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De : Maeglin  Ecrire à Maeglin
Page web : http://Maeglin
Date : Jeudi 16 juillet 2009 à 10:57:26
L'Orchidée Palatine

Extrait de l'Herbier Excentrique du Margrave de Garlaban

L'Orchidée Palatine se veut en tout point sensationnelle. Prenez son origine: nimbée de mystères baroques, elle agite depuis plusieurs siècles les querelles des historiens-philosophes, qui la placent tour à tour dans le savoir-faire d'un roi loufoque épris d'absolu et de botanique, dans la volonté céleste d'illuminer le règne des êtres doués de pensée d'une parfaite compagnie, ou encore – hypothèse la plus poétique – dans un de ces pataquès symboliques qui voudrait que nous agrémentions nos chaotiques existences d'inamovibles jalons de grâce dont l'objet ambitieux mais nécessaire est de répondre à l'écho de nos dérisoires destinées.

Faire sens. Voilà en somme la délicate proposition de l'Orchidée Palatine, que l'étymologiste trouvera sans trop forcer son talent aux jardins des Puissants de notre monde, tant la renommée et la légende de cette fleur attirent depuis des siècles la convoitise d'orgueilleux roitelets et d'empereurs provinciaux.

Pour le jardinier ordinaire, on décrira néanmoins ici la magnificence de l'Orchidée Palatine en prenant garde de respecter à la lettre le protocole botanique. On se s'appesantira point trop ardemment sur l'image cavalière en vogue chez les courtisanes de la noblesse continentale selon laquelle le bulbe duveteux de l'espèce ressemblerait à s'y méprendre à une paire de testicules d'un jeune chevalier en retour de campagne.

De sa tige souple, on parcourra toutefois avec un plaisir plus licite les stries veloutées et amphigouriques d'un vert sobre tirant l'été vers l'aigue-marine. Quelques feuilles discrètes et fortement nervurées prennent à leur plénitude des teintes cérusées. Au toucher, celles-ci caressent agréablement le doigt, lui abandonnant une fragrance caractéristique de coriandre anisée dont l'extrait est utilisé par les chefs d'office, notamment pour relever certains poissons blancs.
Si les boutons grenat évoquent au printemps les perles des huîtres brunes, la fleur définitive est composée de corolles multiples qui se déploient au fil des jour en calices purpurins se recourbant vers le sol.

Une première singularité accompagne la fin de la floraison: à leur exacte maturité les pétales prennent alors une texture extrêmement sensible et réactive à la brise. Ainsi le moindre brin de vent se prenant dans ceux-ci révèle à l'auditeur attentif une mystérieuse mélopée de chuintements discrets et harmonieux. La curiosité de ces accords perpétuellement renouvelés provoqua en l'an 429 de notre ère la constitution d'un symposium de ménestrels de renom, de savants occultes et d'universitaires versés en musicologie afin de retranscrire et d'étudier la mélodie de l'Orchidée Palatine.

La seule avancée notoire de ce colloque fut d'écourter considérablement l'espérance de vie des pompeux participants: les plus artistes d'entre eux finirent leur existence complètement ruinés à vouloir enrichir leurs créations d'absconses arythmies ou de modulations cacophoniques tenant plus de la meute de chiens de chasse traquant un sanglier dans une fabrique de faïences que de la transmutation de l'histoire musicale de notre civilisation. Les plus érudits produisirent une somme considérable de documents illisibles, inventant pour l'occasion une trentaine de systèmes de notation musicale entre lesquels ils ne surent jamais véritablement trancher. Quelques perfectionnistes virulents furent même internés aux Hospices Royaux de la capitale, où l'on peut encore admirer de nos jours la salle commune dans laquelle ils perpétrèrent leurs débats scolastiques jusqu'à épuisement en traçant d'indéchiffrables idiomes sur les voûtes de chaux.

De la musicalité de l'Orchidée Palatine reste néanmoins l'hédoniste frivolité de s'y perdre une heure ou deux, le temps d'une sieste d'été ou d'une méditation nocturne, et de s'en réveiller avec quelques vers mélodieux en tête pour embellir nos journées. Que nous le voulions ou non, la science n'y apportera guère: au mieux entendre ses variances, anticiper ses inflexions, s'imprégner de la musique jusqu'à s'y confondre, en craindre les dissonances ou s'impatienter d'une harmonie. Écouter encore, vivre dans le contretemps, en dehors de toute mesure, ou bien coller à la partition et n'improviser que pour la servir.

