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De : Hivernale  Ecrire à <a class=sign href=\'../faeriens/?ID=635\'>Hivernale</a>
Date : Jeudi 25 novembre 2010 à 11:34:07
Trente-et-un octobre


1- Yin

Il avait disparu. Il était clair que ce gamin ne m'apportait que des ennuis depuis que sa mère me l'avait confié. Et même s'il était destiné à devenir un grand sorcier, il était encore adolescent. J'étais convaincu qu'il mettait un point d'honneur à me rendre la vie impossible. Un étrange frisson me parcourut. J'étais persuadé d'avoir oublié quelque chose de capital mais je n'arrivais pas à identifier ce que c'était. Il fallait que je trouve ce qui me dérangeait, je n'étais plus un jouvenceau et cette peur qui planait autour de moi n'était pas habituelle. Je me levai et laissai ma table d'autopsie de côté où une étrange créature récupérée un peu plus tôt dans la soirée gisait. Je la regardai avec pitié, oui c'était vraiment une très étrange créature. Et c'était d'autant plus inhabituel qu'elle se trouvait dans le sous sol lorsque je l'avais trouvée, dans un des t-shirt ridicules du gamin. Je m'approchai de la fenêtre de ma salle de recherche, poussai légèrement le rideau de dentelle noire pour voir ce qui se passait dehors. Immédiatement je compris. Une citrouille ridiculement découpée afin de lui donner un semblant de rictus, trônait sur la fenêtre des voisins. Nous étions le jour d'Halloween. Quelle plaie. Un nouveau frisson. Je devins blanc comme un linge, tout apparaissait comme une évidence, le gamin m'avait désobéi, une fois de plus, mais ce coup-ci je doutais fort qu'il s'en sorte seulement avec une remontrance et mon armoire d'archives de fluides à ranger.

" Pourquoi t'entêtes-tu toujours à me défier ? "

Comment allais-je pouvoir retrouver le gamin ? Il avait dû utiliser un sort de transfert et se perdre dans un monde différent du notre, et ceci le jour d'Halloween, le jour où les morts ressortent de leurs tombeaux. Ce jour avait particulièrement un sens dans les autres mondes où le 31 octobre n'était pas célébré que par des enfants... Certains mondes avaient même la particularité de n'être peuplé que de morts, et Halloween les mettait dans une humeur particulièrement festive. Maudit sois tu Hopinel ! J'étais abattu, désemparé, je posai doucement mon front contre la vitre froide et regardai tous ces gamins dont la seule préoccupation était de ramener le plus de friandises possible ce soir chez eux.

" Comment vas tu faire pour rentrer à la maison, pour lancer le sort inverse sans te faire repérer ? A moins que j'arrive à te rejoindre. "

Je réfléchissais à la façon de procéder quand ma vision s'obscurcit. Je clignai des yeux. Quel était donc encore ce souci ? Je me mis à voir comme à travers un épais brouillard, un brouillard noir d'une densité absolument incroyable. Mon coeur s'accéléra. Des millions de possibilités pour expliquer ce nouveau phénomène arrivèrent à mon esprit dérouté, toutes plus affreuses les unes que les autres. J'essayai d'analyser le plus rapidement possible la situation afin de décider d'une conduite à suivre. Ma condition empira, le brouillard entra par mes narines m'insufflant son odeur de décomposition. Je me mis à pleurer, ce qui en soi était la réaction la plus stupide à avoir, cela affaiblissait encore ma visibilité. Mais je ne pouvais pas m'en empêcher, l'odeur était tellement nauséabonde qu'elle me piquait atrocement les yeux. Ajouté à cela ma peur grandissante et je me retrouvais déversant toute l'eau que mes yeux pouvaient contenir le long de mes joues. Une idée me vint, oui c'était évident, je restais là, le front posé contre ma vitre à pleurer toutes les larmes de mon corps pour retarder le moment inévitable de faire face à la chose qui m'attaquait par derrière, mais la chose qui m'attaquait était le brouillard lui-même. L'envie, le besoin de fuir se fit oppressant. Mon coeur battait toujours aussi vite et le nuage noir qui s'immisçait dans mes poumons était tellement dense que je commençais à forcer douloureusement pour emplir et désemplir d'air ma poitrine. Je posai mes deux mains sur la vitre afin de prendre appui et me retournai lentement. Je cherchais à éviter le combat de tous les moyens possibles et un geste trop brusque pourrait être mal interprété par mon agresseur. Je tremblais de tout mon corps, des perles de sueur coulaient depuis la base de mon cuir chevelu, dégoulinaient le long de mes tempes et venaient se confondre avec mes larmes toujours abondantes sur mes joues. Je compris mon erreur en me retournant. La table d'autopsie était vide.

