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 Répondre à : WA - Participation exercice n°45 
De : Maedhros  Ecrire à <a class=sign href=\'../faeriens/?ID=196\'>Maedhros</a>
Date : Samedi 20 septembre 2008 à 17:24:55
Une histoire expédiée en moins de quatre heures. Une idée qui ne sortait pas de ma tête (c'est le cas de le dire). Mais tout s'est mis en place à partir du souhait de Narwa Roquen de voir fleurir les points-virgules... les points-virgules....ah...la ponctuation...

Il est revenu d'entre les ombres... et a investi même le titre!

Attention, même s'il n'y a rien de vraiment gore ni de vraiment immoral, certains aspects devraient être tenus à l'écart des plus jeunes.

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LE PONCTUEUR

"Tu ne ponctueras point"


Demain, je ne serai plus.

C’est drôle d’imaginer que demain se lèvera sans moi. Le temps va s’arrêter. Rien que pour moi. J’ai lu quelque part que le monde autour de nous n’existe que parce que nous vivons. Le monde mourra donc avec moi. A cause de moi. Ne me parlez pas de l’enfer. Ni du paradis. Baratin pour vieilles bigotes. J’ai chassé en riant le prêtre et le rabbin, l’imam et le pasteur. Ils n’ont jamais eu de prise sur moi. Pour mon dernier repas, j’ai commandé des pancakes et du sirop d’érable. Des fraises et de la crème chantilly. Comme les faisait ma mère, morte de chagrin... non, je plaisante...Je voudrais bien qu’elle soit six pieds sous terre, cette vieille sorcière, mais elle a une santé de fer. Elle ne viendra pas pleurer sur ma tombe. Plutôt répandre du sel sur la terre ouverte. D’elle, je me souviens du réduit sombre sous l’escalier et du froid quand elle me laissait seul dehors, qu’il pleuve ou qu’il neige, pendant qu’elle les recevait. Je la verrai toujours sur le perron. Ce geste qu'elle faisait, ce doigt entortillé dans les boucles de ses cheveux. Ses magnifiques cheveux d'un roux éclatant. Deux siècles plus tôt, elle aurait brûlé sur un bûcher. Comme toutes ses soeurs, les sorcières. Mais là, elle devait bien rire quand elle mettait le feu dans leurs yeux et dans leurs pantalons. Il fallait les voir gravir lentement les six marches menant à la véranda, l’anti-chambre du paradis. Elle souriait, les doigts dans les boucles de ses cheveux et le regard innocent alors qu’elle damnait les saints! Ils aimaient tant sa chevelure de feu. Je n’ai pas connu mon père non ! Je n’ai vu que ces hommes. Je les aurais volontiers étranglés pour effacer de leur visage cette expression épanouie, ce désordre sensuel quand ils ressortaient, le chapeau à la main. Mais j’ai la tête dure, sûrement aussi dure que ce vieux clou à moitié enfoncé dans le mur de ma cellule. Ce vieux clou auquel j’avais l’habitude de suspendre le calendrier annuel des pompiers. Il faut savoir se défaire de ses habitudes. A bien y réfléchir, la mort y mettra un terme définitif ! Solution radicale.

Donc, demain je serai mort.

Ecrire ces mots ne m’épouvante pas. Je ne suis pas le premier à les avoir écrits. Que sont des mots sinon une suite de lettres rangées dans un putain d’ordre établi ? Ils ne signifient rien pour moi. Ils m’ont donné un crayon et des feuilles blanches. Un crayon de bois avec une mine épaisse et grasse, comme ces crayons pour enfants. Car j’ai été bien sage depuis le jugement, poli avec tout le monde. Avec mes gardiens d’abord, avec les autres prisonniers ensuite. Ceux-là se sont toujours écartés quand je les croisais dans le couloir de la mort. Presque respectueusement. C’est marrant cette déférence des autres criminels à mon égard! J’ai veillé à être constamment exemplaire avec les familles, la paupière baissée, une larme toujours prête au coin de l’oeil, le mot de regret imparablement convaincant. J’ai une propension surnaturelle à l’empathie. Vous avez vu le film Zelig, de Woody Allen? C‘est exactement ça. Je suis une espèce de caméléon, une forme de miroir humain. L’image que je renvoie est modelée par le contexte dans lequel j’évolue. En parfaite adéquation avec ce qu’on attend de moi. Donc le directeur a été charmé, parlant presque de rédemption à mon endroit. Il a surtout vu miroiter une belle opportunité de faire avancer sa carrière. Moi, me racheter ? Elle est excellente. Le rachat c’est bon pour la bourse et les crédules. D’ailleurs, la bourse n’attire-t-elle pas toujours les crédules ? Il ne faut pas nager avec les requins !

