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 Répondre à : WA n°83, participation 
De : Narwa Roquen  Ecrire à <a class=sign href=\'../faeriens/?ID=25\'>Narwa Roquen</a>
Date : Lundi 18 octobre 2010 à 00:02:43
A force de bizarreries, j'ai bien peur que le texte ne soit illisible! Il m'aurait fallu au moins un an pour rendre ce langage cohérent. Mais même Tolkien n'a pas inventé l'elfique en trois semaines... Donc pour ceux qui se lasseraient , j'ai ajouté le texte en clair après l'autre...


LE SECRET D’AYGUE-LE-FORT




J’ai le coeur qui chamade comme si j’allais rendez-voir une jolie bonnefille. Il s’agit bien d’amour, mais c’est bien plus profond, c’est de l’aygueamour ! Il n’en sait rien encore. Il dort à fermepoings, son beau visage d’enfant posé sur le brodoreiller, rêvant à un nouvexploit sur le dos de Volcan, le petit baicheval que je lui ai offert pour ses dix ans. J’ai tout orparé. Le flacon, la cuirlanière et aussi, puisqu’il le faut, le poinçon qui va le toujmarquer. Et s’il refusait ? Cela ne s’est jamis produit depuis que le château ayguiste. Mais s’il avait peur ? La vie était plus rudamère de mon ayguetemps, nous étions ayguerris plus tôt, il y avait tant de vifdangers, les brigueurs, les désertants, les comtrivaux de mon père... Le Royaume est bien plus repaisible maintenor. Qui sait si notre douxvivre n’a pas perfaibli la vigueur de son ayguesang ? Hélène m’a jursuré que non, mais une mère n’est-elle pas toujoir amoureuse de son béfils ? Cepende je reconsais qu’elle-même est une femme couraygueuse, et aussi bienvouée au Fort que si elle y était ayguenée. Je l’ai Initiée au Secret, et je n’ai jamis eu à dégretter ce choix. Ma propre mère... Allons, elle repaise loin d’ici et je ne la revurai jamis.
Le clochoi vient de sonner dix coups, le soleil est clos depuis près de deux heures. Il est ayguetemps. Je ne peux m’empriver de sourire. Je me solviens de cette nuit, il y a un peu plus de trente ans, où j’entrai moi aussi, à la fois émerstellé et terrhorré, dans la lignée des Comtes d’Aygue...


Une grande agitescence régnait dans le Château depuis deux jours. Personne n’avait responsé à mes interrogues persistées, si bien qu’au cours du dîner j’avais pris mon couraygue à deux mains pour quesmander à mon père : « Sommes-nous en guerre ? »
Il avait courroncé le sourcil et terminé de mâchevaler à la lente sa bouchée de gigot de chevreuil.
« Tu n’es qu’un enfant. Tu particieras aux affaires du Fort quand l’ ayguetemps sera venu.
- Mais j’ai dix ans !
- Oh le vaille guerrier que voilà ! Il n’a point encore la force de souporter une épée, et il se croit indessentiable ? Finis donc ton assielle et va te liter. »
Je baissai le nez et obéis.
Quand je rebouclai la porte de la mangesalle, Elyette, ma vieille nourrice, qui avait ayguélevé mon père avant moi, était dans le passageoir. Elle desposa un baiser sonneur sur mon front et en m’augurant le bonsommeil elle me glissa à l’écoute d’un ton complami :
« Ne soyez pas impatemps, mon petit Seigneur. L’ayguenfance passe plus vite que vous ne croyez... »
J’eus du mal à m’enssoupir. Deux jours auparave, mon oncle était venu rendre viste à mon père. Les deux hommes s’étaient embouclés dans le bureau du Comte, et en passégeant devant la porte close j’avais entendu des voiséclats. Antoine – le capitaine Dejean -, qui m’avait pourte souvent fait genussauter et s’esforçait encore tous les matins de faire de moi un cavalier accept – m’adressa un regard irroucé qui ne m’encouraygua pas à m’attemper dans le passageoir.
Mais j’étais sûr que cela avait un rapport avec l’effervation subaine qui régnait à Aygue. Avait-il déclamé la guerre à mon père ? Allait-il nous armatrer ? Véritement, j’étais plus jexcité qu’effrouché. Tout l’ayguemonde savait que le Fort était imprisable. Et cet oncle mystétrieux que je n’avais dû croicontrer que trois fois dans ma vie et dont personne ne parlait qu’à contre-envie, surflammait d’autant plus mon imaginier fertoyant de jeune garçon...


