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De : Maedhros Date : Lundi 11 mai 2009 à 19:26:03 | ||
Je ne peux pas plus bref... _________ PICS of HELL Une femme apparaît sur le trottoir. Une silhouette élancée et diablement féminine, une démarche assurée et chaloupée. Si c’est sa nouvelle maîtresse, elle est d’une classe folle et tranche avec les petits boudins dont il se contentait jusque là. Je prends rapidement une rafale de clichés pour le dossier. Je shoote en raw et j’archive sur support numérique. Il paraît que la profession se moralise. Pourquoi pas. Je dis ça mais cela ne me concerne que de loin. De nature très discrète, on me connaît par le bouche à oreille. Je loue une petite officine dans un grand et anonyme immeuble de bureaux. Sur la minuscule plaque vieil or qui indique sobrement la raison sociale, aucun numéro de téléphone. Je reçois sur rendez-vous. Mes honoraires sont à la hauteur de mes talents et mes clients paient sans rechigner : je suis l’un des rares à pouvoir satisfaire leurs besoins. Comme les tigres, nous aimons les vastes territoires. Revenons à la femme. Elle pénètre dans l’hôtel bourgeois où monsieur a ses habitudes. Cela confirme mon postulat. Dans le rétroviseur intérieur, je vois le haut du visage d’un homme dans la quarantaine, aux yeux gris et aux tempes grisonnantes. Tiens voilà mon client au coin de l’avenue. Il est d’une rare ponctualité. Chez un homme, cette qualité est souvent attachée aux comptables ou aux financiers. Chez une femme, vous pouvez être sûr qu’elle possède toutes les autres qualités qui vont avec. Croyez-en mon expérience. Il est pressé comme d’habitude et habillé tel un trader dépressif. Qu’est-ce que cette sublime femme peut bien lui trouver? C’est sa légitime qui est venue me voir avec des doutes et des sanglots plein le coeur. C’est elle qui possède l’argent. Elle ne veut plus passer pour l’oie de service après dix ans de mariage. J’ai fixé mon prix. Elle a accepté. N’imaginez pas que je sois un vulgaire détective privé qui constitue un pitoyable dossier de divorce. Mes prestations sont plus spécialisées. Plus définitives. Pas forcément létales du reste mais toujours définitives. Elle ressort la première. Quarante minutes montre en main. Les affaires n’ont pas traîné. Elle s’arrête un instant devant l’entrée de l’hôtel et merde, elle regarde dans ma direction! Du calme, elle ne peut m’apercevoir, je suis bien trop loin et le soleil me rend invisible derrière le pare-brise. Elle sourit puis s’éloigne sur le trottoir, disparaissant dans une bouche de métro. Quelle magnifique créature! D’habitude, il sort toujours avant sa conquête du jour. Elle a dû l’épuiser, le pauvre homme. Laissons-le reprendre ses esprits. Bon, cela fait deux heures. Aurait-il éventé mon manège? Se serait-il échappé par la porte du fond? Je décide d’en avoir le coeur net. Je sors de la bagnole. Face au concierge, je fais mon numéro spécial police. Il gobe mon boniment sans broncher car sur ce coup, il n'est pas blanc bleu . Quand je lui pose les bonnes questions, il me répond aussitôt: « Ah non, Monsieur Leblanc est toujours dans la chambre. Vous voyez, la clé n’est pas au tableau ! » Je lui fais signe que je monte. Il me suit. On parvient devant une porte qu’il ouvre avec son passe. La fenêtre donne sur un mur aveugle. Monsieur « Leblanc » est un homme prudent. Etait, car le spectacle qui s’offre à nous est sans appel : Monsieur Leblanc n’est plus. Etendu nu sur le lit défait, il nous fixe d’un regard vitreux. Sa bouche est ouverte, sa langue lui a été arrachée. Sa poitrine est béante comme si une main de fer l’avait déchirée pour en extirper le coeur. Il y a du sang partout. Autant que si on avait égorgé un cochon. Quoique... c’est peut-être le cas. Le concierge se plie en deux pour vomir copieusement sur la moquette tandis que je m’enfuis précipitamment, non par dégoût mais pour éviter les questions embarrassantes des vrais flics. Cette charmante créature est donc une tueuse. Je sens que la désormais veuve éplorée va exiger vengeance. Ce type de demande entre aussi dans mes cordes, accompagnée d’une belle majoration tarifaire. Une fois chez moi, je charge mes clichés sur l’ordinateur. J’ouvre ensuite la visionneuse pour examiner attentivement ma mortelle inconnue. Sur la première image, c’est bizarre, l’exposition est bonne, ni sur ni sous-exposée, la lumière est largement suffisante et l’autofocus est véloce. Pourtant la tête de l'inconnue est comme floutée. Je tente de régler quelques paramètres mais rien n’y fait, le visage demeure vague, estompé, indiscernable. Tout le reste de son corps est parfaitement net. Je passe à la suivante. Même constat. Je suis incapable d’améliorer la qualité de la photo. Toutes les autres sont aussi décevantes. Avec fébrilité, j’ouvre le dernier fichier raw. J’avais tenté de serrer davantage sur elle. Le numérique a parfaitement répondu à mon attente. Le visage est toujours plongé dans une sorte de flou artistique mais là, j’ai plus de surface et plus de pixels. Je pousse le logiciel de retouche dans ses derniers retranchements. J’y suis... le visage s’affine. Je corrige petit à petit l’image. Les calques se superposent sans cesse et je prie les dieux Intel et Adobe de me donner un coup de pouce ! A force de me concentrer sur la technique, l’image réelle devient quasiment secondaire. Mais je suis sur la bonne voie. J’ai l’impression d’être un de ces acteurs de feuilleton qui parvient toujours à tirer quelque chose d’une image inexploitable. Ca y est, j’ai réussi ! Mais... mais.... Ce n’est pas la femme que j’ai vue cet après-midi ! C'est hallucinant, ce n’est même pas une créature humaine! Des prunelles rouges et diaboliques où dansent des choses monstrueuses et interdites qui n’appartiennent pas à notre monde. Des babines démesurées qui découvrent des crocs impressionnants, d’une blancheur spectrale. Un teint est pâle et marbré. Une crinière indomptée surmontant un front fuyant. Mais le pire... oui... le pire... c’est qu’elle me regarde droit dans les yeux... elle savait que j’étais là... elle sait qui je suis... Je peux lire dans ce regard de cauchemar une promesse glacée, irrésistible et démoniaque. Une terreur sans nom s’empare alors de moi, face à laquelle je suis impuissant. J’étais chasseur, je deviens proie. La sonnette de la porte d’entrée retentit. Je n’attends personne! M Ce message a été lu 6674 fois | ||
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