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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Mercredi 30 avril 2008 à 18:03:51
NdA : le texte suivant est à lire après le portrait n°1, dont il constitue la suite ; le titre couvre l’ensemble des deux textes.




Les Bouches-Noires

.......
Mes parents m’ont toujours déconseillé de me mêler de politique, parce que c’est dangereux et que ça ne va pas changer le monde. Le procès des frères Chuang est-il un procès politique ?
On ne parle que de ça en ville depuis quelques jours- sous le manteau, bien sûr. Seuls quelques privilégiés ont eu accès à la salle d’audience, et personne n’est censé rester devant le Palais, sur la place de la Liberté, pour en apprendre le déroulement par les confidences des gardes qui se relaient toutes les trois heures.
Mais il fait beau aujourd’hui. Je suis sortie plus tôt – personne ne se plaindra de mon absence – et j’ai pris un livre. Deux femmes âgées m’ont fait de la place sur le banc où elles tricotent. Les mères promènent leurs enfants, les hommes jouent aux cartes ou aux échecs, certains réparent leur vélo, lisent le journal ou dessinent sur un chevalet, un groupe s’exerce au taï-chi, un autre au chi-qong...
La place est noire de monde. Les gardes ont cerné la place, mais ils n’ont pas reçu l’ordre de faire évacuer. L’Etat n’est probablement pas dupe, mais le procès engendre déjà beaucoup de tension, les dirigeants ont dû choisir une bienveillance hypocrite.
Les frères Chuang travaillaient à la mine de Baï Chou. On murmure que sur la dernière année il y a eu plus de trois cents morts, dont la moitié étaient des femmes et des enfants, mais rien n’est officiel. La mort d’une femme enceinte, le mois dernier, a provoqué un mouvement de grève de quarante-huit heures. Les ouvriers se sont enfermés dans la mine en bloquant l’accès, et la production a été arrêtée. Les trois frères ont pris la tête de la révolte parce que la victime était une de leurs cousines. Au bout de deux jours, l’armée a chargé ; il y a eu des morts, dont le plus jeune des trois frères. Les deux autres ont été jetés en prison. Ils sont accusés d’incitation à la violence, de rébellion contre l’Armée Patriote et d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Ils encourent la peine de mort. A la mine, rien n’a changé.


Les nouvelles qui nous parviennent, par bribes, sont mauvaises. L’Etat, qui s’est porté partie civile, réclame la peine capitale. L’avocat de la défense, qui doit avoir à peine mon âge, bafouille, bégaie, et s’embrouille dans ses papiers. Il est vrai qu’on a dû lui déconseiller d’être trop brillant...
Le soir commence à tomber. La sentence ne devrait plus tarder, les juges ne vont pas perdre leur temps précieux pour un verdict couru d’avance. Un petit vent froid se met à souffler, en même temps que le ciel se voile. Les gens arrêtent leurs activités ; ceux qui s’étaient assis se lèvent, les femmes serrent leurs enfants contre elles. Tout le monde a les yeux braqués vers le Palais. Mais c’est pourtant de l’autre côté, du côté du fleuve, que jaillissent les premiers cris d’effroi. Nous nous retournons, et la terreur se répand parmi nous à la vitesse de la foudre. Le ciel, vers l’ouest, est obscurci par une nuée de formes noires qui fondent vers nous. La peur me coupe les jambes, me donne le vertige. Je suis peut-être la seule à savoir de quoi il s’agit. Il n’y en a pas une, mais des centaines, des milliers... Vêtues de noir, volant comme des fantômes dans leurs robes amples, la poudre de riz sur le visage, la bouche cernée de noir...
La foule recule, se tasse aux abords du Palais. Les gardes arment leurs mitraillettes. Nous sommes perdus. Les bouches noires s’ouvrent sur un râle de convoitise, tandis que mille clochettes cristallines résonnent dans nos os transis...
« Ecartez-vous ! »
C’est une voix jeune, une voix d’enfant, mais si forte et si imposante que la foule lui fait place, et le silence revient, lourd, menaçant, abyssal.
C’est un jeune garçon, dix ans tout au plus, maigre, le crâne rasé. Il porte l’uniforme gris de la mine. Il marche, à la rencontre des Créatures, dans le couloir désert que lui ouvrent les gens terrifiés.
« Allez vous-en ! », lance-t-il aux monstres. « Vous ne nous faites pas peur ! Vous n’êtes que les créations imaginaires d’esprits troublés ! Mais ici et maintenant, nous sommes des hommes et des femmes courageux, et nous ne craignons pas la mort ! La peur ne nous prendra pas parce que nous ne sommes pas cette peur. Vous n’avez que le pouvoir que nous vous donnons, et ce pouvoir, nous ne vous le donnons pas ! S’il faut mourir, que ce soit pour une cause juste dans la dignité de nos ancêtres, pas dans la terreur des proies impuissantes ! »
Les Créatures s’arrêtent. Elles se taisent. Elles restent là, nuage noir dans le ciel du crépuscule, indécises, déconcertées.
L’enfant leur tourne le dos.
« Gardes ! Voulez-vous mourir dans la peur ou participer à la Justice du Peuple ? »
Le temps semble s’être suspendu. Les hommes armés se consultent du regard, hésitent. Les monstres se sont mis à tournoyer dans le ciel, comme une bande de vautours attendant son heure.
Une mitraillette se baisse. Une autre est posée au sol. Le Peuple hurle sa joie dans un mouvement effréné vers l’avant, les portes du Palais explosent sous la poussée, c’est une marée humaine qui a rompu les digues de la soumission, c’est un ouragan de vie qui balaie tout sur son passage, c’est la Liberté qui condamne la Peur à la peine de mort.
Il y aura d’autres combats, il y aura d’autres morts et d’autres souffrances. La pieuvre étatique ne cèdera pas sur un seul coup de boutoir. Il y aura des excès, des trahisons, des injustices. Mais la Liberté est en marche.



Je ne finirai pas mon stage. Mon diplôme peut attendre, il ne me semble plus essentiel. J’ai rejoint les Résistants. Certains parmi nous disent que l’enfant est une Réincarnation. Pour ma part, je n’en sais rien. J’ai pu l’approcher quelques fois. Il parle comme un sage, avec une intelligence et une tolérance qui ne sont pas de son âge, mais ça ne l’empêche pas de jouer avec son cerf-volant. Il ne cherche pas à commander, il n’aime pas la violence mais il sait se battre sans arme avec vitesse et précision. Quand il parle, même les plus enragés font silence. Je l’ai vu rester immobile pendant des heures, perdu dans ses pensées, un sourire béat sur les lèvres. Je ne sais pas ce qu’il est. Il inspire le respect et l’admiration.



Dans tout le pays, les hommes et les femmes se lèvent, clamant leur juste colère, et souvent les soldats se rallient à leur cause – notre cause. Le pays tout entier est ravagé par des affrontements violents, et cela le laissera peut-être exsangue, mais il se relèvera.
Les Bouches-Noires ne reviendront pas. Nous n’aurons plus jamais peur.
Narwa Roquen,qui n'a pas arrêté le chocolat noir ( aux noisettes)


  
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Réponses à ce message :
3 Exercice 36 : Narwa => Commentaire - Estellanara (Mar 5 aou 2008 à 16:03)
3 Lhassa'r volant (oui je sais...) - Maedhros (Sam 3 mai 2008 à 18:32)


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