Non, je ne regrette rien. Je ne joue pas avec vos billes alors ne venez pas jouer avec les miennes. C’est moi qui dirige la partie et qui décide qui vient jouer. On y joue avec mes règles et c’est moi qui gagne à la fin. Donc, j’ai été relativement choyé. Je dis relativement car j’ai décidé d’oublier les petits désagréments inhérents à toutes ces années derrière les barreaux du bloc de haute sécurité de la prison fédérale. J’ai parlé quand ils ont voulu que je parle, j’ai baissé la tête quand ils ont dit qu’il me fallait le faire, j’ai écouté sans sourire le verdict prononcé par un juge bègue dans la salle du tribunal bondée. J’ai tout fait comme il faut. J’ai donc bien mérité le droit à quelques compensations non? La dernière ? Ces belles feuilles si blanches et ce beau crayon de bois à la mine si molle qu’on en mangerait. La seule fois où j’ai vraiment eu peur, c’est quand ils ont coupé mes cheveux. A ras. Quand je suis descendu du siège du coiffeur, j’avais la boule à zéro et le moral dans les chaussettes. Heureusement, les conditions se sont assouplies quand ils m’ont transféré ici. Mes boucles ont vite repoussé. Je me suis arrangé ensuite pour qu’elles restent bien disciplinées. Pour ne pas froisser le gardien-chef.

Un homme est venu régulièrement me voir. Il a parcouru des centaines de kilomètres pour me rendre visite ici, en plein désert ; un flic, l’inspecteur qui m’a alpagué. Je ne comprends pas son entêtement à vouloir à toutes forces comprendre; me comprendre. Je me rappelle la façon dont il a bousculé le photographe qui avait réussi à me tirer le portrait dans la gare, juste après que les flics m’aient coincé. Il l’a traité de tous les noms mais le journaliste a eu son scoop. Elle était belle ma trogne sous le titre qui proclamait : « Le tueur de l’accroche-coeur arrêté ! » en gros caractères barrant toute la page. Le tueur de l’accroche-coeur. C’était comme ça qu’ils m’ont baptisé. Ma marque de fabrique. Ma raison asociale. Ma perversion illimitée. Je suis le tueur de l’accroche-coeur. Un nom de fête foraine pour un fou furieux. C’est moi !

J’étais à New-York quand la grande crise a éclaté. Le fameux mardi noir, l’hystérie était à son comble, une sorte de fin du monde. J’ai entendu un cri inhumain, un cri qui n’en finissait pas. Il s’est tu quand à mes pieds, le corps d’un spéculateur qui avait vu s’évanouir sous ses yeux le rêve américain, s’écrasa sur le ciment du trottoir, comme une figue trop mûre. Avec un léger retard, des rubans de papier atterrirent autour de nous, ces maudits rubans sur lesquels étaient inscrits les chiffres du malheur, ces glyphes maléfiques du Démon de la Corbeille. Moi, je suis resté fasciné, hypnotisé par cette boucle de cheveux blonds et poisseux qui flottait comme une virgule à la surface de l’écoeurante bouillie rouge qui ne ressemblait plus à un visage. Impossible d’en détacher mes regards. J’ai été licencié peu après. Alors j’ai laissé la grande ville derrière moi et je me suis enfui vers le sud, le long de routes poussiéreuses, poussé comme tant d’autres par la nécessité. Mais cette boucle de cheveux est revenue me hanter. A jamais. A tout jamais. Je crois bien que c’est à cette époque qu’est né le tueur de l’accroche-coeur. Moi, je ne le savais pas encore. Je n’avais pas vingt ans.