« Deboute-toi, Guillaume, et vêtemente. Pas un mot. »
Je m’habitai en trembleurant. Mon père en personne, auprès de moi en nuitpleine, sans la mindre lampelle... Il nous fallait fuir, à la sûre, le Château était envadé, nous étions en vifdanger...
Mais son pas tressonnait fièrement sur les dalles du passageoir, il ne tenchait pas à se cacher. Cepende il me fit pénentrer dans un secretpas, situé au bout de l’aile ouest, celle des genvités, depuis longans déserte. Je le suivis dans un spiralier sombre et rétroit, la main accrippée à la murasse pour ne pas tomber, alors que mes jambes flageoblaient à chaque marche. Il dépoussa une porte et nous entrâmes dans une petite pièce éclafoyée par le seul âtrefeu. Deux silhombres sortirent de la nuit, Antoine, le capitaine de la Garde, et Norbert, l’Intendant. Leur prestence me rassurva un peu.
Mon père se cortourna vers moi, aussi mystétrieux que solennel.
« Guillaume, mon fils, veux-tu entrer dans la grande Lignée des Comtes d’Aygue ? »
Comme, interbloqué, je lontardais à responder, il reprit d’une voix plus douce.
« Si tu accens l’Initiation, je te dévèlerai le secret d’Aygue-le-Fort. Tu en diaviendras le Seigneur après moi. Tu seras toujmarqué du Sceau, comme nous tous. Si tu transfreins le secret en dehors d’une Initiation, le Sceau te tuera. Mais si tu accens l’honneur qui t’est fait, tu persuivras ma tâche et celle de tes ancêtres, et tu n’auras jamis plus peur de la mort. »
Malgré sa voix tendrueuse, mon père était terrifoyant. Antoine et Norbert, cepende, me regardaient en souriant d’un air encourayguant, et je les consavais depuis toujours, j’avais confoition en eux.
« Je... j’accense », bredmurai-je plus pour leur faire plaisheur que par choix déterfléchi.
Les trois hommes ouvrirent leur chemique, m’amontrant le A tatoué au milieu de leur poitraille. Puis mon père plongea une tiglonge de métal dans le feu.
« Tu vas avoir très mal, mon petit. Mais crois-moi, cela en valt la peine. »
L’avertance aurait pu me faire arriérer, mais à l’étrange elle me rendit à la parfaite calme. Je savais que mon père ne m’avait jamis menti.
Je souffletai sous la flambure et malgré moi des larmes m’escalèrent aux yeux, mais je ne brongeai pas. L’odeur de la carne carbonisée – ma carne ! – me donna la vomée, mais les cris joreux des trois hommes me firent tout amnésier.
« Mordedi ! Il est couraygueux !
- De la bonne granole de Comte !
- Je suis fier de toi, Guillaume ! »
Antoine parduisit la flambure d’un balme apaxant et la doule cessa. Mon père noua un cuirlacet autour de mon cou et je sentis sur ma poitraille le poids de la mystétrieuse métalfiole que j’avais entraperçue rarfois chez certains domitants du Fort, mais dont aucun n’avait accepturé de me dévéler la provénition.
« Viens. Maintenor tu peux savoir. »


Nous parmarchâmes un long tunnelier qui s’enchonçait en pente douce sous la terre, dans l’obscurance la plus totale. Et pourtant, j’y voyais à la parfaite. Nous déversâmes sur une immense salle, grande comme un bléchamp, au suffond tellement haut que je me quémandai si ce n’était pas le ciel lui-même qui lui serviçait de voûte. Des hommes, des femmes, des enfants, tous affupés à des tâches differses, s’astoppèrent en me voyant et leurs voix joheuses et vrincères me trappèrent en plein coeur :
« Bienarrivée au petit Maître ! Hourrah ! Vivat ! Vivat !
- Aygue-leFort a un nouveau Comte !
- Vive Guillaume !
- Aygue ne mourra pas !
- Longue vie à Aygue-le-Fort ! »



