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  WA - Participation exercice n°74 Voir la page du message Afficher le message parent
De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Lundi 15 mars 2010 à 22:35:08
Bien sûr en retard.

Néanmoins, ce récit tord le cou à la consigne (mais j'ai l'habitude); J'ai utilisé un sens très étroit du mot "quiproquo" qui provient de la locution latine "qui pro quod", signifiant notamment : «confusion consistant à prendre une chose pour une autre ».

En plus, le récit ci-dessous n'est qu'une partie d'un récit plus long dont la fin sera révélée dans le concours "Terre de lumière".

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C’EST LA NUIT



J’ai bien failli m’égarer cette fois-ci le long de la frontière. Me perdre définitivement loin d’ici. J’ai failli perdre la Nuit. Ne pas pouvoir revenir en arrière. Je l’ai souhaité. Presque désiré. J’ai finalement rebroussé chemin. Il me semble utile que cette extraordinaire expérience ne soit pas oubliée. Que vous, gardiens de la Nuit, la graviez dans vos vastes mémoires pour la transmettre à ceux qui viendront après. Qu’elle serve à la communauté. Nul n’a été aussi loin que moi. C’est pourquoi je me tiens devant vous pour conter mon histoire.

C’est d’abord l’histoire d’un monde immobile. Il paraît que dans l’ancien temps, une boule de feu se levait dans le ciel et que sa lumière était si forte qu’elle dispersait les ténèbres jusqu’à son coucher sur l’horizon. Sa course dans les cieux était la mesure de toute chose. Je ne peux concevoir pareil prodige. C’est tout simplement au-delà de mon imagination alors que règne la Nuit. Eternelle et bienfaitrice. Qui peut nuire sans ombre protectrice?

Quand j’ai ouvert les yeux pour la première fois, le sol nu et gris dansait au-dessus de moi. La main ferme de mon père a claqué sur mes fesses et j’ai crié. Non, j’ai hurlé mais mes poumons étaient trop débiles pour exprimer toute ma colère. La nuit m’accueillait, fraîche et noire, apaisante et nourricière. Ma mère était accroupie, nue et haletante, son travail achevé. Les rayons cendrés de l’astre nocturne l’enveloppaient délicatement, soulignant la finesse de ses attaches, la lourdeur de ses seins et la force de ses hanches. Elle a lavé lentement toute trace de souillure sur ma peau et puis elle a coupé ce qui me retenait à elle. J’ai gardé un souvenir précis de ces premiers instants. Comme nous tous. Je suis passé de l’ombre maternelle à l’ombre de la Nuit. La différence est infime. La Nuit est toujours douce et presque claire lorsque les femmes du peuple obscur sont délivrées de leur longue attente. Mon père n’est pas resté longtemps avec nous. Cela fait partie des choses de la nuit. J’ai grandi en écoutant les anciens et surtout en suivant les conseils avisés de ma mère. J’ai appris à reconnaître les nuances de gris et d’ombre. Car aucune couleur n’existe vraiment dans la Nuit n’est-ce pas ? Je sais bien que les couleurs existent cependant. De l’autre côté de la frontière.

Je ne compte plus les lunes qui sont passées au-dessus de ma tête depuis ma venue au monde. A présent, la jeunesse est derrière moi. Je suis devenu un vieux loup solitaire, taciturne et rebelle. Mais je marche toujours comme les vrais hommes, debout, droit et fier. Les loups, eux, courent à mes côtés quand ils sentent la chair blanchâtre. La chair mélanocytée des enfants du Jour. Qu’ils meurent tous. La nuit n’est pas faite pour eux. La nuit est une louve qui n’aime que les enfants loups.

J’avais des dons innés de chasseur et tout naturellement j’ai rejoint les compagnies de chasse. J’ai pourchassé les créatures irrespectueuses venues de l’autre bord. Durant de nombreuses lunes, j’ai suivi leurs traces. J’ai remarqué qu’elles s’enfonçaient de plus en plus loin à l’intérieur du Sombre Pays malgré nos pièges et les dangers. Je suis devenu un vrai chasseur et mes yeux portent loin. Je me déplace, ombre dans l’ombre, silencieux et mortel. Je nuis ici et ici est mon territoire.


