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 WA, exercice n°95 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 9 juin 2011 à 23:12:43
Allez, un petit exercice ludique après l'effort. Juste une bonne vieille histoire de sorcières, drôle, inquiétante ou mystérieuse, à votre gré. Vous avez trois semaines, jusqu'au jeudi 30 juin. Rien de difficile, à vous simplement d'être un peu original...
Et pour ceux qui n'ont jamais participé, je rappelle que ces exercices sont ouverts à tous, et que la règle est simplissime: vous écrivez, je commente...
Narwa Roquen,back home...


  
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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-06-26 19:55:54 

 WA - Participation exercice n°95Détails
STAND BY ME



Chanson #1

La route s’étendait, large et plate, devant lui. Le long ruban noir, tirant droit au milieu de majestueux paysages montagneux, passait en revue l’alignement monotone des poteaux téléphoniques. Il était impatient. La journée toucherait bientôt à son terme. Déjà la lumière changeait sur l’horizon où s’abaissait le soleil. Il roulait vers l’Ouest, le soleil dans les yeux, comme dans l’une de ses chansons préférées. Sa guitare était placée sur le fauteuil passager. C’était une vieille guitare, une véritable Country Gentleman offerte par Chet Atkinsen en personne il y avait bien longtemps. A l’époque, il se berçait encore d’illusions. L’autoradio diffusait sans discontinuer les tubes chromés de country music. C’est la seule musique valable quand vous circulez sur les routes qui semblent prendre une éternité à mener nulle part. Le conducteur était un homme aux cheveux assez longs. Ils avaient dû être plus noirs que le jais quand il était plus jeune. A présent ils tiraient vers un blanc de neige. Il avait un visage tanné et cuivré par le soleil du sud, aux traits profondément burinés. Un visage noble et serein. Sa bouche était mobile et dans ses yeux, couleur du ciel avant l’orage, se lisaient à la fois une profonde humanité et une volonté implacable. Il avait cette attitude de vieux cow-boy nonchalant et revenu de tout. Ah oui, il se prénommait Kenny.

Il prit la cannette de bière qu’il avait posée sur le vaste tableau de bord. Elle était presque tiède. Pas grave. Dans moins d’heures qu’une main coupée compte de doigts, il serait arrivé à destination. Comme chaque soir. En contemplant le soleil se dilater au-dessus des crêtes de pierre rouge, il pensa que, oui vraiment, le Bon Dieu avait créé les montagnes pour apprendre aux hommes comment les escalader ! Mais sa raison s’empressa de lui souffler qu’il piquait une phrase tirée d’une chanson. C’était vrai comme il était tout aussi vrai que c’était exactement ce qu’il pensait en cet instant. Alors ! La dernière gorgée de bière blonde glissa dans son gosier, lui apportant l’écho affaibli d’un filet de fraîcheur amère. Il balança la cannette vide par-dessus son épaule. Elle rebondit sur la banquette arrière et tomba entre les sièges. La sensation de présence s’était peu à peu délitée. A présent, seules les ultimes volutes évanescentes d’un délicat parfum de violette se percevaient encore. Elles mettaient toujours un peu plus de temps à se dissiper en raison de la moiteur stagnante de l’habitacle que ne parvenaient pas à combattre les vitres baissées au maximum.

Il reposa sa main gauche sur le volant et son pied appuya plus fermement sur la pédale de l’accélérateur. Avec un grognement de réprobation mécanique, le vénérable véhicule rouge vermillon prit de la vitesse, avalant goulûment la ligne jaune qui divisait la route en deux. Il jeta un coup d’oeil dans le rétroviseur intérieur. Hormis la poussière que balayait le Ford, le bitume s’enfuyait derrière lui de façon monotone, aussi désert que si la fin du monde avait déjà eu lieu sans tambours ni trompettes. Comme les vagues d’une marée montante, des voix fredonnaient des refrains aux accents traînants. C’étaient les refrains des chansons qu’il allait interpréter ce soir. Comme tous les soirs. Il sourit rien qu’en y pensant. C’était sa vie. Il ne savait faire que ça de bien. Il sourit mais cessa quand il se surprit à siffloter un autre air connu. Le Diable arrivait en Géorgie. Il grimaça et inconsciemment, il leva le pied.

Il dépassa une station-service pelotonnée au pied d’un énorme réservoir. Elle représentait le premier signe d’activité humaine depuis plus de deux cents kilomètres. Plusieurs véhicules, des tous-terrains en majorité, stationnaient devant. La ville se rapprochait. Le Ford n’avait ni GPS ni aucun autre gadget à la mode. Mais son gros V8 tournait comme une horloge. Il fallait juste ne pas craindre de voir défiler jusqu’à des niveaux affolants, les « gallons » sur l’afficheur de la pompe de super. Kenny s’en moquait. Sa vie était sur cette route qu’il parcourait depuis des années. Il disait à ceux qui l’interrogeaient qu’il y avait toujours quelque chose au-delà de l’horizon. Il disait qu’il ne pouvait s’arrêter car cette chose l’appelait toujours plus loin. Il avait accordé récemment une interview au magazine Country Weekly. Le journaliste était un fan de ses disques. Bien sûr, il lui avait posé des tonnes de questions comme bien d’autres avant lui.

Pourquoi était-il nomade ? Avait-il un secret inavouable qui le condamnait à voyager sans jamais s’arrêter? Ferait-il un jour un vrai disque avec des chansons bien à lui, dans un vrai studio, au lieu de frustrer ses milliers de fans qui devaient se contenter de live ou de bootlegs ? Pourquoi n’interprétait-il que des chansons écrites et chantées par d’autres ? Comment expliquait-il cette renommée extraordinaire auprès du public, ce respect que lui manifestaient unanimement des stars de la scène country telles de Kris Kristofferson, Willie Nelson, Waylon Jennings et plus près de nous, Garth Brooks, Kenny Chesney ou Dixie Chicks? Quel était son véritable âge ? Avait-il eu une femme ou des enfants ? Où était-il né ?

Kenny avait répondu aussi honnêtement que cela lui avait été possible. Il chantait ce que les gens attendaient au plus profond d’eux-mêmes. La musique s’adressait directement aux âmes n’est-ce pas ? La musique Country était la seule musique qui parlait de cette terre qu’il aimait tant. Elle possédait un immense répertoire qui fourmillait de tant de trésors qu’il avait la meilleure part dans l’affaire. Il n’avait qu’à chanter ce que son coeur lui dictait de chanter. Cela n’était pas plus difficile que ça. Le reste arrivait bien sûr mais il n’y était pour rien.