J’étais jeune et fort. J’ai travaillé dans les champs pour gagner quelques pièces de métal vulgaire. J’ai aussi appris à mendier quand je me retrouvais rejeté sur la route. Jusqu’à ce que je croise au milieu de nulle part ce petit cirque ambulant. Une poignée de roulottes, un lion pouilleux et indolent, trois haridelles pommelées et la plus jolie cavalière du monde. Ils n’avaient pas vraiment besoin de moi mais ils n’hésitèrent pas à m’engager pour vider les seaux et aider à monter la toile du minuscule chapiteau. Moi, j’aurais fait ça pour rien tant qu’elle me souriait. Elle avait un petit numéro d’écuyère qu’elle exécutait chaque soir avec un enthousiasme sans cesse renouvelé. Elle était si belle dans son costume qui accrochait la lumière des lampions. Elle était si gracieuse quand elle se tenait bien droite, debout sur la croupe de la jument au pas. Elle n’était pas bien grande mais là, dans la lumière féerique, elle me paraissait immense. Mais rien ne surpassait le sombre éclat de ses cheveux auburn, remontés en chignon et maintenus en place par une fine résille. Je l’ai aimée. En doutiez-vous ? Ce furent les mois les plus lumineux de toute mon existence.

Aujourd’hui, tout ça n’est plus qu’un souvenir de plus rangé dans la boîte à chaussures tout au fond de ma mémoire. La magie n’existe pas dans la vraie vie. Ni le bonheur durable non plus. J’ai eu le temps de lire ici. La bibliothèque a été une caverne d’Ali Baba. Je n’ai pas vu les 40 voleurs, uniquement des tueurs et des violeurs, des assassins et des égorgeurs. Et moi. Oh, il n’y avait que quelques dizaines de volumes et au bout d’un moment, je les avais tous lus. J’ai dû me rabattre sur le rayon « Poésies ». Une simple étagère plutôt. Un jour, j’ai lu un poème qui a éveillé en moi l’écho de sentiments que je croyais enfuis. Mon coeur s’est arrêté de battre un instant. On aurait dit que le poète avait écrit ces lignes pour moi, à travers le temps et l’espace. Ces quelques vers que j’ai appris par coeur. Et voilà ce qu’ils disaient :

Pourtant un scrupule me trouble:
Je n’ai qu’un coeur, alors pourquoi,
Coquette, un accroche-coeur double?
Qui donc y pends-tu près de moi?


En fait, la belle écuyère n’a pas eu besoin de me le dire. Une nuit, je les ai surpris tous les deux. J’avais à la main un révolver mais je ne me rappelle plus bien des détails. Je me suis enfui après. Les temps étaient troublés et je suis passé entre les gouttes. J’ai changé de vie mais le tueur de l’accroche-coeur s’était bien réveillé. Il courait dorénavant à mes côtés, laissant une empreinte indélébile sur mon passage. Une petite mèche de cheveux aplatie en boucle comme une virgule et un trou bien net au milieu. Je vous ai dit que c’était ma marque, ma signature. Ne suis-je pas le tueur de l’accroche-coeur The love-lock killer ?

J’ai marché vers l’ouest, vers l’endroit où le soleil se couche. J’ai tiré droit vers lui. J’ai vu l’océan et la cité des Anges. Mais je n’y ai croisé aucune créature ailée, juste des mirages et des tentations le long d’Hollywood Boulevard. Par contre, j’ai surpris des anges déchus qui faisaient le trottoir, leurs pauvres ailes déchirées repliées dans le dos. J’ai épié dans les ombres et dans les lumières des néons. J’ai cherché encore et encore ces menteuses qui arboraient comme des trophées leurs accroche-coeurs, en riant au bras de leurs fringants cavaliers. J’en ai trouvé. Beaucoup. Mais peu à peu le cercle s’est refermé, comme une virgule de cheveux, autour de moi. Pourtant, je ne pouvais pas arrêter. Je ne pouvais plus l’arrêter.

