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De : Maedhros Date : Mardi 8 juillet 2008 à 23:41:58 | ||
Bien, après cette mise en bouche, entrons dans le vif du sujet... le vif... c'est le cas de le dire! ___________________ Ils entreprirent de monter les trois tentes non loin de la lisière des grands arbres penchés. Des conifères. Les filles partirent en repérage, en longeant la rive vers l’ouest, prétextant des raisons assez confuses. Le soleil était au zénith. Sans s’en rendre compte, elles avaient parcouru une grande distance en échangeant des banalités de circonstance. « Alors, demanda Marie à Nancy, tu as réussi à convaincre Tom pour la rentrée ? » « L’idée fait son chemin. Pour un futur profileur, il est finalement assez prévisible ! Il ne voit aucun indice, mon crime sera parfait ! » Nancy pouffa mais le ton de sa voix démentait son apparente espièglerie. Elle tenait vraiment à son futur limier de la police montée. Marie était la délurée, l’artiste de la bande. Elle suivait un cours au conservatoire d’art dramatique de Montréal, à près de 200 kilomètres d’Ottawa. Elle avait décroché déjà plusieurs petits rôles dans des soap operas. Elle se piquait d’être la future Carole Laure. Il était vrai qu’elle avait une certaine ressemblance avec l’actrice inoubliable de « La Mort d’un bûcheron ». Un visage harmonieux où s’entr’apercevait une lointaine ascendance amérindienne et encadré de cheveux sombres. Marie aimait Nicolas depuis les bancs de la petite école et avait dû l’apprivoiser jour après jour. Judith écoutait sans rien dire. Elle prit sur la grève un caillou plat, lisse et rond qu’elle lança en se penchant sur le côté. Les ricochets fusèrent à la surface de l’eau, propulsant la pierre de plus en plus loin, arrachant des hourras à ses deux camarades. Judith se retourna et fit une légère révérence, voyant ses amies battre des mains. Soudain, son regard se figea, perdu sur un point situé derrière les deux jeunes femmes. Ses lèvres formèrent un O de surprise mais aucun son ne put sortir de sa gorge. En vibrant vicieusement, une flèche venait de la transpercer, une flèche empennée de noir et de jaune. Judith essaya vainement de stopper le sang qui s’échappait en longs rubans vermillon. Elle tomba à genoux, les mains toujours agrippées à sa gorge. Ses yeux se voilèrent quand elle vacilla pour s’affaisser, comme au ralenti, sur le côté. Elle ne bougea plus. Cela n’avait pas duré plus de dix secondes mais pour Marie, ce fut une éternité. Une éternité impuissante et immobile. Trop choquée pour crier, trop choquée pour courir. Elle restait là, regardant Judith hurler par delà la mort, les traits figés dans une grimace de douleur indicible. Elle avait péri, étouffée dans son propre sang. Pour Nancy, l’horreur était inimaginable. Elle avait lu sans doute des milliers de pages sur lesquelles avaient été consignées les minutes des procès où furent jugés les plus dangereux criminels. Elle avait imaginé, à la lumière des témoignages et des procès-verbaux de la police, toutes les scènes de crime. Mais, malgré sa très grande imagination, elle n’avait jamais été préparée à affronter réellement une telle situation. Elle tremblait de tous ses membres, des tremblements nerveux et irrépressibles. Et puis, comme le bouchon qui saute libère d’un coup la pression du vin de champagne maintenue prisonnière de la prison de verre, elles revinrent brutalement à la réalité. Elles commencèrent à hurler de façon hystérique, trépignant sur place. Aussi, ne remarquèrent-elles pas que, dans leurs dos, les feuillages frémissaient légèrement, masquant une présence invisible. Nancy se mit à courir en revenant sur ses pas, criant toujours à gorge déployée. Marie se précipita derrière elle, ses longs cheveux noirs flottant gracieusement sur ses épaules. Marie