Chanson #2

Les yeux du journaliste brillaient d’excitation pendant qu’il notait les banalités, fourbies depuis des lustres, que Kenny débitait à longueur d’année à ses confrères. Cela participait de sa légende. Et celle-ci croissait au fur et à mesure que les journaux des grandes villes américaines s’emparaient de son histoire incroyable. Pourtant Kenny ne s’inquiétait pas. Il n’ignorait pas qu’une fois le ciel assombri par le crépuscule, les compteurs étaient remis à zéro. Jamais des cohortes de fans hystériques ne le poursuivraient pour lui arracher ses vêtements. Jamais les maisons de disques spécialisées ne l’accableraient de demandes pour signer des contrats mirobolants. Non jamais. C’était dans l’ordre naturel des choses. Il demeurait à l’écart des grandes villes malgré toutes les promesses qui lui avaient été faites. Chanter devant des milliers, des dizaines de milliers de personnes, berk, ce n’était pas pour lui. Recevoir les clés de la cité par le maire, quelle horreur ! Non, il restait dans le pays profond, là où les routes s’enfonçaient au coeur de terres inconnues, à l’écart des autoroutes, où elles devenaient quelques fois des pistes à peine carrossables et mal identifiées sur les cartes. Mais Kenny n’éprouvait aucune difficulté à s’orienter et à trouver son chemin. Car là s’étendait sa vraie patrie. Là vivait son public fidèle. Il ne se perdait jamais car il lui suffisait juste de suivre la route.

Les faubourgs de la petite ville se profilèrent devant lui. Des grappes de bâtiments bas, aux couleurs pâles dans le jour qui déclinait. La route devint rue quand les panneaux publicitaires décidèrent qu’il était temps d’apparaître. Le pick-up longea une zone industrielle, alignement de hangars fermés. Puis les bâtiments devinrent à leur tour plus cossus, mieux entretenus. Il s’engagea dans la rue principale, large et propre, flanquée de boutiques et de bars bardés d’enseignes lumineuses. Kenny se sentit enfin chez lui. Une atmosphère nonchalante et négligée, des hommes et des femmes qui déambulaient sur les trottoirs avec cette allure si caractéristique des gens du Sud, comme s’ils vivaient à moitié dans le présent et à moitié dans un passé rêvé, s’accrochant aux chimères d’une culture anachronique. Des chapeaux de cow-boy et des bottes à haute tige. Oui, Kenny respirait cet air où flottait le parfum entêtant de l’Amérique profonde. Un skinhead adossé à un poteau le regarda passer, le regard vide. Cela le mit mal à l’aise. Kenny remarqua au-dernier moment les écouteurs enfoncés dans les oreilles de l’adolescent puis les rangers noires qui marquaient une cadence rapide. L’élément étranger dans le décor. Kenny fronça les sourcils et soupira longuement. Il ne pouvait pas résoudre tous les problèmes du monde avec sa guitare.

Il dépassa le centre et tourna au carrefour suivant, se fiant à son instinct. Il n’avait pas roulé plus de quelques minutes quand il avisa un petit motel mitoyen d’une concession automobile. Une grande pancarte signalait qu’il n’était pas complet. Le contraire eut été étonnant. Il s’engagea dans l’allée, contourna le corps principal et arrêta son pick-up sur le parking qui faisait face aux chambres du rez-de-chaussée. Il étira ses bras en baillant d’aise. Bientôt il allait pouvoir commencer à vivre. Il caressa l’érable de la table de sa Gretsch. Elle lui parût légèrement plus chaude. La guitare s’éveillait doucement.

Il descendit de son véhicule et gagna l’accueil. Derrière le comptoir, un homme lisait une revue d’automobile, avec « MOTEURS » dans le titre écrit en gros caractères chromés. Quand la clochette de la porte tintinnabula, sans quitter sa revue des yeux, il s’adressa à Kenny :

« Un Ford F-150 de 1975, n’est-ce pas ? Je l’ai reconnu quand il est passé devant le bureau ! Un Super-Cab motorisé par un gros V8 de 6 litres. Bel engin !»
« Oui, une interprétation aujourd’hui disparue du confort sur la route ! » répondit Kenny.

Le réceptionniste leva la tête. Quand il découvrit le visage de son interlocuteur, il resta sans voix, une parfaite incrédulité se peignant sur son visage. Dans la petite bourgade perdue loin des grands axes, il était rare de se retrouver nez-à-nez avec une légende vivante.

« Heu, bredouilla-t-il, vous...vous êtes bien Kenny Stoughton ? L’évidence était juste sous ses yeux mais il ne pouvait s’y résoudre.
« Ouaip... mais appelle-moi juste Kenny, fiston! Il avait l’habitude.
- Vous allez chanter ce soir dans notre ville ?
- N’est-ce pas ce que je suis censé faire ? répondit, amusé, Kenny.
- Je suis un de vos fans monsieur Stoug... heu, je veux dire Kenny! Je viendrai vous voir ! dit le jeune homme, appuyant son propos par de vigoureux hochements de tête.
- Alors je te reconnaitrai tout à l’heure ! Mais avant, je dois me préparer un peu. La route a été longue aujourd’hui ! As-tu une chambre pour la nuit ? répliqua Kenny en lui adressant le sourire à la fois complice et distant qui charmait invariablement son auditoire.
- Bien sûr, répondit le réceptionniste. Il consulta son écran. La double 6. La meilleure disponible. Air conditionné, douche italienne et télévision écran plat avec réception satellite. Cela vous convient? »
- Comme la route? Alors ce sera parfait fiston ! Ah j’allais oublier. Ne me passe aucune communication téléphonique. Sous aucun prétexte. OK?
- Pas de problème Kenny !
- Bien, alors appelle à ce numéro, dit Kenny en lui tendant un bout de papier. Tu leur diras que je suis en ville et que le show débutera à l’heure prévue. Qu’ils préviennent les musiciens. Dernière chose. Passe dans cinq minutes. Tu trouveras devant la porte un sac de voyage contenant des affaires à moi. Fais-les laver, repasser et tout le toutim. Paie le prix et mets-le sur ma note, mais je veux que les affaires propres m’attendent dans la chambre quand je rentrerai après minuit !»

Chanson #3

La chambre 66 était située au premier étage et ressemblait à toutes les autres. Kenny posa deux sacs de voyage près du lit où était déjà couchée sa guitare. Il se dévêtit rapidement et fourra les vêtements qu’il venait de quitter dans l’un des sacs déjà à moitié plein d’autres affaires froissées. Il le déposa comme il l’avait indiqué au réceptionniste puis, après voir suspendu l’affichette « NE PAS DERANGER », il verrouilla la porte. Dans la salle de bain, il se fit couler une douche fumante. Rien de tel après un long voyage.