Il y a une large bande de terre que nous appelons les allées du crépuscule car le crépuscule annonce la fin de la nuit. Au-dessus de ces allées, la nuit et le jour s’affrontent pour étendre leur empire. Mais cette lutte est stérile, le monde est immuable. Dès ma plus tendre enfance, j’ai appris qu'il me faudrait traverser cette frontière, sans espoir de retour. A l’instant où ma propre nuit touchera à son terme. Ce moment, chacun le reconnaîtra et l’appréhende en secret. Quand je sentirai mes forces m’abandonner, quand mes cheveux auront blanchi exagérément, alors je saurai que cela sera le moment de partir vers la lumière. C’est notre lot à tous. Il nous faut l’accepter. C’est l’école de la nuit.

Seuls les chasseurs expérimentés s’aventurent sur les confins crépusculaires. Je suis ce que vous appelez un chasseur du crépuscule. Un crépusculaire, comme murmurent à voix basse les enfants. Un être bizarre et associable. Incapable de suivre les règles. Je suis sans doute l’un des plus aguerris, des plus résistants, des plus rusés aussi. Les allées du crépuscule sont mes jardins de chasse favoris. Je m’y sens à l’aise. J’apporte à la communauté le gage d’une sécurité inviolée. Cela a donné un sens à ma nuit. Et puis il y a les loups. Ils vivent en grand nombre parmi les vestiges écroulés de l’ancienne et vaste cité. Farouches et indépendants, ils sont pourtant toujours à mes côtés quand le besoin s’en fait sentir. Je les connais tous. Chaque mâle dominant et chaque vieux loup solitaire.

Tout a commencé à mon retour dans les allées du Crépuscule.

Quand j’ai franchi une invisible limite, un hurlement a retenti quelque part vers l’occident. Un autre lui a répondu à quelque distance. Bientôt un concert de longues plaintes rauques déchira l’obscurité. C’étaient les loups. C’était leur façon d’accueillir un ami de retour après une longue absence.

Le voyage avait été long. Comme à chaque fois. Plusieurs lunes s’étaient levées et abaissées dans le ciel moucheté d’étoiles depuis mon départ. Poussé par un feu réveillé au creux de mes reins, j’avais remonté une piste familière. Cette trace que nous empruntons tous régulièrement, menant là où la glace durcit la toundra. Cette piste est indélébilement inscrite dans notre sang et notre mémoire collective. Je l’avais suivie pour trouver celle qui aurait porté mon enfant. Mon effort n’a pas été récompensé. Aucune ne m’attendait. Je suis absent si longtemps des terres froides et noires du coeur de la nuit, qu’elles m’oublient souvent. Quand je me présente, elles portent déjà l’enfant d’un autre. Certains me disent que je me complique la nuit en demeurant loin de la « terra oscura », notre ténébreuse patrie. Mais ils parlent en vain. Je fais ce que mon sang et mon coeur me disent de faire. Même si je donnerais tout ce que j’ai de plus précieux pour avoir quelqu’un dans ma nuit.

Heureusement, l’accueil que m’ont réservé les loups de la ville morte a été un onguent apaisant sur les cicatrices douloureuses de mon âme. Je me suis ressaisi. J’ai repris quelque peu confiance et j’ai rejoint par habitude la flèche brisée, l’étendard figé qui flotte sur mon jardin.