ne criait pas, se contentant d’essayer de ne pas se faire distancer par l’athlétique Nancy, dont les merveilleuses jambes avalaient le sable en grandes foulées efficaces. Elles ne virent pas non plus cette ombre qui semblait planer entre deux eaux, sous la surface liquide, une ombre fluide, aux proportions démesurées, qui s’éloignait sans se presser vers le centre du lac. En l’occurrence, elles firent bien car le danger qui les menaçait ne venait pas de l’eau. Non...Oh non...On dit que la peur donne des ailes, mais les deux beaux anges qui tentaient de rejoindre le paradis n’avaient malheureusement pas encore quitté l’enfer. Hélas. Elles avaient marché trop longtemps, le camp qu’avaient installé les garçons était encore loin ! Marie s’essoufflait à rester au contact de Nancy. Elle fixait ce dos qui, imperceptiblement, fuyait devant elle. Son souffle se faisait plus court et ses poumons n’étaient plus qu’un immense incendie. Paradoxalement, des images lui revenaient à la mémoire. Des scènes de films célèbres. Elle revoyait ainsi le visage de Dustin Hoffman dans Marathon man, Cette course infernale dans Central Park. L’assassinat de Doc, sous les yeux de Babe, son frère. Elle sentit une présence derrière elle. Une menace grandissante. Ne te retourne pas. Elle se concentra sur cette pensée. Ne te retourne pas. Elle sentait bien que si elle le faisait, le Dieu des Enfers réclamerait son dû, la réclamerait... elle. La sensation augmentait, devenant presque physique. Elle pouvait à présent sentir une haleine chaude sur sa nuque. Percevoir un halètement sourd. Des pas se rapprochant inéluctablement. Ne pas regarder en arrière. Ne te retourne pas. Le point de côté naquit douloureusement dans sa cage thoracique. Sa vue se brouillait mais devant elle, Nancy poursuivait son effort sans difficulté apparente, et la distance entre elles grandissait à vue d’oeil. « Nancy! Nancy! » Elle cria d’une voix qui lui sembla appartenir à une autre. Nancy ne parut pas l’avoir entendue. Elle allongeait encore la foulée et disparut lorsque la grève fit un coude sur la droite. Marie faiblissait, sa concentration se délitait peu à peu. Elle l’entendait, il était sur ses talons. Alors elle commit l’irréparable. Elle tourna imperceptiblement la tête vers la gauche. A l’extrême limite de son champ de vision, une forme obscène s’y tenait tapie. Elle eut un hoquet de frayeur et loupa une enjambée... une seule enjambée. La douleur explosa dans son épaule droite, l’envoyant bouler tout près de l’eau. Etendue sans force, elle voyait le ciel immensément bleu tout là-haut. Inaccessible. Elle porta la main vers le foyer de souffrance irradiante et la ramena rouge de sang. Elle commença à pleurer doucement, les larmes voilant son regard. Le ciel disparut derrière l’ombre qui se dressa devant elle. Elle hurla, essayant de se protéger la tête en tendant ses mains vers la menace, droit devant elle. Elle réussit à dévier le second coup mais pas suffisamment. Il l’atteignit violemment sur la bouche, fracassant lèvres et mâchoire. Marie suffoqua, la souffrance était trop intense à présent. Le cauchemar du Marathon Man continuait. Cette pensée autonome était le dernier signe de conscience de Marie. Elle aussi avait une sainte peur des dentistes. Mais elle n’échapperait pas à son destin, pas aujourd’hui, contrairement à Dustin. Elle se détachait du réel, flottant dans un état qui n’était plus la vie mais pas encore la mort. Elle regarda sans émotion la lourde hache de pierre qui se précipitait à nouveau vers son visage. Le monstrueux craquement à l'intérieur de son crâne fut une libération... elle glissa enfin au creux d’un éternel rêve blanc. M Ce message a été lu 6489 fois | ||
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3 point de côté - z653z (Mer 10 sep 2008 à 16:40) |