Je revisai ces gens, sombres dans l’obscurance. Une pâle lueur verte permanait d’eux, et je distinctais à la parfaite les traits de leurs visages. Certains étaient jeunes, d’autres plus vieux, mais ils parblaient tous joreux et serteins. Antoine ne m’ensignait pas que la cavalition ou le manièrement des armes.
« Si tu obserges bien ton antami, si tu arriens à compréhenser ce qu’il pense, tu sauras où le trapper. »
Sans cesse il me forçait à dénumer les expressances, à noter la petite moue de dédis, la crispance de la colère, l’oeil écarloqué de la peur. Mais tous ces gens, que je ne consavais pas...
« Guillaume ! Je suis si fier que tu sois là !
- Gr... grand-père ? »
Malgré moi je surbondis. Je parvussis à me caltrôler pour ne pas arriérer, pour ne pas m’encourir en hurlant. Je cherchai des yeux mon père, et Antoine, joyriants tous les deux. Ils étaient illucés d’une vague refluence bleue, qui baignait à l’égale mes mains et mes vêtes. Je n’osais fordire cette véritence qui était aussi évidentiable qu’inimaginière. Mon père posa la main sur mon espalie, et je lui en sus gré.
« C’est bien cela, Guillaume. Ce sont nos morts. Tous ceux qui avant nous ont accepturé de se bienvouer corps et âme à Aygue-le-Fort. A l’heure de leur trépassage, quelqu’un a versé sur leur poitraille la contention d’une fiole identique à celle que tu portes désormis autour de ton cou. C’est le Secret d’Aygue-le-Fort. La nuit, nos morts quittent leurs sépulteauxs et revaquent dans les grottes du château pour nous ayguer à prégarder sa puissance. Tu vois cette fontaine ? »
J’avais revisé les gens, je n’avais rien vu du décor prodifique qui m’autourait. Nous étions dans une immense salle soussolière rectanglaire. Des pillars de marbre blanc, ronds et massards comme des chênes centageaires, s’adroitaient le long des parois, tels des soldats atrépides. Je fus pris de vortige en les suivant des yeux de bas en haut ; leur verticalité géantesque se muait en ogive harmonique aboutant à une moulure centrière où était sculptée la lettre A. Le suffond, entre les arcades de marbre, était parcouvert d’une mosaïque verte faiblement lucinescente. Au centre de la grotte, à l’afil du faîte, une grande fontaine visageant un cheval cabré disversait une eau limpieuse dans le vasquier rond où vingt hommes auraient pu se bagner. Le marbre sous mes doigts était lissent et brilleur. Je m’attempai à en frôlesser la surfance, ému par une sensité qui jetait le troubloi dans mon corps préhomide. C’était... une ravission, une plaisance à nulle autre pareille, presque un extasir... Et l’eau était fraîche et joheuse, solennelle et famayguière, amicale et mystétrieuse.
Il me parbla que mon père rechangeait un regard complami avec ses compayguons.
« Voilà l’Aygue, la Source qui a appritoyé la mort. La légende dit que le premier Comte qui fit constreindre le Château, Aymeric le Guerrier, était un homme de bien, mais, selon son surdit, il aimait un peu trop s’armattre. Aussi, le jour où le château fut aspiégé par une troupée de barbares venus de l’au-delà des mers, au lieu d’abrister derrière ses hautes murasses, décida-t-il d’aller les affacer au corps à corps. Hélas ! Il fut à la cruelle blessé au côté. On dit que son cheval Ouragan, un splendique étalon blanc, s’ingenouilla près de lui pour qu’il puisse se hauter sur le selloir, et il parvussit à raguider au château le corps de son maître malgonisant. Le jour tombait ; un vent violide s’était levé, forbligeant les ennemis à refuger dans la forêt toutproche. La châtelaine, tenant son fils âgé de dix ans par la main, se fit violure pour descendre sépulter son époux dans la grotte où nous sommes. Tandis que ses serviceurs dépleinaient une tombure à la va-vite, elle gémoyait et se désolatait ; l’enfant, debout près d’elle restait dignant et silencite. Mais tous deux versaient des larmes nombramères sur le cadavre de l’homme qu’ils aimaient le plus en l’ayguemonde. Enhors la tempête rageusait, et les éclairs illuçaient à la lugubre le batachamp où trop d’hommes avaient laissé la vie. Or voilà que le tonnerre plus forgronda, et la terre trembla. Alors, là où Angélique et Thibault avaient versé leurs larmes d’innespoir, jaillita une source vive qui bagna le thorse sans vie d’Aymeric. Et le Comte se leva, nimbé d’une strangère lucité verte, et il dit :
« Ne pleure plus, ma femme bien-aimée, ni toi, mon fils couraygueux : l’Aygue sauvera le château, maintenor et toujoir. Vite, raguidez nos morts et verpandez sur leur poitraille cette eau miraculière. Enpuis nous irons chasser ces malcréants ! »
Et c’est ainsi que delors, la seule souciance des Comtes en cas d’armatre est de tenir jusqu’à la nuit. L’Armée des Anciens est invainciable ! »
Pendant que mon père parlait je revisais cette strangière populance qui s’affairait de toutes parts. Des dizaines de forgistes métamartaient pour des épées, des lames de haches, des flèchepointes ; les femmes et les enfants alimentassaient les forges avec des embrassées de bois. Un petit groupe d’hommes âgés conjonctaient les flèches et les haches, de jeunes garçons rempleinaient les fléchois ou ajustaient la tensure de la corde des arcs.
Je levai les yeux vers mon père.
« Nous sommes en guerre, n’est-ce pas ? »
Cette fois il accensa de me responder.
« Il se peut que ton oncle armatre le Fort. Detoutcas il m’a manaxé, et je l’ai pris au sérial. Je pense que ses troupées seront là aubetemps. Si je devais mourir aujourd’après, Aygue aura un nouveau Comte pour drivier les combattures jusqu’à la nuit. C’est pourquoi je t’ai Initié maintenor. L’Armée des Anciens ne peut se debouter qu’à l’appelance du Comte. »
Les yeux sipleins de larmes, je murmurai :
« Mais pourquoi... mon oncle...
- Gaston est le frère de ta mère, tu le sais. Elle était sa puisoeur, et il l’avait toujours terrhorrée. Un dié, il l’accria auprès de lui et sous ses manaxes, elle laissa escaper une parole aprudente ; depuis, Gaston est consuadé qu’Aygue-le-Fort imbrite un trésor fabulique. Maintenor qu’il s’est ruiné à force de gaspiner son argent en fêtes et en jeux, il voudrait une part de ces richeries.
- Mais ma mère...
- Ta mère était une femme merveillante, mais trop bonne pour resforter à ce frère bruteux et cupidier. Quand elle a réagisé qu’elle en avait trop dit, elle est maladitée, et elle est morte de regords et de chagreur, diciloin.
- C’est... la Marque ? »
Mon père n’était pas un homme sensivif. Pourtant, une grande tristerie marqua à la profonde son visage.
« Je... J’aurais préchoisi ne pas t’en parler. Mais, c’est vérite, tu as le recte de savoir. Je me suis toujoir dit que si je ne l’avais pas Initiée, elle serait encore en vie. J’aimais ta mère, Guillaume. Je voulais tout parchanger avec elle. Et c’est mon amour qui l’a tuée !
- Non ! C’est pourrable son frère qui l’a tuée, mais pas vous ! Vous, vous l’aimiez... »
C’est une drôlance que de surporter son propre père quand on est un enfant. Je sensitai son regard s’apployer sur le mien, plein d’innespoir et de reconnaissure. Sa main asserra la mienne et il pertourna les yeux pour me cacher l’émotiance violurée qui le troublillonnait.