Quand il fut l'heure, Kenny se leva du lit et enfila sa tenue de scène. Même le plus fin observateur n’aurait pu trouver de réelle différence avec les vêtements qu’il avait donnés à nettoyer. Une chemise de coton bleu ciel avec des surpiqures soulignant le col et les poches pectorales et un jean à la coupe classique. Il fourra ses pieds dans sa vieille paire de bottines texanes. Il passa un peigne paresseux sur sa chevelure et n’oublia pas de coiffer son stetson. Un black hawk. Il se tint devant le miroir. C’était bien lui. Pareil à ce qu’il fût. Pareil à ce qu’il sera. Dans ce pays, rien ne change vraiment. Comme la route. Il était cette route et il était ce pays. Sa voix et sa voie. Il n’avait choisi. Kenny fit un clin d’oeil moqueur à l’image dans le miroir. Celle-ci le suivit quand il tourna les talons pour sortir, sa guitare en bandoulière. Une fraction de seconde plus tard.

Dehors, la nuit s’épaississait au-dessus des toits. Kenny roula peu de temps pour atteindre la salle des fêtes qui avait mis les petits plats dans les grands pour l’accueillir. Il alla se garer derrière le bâtiment, près de l’entrée des livraisons. Là plusieurs musiciens l’attendaient, fébriles et impressionnés. Une bonne demi-douzaine de jeunes recrutés sur place. Kenny leur adressa un salut cordial. Il leur tendit une set-list où figuraient les titres qu’il entendait jouer cette nuit. Une vingtaine de morceaux piochés dans le répertoire actuel et classique. Des tubes certifiés et des chansons plus confidentielles.

« Vous connaissez ? » leur demanda-t-il en les regardant droit dans les yeux.

Ils ne répondirent pas tout de suite, finissant de lire les titres. Quand ils lui répondirent, leurs yeux brillaient. Bien sûr qu’ils pourraient jouer ces titres. Evidemment. Comme d’habitude, pensa Kenny. Il y avait une magie à l’oeuvre durant cette poignée de secondes où une communion intime s’installait entre lui et ses musiciens d’un soir. Seul Kenny savait que leur existence avait pris une toute autre direction. Encore une histoire de route et de carrefour.

« Sans problème, m’sieur ! celui qui avait répondu pour les autres aurait eu du mal à expliquer comment cela était possible.
- Appelle-moi Kenny OK !
- Sans problème Kenny ! » Ils le suivirent confiants. Si leurs parents avaient assisté à cette scène, ils auraient constaté que leurs enfants étaient devenus des adultes.

Un tonnerre d’applaudissement roula sous le plafond de la salle quand il s’avança sur la scène. Les projecteurs de poursuite bondirent sur lui, l’environnant dans un halo de lumière tandis qu’il branchait sa guitare à un ampli. Les musiciens s’installèrent à leur tour et se mirent à accorder leurs instruments. Kenny s’approcha du micro sur pied.

« Bonsoir Oak Springs ! La journée a été merveilleuse. Elle m’a donné envie de chanter pour cette terre. Notre terre où le temps coule différemment qu’ailleurs, où le passé n’a pas été complètement oublié et où les fantômes rôdent encore parmi nous. Pas des fantômes qu’il nous faudrait craindre. Oh non ! Au contraire, des fantômes familiers et amicaux, des images du passé qui illuminent notre présent et le rendent meilleur. Comme le Père des Eaux, ce grand fleuve qui m’a vu grandir et qui charrie le vrai sang de l’Amérique, la route nous relie les uns aux autres et je ne me lasse pas de la suivre. J’ai bien fait car ce soir elle m’a amené jusqu’à vous !»

Une nouvelle salve d’applaudissement ponctua sa petite tirade. Kenny se sentait bien. L’énergie bouillonnait en lui et tout autour de lui. Comme chaque soir. Mais ce soir serait différent de la veille. Ce soir, elle répondrait à son appel. Il avait ressenti l’afflux de cette tension impalpable qui annonçait la rencontre. Une atmosphère particulière, une chaleur au creux de sa colonne vertébrale. L’une d’entre elles vivait ici, dans ce coin perdu de cet Etat poussiéreux. Elle viendrait. Elles ne pouvaient pas résister à son appel. Il tapota sur le micro pour vérifier qu’il marchait toujours. Il s’assit sur le haut tabouret et d’un regard, interrogea les musiciens. Le claviériste hocha la tête en signe d’assentiment. Kenny leva une main. Que la fête commence!

Les premières notes rompirent le silence de cathédrale. La voix chaude et vibrante, à l’accent traînant de Kenny s’éleva, faisant naître une rivière dont les flots dorés enveloppèrent le public.

Les musiciens semblaient connaître la partition sur le bout des doigts. Ils égrenaient sans difficulté les notes languides et sautillantes, formant un écrin fabuleux sur lequel la voix de Kenny se détachait distinctement, puissante et claire, comme un feu au coeur d’une forêt d’été. Le batteur assurait le tempo, le banjo mêlait ses accords pincés aux glissandos d’un violon western. La slide guitare ondoyait entre les lignes aérées des claviers qui tressaient une discrète ambiance. Les musiciens jouaient à l’unisson comme ils ne l’avaient jamais fait avant et comme probablement jamais plus après. La voix de Kenny se posait sans effort sur la mélodie. Personne ne vit les rides s’effacer progressivement sur son visage transfiguré. Il n’avait plus d’âge et son âme était devenue celle de la chanson. Dans sa bouche, les mots ordinaires prenaient une toute autre dimension, s’envolant comme des alouettes dans l’atmosphère recueillie.

« Ce n'est pas juste un drapeau confédéré acheté au centre commercial
C’est un lit de fortune dans une vieille stalle d’écurie
Ou deux enfants piqués à voler une bouteille de vin Boone’s Farm.
Ce n’est pas une casquette John Deere flambant neuve
C’est une chanson de Jimmy Rodgers longtemps oubliée
Ou une crème glacée à la pêche faite maison sur des lèvres desséchées
Voilà ce qu’est la Country ! »


Kenny plaqua les accords rapides et poignants du solo sur les boucles virevoltantes du violon. Il ne s’était pas trompé dans le choix du premier morceau. Voilà, c’était ça la musique qu’il aimait. Elle ne faisait qu’un avec cette terre, leur pays. Quand la dernière note s’évanouit, durant un bref instant, il n’y eut aucun bruit. On aurait entendu le général Lee tousser dans sa tombe. Les musiciens s’entre-regardèrent, étonnés à la fois de leur performance et de la réaction du public. Puis les applaudissements fusèrent. Des sifflets retentirent de toutes parts. Cela dura...dura... comme s’ils avaient voulu que ce moment ne s’arrête pas ! Kenny leur souriait. Il se dressait dans la lumière mais il ne la confisquait pas. Il la leur offrait et elle se déversait droit dans leurs âmes. Oui, ils appartenaient tous au même pays. Pas celui des gratte-ciels et des autoroutes. Pas celui des fédéraux et des surfeurs. Leur pays était libre et sauvage. Cette musique était leur culture, l’essence de leur vie. Elle parlait de champs qui moutonnaient à perte de vue. De grands espaces sans clôture. De chevaux galopant sur les berges d’une rivière, faisant naître des gerbes d’écume sous leurs sabots. C’était des mots simples et de tous les jours mais qui, dans la bouche de Kenny, vibraient d’une force nouvelle et bienveillante. Des mots ordinaires qui dépeignaient ce que leurs yeux voyaient tous les jours et cela leur suffisait, les comblait d’aise.