Mais n'abusons pas trop des envolées lyriques inspirées par la musique de notre singulière plante, puisqu'il faudra se réserver pour d'indissociables inspirations olfactives, rappelant de prime abord les senteurs humides d'une forêt après la pluie auxquelles viennent s'inviter quelques touches exotiques. Car si le pédoncule conserve jalousement ses arômes de fenouil persillé, les corolles exhalent au crépuscule des longues journées de canicule des parfums de retour de voyages où se mêlent d'étranges fruits impatients de soleil et les épices enivrantes d'empires lointains. Bouillis, pilés, broyés et enrichis de graisses rares, les maîtres-nez extraient des jeunes pétales de l'Orchidée Palatine un substrat odorant à l'origine de délicieux parfums dont le plus célèbre et le plus mystérieux (sa composition étant gardée secrète par la confrérie), baptisé « Safran de Nuit », fut porté par l'Impératrice Pelissandre elle-même, dont on disait avec malice qu'elle manoeuvrait l'ardeur de ses amants en fonction du nombre de gouttes de la précieuse fragrance qu'elle vaporisait le soir dans sa chevelure.

S'il vous faut encore toucher du doigt l'extraordinaire de l'Orchidée Palatine, je vous invite à l'apprécier d'une manière autrement plus subtile: à tâtons, lorsque le vent frôle ses calices, prenez un instant pour en caresser les contours. Laissez au moins une fois dans votre vie les espiègles vibrations dévolues à la musicalité de l'Orchidée Palatine se transmettre à votre main, parcourir votre bras en chatouillements puis résonner enfin jusqu'au profondeurs obscures de votre corps. Vos doigts seront tel ce jeune amant découvrant le corps offert de sa dulcinée lors de noces tactiles et frissonnantes, effleurant les duvets naissants d'une corolle fragile, palpant avec une pudeur maladroite mélangée d'envie les chairs pourpres et mauves des pétales frémissants, se frayant un chemin jusqu'au pistil gorgé d'étamines, perles d'orange veloutées maculant de poussière d'or les inflorescences amaranthines de l'orchidée.

Ne faîtes point grief à votre serviteur de conclure cet exposé par les usages culinaires de notre sujet: j'ai exposé maintes fois dans mon précédent ouvrage « L'Art Savoureux de notre siècle » ma modeste théorie selon laquelle les Choses de la Bouche savent délivrer à ce monde le sublime raccourci de nos sens. Du doux frétillement de l'assiette encore chaude et plaisante au regard, des textures audacieuses que prennent certains aliments en cuisson ou données par le tour de main du maître queux en passant par les délicats arômes d'abord humés, puis goûtés par le connaisseur, il n'est point d'autre lieu que la Table où nos sens se taquinent l'un l'autre pour nous offrir un bouquet de voluptés sensitives.

Concernant le bouquet, l'Orchidée Palatine ne saurait en manquer puisqu'elle est surnommée en cuisine « Fleur du Roi Gourmet ». Appellation abusive néanmoins, puisque les premières utilisations culinaires de l'espèce sont recensées dans une chronique villageoise de Septentrion au chapitre des « Médecines éventuelles » en ces termes précis: « L'orchis du paladin gouste bon dans la volaille et guérisse volontiers du gras-manger en infusion de sépales. De forts jus en peut tirer pour la compagnie des brouets d'hiver ou un massepain relever. » En méthodistes persistants, nous savons désormais que l'espèce recèle trois principales saveurs: si nous avons d'ores et déjà évoqué le pédoncule et les feuilles, l'emploi des pétales permet d'élaborer de savants fonds de sauce, distinctement violacés et permettant d'adjoindre une touche fruitée aux préparations. Les pistils enfin sont parcimonieusement utilisés en qualité d'épice, rappelant un mélange de safran et de sésame virant en fin de bouche sur le genièvre.

Pour les novices, une recette de la Haute Tradition gastronomique saura sans doute mieux décrire l'affolement gustatif provoqué par l'Orchidée Palatine. Les « Quenelles Palatines » permettent en effet au gourmand de savourer en quelques bouchées fines l'éventail des possibilités offertes par la « Fleur du Roi Gourmet ». Une purée de sars et de vieilles est pochée à l'infusion de feuilles d'orchidée, et l'on sert les quenelles tiédies accompagnées d'un risotto aux vins cuits et aux pétales pourpres puis recouvertes d'une sauce au beurre enrichie au pollen palatin.

Orchidée Palatine, avons-nous cueilli tous tes mystères? Dans quelle lande de notre perception t'épanouis-tu le mieux? Savants, Princes et Poètes d'un jour, vous qui cherchez du sens à votre quête douloureuse, sachez débusquer dans les lisières de votre tortueux chemin le répit des plénitudes éphémères...


