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De : Maedhros Date : Samedi 14 mai 2011 à 19:47:03 | ||
VIH... quand tu nous tiens! Une histoire de brume et de séparation, quand les enfants s'envolent hors de nos bras.... AU BOUT DU CONTE Marie émerge lentement de la poche de brouillard. Un brouillard épais et poisseux, moite, qui colle à la peau, qui stagne sur le trottoir. Il fait encore presque nuit dans ce petit matin d’hiver. Marie est une silhouette menue. Son bonnet lacé sous le menton lui donne un air de lutin, de petit faune. Ses joues ont rougi sous la morsure retenue de l’hiver. Il ne fait plus vraiment froid à présent. Juste une sensation de froid. Ni intense ni cruelle. Une fraîcheur différente. Les feux tricolores lui disent bonjour en clignotant en ballet synchronisé pendant qu’elle chemine sous les guirlandes lumineuses qui lui rappellent que c’est bientôt Noël. Elle n’est plus aussi émerveillée que la première fois bien sûr. Le plaisir de la découverte s’est estompé. Mais cela reste beau et attendrissant. Marie ne croît plus au Père Noël. Qui croit en lui de nos jours ? Marie rêve en laissant ses chaussures l’emporter vers l’école. Elles connaissent tellement le chemin qu’elle pourrait presque fermer les yeux. Marie rêve en longeant des murailles grises et fermées. Marie rêve d’un pays lointain, d’un pays de Cocagne où elle pourrait vraiment exister. Où sa vie pourrait être écrite différemment. Loin d’ici. Marie a presque sept ans. Mais elle sait tant de choses qui la font pleurer quelquefois au fond de son lit quand elle a terminé ses prières et après que sa maman l’ait tendrement embrassée une dernière fois. Après qu’elle ait éteint la petite veilleuse. Marie a presque sept ans. L’âge où les enfants perdent peu à peu les douces illusions de la prime enfance. Sept ans. Comme un miroir, il ne faut jamais briser le coeur d’un enfant de cet âge. Sept ans de malheur. L’école est loin alors Marie presse le pas. Elle n’a pas envie d’être en retard. De devoir s’expliquer avec les gorilles qui gardent l’entrée du centre scolaire sécurisé. Elle mourrait de honte et d’effroi. Dans sa classe, Billy un jour n’a plus reparu. Cela faisait la troisième fois qu’il était en retard. Des plus grands ont raconté de terribles histoires dans la cour de récréation, en jouant à leurs jeux violents sous le regard évaluateur des surveillants vêtus de treillis. Des histoires à vous flanquer la chair de poule. Marie a écouté en ouvrant ses grands yeux bleus. Elle s’est arrêtée au beau milieu de sa partie de marelle. Elle est restée à cloche-pied, vacillante, au centre d’une case, son caillou poussé bien plus loin que le paradis. Il faut croire que le paradis n’est pas pour Marie n’est-ce pas? Sur le trottoir d’autres petites silhouettes se dépêchent pour rejoindre le havre de sécurité de l’école. L’aube fait la grasse matinée, prend son temps pour disperser le clair-obscur de cette matinée de décembre. Dimanche, c’est Noël. Pour Marie, cela résonne comme un moment de bonheur avec sa maman. Elles dresseront la table avec la belle nappe blanche, les assiettes en pseudo porcelaine, et les verres à pied achetés en solde. Marie s’occupera des toasts et des bougies qui sentent bon. Et des mille et un autres petits détails. Evidemment, Papa ne sera pas là. Il n’aura pas de permission forcément. Maman lui a expliqué. Pourquoi il n’était jamais présent lors des anniversaires et des autres fêtes. Elle le comprend d’autant plus facilement que les pères de plusieurs de ses amies sont également absents. Partis pour protéger les frontières. Au journal télé régulièrement, les images montrent des villages incendiés, des lourds véhicules chenillés et des soldats aux formes alourdies par leurs équipements. Ils ont plus l’air de machines humanoïdes que d’êtres humains mais c’est pour leur bien. De tels équipements sont nécessaires dans ces contrées hostiles et étranges, aux atmosphères suffocantes. Marie a localisé sur une carte l’endroit où le régiment de son papa est stationné. Son petit doigt a suivi une ligne imaginaire qui relie sa ville à cette autre bourgade dans le sud, au-delà de la mer. Elle a cherché sur la toile des photos mais tout ce qu’elle a obtenu, c’est l’apparition d’un panneau rouge et blanc en plein milieu de l’écran indiquant « ACCES ILLEGAL ». Une ligne de petits caractères défilant au bas de la page avertissait des risques encourus en cas de