Kenny avait jeté ses filets. Elle viendrait l’écouter chanter. Comment pourrait-elle faire autrement ? Elle se souviendrait des années enfuies et des liens invisibles qui n’avaient pas été brisés. Elle viendrait pour lui, une flamme noire brûlant sombrement au sein d’une forêt de cierges blancs allumés. Oui. Elle viendra. La route ne pouvait se tromper. Elle serait belle et dangereuse. Tout comme ses soeurs. Belle à damner un saint. Mais il n’était pas un saint. Loin de là. Il restait toujours au seuil des églises et des lieux consacrés, son vieux chapeau à la main, respectueux. Mais il ne pouvait pas entrer.

Il souriait encore quand il accorda sa guitare pour le morceau suivant. Un rythme plus entraînant qu’il interpréta de façon inoubliable. Les garçons derrière lui s’affirmaient de plus en plus, n’hésitant pas à agrémenter la partition de motifs de leur cru mais toujours justes et qui enrichissaient la mélodie. Kenny approuva. Ils jouaient à présent comme un vieux groupe de vétérans habitués à écumer les bars et les tavernes jalonnant la route. Ils jouaient ensemble et dans leurs yeux pétillait une complicité inespérée. Le jeu des projecteurs était sans doute limité et les effets de lumières rudimentaires mais Kenny s’en moquait. Seule comptait la musique. Sa voix envoûtante parlait de choses que seuls les vrais amis peuvent partager et comprendre. Des choses banales, faites de tous petits riens. Elles leur parlaient d’amour et de liberté tranquille, de l’appel de la route et des copains, d’une bière bien frappée ou d’une limonade glacée, une vraie, servie sur le perron d’une maison à colonnade. Rien d’extraordinaire vraiment. Le plaisir d’être chez soi, loin de la vie trépidante et de pouvoir compter sur des amis fidèles. Oui, Kenny chantait tout cela mieux que quiconque car le sang de ce pays coulait librement dans ses veines.

Chanson #4

Les chansons succédaient aux chansons. La nuit avançait et la ferveur grandissait. Kenny essuya son visage avec une serviette. Cela faisait près d’une heure qu’il avait entamé sa prestation. Oh, il n’était pas le moins du monde fatigué. Pas plus que les jeunots qui l’accompagnaient. Ses doigts avaient retrouvé toute leur agilité sur des morceaux purs chicken picking, épatant les petits jeunes ! Il introduisit la chanson suivante :

« La vie est faite de tous petits moments merveilleux qu’il faut apprécier à chaque seconde car ils sont si éphémères qu’une vie entière peut passer avant que l’on se rende compte à quel point ils ont été importants. Alors regardez-le ou regardez-la, et dites-lui combien vous l’aimez ! »

C’est à cet instant qu’il la vit. Elle était là, au fond de la salle bien sûr. Elle ne le quittait pas des yeux. Il la vit distinctement malgré la distance, la pénombre et la foule. C’était bien elle. Elle ressemblait à sa mère lointaine. Pris séparément, elle avait peut-être le front moins haut, le nez plus « sudiste » mais cette façon dont les lignes se rejoignaient au coin de ses yeux appartenait bien à sa mère. Aucune chance de se tromper. Le vieux sang avait irrigué le tissu de ce pays plus profondément que les Pères l’avaient imaginé. Kenny avait sillonné la route depuis longtemps et elle n’avait jamais menti. Les sorcières avaient survécu et s’étaient multipliées, trouvant un terreau fertile dans ce pays ralenti et chaleureux, où les vieilles légendes n’ont jamais été tout à fait oubliées. La route suivait leurs traces et Kenny suivait la route qui le menait à elles. Cela faisait plus de trois cents ans. Plus de trois siècles que les Pères avaient tenté d’éradiquer leurs ancêtres, bien plus au nord. La justice des hommes n’avait pas été capable de se montrer inflexible, reculant devant l’obstacle. La faute à ce maudit pasteur, Increase Mather, dont l’âme avait été corrompue. Ce maudit pasteur qui avait convaincu le gouverneur, sir William Phips, qu’il fallait suspendre le juste châtiment de Dieu alors même qu’elles étaient toutes à leur merci. Il aurait suffi de serrer un peu plus fort le poing et les remettre au bourreau qui attendait au sommet de la colline du gibet. A présent, c’était comme se battre contre le vent. C’était d’ailleurs ce que chantait Kenny :

“Les années ont lentement passé
Et je me suis retrouvé seul
Entouré d’étrangers que j’ai pris pour mes amis
Je me suis trouvé si loin de chez moi
Que j’ai compris que je m’étais égaré
Il y avait tant de routes différentes !
Je vivais pour courir et je courais pour vivre ! “


Le concert était magique. Vraiment. Tous ceux qui y assistèrent, comprirent bien après qu’ils avaient eu le privilège rare de partager un moment juste extraordinaire, un petit bout d’éternité. Une perspective ouverte sur de vertes et indolentes prairies. Bien sûr, ils avaient entendu mille fois ce que chantait Kenny. Par des artistes talentueux et respectables. Mais l’interprétation de Kenny sublimait les textes et envoutait la musique. Si chaque mélodie était reconnaissable dès la première note, le jeu des musiciens en décuplait la charge émotionnelle. Comment auraient-ils su que tous ces efforts étaient consentis dans un seul but. C’était l’unique moyen d’attirer la sorcière. Ensorceler l’ensorceleuse. A ce jeu, Kenny était sans doute le meilleur dans cette partie du pays. Dans le Sud. Là où les traditions séculaires des amérindiens et les rites vaudous importés des Antilles s’étaient intimement mélangés au culte s_a_t_a_n_i_q_u_e venu d’Europe avec les premiers colons. Les sorcières avaient acquis un pouvoir subtil et secret, nourrissant leur faim des plus ignobles façons.