J’eus du mal à somtrouver quand enfin je me rallitai. A serrecoeur, je sensitais la mort rôder dans la nuit et ses ailes glacieuses me frôleter dans une ricanerie silencite.
« Pas mon père, pas mon père ! », rengainai-je mille et une fois pour déjurer le sort. Mais quelque chose en moi savait déjà que la destinance était en avancée.


Les assailleries rengainées durèrent tout le jour. Archers contre archers, pierres catajectées contre seaux d’oléage bouillant, la tensure était instoppante mais Aygue-le Fort tenait.
Je faisais les cent pas devant le cheminier de la grande salle, incapapte de me chaiser ou de rien mâchevaler, tandis qu’Elyette me surgardait en tricotinant silencite. Je mourais d’enviesse de courir sur les remparts mais mon père me l’avait interdicté. Je compréhensais bien que tant que je n’aurais pas de fils ma survivure était indessentiensable à celle du Fort, mais je me rongetais les sangs en regardant par la fenestrie cette journée qui ne se décidurait pas à finir. Soudainpuis une clamance horrorée me broya le coeur. Je me précapitai enhors malgré les glapitements effroissés de ma gardière tricotine. Je grimpai quatre à quatre les spiraliers des remparts, me faujetant entre les jambes des soldats. Mon père était lité, souffletant, sur le rondegarde, une flèche fichée dans le cou. Son visage était crispuré par la doule, mais il poumonait encore. Autour de lui les hommes pierrefiés restaient à ballants-bras. Une nouvecharge s’approdait, plusieurs groupées d’armatrants couvertionnés de leurs boucliers couraient vers le château en souportant des escabelles. Grands Dieux ! Il faisait jour !
D’une voix que je ne me consavais pas, je criai :
« Thomas, Bertrand, transsauvez le Comte dans la grand salle. Et vous autres, vous allez demester longtemps à cornebailler ? Armatez les catajectes, faites rehauter encore de l’oléage, tenez-vous prêts à dépousser les escabelles ! Pour Aygue–le-Fort, vivat !
- Vivat, vivat, vivat ! », hurlèrent les soldats en choeur. »



J’eus le temps de m’ingenouiller pour recueilleter l’ultior soupir de mon père, au moment où le crépuscule s’avenait enfin. Enhors, les antamis se battaient avec moins d’énergance. Ca et là des campfeux s’étaient alluminés, horsportée des flèches du château.
J’étais horsdoute un monstre. Je n’avais même pas larmé en closant les yeux de mon père. Je tembleurais juste un peu en dégraboutant sa chemique, puis je versai la contenition de sa fiole sur la Marque. Aussitôt il se redebouta et me sourit.
« Le Fort est salvé, grâce à toi. Va, maintenor, va chercher notre Armée. Tu es le seul à ce pouvoir. »
Je m’étais précapité dans l’aile ouest, recouvrant sans peine le secretpas. L’Armée des Anciens m’attendait, hommes affilés et graves, leurs armes scintoyantes à la main. Seul reflet bleu dans cette foule verte, je les haranguai :
« A moi, mes braves ! Mon père est mort. Je suis le nouveau Comte d’Aygue et le destort du château est maintenor entre vos mains. Pour Aygue-le-Fort, vivat !
- Vivat, vivat, vivat ! », récria le choeur des Anciens.
Mon grand-père était au rangprime. Ses yeux brilluçaient dans la presquombre ; il me glissa :
« Quel que soit ton désir de vengerie, ne nous suis pas. Tu sais très bien que ce serait un inurisque. Tu dois accomplurer ton devoir. »
Je baissai la tête.


Je crois avoir lu, enfant, tous les légencontes qui parlaient de mondes estrangiers et de créatesses inouïes. Mais la réavité que je vis de mes yeux cette nuit-là démarque en fabulosité toutes les fictiances possibles.
Les trois lunes s’étaient levées. Aglaé, la lune bleue, à l’est, Varlin, la lune jaune, à l’ouest, et au nord Fédora, la lune blanche. Antoine était derrière moi sur les remparts, et je trouvai de prime ridicieuse et pesière la main qu’il posa sur mon espalie. Mais vitôt je réavisai que ce lien humain était le melior rempart pour m’empesquer de bastomber dans la foliesse.
Je les vis jailliter des remparts du Fort, horde silencite et verte de travemurasses affilés en combordre, leurs épées parjetant des éclairs puissinistrants aux clairs de lunes. Horsbruit ils pervestirent l’ antacamp. Je haïssais ces hommes qui avaient fait mortomber tant des nôtres, et qui m’avaient déprivé du seul parent qui me restât. Mais leurs terrhurlements et leurs agocris dans la claire nuit me frissonnèrent et me pâlirent sans qu’aucune joie ne vienne me chaufforter. Ils se battaient à la vaille, mais leurs armes tracoupaient le corps des Anciens sans leur inflixer niune blessure. Quand ils compréhensaient qu’ils étaient perdamnés, certains genutombaient, la plupart restaient figés dans un pétrifiement horroré, jusqu’à ce que leur tête soit détranchée ou leur coeur transfendu. L’assalt fut bref. Il n’y eut pas de survivant. Il n’y en avait jamais eu. Il ne fallait pas qu’il y en eût.
Avant que le jour ne se lève, le sinistre bûchâtre finissait de se consompter, défaçant toute trace de ce qui avait été une armée.