2- Hopinel

Je m'en voulais terriblement, j'aurais dû écouter ce vieux rabat-joie d'oncle Yin. Je réfléchissais pour faire passer le temps. Je me demandais si dans ma vie, courte mais pourtant déjà bien garnie, je m'étais déjà retrouvé dans une posture aussi inconfortable. La réponse était évidemment non. Que pouvait-il m'arriver de pire qu'être coincé dans la souche d'un arbre pourri, poursuivi par des dizaines de morts-vivants ? Malgré ma situation, et de manière étrange je commençai à me détendre. Avec les hordes de ces affreux zombies qui étaient passées à côté de ma cachette sans me voir, j'acquérais la relative certitude que ma cachette était bonne et qu'on ne me trouverait pas de sitôt. La douleur de mon pied coincé dans une fissure présente au fond de la souche creuse commençait à légèrement s'atténuer, et heureusement car je sentais que je devrais rester un long moment ici. J'observais les zombies autour de moi et de mes premières conclusions, il me semblait qu'ils ne parlaient pas. Ce qui était assez logique quand on observait que la plupart d'entre eux avaient la trachée partiellement ou totalement ouverte sur le reste du monde. Ils se contentaient d'émettre des bruits gutturaux et des gargouillis peu encourageants à la discussion. Il me semblait aussi qu'une certaine hiérarchie se fût mise en place, hiérarchie somme toute assez simple : les plus gros dominaient les plus maigres. Mais une multitude de questions arrivaient à mon esprit : pourquoi n'y avait-il aucune femme parmi les morts ? D'où venaient-ils ? Etaient-ils majoritaires dans le monde où je me trouvais ? Comment se nourrissaient-il ? Cette dernière question commençait à me peser, car le même problème viendrait à se poser pour ma propre personne. Tout ce qui m'entourait était mort, animaux, êtres humains, plantes, cela ne les empêchait pas de bouger ; au contraire, tout ce petit monde cherchait inlassablement à m'attraper depuis déjà le milieu de journée et la nuit commencait à tomber. Même cette petite créature que j'avais rencontré était morte mais pourtant bien active. Elle n'avait pas semblé avoir d'idées malveillantes à mon sujet, ce qui m'avait encouragé à la laisser venir se blottir contre moi dans la souche. J'avais pu l'observer de très près. Elle était étrangement attachante malgré son apparence repoussante et son odeur de putréfaction. Elle avait un tout petit visage de la forme de celui d'une chauve-souris, avec des grandes oreilles, vraiment immenses puisqu'elles pouvaient la recouvrir totalement, la transformant ainsi en une drôle de balle de football américain un peu tordue. Elle possédait un petit corps semblable à celui d'un gros rongeur et elle avait deux pattes minuscules qui lui permettaient de se tenir debout. Mais le plus frappant chez elle étaient ses grands yeux jaunes et les deux énormes trompes qui pendaient depuis le milieu de son ventre. En effet deux longs tuyaux creux s'agitaient devant elle, ils étaient articulés au même titre qu'un bras, et apparemment elle s'en servait pour garder son équilibre. Mais pour ma part, je soupçonnais une utilisation bien moins avouable de ces canaux aussi noirs que le néant qui semblaient partir directement de ses intestins. Je pensai pendant un instant que ces trompes servaient à se nourrir, car je m'étonnais grandement de l'absence de dents dans la bouche