Elle était assise sans bouger, les bras croisés sur un corsage délacé laissant deviner la naissance d’une gorge. Elle pouvait être aussi bien l’institutrice rougissante de la maternelle du comté que l’infirmière libérale saluée par tous. Ou encore la fille de la boutique d’une ruelle obscure qui vendait le type de jouet qui n’était jamais placé dans un soulier sous le sapin de Noël. Elle pouvait être n’importe quelle femme de la bourgade et cela rendait les choses délicieuses pour Kenny. Toutes les sorcières avaient deux points en commun. Elles n’étaient jamais mariées car leur époux ténébreux aurait été jaloux. Excessivement jaloux. Mortellement jaloux. Le second point qu’elles partageaient était leur côté attirant. Elles étaient toutes attirantes aux yeux de Kenny. C’est pourquoi il les aimait toutes et qu’il les lui fallait toutes. Car c’était sa nature. Ce pour quoi il avait été créé.

Chanson #5

Il lui adressa un demi-sourire tandis que les premières mesures de la dernière chanson s’élevaient dans une ambiance survoltée. Des notes fragiles de piano qui précédèrent un mid-tempo empruntant sans doute plus à la pop qu’à la country mais Kenny avait choisi exactement ce qu’il fallait pour terminer son ouvrage. C’était un tube à la mode qu’il avait entendu récemment. Un titre illustrant parfaitement l’instant qui allait survenir. La choriste féminine s’approcha du micro et sa voix , légèrement rauque, emplit le temple qu’était devenue la petite salle des fêtes. Un temple où se dénouait un drame vieux de plus de trois cents ans. La sorcière écouta avec une ferveur toute damnée quand Kenny se joignit à la choriste, sa voix plus grave et plus profonde que l’interprète original. Mais nul ne s’en plaignit. C’était la force de Kenny, son talent incroyable, sa façon d’investir et de faire siens des mots écrits par et pour d’autres, leur donner une toute autre signification. Une toute autre justification. Audible par tous mais compréhensible par une seule. La sorcière. Les deux voix chantaient les mêmes mots. La douleur de la séparation. Cela n’avait pas de genre. Ni masculin ni féminin. Ni ange ni démon.

Il est plus d’une heure du matin
Je suis tout seul
Et j’ai besoin de toi maintenant
Je m’étais promis de ne pas appeler
Mais c’était plus fort que moi
Car j’ai besoin de toi si fort
Et je ne sais pas comment je ferais autrement
J’ai juste besoin de toi
Et je me demande s'il t'arrive de penser à moi
Moi, je pense sans cesse à toi !


Kenny avait envie d’un bon verre d’alcool mais il résista. La choriste était hypnotisée, habitée par un sentiment qui dépassait son entendement. A cet instant, elle aurait suivi Kenny au bout du monde. Cette pulsion l’obsédait pendant qu’elle chantait et, perdue entre les lignes mélodiques entrecroisées, son monde se résuma à croire en ce qu’elle disait. Ses yeux plus brillants qu’ils l’auraient dû, sa poitrine frémissante d’une douceur qui la faisait chavirer. Mais Kenny ne pouvait rien pour elle. Elle ne faisait pas partie du jeu. Elle n’était qu’un instrument nécessaire au charme qu’il avait élaboré cette nuit et étendu sur la petite ville. Les projecteurs firent un dernier ballet, aveuglant momentanément Kenny. Un dernier accord et la musique se tut. Les néons remplacèrent les projecteurs multicolores et la salle recouvra son aspect habituel. Les applaudissements étaient assourdissants. Kenny leva la guitare pour saluer le public qui s’était levé. Les musiciens étaient aussi essoufflés que s’ils avaient couru un marathon. Ils s’auto-congratulaient en se frappant dans les mains, examinant leurs instruments comme s’ils avaient du mal à croire qu’ils avaient été les artisans d’une telle perfection musicale. Kenny chercha du regard au fond de la salle. La place occupée par la sorcière était vide.

Kenny signa de nombreux autographes. C’était comme ça chaque soir. Le Roi Caché de la Country ne décevait pas. Dans la loge, il changea de chemise et avala un grand verre de bourbon. Il remercia chaleureusement ses musiciens d’un soir qui n’en revenaient toujours pas. Il essuya sa guitare, vérifiant les cordes une à une. Il mit dans la poche l’enveloppe que lui tendit l’organisateur sans prendre la peine d’en vérifier le contenu. C’était le juste prix quelle que soit l’épaisseur de la liasse de billets verts. Cela lui permettrait de rallier la prochaine ville. Demain. Payer la chambre du motel, payer l’essence pour son pick-up, payer la nourriture et quelques extras. Le reste, il le donnerait à une oeuvre caritative comme d’habitude. Il n’était pas venu au monde pour faire fortune. Il n’avait jamais regretté le bon vieux temps avec ses dollars en or. Il regrettait juste ne plus pouvoir sentir entre ses cuisses les flancs d’un mustang, fier et intelligent, fort et résistant. Ne plus sentir au creux de ses reins le martèlement régulier des sabots sur la piste.

Il sortit. L’air de la nuit était frais et embaumait des parfums que l’on ne respire nulle part ailleurs. Des parfums nés dans le désert qui se gorgeaient de saveurs en passant sur les plantations d’agrumes. Kenny respira profondément. Il se sentait vraiment bien. Les étoiles brillaient dans le ciel sans nuage et l’air était tellement pur et transparent qu’il semblait que toute la voute céleste miroitait au-dessus de sa tête. Des milliards d’étoiles enroulées en milliards de couronnes. Les armées célestes. Ses amies. Là où il avait été conçu et là où il repartirait quand il aurait fini son travail. Quand il aurait été jusqu’au bout de la route. Il retrouverait sa place parmi le choeur infini et éternel. Il chanterait à nouveau avec tous les autres. Il n’éprouvait pourtant aucune impatience car il les aimait toutes. Ni nostalgie, ni tristesse. Quoi de plus noble que de parcourir la route ?

Quand il ouvrit la portière, le plafonnier éclaira l’habitacle. Il ne s’étonna pas de la découvrir assise, bien droite, sur la banquette arrière. Un parfum de violette l’accueillit aussi, un parfum de violette léger et soyeux, pas du tout ce parfum entêtant dont les dames patronnesses d’un certain âge s’obstinent à s’asperger copieusement. Non, un parfum troublant et suggestif. Kenny s’assit au volant et tourna la clé de contact. Il orienta le rétroviseur intérieur jusqu’à ce que le visage de la sorcière y apparaisse. Alors il claqua la portière. Quand le Ford démarra, il sembla fugitivement que deux créatures étrangères à ce monde l’occupaient. Mais c’était sans doute une illusion d’optique due aux ombres dansantes qui modelaient différemment les formes et les corps.