De ce jour, je n’ai plus jamais été un enfant. J’ai fait de mon melior pour évencher toutes sortes de conflarmés, et il m’a été donné de ne plus jamis assister à pareille scènure. Je souris en dépoussant la chambreporte de mon fils. Dans quelques minutes, j’aurai finmissionné, et assugardé la survivure d’Aygue-le-Fort pour une génératiance de plus.
« Deboute-toi, Clément, et vêtemente. Pas un mot. »
L’enfant me regarde, à la fois surprisé et un peu effroré. François, mon Capitaine, et Albert, mon Intendant, nous attendent dans le petit bureau. Qu’importe mon destort à présent, pour Aygue-le-Fort, vivat !


Et voici la version en clair:




Le secret d’Aygue-le-Fort



J’ai le coeur qui chamade comme si j’avais rendez-vous avec une jolie fille. Il s’agit bien d’amour, mais c’est bien plus profond, c’est de l’aygueamour ! Il n’en sait rien encore. Il dort à poings fermés, son beau visage d’enfant posé sur l’oreiller brodé, rêvant à un nouvel exploit sur le dos de Volcan, le petit cheval bai que je lui ai offert pour ses dix ans. J’ai tout préparé. Le flacon, la lanière de cuir et aussi, puisqu’il le faut, le poinçon qui va le marquer pour toujours. Et s’il refusait ? Cela ne s’est jamais produit depuis que le château existe. Mais s’il avait peur ? La vie était plus rude de mon temps, nous étions aguerris plus tôt, il y avait tant de dangers, les brigands, les déserteurs, les Comtes rivaux de mon père... Le Royaume est bien plus paisible maintenant. Qui sait si notre douce vie n’a pas affaibli la vigueur de son sang ? Hélène m’a assuré que non, mais une mère n’est-elle pas toujours amoureuse de son fils ? Cependant je reconnais qu’elle-même est une femme courageuse, et aussi dévouée au Fort que si elle y était née. Je l’ai Initiée au Secret, et je n’ai jamais eu à regretter ce choix. Ma propre mère... Allons, elle repose loin d’ici et je ne la reverrai jamais.
Le clocher vient de sonner dix coups, le soleil est couché depuis près de deux heures. Il est temps. Je ne peux m’empêcher de sourire. Je me souviens de cette nuit, il y a un peu plus de trente ans, où j’entrai moi aussi, à la fois émerveillé et terrifié, dans la lignée des Comtes d’Aygue...


Une grande agitation régnait dans le Château depuis deux jours. Personne n’avait répondu à mes questions insistantes, si bien qu’au cours du dîner j’avais pris mon courage à deux mains pour demander à mon père : « Sommes-nous en guerre ? »
Il avait froncé le sourcil et terminé de mastiquer lentement sa bouchée de gigot de chevreuil.
« Tu n’es qu’un enfant. Tu participeras aux affaires du Fort quand le temps sera venu.
- Mais j’ai dix ans !
- Oh le vaillant guerrier que voilà ! Il n’a point encore la force de soulever une épée, et il se croit indispensable ? Finis donc ton assiette et va te coucher. »
Je baissai le nez et obéis.
Quand je refermai la porte de la salle à manger, Elyette, ma vieille nourrice, qui avait élevé mon père avant moi, était dans le corridor. Elle déposa un baiser sonore sur mon front et en me souhaitant la bonne nuit elle me glissa à l’oreille d’un ton complice :
« Ne soyez pas impatient, mon petit Seigneur. L’enfance passe plus vite que vous ne croyez... »
J’eus du mal à m’endormir. Deux jours auparavant, mon oncle était venu rendre visite à mon père. Les deux hommes s’étaient enfermés dans le bureau du Comte, et en passant devant la porte close j’avais entendu des éclats de voix. Antoine – le capitaine Dejean -, qui m’avait pourtant souvent fait sauter sur ses genoux et s’efforçait encore tous les matins de faire de moi un cavalier acceptable – m’adressa un regard courroucé qui ne m’encouragea pas à m’attarder dans le couloir.
Mais j’étais sûr que cela avait un rapport avec l’effervescence soudaine qui régnait à Aygue. Avait-il déclaré la guerre à mon père ? Allait-il nous attaquer ? En vérité, j’étais plus excité qu’effrayé. Tout le monde savait que le Fort était imprenable. Et cet oncle mystérieux que je n’avais dû croiser que trois fois dans ma vie et dont personne ne parlait qu’à contre-coeur, enflammait d’autant plus mon imagination fertile de jeune garçon...