violation de l’interdiction. En vertu des directives européennes sur la sécurité intérieure, a ânonné Marie. L’Europe. Alors cela doit être important. Elle a questionné sa maman sur le sujet. « C’est une ville ennemie qui abritait des écoterroristes ! » Marie sait ce qu’est un écoterroriste. C’est une notion basique, apprise au cours de sa première année élémentaire après la classe maternelle. Un horrible mot pour des horribles personnes qui veulent envahir son pays, piller ses richesses et imposer leurs lois barbares. « Ils ne sont pas comme nous ! » leur a répété toute l’année l’institutrice, vêtue du treillis réglementaire. Marie rêve donc en marchant vers son école. Les transports scolaires ont une nouvelle fois été suspendus à cause des restrictions énergétiques. Les cars sont cloués au dépôt et le métro souterrain est fermé. L’énergie électrique a sans doute été réquisitionnée pour des besoins prioritaires. Certainement militaires. Tout ce qui est militaire est par définition prioritaire. Marie rêve d’avoir vraiment froid comme dans les histoires que lui raconte sa mère avant d’éteindre la veilleuse. Entraînée par le torrent vagabond de ses pensées, elle se souvient de celle du bonhomme de neige. Celui que les enfants ne voulurent pas voir fondre quand l’hiver toucha à sa fin. Elle avait frémi lorsque les premiers rayons d’un nouveau soleil mordirent la tendre neige qui étincela avant de commencer de goutter tout doucement. Il fondait jour après jour et tous les efforts des enfants pour réparer les dégâts furent vains quand la neige vint à manquer. Elle avait retenu son souffle quand ils essayèrent de sauver le vieux bonhomme de neige qui ne pouvait pas bouger. La carotte à la place du nez, les morceaux de charbon à la place des yeux, la pipe plantée de guingois et le vieux chapeau informe vissé sur le sommet de sa tête toute ronde ne la firent plus sourire du tout. Cela l’avait au contraire rendue triste et attentive. Elle avait respiré quand l’oncle touché par le désespoir de ses neveux, les aida à placer le bonhomme de neige sur la plateforme arrière de sa fourgonnette. Elle s’était finalement endormie après qu’ils l’eurent déposé loin dans le nord, là où l’hiver ne s’endort jamais vraiment. Confusément, le sens de cette histoire l’avait remuée au plus profond d’elle-même. Il y avait des similitudes cachées qu’elle n'était pas parvenue à exprimer. Une leçon de vie qu’elle ne comprenait pas encore mais qui était bien là, derrière d’inoffensifs mots. Une vérité bien plus grave que sa maman avait gardée pour elle. Mais Marie s’était promis qu’elle la découvrirait quand elle serait plus grande. Il y a forcément une raison pour qu’elle se souvienne de cette histoire précisément aujourd’hui. Ce n’est pas la neige. Il n’y a plus de neige. Alors quoi ? Marie fronce les sourcils, sa façon de se concentrer. Mais son attention est distraite quand, précédée par une mugissante sirène, une puissante voiture de police passe en trombe, sa lumière rouge stroboscopique balafrant les façades aveugles. Marie perd le fil de ses pensées. L’école n’est plus très loin. A peine la voiture de police a-t-elle disparu que deux gros fourgons surgissent à leur tour, lancés à sa poursuite. Deux lourds hannetons, noirs et métalliques, noirs munis d’étroits hublots cadenassés derrière d’épais grillages. Des véhicules aux grosses roues, bardés d’antennes filaires et paraboliques avec de gros chiffres peints en blanc sur leurs flancs, gyrophares éteints. Cela pourrait être un attentat ou une scène de violence urbaine. Ou n’importe quoi d’autre. Le convoi semble se diriger vers le centre ville. C’est toujours la même histoire. Là-bas vivent les classes aisées qu’il faut défendre à tout prix. Ici, c’est la banlieue. Les choses n’ont pas la même valeur. Puis la rue recouvre sa tranquillité dans le demi-jour naissant. Cela fait maintenant près d’une heure que Marie a quitté l’appartement où elle vit. Sa maman s’était levée bien avant elle pour lui disposer sur la table les ingrédients de son petit déjeuner avant de partir travailler. Marie avait rempli à moitié le bol d’un lait reconstitué. Elle avait ajouté ensuite de la poudre chocolatée qui s’était agglutinée en gros grumeaux à la surface du lait bouillant. Marie s’était employée à les atomiser à petits coups de cuillère jusqu’à ce que la boisson devienne onctueuse. Elle avait claqué la porte sur l’appartement désert