En effet, au coeur des ruines, près du lit asséché d’un ancien fleuve, une étrange construction est érigée sur un vaste champ de friches. Ses quatre piliers de métal rouillé supportent une flèche de fer qui s’élance haut dans le ciel changeant. La pointe en est brisée, ses débris jonchant le sol alentour. Elle est le passage obligé de mes rondes, l’endroit propice pour tester mes manoeuvres d’approche et d’esquive. Jusqu’alors, je me contentais de coller mon oreille sur le métal froid et noir pour écouter sa voix secrète. Car elle chante. Une vibration grave et pénétrante qui hypnotise et qui enivre. On dirait un choeur gigantesque et profondément enfoui qui pousse une ample et tellurique mélopée. Je ne suis pas suffisamment érudit pour décrire les sensations que procure cette vibration qui jamais ne se ressemble.

Cette fois-là, le chant entêtant a résonné différemment. J'ai cru discerner un appel étouffé, une voix masquée qui s'adressait à moi. Peut-être n'était-ce dû qu'à la fatigue physique et nerveuse de l'épreuve que je venais de traverser mais, mû par une impulsion subite et irréfléchie, je commençai l'escalade du tronc de fer. Il pèle et se désagrège en une poussière qui tache les mains, au goût âcre et lourd. Après avoir peiné, j’ai atteint une sorte de plate-forme envahie d’herbes étranges et parsemée de fleurs boursouflées. Au fond de leurs calices variqueux se tordaient d’écoeurants pistils, langues impatientes, avides de goûter et de digérer. Ils se tournaient vers moi en sifflant et leur danse ondulante était si obscène qu’elle m’a soulevé les tripes.

J’ai continué de grimper. Aussi haut que j’ai pu. Je suis parvenu à la brisure. Serrant la poutre de fer entre mes cuisses, j’ai regardé au loin, vers le pays écrasé de lumière, en gardant prudemment les yeux mi-clos. J’ai aperçu cette clarté qui noyait le monde. Elle était si dense qu’elle formait un halo montant jusqu’au ciel. J’ai dévissé le bouchon de ma gourde et j’ai bu une gorgée d’eau de nuit. L’alcool m’a échauffé les sens et j’ai réussi à fixer un peu plus longtemps l’enfer qui brûlait de l’autre côté de la frontière. Les plus érudits d’entre vous, gardiens fidèles des annales de notre peuple, considèrent que lorsque nous mourrons, une infime partie de nôtre âme rejoint mystérieusement l’autre face du monde, la face éclairée. Ils disent qu’il y a là-bas un Dieu dans le ciel, un Dieu empli d’un courroux tel que nul ne peut le contempler directement sans perdre la vue sur le champ. Sans que sa peau brûle d’un feu invisible. Pourtant, les plus sages d’entre vous ignorent la cause première de cette colère divine et se perdent en conjectures. Quant à moi, jamais je n’accepterai de consacrer ma nuit à un quelconque Dieu. Et c’est très bien ainsi.

Je suis redescendu pour me diriger vers le lit asséché, situé à proximité.

La ville fantôme résonne parfois d’échos insolites. Cette cité dévastée est mon jardin de chasse favori. Je l’ai déjà dit. J’y traque les créatures du jour qui osent violer la frontière. Entre les ruines qui se découpent sous la lune languide, je croque la nuit à pleines dents et je suis heureux. Il est grisant de s’approcher de sa proie sans qu’elle ne s’en aperçoive. Je fais souvent durer le plaisir. Je mets mes pas dans ses pas, juste derrière elle. Je progresse dans son ombre, la frôlant presque, pouvant jouer sur son dos avec mes doigts de lune. Le vent qui se lève parfois n’est pas mon ennemi. Et quand cela ne m’amuse plus, je mets un terme à ce jeu de nuit et de mort. La lame courbe de mon long coutelas dentelé ne brille d’aucun reflet quand je l’enfonce sous l’omoplate gauche et quand, avec un geste brusque du poignet, je la remonte vers le haut. Pas de bruit. Pas de cri. Juste un gargouillis de sang au fond d’une gorge. Et puis plus rien. Ce que je fais après ne regarde que moi et les esprits de mes ancêtres qui se sont approchés en silence, formes spectrales et assoiffées.