« Lève-toi, Guillaume, et habille-toi. Pas un mot. »
Je me vêtis en tremblant. Mon père en personne, auprès de moi en pleine nuit, sans la moindre lampe... Il nous fallait fuir, sûrement, le Château était envahi, nous étions en danger...
Mais son pas résonnait fièrement sur les dalles du corridor, il ne cherchait pas à se cacher. Cependant il me fit pénétrer dans un passage secret, situé au bout de l’aile ouest, celle des invités, depuis longtemps déserte. Je le suivis dans un escalier sombre et étroit, la main agrippée à la muraille pour ne pas tomber, alors que mes jambes flageolaient à chaque marche. Il poussa une porte et nous entrâmes dans une pièce éclairée par le seul feu de la cheminée. Deux silhouettes sortirent de l’ombre, Antoine, le capitaine de la Garde, et Norbert, l’Intendant. Leur présence me rassura un peu.
Mon père se tourna vers moi, aussi mystérieux que solennel.
« Guillaume, mon fils, veux-tu entrer dans la grande Lignée des Comtes d’Aygue ? »
Comme, interloqué, je tardais à répondre, il poursuivit d’une voix plus douce.
« Si tu acceptes l’Initiation, je te révèlerai le secret d’Aygue-le-Fort. Tu en deviendras le Seigneur après moi. Tu seras marqué du Sceau, comme nous tous. Si tu enfreins le secret en dehors d’une Initiation, le Sceau te tuera. Mais si tu acceptes l’honneur qui t’est fait, tu poursuivras ma tâche et celle de tes ancêtres, et tu n’auras jamais plus peur de la mort. »
Malgré sa voix affectueuse, mon père était terrifiant. Antoine et Norbert, cependant, me regardaient en souriant d’un air encourageant, et je les connaissais depuis toujours, j’avais confiance en eux.
« Je... j’accepte », bredouillai-je plus pour leur faire plaisir que par choix réfléchi.
Les trois hommes ouvrirent leur chemise, me montrant le A tatoué au milieu de leur poitrine. Puis mon père plongea une longue tige de métal dans le feu.
« Tu vas avoir très mal, mon petit. Mais crois-moi, cela en vaut la peine. »
L’annonce aurait pu me faire reculer, mais étrangement elle me rendit parfaitement calme. Je savais que mon père ne m’avait jamais menti.
Je haletai sous la brûlure et malgré moi des larmes me montèrent aux yeux, mais je ne bronchai pa. L’odeur de la chair carbonisée – ma chair ! – me donna la nausée, mais les cris heureux des trois hommes me firent tout oublier.
« Mordious ! Il est courageux !
- De la bonne graine de Comte !
- Je suis fier de toi, Guillaume ! »
Antoine enduisit la brûlure d’un baume apaisant et la douleur cessa. Mon père noua un lacet de cuir autour de mon cou et je sentis sur ma poitrine le poids de la mystérieuse fiole de métal que j’avais entraperçue parfois chez certains habitants du Fort, mais dont aucun n’avait accepté de me révéler la provenance.
« Viens. Maintenant tu peux savoir. »


Nous parcourûmes un long tunnel qui s’enfonçait en pente douce sous la terre, dans l’obscurité la plus totale. Et pourtant, j’y voyais parfaitement. Nous débouchâmes sur une immense salle, grande comme un champ de blé, au plafond tellement haut que je me demandai si ce n’était pas le ciel lui-même qui lui servait de voûte. Des hommes, des femmes, des enfants, tous occupés à des tâches diverses, s’arrêtèrent net en me voyant et leurs voix joyeuses et sincères me frappèrent en plein coeur :
« Bienvenue au petit Maître ! Hourrah ! Vivat ! Vivat !
- Aygue-le-Fort a un nouveau Comte !
- Vive Guillaume !
- Aygue ne mourra pas !
- Longue vie à Aygue-le-Fort ! »