Ils n’échangèrent aucun mot tout le temps que dura le trajet. La sorcière ne cilla pas une seule fois et aucun muscle de son visage ne tressaillit. Kenny n’alluma pas l’autoradio. Le charme était ténu et une action irréfléchie pouvait le rompre irrémédiablement, libérant des forces obscures et brutales. Il devait respecter le rite. Ne pas en dévier d’un millimètre. La violette avait conquis l’atmosphère. Bientôt Kenny stoppa sur le parking du motel. Il descendit sans faire attention à sa passagère. Mais quand il s’éloigna du véhicule, elle se faufila derrière lui. Il l’ignora et gravit l’escalier pour parvenir sur le couloir extérieur. Il s’arrêta devant la chambre 66. Il ouvrit la porte et alluma la petite lampe du bureau. La sorcière l’attendait, debout près du lit.

« Bonsoir, je m’appelle Kenny ! dit-il en posant sa guitare et son stetson sur le fauteuil de cuir.
- Je connais ton nom. Je m’appelle Abigail ! répondit la sorcière. Elle entreprit de se dévêtir, délaçant son corsage de coton blanc.
- Attends ! La voix de Kenny était douce. Attends un peu.
-Tu ne m’aimes donc pas ? Souffla Abigail interrompant son geste, les doigts posés sur le dernier lacet.
- Bien sûr que si ! Se défendit Kenny en s’approchant d’elle. La musique ne peut mentir n’est-ce pas ? Mais laisse-moi te contempler un peu, s’il te plaît ! Tu veux bien... Abigail ? »

Abigail retomba dans un mutisme immobile. Kenny put admirer son visage pâle et lumineux, encadré par de longs cheveux sombres aux reflets moirés. Elle avait des yeux myosotis qui semblaient regarder bien au-delà du réel. Des pupilles où se devinait un immense pouvoir assoupi. Kenny dansait sur le volcan. Un seul mauvais pas et il réveillerait le monstre. Ses plans seraient contrariés et son départ retardé, l’obligeant à demeurer un jour supplémentaire dans la bourgade. Un jour supplémentaire sur ce monde. Un jour supplémentaire loin du choeur céleste. Kenny n’avait jamais failli. Il ne commencerait pas aujourd’hui. Il se souvint des tertres près des berges du Père des Eaux. En dessous reposaient ses frères. Plus que leurs corps, desséchés et recourbés, l’essence même de leur être, était retenue prisonnière dans le limon fertile des eaux stagnantes où les grands joncs pleurent silencieusement. Ses frères infortunés ne rejoindraient jamais le choeur où leur absence égratignait la pureté absolue du chant des étoiles.

Abigail n’était pas aussi grande que lui mais peu s’en fallait. Elle semblait avoir atteint cet âge où la femme paraît encore plus belle que le jour précédent. Quand il la regardait, Kenny voyait une autre femme debout devant ses juges. Une femme rebelle et forte. Une femme vêtue de méchants habits de toile rêche, qui toisait son juge et le défiait de la condamner à la pendaison. Une femme sûre de son pouvoir sur les hommes, un pouvoir conféré par le Seigneur de l’Ombre, un pouvoir qui subjuguait et aliénait. Un pouvoir qui corrompait les âmes pures et les précipitait dans le brasier de la concupiscence et de l’animalité. Un pouvoir tiré d’accouplements contre-nature au plus profond des forêts inhospitalières. Au centre d’un cercle de feu magique où un passage avait été ouvert sur le monde souterrain. Mais Kenny ne pouvait s’empêcher d’admirer la courbe parfaite de ses lèvres et de ses joues, ,ussi tendres que des fruits à point. Kenny admirait ses épaules rondes et sensuelles et sa poitrine ferme et opulente. Oui. Kenny était amoureux. Comme chaque fois que l’une se révélait, depuis plus de trois siècles. Il tendit un bras vers elle et le charme opéra à nouveau. Elle vint se blottir contre lui, son parfum l’enveloppa complètement. Il aimait tellement la violette. Ils basculèrent sur le lit.

Ils s’aimèrent, réinventant une histoire mille fois racontée. Elle était tout pour lui en cet instant. Elle se plia à ses désirs et il sentit une infime partie d’immortalité palpiter en lui. Lors d’un court instant de répit dans leurs jeux amoureux, il l’embrassa juste au-dessous de son nombril, elle qui n’était pas née du désir d'un homme. Elle lui parla d’une voix blanche où filtrait une humanité distante et hésitante, cherchant le moyen de s’affranchir de son joug infernal. Une voix de petite fille, celle qu’elle était restée quelque part entre sa naissance et sa révélation. Une petite fille qui croyait toujours aux belles choses et au soleil nouveau. Une petite fille innocente, prisonnière d’un corps possédé. Son destin avait été écrit il y a trois siècles quand une autre jeune femme, qui portait son prénom et dont les veines charriaient le même sang, avait réchappé au jugement des hommes et s’était enfuie du Massachussetts. C’était une sorcière qui avait juré sur la croix renversée de mettre tout en oeuvre pour venger ses soeurs du mal qui leur avait été causé. Elle avait sacrifié ce que demandait son amant et de ses mains, rougies par le sang, elle avait scellé un terrible serment. Puis elle avait suivi la route qui partait vers le Sud.

« Pourquoi faut-il que la nuit finisse ? dit-elle. Pourquoi as-tu tant tardé ?
- J’ai suivi la route, ses tours et ses détours. J’ai suivi l’ordre des choses. Tu m’as attendu et c’est tout ce qui importe, Abigail. Il fallait que cela soit cette nuit. Plus tôt aurait été prématuré, plus tard, cela aurait été inutile! »

La lune déversait sa clarté à travers la fenêtre ouverte. Une grosse lune ronde et lumineuse qui emplissait presque tout le ciel. Une nuit magique et propice. Kenny roula sur le côté et s’assit au bord du lit, la tête baissée. Abigail se coula contre son dos, l’enserrant de ses tendres bras.