quand l’heure de partir à l’école avait sonné. Marie a presque sept ans. A cet âge, il faut se débrouiller, surtout quand l’argent est compté. Ce n’est pas à cause des impôts. Ils sont réduits à leur plus simple expression de nos jours. Mais à cause de la cherté de tout le reste. Un jour, sa maman lui avait raconté que sa propre mère lui avait confié que, de son temps, les choses étaient différentes. Il y avait des lois qui protégeaient les gens, surtout ceux qui n’étaient pas riches. Des lois protectrices. Des lois justes qui essayaient de répartir équitablement les richesses produites et réduire au mieux les inégalités. Des lois qui étaient faites pour tous. Les lois avaient perdu peu à peu du terrain. A présent, il n’y avait plus que le contrat. Il parait qu’il garantit plus efficacement la liberté. « Où est grand-mère ? » Marie connaît évidemment ce que signifie ce mot. Dans beaucoup d’histoires que lui raconte sa maman, les grands-parents jouent des rôles souvent importants. Elle avait quatre ans quand elle posa cette question. Sa maman avait souri tristement, en faisant un vague geste de la main. « Elle vit dans une grande maison, calme et agréable où on s’occupe bien d’elle. Elle l’a bien mérité ! » « On peut aller la voir ? » « Il faut attendre un peu chérie ! Tu es trop petite. Le voyage est long et cher ! » « Tu as des holos ? » Marie avait découvert une femme pas si âgée que ça, qui souriait en fixant quelque chose qui se situait dans son dos. Sûrement celui qui tenait l'enregistreur, pensa Marie. C’était dans un parc. Il y avait des arbres et des pelouses. Cette femme ressemblait beaucoup à sa maman. Marie s’était rapprochée de la projection holographique. Des yeux rieurs et intelligents qui trahissaient une vivacité d’esprit singulière. Ce que Marie voyait ne correspondait pas à ce qu’elle imaginait en écoutant l’histoire du Petit Chaperon Rouge. Le visage qu’elle scrutait était bien trop jeune, bien trop lisse. Où étaient donc passées les rides ? C’était encore un mystère. « Marie, as-tu vu des personnes aussi vieilles que la grand-mère du conte dans les rues ? » « Non ! » Sa réponse avait fusé. C'était une révélation. Marie n’en avait effectivement jamais croisé. NI en allant à l’école, ni en faisant les courses le samedi, ni dans les rues quand avec sa maman, elle léchait les vitres des boutiques du centre ville sans jamais y entrer. Les articles qu’elles contenaient n’avaient pas d’étiquettes. Quand le prix n’est pas affiché, cela veut simplement dire que c’est trop cher pour vous. Tout le monde sait ça. Les habitants des quartiers périphériques n’avaient pas les moyens. Marie avait réfléchi. Elle n’avait jamais croisé une seule personne dont l’apparence était fidèle à sa représentation mentale de la vieillesse. Les vieilles personnes n’existaient donc que dans son imagination ? « C’est un peu plus compliqué que ça chérie ! Sa mère l’avait doucement embrassée avant de continuer : « Tu comprendras plus tard. Comme moi. Comme tout le monde. Ce n’est pas un secret mais pour les petits enfants si ! » Puis elle avait ouvert le précieux livre de contes et Marie n’y avait plus pensé, toute accaparée par les aventures du Petit Poucet. Sa maman savait parfaitement raconter les histoires, insufflant vie aux personnages, modifiant la tessiture de sa voix pour passer de l’un à l’autre. Marie avait remonté le drap sous son menton en tremblant quand les pauvres parents s’étaient résolus, la mort dans l’âme, à perdre leurs enfants au fond de la forêt. Pauvre Petit Poucet! Elle s’endormit avant la fin de l’histoire et son rêve fut peuplé de cailloux blancs qui flottaient dans le ciel, matérialisant une route qui se perdait droit vers le sud. Elle entreprit de la suivre. Mais ce n’était qu’un rêve et quand elle se réveilla au matin, elle avait tout oublié. Marie est une rêveuse. Or le monde dans lequel elle vit n’est pas fait pour les rêveurs ! Je connais bien Marie. Je l’observe chaque fois qu’elle vient à pied à l’école. Elle grandit. Oh oui ! Elle devient une petite fille adorable. Elle a de grands yeux et son regard est tellement profond. Bien sûr, elle ne me voit pas. Comment le pourrait-elle? Si c’était en mon pouvoir, j’irais là où elle habite. Je monterais la garde au pied de son immeuble toute la nuit s’il le faut, pour empêcher les cauchemars d’effrayer son sommeil. Je jouerais le marchand de sable et de ma flûte, je tirerais les plus