Je regardai ces gens, sombres dans l’obscurité. Une pâle lueur verte émanait d’eux, et je distinguais parfaitement les traits de leurs visages. Certains étaient jeunes, d’autres plus vieux, mais ils semblaient tous heureux et sereins. Antoine ne m’enseignait pas que l’équitation ou le maniement des armes.
« Si tu observes bien ton ennemi, si tu arrives à savoir ce qu’il pense, tu sauras où le frapper. »
Sans cesse il me forçait à déchiffrer les expressions, à noter la petite moue de dédain, la crispation de la colère, l’oeil écarquillé de la peur. Mais tous ces gens, que je ne connaissais pas...
« Guillaume ! Je suis tellement fier que tu sois là !
- Gr... grand-père ? »
Malgré moi je sursautai. Je réussis à me contrôler pour ne pas reculer, pour ne pas m’enfuir en hurlant. Je cherchai des yeux mon père et Antoine, souriants tous les deux. Ils étaient illuminés d’un vague reflet bleu, qui baignait également mes mains et mes habits. Je n’osais formuler cette vérité qui était aussi évidente qu’inimaginable. Mon père posa la main sur mon épaule, et je lui en sus gré.
« C’est bien cela, Guillaume. Ce sont nos morts. Tous ceux qui avant nous ont accepté de se vouer corps et âme à Aygue-le-Fort. A l’heure de leur trépas, quelqu’un a versé sur leur poitrine le contenu d’une fiole identique à celle que tu portes désormais autour de ton cou. C’est le Secret d’Aygue-le-Fort. La nuit, nos morts quittent leurs sépultures et reviennent dans les grottes du château pour nous aider à préserver sa puissance. Tu vois cette fontaine ? »
J’avais regardé les gens, je n’avais rien vu du décor prodigieux qui m’entourait. Nous étions dans une immense salle souterraine rectangulaire. Des piliers de marbre blanc, ronds et massifs comme des chênes centenaires, s’alignaient le long des parois, tels des soldats intrépides. Je fus pris de vertige en les suivant des yeux de bas en haut ; leur verticalité gigantesque se muait en ogive harmonieuse aboutissant à une moulure centrale où était sculptée la lettre A. Le plafond, entre les arcades de marbre, était recouvert d’une mosaïque verte faiblement luminescente. Au centre de la grotte, à l’aplomb du faîte, une grande fontaine figurant un cheval cabré déversait une eau limpide dans la vasque ronde où vingt hommes auraient pu se baigner. Le marbre sous mes doigts était lisse et brillant. Je m’attardai à en caresser la surface, ému par une sensation qui jetait le trouble dans mon corps impubère. C’était... un ravissement, un plaisir à nul autre pareil, presque une extase... Et l’eau était fraîche et joyeuse, solennelle et familière, amicale et mystérieuse.
Il me sembla que mon père échangeait un regard complice avec ses compagnons.
« Voilà l’Aygue, la Source qui a apprivoisé la mort. La légende dit que le premier Comte qui fit construire le Château, Aymeric le Guerrier, était un homme de bien, mais, comme le dit son surnom, il aimait un peu trop se battre. Aussi, le jour où le château fut assiégé par une armée de barbares venus de l’au-delà des mers, au lieu de rester à l’abri derrière ses hautes murailles, décida-t-il d’aller les affronter au corps à corps. Hélas ! Il fut cruellement blessé au côté. On dit que son cheval Ouragan, un splendide étalon blanc, s’agenouilla près de lui pour qu’il puisse se hisser sur la selle, et il réussit à ramener au château le corps de son maître agonisant. Le jour tombait ; un vent violent s’était levé, obligeant les ennemis à chercher refuge dans la forêt toute proche. La châtelaine, tenant son fils âgé de dix ans par la main, se fit violence pour descendre enterrer son époux dans la grotte où nous sommes. Tandis que ses serviteurs creusaient une tombe à la va-vite, elle gémissait et se désolait ; l’enfant, debout près d’elle restait digne et silencieux. Mais tous deux versaient des larmes nombreuses et amères sur le cadavre de l’homme qu’ils aimaient le plus au monde. Dehors la tempête faisait rage, et les éclairs illuminaient lugubrement le champ de bataille où trop d’hommes avaient laissé la vie. Or voilà que le tonnerre gronda encore plus fort, et la terre trembla. Alors, là où Angélique et Thibault avaient versé leurs larmes de désespoir, jaillit une source vive qui baigna le torse sans vie d’Aymeric. Et le Comte se leva, nimbé d’une étrange lumière verte, et il dit :
« Ne pleure plus, ma femme bien-aimée, ni toi, mon fils courageux : l’Aygue sauvera le château, maintenant et toujours. Vite, ramenez nos morts et répandez sur leur poitrine cette eau miraculeuse. Ensuite nous irons chasser ces mécréants ! »
Et c’est ainsi que depuis, le seul souci des Comtes en cas d’attaque est de tenir jusqu’à la nuit. L’Armée des Anciens est invincible ! »
Pendant que mon père parlait je regardais cette étrange population qui s’affairait de toutes parts. Des dizaines de forgerons martelaient le métal pour en faire des épées, des lames de haches, des pointes de flèches ; les femmes et les enfants alimentaient les forges avec des brassées de bois. Un petit groupe d’hommes âgés assemblaient les flèches et les haches, de jeunes garçons remplissaient les carquois ou ajustaient la tension de la corde des arcs.
Je levai les yeux vers mon père.
« Nous sommes en guerre, n’est-ce pas ? »
Cette fois il accepta de me répondre.
« Il se peut que ton oncle attaque le Fort. En tout cas il m’a menacé, et je l’ai pris au sérieux. Je pense que ses troupes seront là à l’aube. Si je devais mourir demain, Aygue aura un nouveau Comte pour diriger les combats jusqu’à la nuit. C’est pourquoi je t’ai Initié maintenant. L’Armée des Anciens ne peut se lever qu’à l’appel du Comte. »
Les yeux pleins de larmes, je murmurai :
« Mais pourquoi... mon oncle...
- Gaston est le frère de ta mère, tu le sais. Elle était sa cadette, et il l’avait toujours terrifiée. Un jour, il l’appela auprès de lui et sous ses violences, elle laissa échapper une parole imprudente ; depuis, Gaston est persuadé qu’Aygue-le-Fort abrite un trésor fabuleux. Maintenant qu’il s’est ruiné à force de gaspiller son argent en fêtes et en jeux, il voudrait une part de ces richesses.
- Mais ma mère...
- Ta mère était une femme merveilleuse, mais trop bonne pour résister à ce frère brutal et cupide. Quand elle a réalisé qu’elle en avait trop dit, elle est tombée malade, et elle est morte de remords et de chagrin, loin d’ici.
- C’est... la Marque ? »
Mon père n’était pas un homme sensible. Pourtant, une grande tristesse marqua profondément son visage.
« Je... J’aurais préféré ne pas t’en parler. Mais, c’est vrai, tu as le droit de savoir. Je me suis toujours dit que si je ne l’avais pas Initiée, elle serait toujours en vie. J’aimais ta mère, Guillaume. Je voulais tout partager avec elle. Et c’est mon amour qui l’a tuée !
- Non ! C’est peut-être son frère qui l’a tuée, mais pas vous ! Vous, vous l’aimiez... »
C’est une drôle de chose que de porter son propre père quand on est un enfant. Je sentis son regard s’appuyer sur le mien, plein de désespoir et de reconnaissance. Sa main serra la mienne et il détourna les yeux pour me cacher l’émotion violente qui le troublait.


J’eus du mal à trouver le sommeil quand enfin je me rallongeai dans mon lit. Le coeur serré, je sentais la mort rôder dans la nuit et ses ailes glacées me frôler dans un ricanement silencieux.
« Pas mon père, pas mon père ! », répétai-je mille et une fois pour conjurer le sort. Mais quelque chose en moi savait déjà que le destin était en marche.