« J’aurais tant aimé voir le soleil se lever. Le voir de mes propres yeux. J’ai l’impression d’avoir rêvé ma vie et quand j’y repense, là, maintenant, j’ai l’impression que mes souvenirs s’évanouissent sans que je puisse les retenir !
- Ne résiste pas, Abigail. C’est le Temps qui se venge. Il essaie de rattraper les heures que tu lui as dérobées. Les incantations ne sont que des boucles de temps singulières. Ton Maître t’a enseigné les arts noirs et maléfiques mais il ne t’a pas expliqué leur véritable origine. Tout n’est qu’une question de temps. De temps et d’harmoniques, car il existe une portée universelle où tous nos actes ne sont que des notes, blanches ou noires, accrochées à différentes hauteurs et où le Temps n’est que silences, plus ou moins grands!
- Je vais mourir n’est-ce pas ? Je ne survivrai pas à l’aurore. Ma mère m’avait dit que tu viendrais. Que tu viendrais avec le crépuscule. Tu es la Mort ?
- Non, Abigail. Je ne suis pas la Mort. La Mort ne peut pas aimer. La Mort n’est qu’un mythe humain. Seule existe l’entropie.
- Ma mère tenait cela de la sienne et celle-ci de la sienne encore. Seul ton nom m’était caché mais quand tu as commencé à chanter, je n’ai pu me soustraire à ton appel. Cela aussi ma mère me l’avait révélé. Elle te craignait. Elle disait que tu étais le Fléau, l’instrument façonné par ceux qui veulent notre perte. Ceux qui veulent effacer toute trace de l’ancien monde.
- Abigail, je ne désire que ce que j’aime. Si je suis ici, c’est pour toi. Je suis né pour t’aimer et tu viendras avec moi de ton plein gré comme toutes tes soeurs. Vous êtes plus nombreuses que les coquelicots dans un pré au mois d’avril.
- Alors aime-moi encore une fois ! »

Chanson #6

Elle le tira en arrière et l’embrassa violemment, faisant appel à tous les artifices qui lui avaient permis de subjuguer les hommes du comté. Il répondit à ses ardeurs. La lumière qui entrait par la fenêtre se mut en pluie d’étoiles filantes. Ils furent bientôt enveloppés de nuées scintillantes, les draps claquants follement autour d’eux. Un chat bondit souplement sur le rebord de la fenêtre. Dans ses yeux mordorés se refléta l’étreinte de deux créatures ailées, l’une sombre et huileuse, l’autre pâle et luminescente, aux proportions inhumaines. Le chat cracha furieusement dans leur direction, poils hérissés et griffes sorties. Le Temps lui-même recula, abandonnant encore quelques secondes.

Ils s’effondrèrent enfin sur le lit, en sueur et satisfaits. Abigail mit sa main sur son aine. Elle lui demanda :

« Verrai-je mes soeurs ?
- Oui. Où je suis, elles sont.
- Qu’adviendra-t-il de moi ?
- Que dirais-tu d’une chanson ?
-Une chanson ?
- Oui, tu ne peux imaginer tout ce que peux contenir une chanson !
- Toujours la même?
-Non bien sûr! Les chansons meurent quand elles sont oubliées. Toi, tu vivras à jamais car je chanterai toujours les chansons que j’aime !
- Regarde, dit-elle, la nuit se fait déjà moins profonde. Le Temps se rappelle à nous. L’aube va bientôt arriver. En cette saison les nuits sont courtes hélas ! Pourquoi n’es-tu pas venu au solstice d’hiver ? Nous aurions eu plus de temps pour nous aimer !
- Il nous en reste encore suffisamment! répondit Kenny en embrassant ses seins érigés. Tu es magnifique ! »

Ils firent l’amour une toute dernière fois. Intensément.

L’aube les trouva endormis. Kenny ouvrit un oeil. Abigail avait la tête tournée de l’autre côté. Elle ne bougea pas. Il se leva et sans faire de bruit, se vêtit et sortit de la chambre le plus discrètement possible, ses bagages à la main et sa guitare en bandoulière. Il rangea les sacs dans le coffre du pick-up et posa sa guitare sur le siège passager. Puis il se dirigea vers l’accueil. Le garçon sommeillait encore au fond de son fauteuil. Kenny fit un simple geste de la main, dessinant une clé invisible qui s’inséra dans la portée locale. Jim se réveilla en cet instant. Il se frotta les yeux et découvrant Kenny, secoua la tête.

« Déjà levé Kenny ? Pas du genre à faire la grasse matinée non ?
- L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt dit le proverbe ! Une longue route m’attend encore. Peux-tu s’il te plaît me préparer la note ?
- Tout de suite Kenny ! répondit Jim, en pianotant sur son clavier. L’imprimante éjecta une feuille de papier. Il s’en saisit. Voilà, cela vous fera.... Cent quarante dollars. Vous êtes sûr de vouloir partir ?
-La route m’appelle fiston ! Au revoir ! Kenny se retourna pour sortir puis, comme s’il se rappelait quelque chose d’important, il se ravisa et se pencha au-dessus du comptoir.
-Dans ma chambre, il y a une jeune femme. Laisse-la dormir tant qu’elle le voudra. Ne la dérange surtout pas. Passe le mot aux femmes de chambre! Tiens, voilà deux billets pour les frais supplémentaires. On est d’accord ? Kenny glissa deux Benjamin Franklin sur le comptoir.
-Bien sûr Kenny ! Je la laisse dormir comme la belle au bois dormant !
- C’est ça ! Dis-toi qu’elle attend son prince charmant ! Et ne joue pas à Shrek ! Kenny appuya son propos d’un autre geste aérien. Jim ferait exactement ce qu’il s’était engagé à faire. C’était juste une question de temps et d’harmonique. Cette fois-ci c’est dit ! Au revoir fiston ! »

Mais dans sa bouche, cet au revoir sonnait comme un adieu. Kenny n’était jamais passé une seconde fois au même endroit.

Il s’assit au volant et jeta un dernier coup d’oeil dans le rétroviseur extérieur. Le motel était encore silencieux. Lentement le pick-up regagna la route. Là, Kenny appuya sur l’accélérateur et alluma l’autoradio. La station diffusait un standard interprété par Mickey Gilley. De la bonne musique ! Kenny était content. Son corps avait exulté. Il respirait avec avidité la violette qui embaumait l’habitacle. Il leva les yeux sur le rétroviseur intérieur. Il y avait une forme impalpable assise sur la banquette arrière. Une forme féminine. Une forme ailée. Des yeux myosotis où se lisait un amour infini. Il lui adressa un baiser léger et commença à siffloter un autre refrain. La route était encore longue.

M

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z653z  Ecrire à z653z

2011-06-28 13:36:22 

 Des cailloux pour le petit poucetDétails
Le texte est très long. La deuxième référence (la première étant à la fin du deuxième paragraphe) à la sorcière n'apparait qu'au tiers du texte.
Le concert est long lui aussi.
Bref, l'ambiance country/sudiste est un peu exagérée (ou alors je suis trop citadin pour comprendre). Il y a peu d'indices sur le dénouement et trop de détails sur le personnage (l'interview n'apporte presque rien). A la limite, ce texte pourrait être un premier chapitre d'un roman.
Enfin, je me suis renseigné sur Increase Mather et les sorcières de Salem pour mieux situer l'origine de ton histoire.
Un chat passe dans ton histoire.