Un soir, tandis que je rodais comme un chasseur cherchant sa proie dans la jungle, je me retrouvai dans une foule qui se pressait aux abords d’un cinéma. Les lettres de lumière annonçaient de tous leurs feux le premier film en Technicolor. « Becky Sharp ». J’ai payé ma place et je me suis assis au dernier rang, au fond d’un siège rouge et moelleux. Les lumières se sont éteintes et le film a commencé. Sur l’écran de projection, la vie éclata en brillantes couleurs. Comme une fenêtre qui s’ouvre sur le jardin d’à côté, sur un autre monde pareil au nôtre, loin de la terne monotonie des films en noir et blanc. Je n’ai pas quitté des yeux la blonde et suave actrice, la belle Miriam Hopkins. Surtout ses diaboliques accroche-coeurs qui auréolaient la délicieuse courbe de son front.

Au crépuscule de ma vie, il y a beaucoup de choses que je voudrais faire différemment....

Cela sonne faux. Ce que j’ai fait est fait. Il n’y a rien à redire ou à retoucher. J’ai ponctué ma vie comme je l’ai voulu. Les raisons m’appartiennent. Je ne me justifierai pas. Je n’ai pas peur de la mort. Je ne crois pas à un créateur venant soupeser mon âme dans une balance d’or et de vermeil. Je ne crains pas la douleur. Je l’ai terrassée il y a longtemps. C’était sous les branches d’un grand chêne. Quand j’ai crié pour qu’elle ne me laisse pas là sous l’orage et la grêle. Mais elle n’a pas cillé, se contentant de refermer la porte et d’éteindre la lumière, me laissant dans l’obscurité avec mes terreurs et mes démons qui sont venus renifler et gronder tout autour de moi. J’ai survécu à cette nuit et aux suivantes. J’ai fait un serment. Rien ni personne ne m’atteindrait plus. Jamais plus.

Mais le plus terrible a été d’imaginer, jour après jour, la couronne qu’ils vont me tresser tout à l’heure. Une couronne flamboyante. Je serai un roi encagoulé et prisonnier d’un siège de feu vivant. Mes pauvres cheveux. Roux comme ceux de cette femme qui est ma mère. Cette sorcière ne brûlera pas sur le bûcher. A sa place, elle a donné son fils au démon. Ils vont raser mes belles boucles rousses. Je ne peux m’empêcher de frémir à cette idée. Raser mes cheveux pour placer leurs électrodes sur ma tête. Je ne peux le supporter !

Si vous regardez bien, vous ne pouvez pas ne pas voir ce bel accroche-coeur que j’ai patiemment aplati sur mon front. J’ai demandé au gardien un peu de brillantine pour qu’il soit parfait. Une magnifique virgule de feu qui lèche mon front. Cela a fait sourire les autres gardiens quand ils sont venus débarrasser le plateau repas. Je n’ai touché ni aux fraises ni aux pancakes.

Voilà, cher inconnu, j’en ai presque terminé. Encore deux ou trois lignes. Après, j’alignerai le crayon gras le long du dernier feuillet. Je signerai comme ils m’ont appelé : le tueur de l’accroche-coeur. Puis j’apposerai le point final. Enfin, l’avant-dernier point. Encore un effort et ma marque sera révélée une toute dernière fois. Adieu, si vous croyez en Dieu!

The Love Lock Killer



« NOOOOOONNNN !!! »

Le cri du gardien me glace le sang. Je me retourne, et par réflexe, je déclenche mon appareil photo. Je crois que cette image me hantera à jamais....

Dans la cellule, effondré au pied du mur, la tête renversée sur la paillasse, gît l’ennemi public n°1. Et d’un coup, c’est comme si rien ne s’était arrêté. Comme s’il nous narguait encore de l’autre côté. Un sourire incertain flotte sur ses lèvres. Mais son front... oh son front... son front s’orne d’un accroche-coeur roux avec en plein milieu...oui...juste au milieu...un cratère irrégulier qui laisse échapper un mince filet de sang... Un trou dans l’accroche-coeur. Une virgule et un point. Son mode opératoire quand il semait la terreur. Alors je lève les yeux et je vois le clou sur le mur, le vieux clou où une goutte de sang perle encore.

M

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