Les assauts répétés durèrent tout le jour. Archers contre archers, pierres catapultées contre seaux d’huile bouillante, la tension était incessante mais Aygue-le Fort tenait.
Je faisais les cent pas devant la cheminée de la grande salle, incapable de m’asseoir ou de manger une seule bouchée, tandis qu’Elyette me surveillait en tricotant silencieusement. Je mourais d’envie de courir sur les remparts mais mon père me l’avait interdit. Je comprenais bien que tant que je n’aurais pas de fils ma survie était indispensable à celle du Fort, mais je me rongeais les sangs en regardant par la fenêtre cette journée qui ne se décidait pas à finir. Et puis soudain une clameur horrifiée me broya le coeur. Je me précipitai dehors malgré les glapissements effrayés de ma gardienne tricoteuse. Je grimpai quatre à quatre les escaliers des remparts, me faufilant entre les jambes des soldats. Mon père était couché, haletant, sur le chemin de ronde, une flèche fichée dans le cou. Son visage était crispé par la douleur, mais il respirait encore. Autour de lui les hommes pétrifiés restaient les bras ballants. Une nouvelle charge s’approchait, plusieurs groupes de combattants recouverts de leurs boucliers couraient vers le château en portant des échelles. Grands Dieux ! Il faisait jour !
D’une voix que je ne me connaissais pas, je criai :
« Thomas, Bertrand, transportez le Comte dans la grand salle. Et vous autres, vous allez demeurer longtemps à bailler aux corneilles ? Armez les catapultes, faites amener encore de l’huile, tenez-vous prêts à repousser les échelles ! Pour Aygue–le-Fort, vivat !
- Vivat, vivat, vivat ! », hurlèrent les soldats en choeur. »



J’eus le temps de m’agenouiller pour recueillir le dernier soupir de mon père, au moment où le crépuscule s’avançait enfin. Dehors, les ennemis se battaient avec moins d’énergie. Ca et là des feux de camp s’étaient allumés, hors de portée des flèches du château.
J’étais sans doute un monstre. Je n’avais pas versé une larme en fermant les yeux de mon père. Je tremblais juste un peu en dégrafant sa chemise, puis je versai le contenu de sa fiole sur la Marque. Aussitôt il se releva et me sourit.
« Le Fort est sauvé, grâce à toi. Va, maintenant, va chercher notre Armée. Tu es le seul à pouvoir le faire. »
Je me précipitai dans l’aile ouest, retrouvant sans peine le passage secret. L’Armée des Anciens m’attendait, hommes alignés et graves, leurs armes scintillantes à la main. Seul reflet bleu dans cette foule verte, je les haranguai :
« A moi, mes braves ! Mon père est mort. Je suis le nouveau Comte d’Aygue et le sort du château est maintenant entre vos mains. Pour Aygue-le-Fort, vivat !
- Vivat, vivat, vivat ! », répéta le choeur des Anciens.
Mon grand-père était au premier rang. Ses yeux brillaient dans la pénombre ; il me glissa :
« Quel que soit ton désir de vengeance, ne nous suis pas. Tu sais très bien que ce serait un risque inutile. Tu dois accomplir ton devoir. »
Je baissai la tête.


Je crois avoir lu, enfant, tous les contes et légendes qui parlaient de mondes étranges et de créatures inouïes. Mais la réalité que je vis de mes yeux cette nuit-là dépasse en extraordinaire toutes les fictions possibles.
Les trois lunes s’étaient levées. Aglaé, la lune bleue, à l’est, Varlin, la lune jaune, à l’ouest, et au nord Fédora, la lune blanche. Antoine était derrière moi sur les remparts, et je trouvai d’abord ridicule et pesante la main qu’il posa sur mon épaule. Mais bientôt je réalisai que ce lien humain était le meilleur rempart pour m’empêcher de basculer dans la folie.
Je les vis jaillir des remparts du Fort, horde silencieuse et verte de passe-murailles alignés en ordre de combat, leurs épées jetant des éclairs sinistrement puissants aux clairs de lunes. Sans un bruit ils investirent le camp ennemi. Je haïssais ces hommes qui avaient fait tomber tant des nôtres, et qui m’avaient privé du seul parent qui me restât. Mais leurs hurlements de terreur et leurs cris d’agonie dans la claire nuit me firent frissonner et pâlir sans qu’aucune joie ne vienne me réchauffer. Ils se battaient vaillamment, mais leurs armes traversaient le corps des Anciens sans leur infliger aucune blessure. Quand ils comprenaient qu’ils étaient condamnés, certains tombaient à genoux, la plupart restaient figés dans une immobilité horrifiée, jusqu’à ce que leur tête soit emportée ou leur coeur transpercé. L’assaut fut bref. Il n’y eut pas de survivant. Il n’y en avait jamais eu. Il ne fallait pas qu’il y en eût.
Avant que le jour ne se lève, le sinistre bûcher finissait de se consumer, effaçant toute trace de ce qui avait été une armée.


De ce jour, je n’ai plus jamais été un enfant. J’ai fait de mon mieux pour éviter toutes sortes de conflits armés, et il m’a été donné de ne plus jamais assister à pareille scène. Je souris en poussant la porte de la chambre de mon fils. Dans quelques minutes, j’aurai accompli ma mission, et assuré la survie d’Aygue-le-Fort pour une génération de plus.
« Lève-toi, Clément, et habille-toi. Pas un mot. »
L’enfant me regarde, à la fois surpris et un peu effrayé. François, mon Capitaine, et Albert, mon Intendant, nous attendent dans le bureau de l’aile ouest. Qu’importe mon destin à présent, pour Aygue-le-Fort, vivat !
Narwa Roquen,demain je commence les commentaires!

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