de ma colocataire de fortune. Quoiqu'il en soit, elle devait être loin. J'avais utilisé un sort de lien basique sur elle, je pouvais sentir ce qu'elle ressentait, dans une certaine mesure, et "communiquer" avec elle. Nos communications s'étaient limitées à un échange d'images et de séquences de nos vies, c'est ainsi que je lui avais mentalement envoyé une image de mon oncle, de sa maison, de ma chambre. Après quelque temps, elle était partie, elle s'était envolée par dessus ma tête, non pas en utilisant ses oreilles comme j'aurais pu m'y attendre mais simplement en nageant, oui c'est exactement ça : elle semblait nager dans l'air. Quelques instants plus tard elle disparaissait dans un trou noir crée par ses soins. Je ressentis immédiatement qu'elle était arrivée chez mon oncle, je n'en croyais pas mes visions, mais elles ne pouvaient me tromper. Je repris espoir de sortir indemne de ce monde dénué de vie. Je la sentis se blottir contre mon linge encore humide dans la machine à laver. Mais malheureusement la connexion se coupa.
Cela faisait plusieurs heures que je me demandais pourquoi la connexion avait ainsi été interrompue et je maudissais mon ignorance, et mon manque d'entrainement de ce sort. J'espionnais les faits et gestes d'un mort-vivant à travers un tout petit trou dans le bois, pas plus grand qu'une pupille, quand ma vision s'obscurcit. Il faisait déjà nuit depuis longtemps mais une chape de brouillard semblait vouloir se rajouter à la noirceur ambiante. Je regardai aux alentours, notamment le zombie au loin, mais ce brouillard semblait se tenir exclusivement devant mes yeux, ou devrais-je dire dans mes yeux. J'aperçus le dos d'un homme plutôt mince, aux cheveux gris-argent avachi près d'une fenêtre, les mains posées contre la vitre. De la buée s'était formée là où il avait respiré. Il était entièrement baigné dans un nuage de ténèbres, je reconnus instantanément mon oncle avant même qu'il se retourne et ceci malgré les images floues que je recevais. Je pus distinguer sa peur, sentir l'odeur de sa transpiration, et entendre son coeur taper anormalement vite et fort dans sa cage thoracique et tout ceci m'apporta satisfaction. Enfin il allait payer pour les tortures qu'il m'avait subir sur son affreuse table d'opération, enfin...
Je dus me mordre l'intérieur des joues jusqu'au sang pour m'empêcher de crier d'effroi. Je secouai ma tête. L'étrange créature était en train de prendre le pas sur ma propre conscience, et je voyais la salle de recherche de mon oncle à travers ses yeux. Je ressentais sa douleur et sa folie. Je compris ce que mon oncle lui avait fait subir. L'ayant trouvée dans la cave, il l'avait portée jusqu'à la salle de recherche, ou peut être l'avait elle suivi. De là il l'avait ligoté à une planche, ressemblant étrangement à une planche à découper. Il lui avait injecté un produit, la plongeant dans un coma éveillé depuis lequel elle avait pu l'observer lui ouvrir le torse avec un scalpel, faire gigoter ses trompes et ses viscères avec une pince à épiler et tout un tas d'autres choses plus horribles les unes que les autres. Attachée, hébétée, la pauvre bête qui ne pouvait mourir car elle était déjà morte avait dû observer son tortionnaire jouer avec ses organes durant de longues heures. Mais je devais me reprendre, il fallait que j'empêche l'étrange créature de tuer.