  
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Réponses à ce message :
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2009-07-21 22:13:33 

 Commentaire Maeglin, exercice n°64Détails
Désolée pour le retard, j’ai été un peu débordée et j’ai horreur de bâcler mes commentaires : par respect pour les auteurs , j’aime bien prendre le temps de lire et de relire...
C’est un texte alambiqué, d’une sophistication extrême à la limite de la redondance, mais qui sied à merveille à la description de cette fleur aussi éloignée de la marguerite que la merguez l’est de la brochette ris de veau-St Jacques au beurre blanc... C’est sucré comme une liqueur de myrtille, et jubilatoire comme un grand galop dans les chaumes... Ton langage fleuri, volontairement d’époque, finement ciselé, passe de l’envolée lyrique à la suggestion égrillarde pour jeune fille en fleur avec un art consommé !
Tous les sens sont ici à l’honneur : la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat, le goût... avec en plus l’humour subtil dont tu assaisonnes les propos de l’auteur présumé, imbu de son élitisme raffiné et ne s’adressant qu’aux gens de bien.
Je trouve ton auto-critique injustifiée : ça se lit bien, si on a un peu de souffle pour atteindre le prochain point, et Google à portée de main (amphigourique : joli !). Mais c’est tout à fait adapté au contexte !

De plus il y a quelques somptueuses envolées :
- la musicalité de l’orchidée
- les moeurs de l’impératrice Pelissandre ( une bonne copine à moi !)
- et le summum, c’est à partir de « laissez au moins une fois dans votre vie... », jusqu’à la fin du paragraphe.

Quelques bricoles :
- pourquoi « l’étymologiste » ?
- Fautes de frappe : « on se s’appesantira point », « qui se déploient au fil des jour »
- répétition : « les pétales prennent... », « brin de vent se prenant... »
- et tant que j’y suis : « les pétales prennent alors » : le « alors » est superflu.


On sent que tu t’es bien amusé à écrire ce texte, et pour une fois, tu as mis un titre, qui est excellent : que du bonheur !
Narwa Roquen,qui s'est régalée!

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2009-07-22 14:22:40 

 Commentaire MaëglinDétails
Eh oui, avec le titre peu vendeur de ton message, j'aurais failli passer à côté de ce texte d'une qualité surprenante!!

Bon, moi aussi, dès demain, je me mets à lire le dictionnaire avant de dormir. Je suis toujours gênée quand il faut décrire les sensations et les perceptions trop longuement, car je ne trouve jamais assez de mots pour dire sans répéter. Chez toi, le vocabulaire est aussi varié et délicieux que les qualités de ladite fleur...

Le premier paragraphe m'a fait penser à du Desproges. Par la suite, quelques phrases ont encore des accents de sa voix, mais ta poésie a quelque chose de serein que la sienne n'a pas, sans vouloir l'offenser... ;)

Et puis que dire, c'est joli, volontairement pompeux et drôle donc pas du tout ennuyeux, et pour ce qui est de la consigne, mazette!, si ça, ça n'est pas la description des 5 sens (voire plus!), je ne sais pas ce qui pourrait l'être! Une réussite absolue et un très beau moment que tu nous offres là. Chapeau bas, Monsieur Maeglin...

Elemm', enchantée

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Maeglin  Ecrire à Maeglin

2009-07-23 13:25:48 

 Crise de foieDétails
C'est un texte un tantinet "crise de foie": c'est très bon à écrire sur le moment, mais l'abus rend l'inspiration écoeurante et j'ai besoin de temps pour passer à autre chose!
J'ai donc bâclé la mise en forme et ne me suis pas trop relu avant d'envoyer le texte, tant mieux et merci pour vos critiques!

L'histoire de l'étymologiste faisait référence à l'adjectif "palatin" et sa relation avec les "puissants" du monde, puisqu'on trouve principalement les orchidées dans ces jardins.

A bientôt,
Maeglin

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2009-11-05 17:09:53 

 Exercice 64 : Maeglin => CommentaireDétails
Ce texte à l’idée bizarre et originale respecte parfaitement la consigne. Certains passages sont pittoresques, comme le coup du « jeune chevalier en retour de campagne », ou l'Impératrice Pelissandre. La langue est très recherchée, dans un style original, baroque et précieux, parfois surchargé en adjectifs, ai-je trouvé. Globalement, c’est agréable et dépaysant, même si certains passages sont difficiles à comprendre. J’ai eu l’impression que, cédant à l’envie d’aligner des mots rares aux sonorités inédites, tu avais parfois négligé le sens des phrases. Exemples : quel rapport entre l'étymologiste et la suite du paragraphe ? Des stries peuvent-elles être amphigouriques ? Une teinte peut-elle être cérusée ? Le mot amaranthine existe-t-il ? Peut-on associer un doux frétillement à une assiette ? Au-delà de ça, c’est fort plaisant à lire. Le passage en vieux français est très réussi.

Est', hop hop hop.

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