si vous le permettiez, je vous inviterais à partager ce voyage ! ». Le croque-mort est à genoux, mains jointes, me suppliant de l’épargner. A côté de lui, la tombe est rouverte et mes espoirs, grandissant à vue d’oeil, s’apprêtent à le dévorer ! La revanche du timide. La pénombre est la complice obligeante des amants de fortune. Sans attendre, elle étend sur nous son chaste voile d’obscurité tandis que j’enlace maladroitement ma princesse, essayant de ne pas renverser le tana et les bols à thé des maîtres coréens. Elle n’oppose aucune résistance, ses lèvres cherchant les miennes et ses mains m’écartent et me pressent en un même et avide mouvement... son corps épouse enfin le mien. C’est alors que les murs du monde tanguent devant mes yeux éblouis... Je ne me suis même pas demandé pourquoi tout était si facile! Il fait noir. J’émerge lentement de ce qui ressemble au sommeil mais qui n’est que l’épuisement du corps après l’amour. Une parenthèse de repos après les tumultes et les soupirs. Je suis dans un lit mais ce n’est pas le mien. Ma main traîne sur une sorte de moquette rêche. Je me raccorde au réel. Je suis dans son lit, un futon japonais, un lit trop bas et trop ferme pour mon dos occidental. Toutes les images et les sensations de ce qui vient de se passer me reviennent d’un coup en mémoire...c’était trop bon...non, plus que ça, c’était tout simplement merveilleux...je me sens enfin heureux et complet...oui, j’éprouve un sentiment de plénitude euphorisant. Mes yeux peinent avant de s’accommoder à l’obscurité qui règne dans la pièce. La fenêtre découvre une nuit d’encre. Je referme les paupières et m’étire entre les draps de soie, étendant mes bras au-dessus de l’oreiller. Des draps de soie rouge bien évidemment. Le jour est encore loin. Cela veut dire qu’il reste encore beaucoup de temps pour découvrir tous les secrets de son corps. Je me tourne et elle est là, silencieuse, juste de l’autre côté de l’oreiller. Je tends la main pour lui caresser, comme un frôleur de rêve, son épaule dénudée. C’est étonnant, ses cheveux semblent beaucoup plus longs que dans mon souvenir. Ils forment une masse impressionnante et désordonnée où des mèches rebelles boulochent en tous sens. Des cheveux bien plus pâles que la blondeur dont je me rappelle. Elle semble toujours assoupie, le drap remonté très haut. Je m’approche tout doucement. Mes habits s’étalent tout autour du lit. Un délicieux frisson m’étreint quand je frôle son corps. Tiens, elle s’est rhabillée. Il ne fait pourtant pas si froid... ...J’ai soudain l’impression de m’enfoncer au coeur d’une forêt sombre et humide. Des notes vertes et boisées, des odeurs de sous-bois et de feuilles mortes, d’humus et de terre désorientent mes sens. Cela doit être un diffuseur de parfum d’ambiance, un autre gadget Feng Shui sans doute. « Chérie... ? » Elle se tourne enfin vers moi. La dernière chose dont je me rappelle, avant de perdre miséricordieusement connaissance, c’est la vision effroyable de ce visage de vieille femme qui grimace en me souriant. Deux yeux incandescents qui brillent dans le noir. De longs cheveux blancs en bataille qui fouettent l’air comme des milliers de serpents albinos. Mais par-dessus tout cette bouche, cette immense bouche qui s’étire d’une oreille à l’autre. Cette bouche monstrueusement grande ouverte qui s’approche de moi, plus près... encore plus près... Je ne suis qu’un cri quand elle courbe son cou. La dernière chose que j’entend, c’est cet affreux déchirement de chair quelque part sur mon corps....et la douleur... Je ne sais pas comment je suis arrivé là, dans ce fauteuil, prisonnier de ce corps qui ne répond plus. Tout ce que je sais par contre, c’est qu’elle vient me rendre visite chaque jour. Elle est si ponctuelle. Malheureusement, elle ne m’a pas dévoré comme elle le fait d’ordinaire. Elle me l’a murmuré la première fois où j’ai repris pied dans la réalité. Elle m’a raconté l’histoire de cette Yama-Uba, une créature ancienne, aussi vieille que les forêts des montagnes du Japon, qui s’effaçait doucement au coeur de la forêt pourpre de Hagi. Un jour de novembre, elle fut attirée par la lumière dorée d’une jeune et blonde européenne tombée sous le charme des camélias en fleurs. Mobilisant ses dernières forces, elle parvint à se faufiler dans ce corps jeune et fort. Elle n’y fut longtemps qu’une ombre, à peine plus que l’écho d’un souvenir affaibli. Puis, peu à peu, elle repris force et pouvoir. Les deux entités composèrent. La Yama-Uba s’éveillait ainsi les nuits sans lune, cherchant à se nourrir, en attirant les voyageurs imprudents comme elle le faisait dans les bois du Japon. Elle ne m’a pas dévoré comme les autres, empêchée par le sentiment amoureux animant sincèrement son hôtesse. Elle m’a mordu cependant, prélevant son tribut ancestral. Je ne serai plus jamais ce que je fus avant. Je ne parle plus, prisonnier de ce corps mutilé. Elles ne me font plus peur à présent. Là où je suis, elles ne peuvent plus m’atteindre. Non, ce n’est pas à cause d’elles que, chaque nuit, je hurle sans bruit lorsque le bâtiment est désert et que les cloches d’une église sonnent deux heures...comme maintenant... Il arrive, apparition spectrale flottant au-dessus de l’allée, vers la fenêtre de ma chambre. Une forme blanche, vêtue d’un long kimono blanc descendant bien au-dessous des pieds invisibles. Un visage blafard et éteint où se détachent la plaie rougeâtre de la bouche et les gouffres sombres des yeux qui me cherchent déjà. Le visage crayeux est encadré par de très longs cheveux, noirs et échevelés. Le spectre serre ses bras tout contre son corps mais ses mains, ses horribles mains griffues, s’agitent en tous sens. A l’aide....à l’aide...mais seul le silence répond à mon silence. Le démon franchit la fenêtre fermée sans difficulté. Il s’avance vers moi, lentement, la tête légèrement baissée, aussi immobile qu’une statue. Seuls les mouvements saccadés de ses mains trahissent son avidité. Pitié, aidez moi...que quelqu’un m’aide...Il se penche au-dessus de moi, son visage tout près du mien. Il ouvre une bouche rouge où des dents pointues brillent comme des couteaux. Ses yeux blancs se révulsent quand il mord cruellement mon cou pour boire mon sang...comme chaque nuit...et pour longtemps encore....la mort sera longue et douloureuse. M PS: si vous souhaitez en savoir un peu plus sur le fameux jardin de pierre du temple Ryoan-ji, suivez le lien ci-dessous : Le jardin de Pierre Ce message a été lu 6825 fois | ||
Réponses à ce message : |
3 Exercice 25 : Maedhros => Commentaire - Estellanara (Jeu 24 jan 2008 à 17:53) 3 Commentaire Maedhros, ex n°25 - Narwa Roquen (Jeu 8 nov 2007 à 19:34) 4 !!!!!!!!!!!! - Clémence (Ven 9 nov 2007 à 17:55) 3 joli texte - z653z (Jeu 8 nov 2007 à 15:45) |