Version HTML ?

Messages FaeriumForum
 Ajouter un message Retour au forum 
 Rechercher un message Statistiques 
 Derniers messages Login :  S'inscrire !Aide du forum 
 Afficher l'arborescence Mot de passe : Administration
Commentaires
    Se souvenir de moi
Admin Forum 
 Derniers commentaires Admin Commentaires 

 WA 61 - Et oui! Voir la page du message Afficher le message parent
De : Maeglin  Ecrire à Maeglin
Page web : http://Maeglin
Date : Mercredi 3 juin 2009 à 20:50:48
Bonjour!
L'idée vient surtout de la consigne de "non-dépaysement", et du petit garçon que j'étais et que ma mère soulevait à la fenêtre...


Le plus dur dans mon boulot, c'est les collages d'affiches électorales que tu te coltines pendant dix ans avant d'y rentrer. Mon oncle connaissait bien son mari, à la poissonnière, alors quand elle est devenue députée-maire elle s'est rappelée de nous et des tournées la nuit avec la Mercedes remplie d'images de sa tronche qu'on placardait à la va-vite sur la tronche de son concurrent. Oh je regrette pas hein! Mais j'explique aux jeunes... quand ils viennent nous déposer leurs CV aux services techniques on s'amuse un peu, on leur pose des questions, on leur dit de revenir après l'apéro. Enfin c'est pas non plus tous les jours l'apéro, ça dépend des tournées.

Quand je tourne avec Gilbert on a nos raccourcis: il prend la petite rue en haut du Cours en sens interdit, ça nous fait gagner un quart d'heure et on évite le périphérique à l'heure de pointe. Parce que depuis qu'ils nous les ont changé, les horaires, on expédie le boulot et on rentre à la maison. Nous on était pour commencer plus tôt à cause des primes, et on prenait le temps de bien faire. Mais ils voient les choses bizarrement dans les bureaux, ils sont pas sur le terrain, ils pensent à leurs gros sous que c'est nous qu'on donne. Et ça change le planning, et le camion est à la maintenance, et y'a plus de pauses café... Ah c'est Aziz qui a pété les plombs mardi, il leur a collé un arrêt de travail de trois semaines pour « dépression nerveuse ».

Faut dire qu'il l'ont chargé Aziz, et lui pourtant ça faisait 30 ans qu'il était dans le turbin. Il avait commencé du temps du mari, et quand la poissonnière est arrivée dans son fauteuil elle l'a bombardé chef de service histoire de faire bien auprès des arabes, genre « intégration exemplaire » et tout le toutim. Aziz on le respecte et il connaît le boulot, mais de rester là à nous attendre et de se débrouiller avec les décisions des huiles de la communauté urbaine, ça lui pèse de plus en plus sur le poignet quand il s'agit de se servir un pastis. Avec Gilbert on va aller le voir après la tournée de demain, ça lui fera plaisir et on ramènera des jouets pour son petit dernier. Pas besoin de collecter de l'argent remarque, y'a juste à farfouiller dans la cargaison du jour après être passé dans les rues derrière le château et c'est Byzance! Comment tu crois que j'ai meublé mon salon tout en cuir? Avec mon salaire « d'agent technique municipal »? J'ai fait six mois aux encombrants, et j'ai équipé toute la famille en électroménager. Et quand il nous en restait, on allait négocier avec les gitans pour se faire un peu de liquide.

Après c'est sûr, on ramasse la merde des autres et c'est pour ça qu'on nous paye. Au début ça schlingue et ça colle de partout, mais maintenant je me suis habitué et ma femme aussi, et si je rentre avec un verre de trop j'arrive toujours à choper un bouquet de fleurs pas trop fané pour me faire pardonner. Oh elle connaît la combine, et même elle en profite bien, mais faut pas se poser de questions dans la vie hein? Des fois qu'il y aurait des réponses... Non mais le plus flippant c'est l'avenir, on en a discuté à la déchetterie avec les gars qui bossent là-bas: ils veulent nous mettre une société privée, c'est ce qui s'est raconté au conseil municipal le mois dernier. Va falloir faire une croix sur les apéros et les primes, et puis y'en a qui vont sauter. André avec sa patte folle il vont le repérer tout de suite et ils négocieront pas grand chose vu q'Aziz nous a dit que si on refusait de rentrer chez eux on serait transférés aux espaces verts. Ça pue les espaces verts, c'est là-bas que la poissonnière à casé tous les fils de notables un peu benêts qui gênaient dans le cabinet d'avocat ou de médecin de papa.

Et puis qui dit société privé dit tri sélectif, et là c'est vraiment la mort du boulot comme on le connaît. Tu te trimballes avec cinq bennes au lieu d'une, tu t'emmerdes avec les sigles... et la plupart du temps à la déchetterie on mélange de toutes façons parce que les containers sont pas prévus pour ça: bah ils s'en foutent les bobos ils y vont jamais à la déchetterie, ils préfèrent les vide-greniers! Remarque c'est là qu'on leur refourgue ce que les bourges ont jeté la veille, comme ça tout le monde est content et on est pas les seuls à se nourrir de la merde des autres!

