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De : Narwa Roquen  Ecrire à <a class=sign href=\'../faeriens/?ID=25\'>Narwa Roquen</a>
Date : Mercredi 13 mai 2009 à 23:59:49
Le portefeuille


Mauvaise journée. Il n’avait plus de café, et pas de quoi en acheter. Avec la recette de la veille il avait tout juste pu se payer un paquet de nouilles, un kilo de pommes et des croquettes pour Mélusine. Mais Mélusine, c’était sacré, elle passait avant tout le reste. Il avait eu du mal à se lever. La chatte était lovée entre son cou et son épaule, et il ne voulait pas la déranger, d’autant que la patte griffue posée sur sa peau nue s’enfonçait dans la chair dès qu’il bougeait un peu. Mais bon, s’il ratait les sorties de midi ça serait vraiment galère. Il avala un verre d’eau et deux biscuits secs, se débarbouilla sommairement dans l’évier, enfila les habits de la veille – à l’odeur ça ne devait pas être trop sale -, et dévala les six étages, sa guitare sur le dos.
Il pleuvait. Il aurait préféré jouer dehors, tant pis. Il sauta le portillon, la caissière le connaissait et ne disait jamais rien. Châtelet, un carrefour plein de courants d‘air entre deux correspondances. Les gens pressés, obtus, le regard fixe et les jambes sur pilote automatique. Même Cabrel ne lui avait pas rapporté un euro.
Un ado black à capuche lui avait soufflé en courant « Casse-toi, mec, les keufs débarquent, ils ont même serré Marcel ! »
Tout le monde connaissait Marcel. Il jouait de l’accordéon depuis trente-cinq ans et il n’aurait pas écrasé une mouche même si elle lui avait chié dessus.
Il remballa en un tour de main et se retrouva dehors. Devant lui un gars stylé, mallette en cuir et bottines chic, la tête enfoncée dans un chapeau noir, descendait d’un taxi. Il s’éloigna sur le boulevard, et le taxi redémarra. Sur le trottoir restait un portefeuille noir, gonflé à bloc. Aurélien le ramassa, l’ouvrit sans réfléchir. Des grosses coupures...
« Eh, m’sieu ! »
Le gars avait filé, loin devant. Il devinait le chapeau, là-bas, juste avant le carrefour. Il se mit à courir, mais la foule qui encombrait le trottoir marchait face à lui, impossible de tenir le rythme. Il descendit sur la chaussée, se fit klaxonner, frôler de très près par un rétroviseur hargneux et tremper jusqu’au genou par une grosse moto qui avait roulé dans la flaque. Il regagna le trottoir, sautillant et zigzaguant de plus belle. Au coin de la rue, il vit le type entrer dans un immeuble et s’y engouffra à sa suite. Il le suivit dans un couloir interminable, grimpa deux étages, se fit interpeller sur le palier par une vieille dame obèse couverte de vison et de bijoux et empestant le parfum de luxe.
« Le service contentieux ?
- Je ne sais pas, madame, désolé.
- Mais j’ai rendez-vous à quatorze heures ! »
Il esquiva d’une vrille la main manucurée qui cherchait à le saisir, slaloma entre les secrétaires chargées de piles de dossiers, aperçut le chapeau noir dégringolant quatre à quatre un autre escalier, comme s’il avait le diable à ses trousses... La bandoulière de la guitare lui sciait l’épaule et il avait des crampes d’estomac. Mais le gars lui donnerait sûrement une récompense...
La rue, à nouveau. Des trombes d’eau, et au loin, le tonnerre. L’individu s’enfonça dans l’escalier du métro. Aurélien glissa sur une marche, se rattrapa à la rampe in extremis, sauta le portillon, entendit la caissière vociférer derrière lui, pas le temps d’expliquer... L’homme monta dans le wagon, la sirène... Il fonça vers la porte la plus proche, en queue de rame, et guetta à la fenêtre. A la troisième station il le vit descendre.
Couloirs, couloirs, escaliers. Merde, il était en forme, le richard, même en courant il n’arrivait pas à réduire l’écart. Non, pas le bus ! L’homme grimpa à l’avant. Aurélien s’infiltra à l’arrière, parmi une troupe de collégiens bruyants, se tassant sur lui-même pour se dissimuler. Manquerait plus qu’on lui demande de payer un ticket !
Le chapeau descendit enfin, et Aurélien fut retardé par les voyageurs qui voulaient monter absolument tout de suite avant qu’il ne fût descendu... A croire que tout le monde le faisait exprès ! Un regard circulaire... et l’impression qu’une ombre venait de passer le coin de la rue. Il s’élança juste à temps pour voir le type entrer dans un petit immeuble cossu. Avec un peu de chance c’était chez lui et la poursuite s’arrêterait là. Il avait soif, il était en nage et ses baskets étaient trempés. Pas dommage. Quand même, c’était bien d’être riche et d’avoir fini sa journée à quinze heures, cool...
Escalier, un étage, couloir, porte qui se referme tout au bout. Il prit le temps de respirer un grand coup, se passa la main dans les cheveux dégoulinants, sortit le portefeuille et sonna.
- « Pardon, m’sieu, vous avez perdu votre portefeuille en sortant du taxi... »
Un homme grand, mince, froid, la cinquantaine grisonnante et des yeux gris d’acier tranchant le toisa sans un sourire.
- « Vous n’en voulez pas ? Ah bon. »
La porte se ferma avec un bruit sec.
Narwa Roquen,à qui Paris ne manque pas du tout!

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