3- Yin

Ma situation semblait désespérée, je ne voyais pas comment m'en sortir. Je ne pouvais pas me jeter par la fenêtre et courir dans la rue, il était hors de question que je risque la vie de tous les enfants qui gambadaient dans la rue en quête de bonbons. Je ne voyais pas l'étrange créature, je la cherchai du regard, en vain. Mon armoire de travail se trouvait en face de moi, il fallait juste que je contourne ma table d'autopsie pour y accéder. Elle contenait nombre de choses qui pourraient être utiles dans cette situation. Au cours de mes recherches je m'étais frotté à des fluides aux propriétés extrêmement intéressantes, comme celui permettant de dissoudre toute matière vivante instantanément. La peur me clouait sur place, je cherchais au fond de moi le courage nécessaire pour traverser la pièce. J'étais persuadé que le brouillard sapait mon sens pratique et me paniquait en déroutant tous mes sens. Mes mains étaient moites, mais je sentais de moins en moins l'humidité qui les recouvrait. Je me rendis compte que mon ouïe elle aussi semblait me quitter, les cris des enfants paraissaient de plus en plus étouffés, comme si j'étais à l'intérieur d'un bocal. Ma conscience m'alarmait et me demandait de me dépêcher de me rendre à mon armoire, de fuir cet endroit, de faire quelque chose mais mon corps lui, n'aspirait qu'à se recroqueviller contre le mur. Je sentais mes genoux se plier sans que je leur demande quoique se soit. J'étais entrain de m'avachir par terre sans arriver à me ressaisir. Cela me faisait penser à certains poisons d'animaux venimeux destinés à paralyser totalement leur proie. C'était exactement cela : j'étais une proie. Le brouillard sembla s'éloigner un tout petit peu, du moins me laissait il voir à quelques centimètres devant moi, suffisamment pour observer que le nuage se condensait, se changeait en matière sur ma table de travail. J'étais à présent assis par terre, les jambes repliées, mes yeux dépassaient à peine par dessus mes genoux, juste assez pour voir l'étrange créature se reformer devant moi, intacte. Je ne comprenais pas comment cela était possible. J'avais autopsié cette drôle de bête, et aucun être ne pouvait survivre à un tel traitement, cela n'avait aucun sens. Ses contours restaient malgré tout assez flous, elle semblait vaporeuse et je pensais même pouvoir passer ma main à travers son corps. Elle me souriait. C'était très malsain. Je sentis son dégoût et son désir de meurtre. Elle sauta de la table et vint se camper devant moi. J'aurais pu la toucher si j'avais eu le courage de tendre mon bras, ne serait ce que pour tenter de lui tordre le cou. Nous restions là à nous dévisager. Ses trompes paraissaient essayer de me renifler, elles bougeaient frénétiquement devant son ventre. Elle se mit tout à coup à pencher légèrement la tête comme si elle essayait d'écouter quelque chose, je fis de même mais n'entendis rien. Elle recula. Ses oreilles aux dimensions immenses se déplièrent de derrière son dos et se mirent à onduler, et celle de droite me désigna la porte de la pièce. Je n'osai pas regarder dans la direction qu'elle m'indiquait, persuadé qu'il s'agissait d'un piège et qu'elle attendait que je la lâche des yeux pour me sauter au cou et m'égorger. Elle se mit à gémir doucement. Son comportement était vraiment étrange, son animosité envers moi semblait se dissoudre. Tout cela n'avait aucun sens. J'inspirai un grand coup, et je m'aperçus que cela ne me posait plus aucun problème. Une odeur âcre de décomposition revint à mes narines, je ressentais de nouveau les gouttes de sueur couler le long de mes tempes : l'emprise de l'étrange créature se dissipait. Je me détendis un peu.

- " Grroncle Grriiiine "

Oncle Yin ? Comment cela était il possible ? Etait-ce mon imagination qui me jouait des tours ?

- " Gamin ? C'est toi ? "

La petite créature rabattit son petit menton contre son torse en signe d'acquiescement.

4- Hopinel

Cela était un comble, malgré ma situation je venais de sauver la vie de mon oncle. La communication reprise, j'avais convaincu mon drôle de compagnon de se calmer, et de laisser oncle Yin vivant. Je lui avais en échange trouvé un nom. C'était uniquement ce qu'elle demandait, un peu d'attention. Je soupirai de soulagement. Un léger craquement de bois mort me tira de ma rêverie, je plaquai mon oeil contre ma fissure d'observation et je vis une autre pupille, noire, m'observer depuis l'extérieur de la souche. Je hurlai.

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