Allez, je vais rentrer avec la tournée d'André, elle passe dans ma rue et je lui refilerai mes poubelles. Et puis y'a ce gosse au quatrième de la tour que sa mère soulève tous les midis à la fenêtre pour qu'il me fasse coucou, et je le rate pour rien au monde. Ça me console un peu de mon fils de quatorze ans qui me traite de ringard et qui redouble sa sixième pour la deuxième fois. Oh il sera bien content si je lui trouve une place à la mairie celui-là, mais comme il veut se faire de l'argent de poche cet été je vais le rencarder avec son grand cousin qui a récupéré la Mercedes: c'est bientôt les municipales, ils iront coller des affiches.


  
Ce message a été lu 6167 fois

Smileys dans les messages :
 
Réponses à ce message :
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2009-06-04 22:25:25 

 Commentaire Maeglin, exercice n°61Détails
J'admire le talent avec lequel tu as présenté de manière presque poétique un métier considéré comme une punition ("si t'es pas sage, t'iras vider les poubelles plus tard"). Comme toujours, tu excelles dans la simplicité des choses humaines et ton regard tendrement humoristique, respectueux et néanmoins lucide nous fait redécouvrir le monde, vu du bon côté des choses.
J'adore "des fois qu'il y aurait des réponses", et la réflexion sur les vide-greniers... Et la fin en boucle, joli!
Deux petites choses:
- il manque un titre
- et un e à société privée

C'est vraiment un bonheur de te retrouver parmi nous!
Narwa Roquen,charmée

Ce message a été lu 6869 fois
z653z  Ecrire à z653z

2009-06-10 15:00:03 

 comm 61Détails
"redouble sa sixième pour la deuxième fois" -- ça fait un peu redondant.

Sinon le métier d'éboueur est bien décrit.
Tu aurais pu parler des ramassages des ordures des restaurants et autres sociétés.

Ce message a été lu 7368 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2009-06-20 19:53:16 

 Parti FiniDétails
Une histoire qui pourrait être banale mais elle possède une petite musique, une de ces ritournelle de trottoirs, un air d’orgue de barbarie, avec des images de ces films réalistes italiens. Je vois bien les gueules de Gassman, de Sordi, de Sophia Loren ou du grand Mastroiani évoluant devant la caméra de Dino Risi.Qui mieux que les italiens ont réussi à émouvoir avec des histoires de bouts de chandelles ?

Cette histoire est également riche de l’observation minutieuse du microcosme invisible aux yeux qui ne savent pas où regarder mais pourtant tellement évident pour les autres. Les liens avec les basses oeuvres politiques, la crainte de la concession du service au privé, les petits côtés sympas du boulot, les minuscules revanches sur leur sort...

Dans notre belle société, si propre sur elle, si jeune et si belle, qui souhaite vraiment se pencher sur le mode d’élimination des déchets ? On laisse ça aux autres et on ne les voit que lorsqu’on gueule, coincés derrière la benne à ordures. Font jamais assez vite, toujours là quand c’est pas l’heure, quand c’est l’heure de l’école, quand c’est l’heure de pointe. On préfèrerait nettement qu’ils passent quand on dort, pour gêner personne ! C’est comme ça que l’ébène alors dure !

La forme colle à l’histoire. Une expression populaire de petites gens qui mettent des petits rideaux rouges et blancs sur le carreau du soupirail. Mais une expression riche et fluide, au rythme qui ne faiblit pas et avec une trajectoire en boucle qui souligne qu’il n’y a pas d’issue de secours dans ce monde. C’est un circuit fermé, un boulevard qui ne débouche sur aucune autoroute. Et devant, bouchant l'horizon, il y a juste un cul de ferraille qui avale ce que nous vomissons sur le trottoir. Et c’est vraiment tragique.

Il n’y a que dans les yeux de cet enfant qui les regarde que les éboueurs deviennent des super héros, avec leurs gros gants, juchés sur les marchepieds de la machine comme d’antiques conducteurs de chars romains !

Très beau texte qui respecte, in fine, la consigne.

M

Ce message a été lu 6880 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2009-10-09 10:10:24 

 Exercice 61 : Maeglin => CommentaireDétails
Le langage familier est bien rendu. Je n’ai pas compris tout de suite la nature du boulot, j’étais restée sur le collage d’affiches. Bien vu de récupérer des trucs aux encombrants. Un texte sympathique et même poétique (le gamin à la fenêtre) mais qui manque un peu de sel, je trouve.

Est', en pleine lecture.

Ce message a été lu 7476 fois


Forum basé sur le Dalai Forum v1.03. Modifié et adapté par Fladnag


Page générée en 2983 ms - 1301 connectés dont 3 robots
2000-2024 © Cercledefaeries