à suivre... (dans le concours)

M


  
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Réponses à ce message :
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-03-18 23:20:54 

 Commentaire Maedhros, exercice n°74Détails
On est quand même très loin du quiproquo classique dans ce texte solitaire où le héros seul, sans aucune rencontre, prend la nuit pour la vie, avec toute une série d’expressions originales : « j’ai failli perdre la nuit », « je me complique la nuit », « avoir quelqu’un dans ma nuit » ... et autres « eau de nuit ».
Et « nuire », jouant la ressemblance phonique, semble également pouvoir être remplacé par « vivre », avec ce très joli « je nuis ici ».
En tant qu’exercice, pourquoi pas. Après, on sent bien que ce texte est sorti d’une histoire plus grande, et il a du mal à se poser tout seul, il manque d’un avant et d’un après, et finalement il ne s’y passe pas grand-chose.
Ceci dit, le monde construit est puissamment original, dépaysant, inquiétant ; ce qui rassure le lecteur, malgré tout, c’est le parti pris de transposer en noir tout ce qu’il a l’habitude de vivre en clair, et réciproquement. L’extrême cohérence du texte fait que l’on peut te suivre en toute quiétude, puisque tu as l’air de savoir où tu vas. Si je comprends bien, sur un thème de Concours dénommé « Terre de Lumière », tu pousses la provocation jusqu’à parler d’une terre où la nuit règne en maîtresse absolue... Cela n’étonnera que ceux qui ne te connaissent pas !


Quelques bricoles :
- « le sol nu et gris dansait au-dessus de moi » : mérite quelques explications
- « je saurai que cela sera le moment » : « ce sera » devrait suffire
- Associable : si c’est exprès, il faut expliquer, parce que c’est pris au sens de « asocial »
- « un concert... déchira.. » : il y a du passé composé partout : alors : « a déchiré »
- « comme à chaque fois » : comme chaque fois
- « au ceux de mes reins » : au creux
- « je suis absent si longtemps » : cette phrase au présent dérange un peu ; l’idée est juste, si l’action décrite perdure au moment où le narrateur raconte, mais il y a peut-être moyen de dire ça autrement
- « il pèle et se désagrège » : idem, incursion du présent dans un texte au passé, et là, moins explicable
- « si obscène » : je pense que « tellement », à l’oreille, passerait mieux que « si »
- « jardin de chasse favori » : si tu crois échapper à la lourdeur de la répétition en disant « je l’ai déjà dit » !! Je suis sûre que tu peux trouver un équivalent, et tu peux même laisser le « je l’ai déjà dit », ce n’en est que plus classe !


J’ai hâte de lire le texte entier ; ce petit avant-goût est tout à fait prometteur...
-
Narwa Roquen, le printemps aussi est en retard...

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-06-25 14:44:24 

 Exercice 74 : Maedhros => CommentaireDétails
Oh, le titre est intriguant. « Qui peut nuire sans ombre protectrice? » : waouh, il m’a fallu deux secondes pour comprendre. Il garde des souvenirs de sa propre naissance ton héros ? Il n’est pas du tout humain alors ?
OK, je suppose que la Terre s’est arrêtée de tourner et qu’il suivait la ligne de démarcation entre la zone de nuit éternelle et de jour éternel. Excellente idée et très poétique. Cet état de fait s’explique-t-il par une catastrophe ? Est-ce un post-apocaplyptique ? Je suppose que ce sera détaillé dans le texte complet.
Tu parles de jardin de chasse mais la zone de nuit ne doit pas abriter le moindre végétal chlorophyllien. Elle doit être quasiment stérile. Original l’emploi du mot nuit pour dire vie quoique certains emplois sonnent un peu trop comme un jeu de mot, ai-je trouvé. Ce la casse un tantinet le côté sérieux du texte.
Jolie description des fleurs, avec un très bon choix de mots. Jolie ambiance mais j’aurais bien aimé des descriptions de paysages noyés d’ombre. Vivement la suite.

Est', en pleine lecture.

PS : je n'ai pas aperçu la consigne mais la nuit, on voit moins bien, il est vrai.

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