belles mélodies pour qu’elle s’endorme en paix. Je ne cherche pas à ce qu’elle me remarque. J’en serais désolé. Je préfère qu’elle ignore tout de moi. Mais je ne peux vivre loin d’elle. Quand je la regarde, je peux deviner ce qu’elle ressent. Son humeur. Son état d’esprit. Je n’ai vu aucun bus scolaire ce matin. Elle ne va donc pas tarder. Ne vous méprenez pas. Je serais capable de mourir pour elle. D’une certaine façon j’aurais dû mourir pour elle. Mais la Mort n’a pas voulu de moi là-bas au-delà du Mur. En revanche, elle a pris tout ce qui était en dessous de ma taille. Tout. Un engin artisanal a explosé sous moi. Les docteurs m’ont rafistolé du mieux qu’ils pouvaient. J’ai survécu pour découvrir qu’aucune prothèse n’était possible. La Mort a été compatissante. Elle a permis que je conserve mes souvenirs et mes yeux. Ensemble, cela ne sert à rien. C’est sans doute une forme d’humour. Je ne l’ai toujours pas comprise. J’ai signé tous les papiers. Grâce à eux, je ne constitue pas une charge pour Marthe. Aucune chance que les huissiers saisissent son maigre salaire pour payer les soins médicaux et tout le reste. Marthe a compris bien sûr. Elle a pleuré mais elle s’est résignée. Pour Marie. Pour elle un peu aussi. Quand elle a signé au bas de la dernière feuille, c’est comme si elle avait tiré un trait sur notre vie d’avant. Quand nous nous aimions. Quand nous étions heureux. Car nous avons été heureux, ça oui ! Jusqu’à ce que mon numéro sorte au tirage mensuel de la loterie militaire. Comme je n’étais pas assez riche pour payer le droit de refuser, je suis parti au front. Signer ces foutus papiers, c’était jurer de ne plus se revoir, ne plus correspondre, disparaître à jamais de la vie de l’autre. C’était ça le deal ! Foutu contrat ! Je suis certain que si j’avais eu du fric, j’aurais pu me payer les services d’un avocat qui l’aurait mieux négocié. Mais j’ai eu droit à un formulaire standard aux clauses pré-remplies à mon désavantage, avalisé par la machine installée dans le greffe du tribunal. J’aurais pu aussi en finir pour de bon. Cela aurait été facile. Quelques pilules à mélanger et à avaler. Mais il y avait Marie. Je n’ai pas trouvé la force de tout lâcher. Aujourd’hui ma vie est un cul-de-sac et je suis las et je me sens si vieux. Bien avant l’âge. Il me reste plus d’un demi-siècle à attendre la Maison du Déclin. Marie aura sept ans à la fin de la semaine. Le jour de Noël. N’est-ce pas merveilleux ? Sept ans, un âge fragile et précieux. Sept ans. Il y a soixante dix ans, j’avais aussi sept ans. Elle va passer sur l’autre trottoir de la rue que bordent les grilles de la résidence pour invalides de guerre. De mon lit, en tournant un peu la tête, je la verrai. La Mort m’a laissé la vue et celle-ci est devenue perçante. Le jour se lève enfin. Une voiture de police traverse mon champ de vision à vive allure, suivie bientôt par deux véhicules de l’avant blindé des troupes de défense de l’intérieur. La voilà, toute de rouge vêtue, son capuchon rabattu sur sa tête. On dirait le petit Chaperon Rouge. Marthe m’avait écrit que Marie adorait les contes. Perrault. Andersen. Et tous les autres. Moi, je suis le pauvre soldat de plomb qui regarde passer sa petite demoiselle. Je ne vois jamais son visage alors je suis obligé de l’imaginer à partir de la dernière photo que Marthe m’a envoyée. Au début c’était frustrant. A présent, je le fais sans effort. Des traits affermis, débarrassés de la mollesse enfantine, plus précis dans leurs contours, avec cette ébauche de féminité encore endormie qui transparaît quand la lumière se fait plus vive, rasante. C’est ma fille. C’est Marie. Elle résume ce que je fus. Car elle n’est rien dans ce que je suis devenu. Elle va bientôt disparaître au coin de la rue. Chaque fois c’est douloureux. Marie, ne grandis pas trop vite ma chérie ! La vie est longue et cruelle pour ceux de notre condition. Tant que tu écouteras ta maman, je vivrai dans les contes qu’elle te lira. Le jour viendra où tu cesseras d’y croire et tu te détourneras de ces histoires, devenue insensible à leur douce magie. Ce jour-là, vois-tu ma chérie, je serai définitivement mort. M Ce message a été lu 7505 fois | ||
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3 Commentaire Maedhros, exercice n°93 - Narwa Roquen (Mer 25 mai 2011 à 22:46) 3 Lundi - z653z (Lun 16 mai 2011 à 14:25) 4 Maedhros 1 - Z653Z 0 (joke!) - Maedhros (Lun 16 mai 2011 à 20:58) |