Bricoles : répétition de "maudit pasteur" dans deux phrases qui se suivent
J'ai relevé presque 30 fois le mot route.

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Hivernale  Ecrire à Hivernale

2011-06-29 11:59:22 

 WA exercice n°95- ParticipationDétails
Actions passées


- Vous savez pourquoi vous êtes ici.

Cela n'avait rien d'une question, c'était une évidence. Etre enfermée, huée, laissée pour morte pendant trois longs jours sans nourriture ne pouvait avoir qu'une seule cause : la bêtise humaine.

- Nous avons mis du temps à te trouver et je dois t'avouer que sans l'aide des fidèles de l'Eglise, nous ne t'aurions jamais démasquée. Je n'arrive pas à m'expliquer pourquoi après avoir passé tant de temps parmi nous, tu nous fais ça. C'est inadmissible et je vois tes actions comme une trahison.

Il valait mieux ne rien répondre. Manuella laissa donc l'évêque Dorello continuer son délire suivant lequel elle aurait été soutenue comme une soeur par ses voisins, par l'Eglise et par lui-même. Elle se demanda comment quelqu'un pouvait-il sortir des âneries plus grosses que lui. Elle s'était aventurée une seule fois à demander de l'aide à la ville, du pain. Elle voulait seulement une miche de pain car une attaque de brigands avait totalement détruit sa chaumière, et elle n'avait plus un sou. Les fameux fidèles, devenus ses accusateurs, lui avaient dit que le meilleur moyen d'obtenir à manger avec un si joli minois était de faire le tapin. Depuis ce jour là, elle n'avait plus jamais rien demandé ni à l'Eglise, ni à ses fidèles, ni à la ville.

Une chose était tout de même indiscutable : Manuella était d'une beauté extraordinaire, proche du surréalisme. Elle avait de grands cheveux roux ondulés qui cascadaient le long de son dos et s'arrêtaient sur ses hanches, ils étaient d'un roux si vif qu'on aurait pu les croire rouges. Ils tombaient à la perfection, chaque mèche était parfaitement rangée, comme si la nature elle-même avait décidé du placement de la chevelure de la jeune femme. Les neuf jours passés en prison n'avaient en rien altéré sa beauté, aucune cerne ne venait ternir son regard vert émeraude, aucun désespoir ne venait durcir ses traits ; Manuella était plus resplendissante que jamais. Elle n'y faisait pas vraiment attention mais tous les hommes de la salle ne pouvaient s'empêcher d'être terriblement impressionnés par tant de grâce et par la vue de ses courbes parfaitement mises en valeur par une robe noire simple et très près du corps. S'ils l'avaient rencontrée dans d'autres circonstances, ils n'auraient jamais pu lui adresser la parole de peur que le son de leurs voix ne vienne entacher un moment d'exception. Mais ils devaient la juger et savaient que ce procès finirait probablement par l'extermination pure et simple de la perfection qui se tenait devant eux. Ils la dévisageaient donc, essayant de profiter au maximum du temps qu'il leur restait à être face à elle. Une personne cependant ne semblait pas affectée par l'aura de la jeune femme : l'évêque. Il y faisait abstraction car il attribuait la perfection physique à l'oeuvre du diable, et ne voyait en la beauté que la tentation, le pêché et le surnaturel.

Manuella n'avait jamais eu aucun problème avec les gens qui vivaient près d'elle, c'était vraiment quelqu'un d'aimé et son avis comptait beaucoup dans son village. Elle vivait à une demie journée à pieds de la ville. Elle s'était volontairement installée assez loin de tout grand rassemblement de population ; les gens hors du commun s'intégraient toujours mieux dans de petites communautés où leurs capacités étaient appréciées et exploitées comme il se devait. Si elle avait habité la ville, elle aurait probablement dû passer sa vie à faire des crèmes rajeunissantes pour les plus riches bourgeoises du coin, et Manuella ne percevait pas du tout l'utilisation de son don comme cela. Elle n'avait tout de même pas pu échapper au fanatisme présent dans la ville et cela faisait maintenant neuf jours que l'Eglise l'avait faite amener ici et qu'elle pourrissait dans les geôles du domaine de vacances du roi. Heureusement, il n'était pas ici, qu'il ait été au milieu de cette affaire n'aurait pas arrangé son cas.

- J'en viens aux accusations. Manuella, tu es soupçonnée de sorcellerie, d'actes de magie noire, d'enlèvements d'enfants et bien sur d'avoir détruit par les flammes les récoltes entreposées au château. Pour preuve, les personnes ici présentes ont vu le diable au milieu du feu, riant des méfaits qu'il venait d'accomplir par ton intermédiaire. Un des fidèles les plus honorables de la paroisse du quartier de Ste Marguerite m'a confié qu'il avait entendu le diable prononcer ton nom.

Si cela avait pu être vrai, elle en aurait été flattée. Le diable en personne ! Comment l'évêque pouvait-il donner poids aux paroles d'un ivrogne qui affirmait être le beau frère du roi et le fils d'une fée des bois. Tout cela n'avait aucun sens.

- Que plaides tu ?
- Je ne pense pas que je puisse plaider...
- Assez ! Inutile d'essayer de gagner du temps, coupable ou non coupable sont les seuls mots que Dieu t'autorise à prononcer.

De mieux en mieux, voilà qu'il se prenait pour Dieu lui-même !
Pour la première fois depuis le début de la séance, Manuella regarda autour d'elle. Tous les nobles et les bourgeois de la ville et des environs étaient là. Ils la scrutaient, essayant de capter dans son regard une preuve flagrante de sa culpabilité. Mais elle repéra des têtes connues, tout le monde dans la région la connaissait pour ses talents de guérisseuse, et certaines personnes parmi les puissants de la communauté avaient fait appel à ses services. Elle lut dans leurs yeux une totale désapprobation de ce qu'il se passait. Mais ils étaient impuissants face à l'homme hystérique en robe blanche qui se tenait devant eux, l'évêque Dorello avait le pouvoir de leur rendre la vie vraiment compliquée. Comment leur en vouloir de ne pas la soutenir ?

- Non coupable.
- Comment oses-tu ? Après tous les éléments apportés à charge...
- En revanche je suis une magicienne.

Des hoquets de surprise d'élevèrent de la salle, des chuchotements commencèrent, chacun voulant commenter la révélation avec son voisin. Un rictus de satisfaction apparut sur le visage de l'évêque.

- Ainsi donc tu avoues.
- Je n'ai fait aucune des choses dont vous m'accusez, vous même devez savoir que ce ne sont que des bêtises, par contre, je suis une magicienne mais beaucoup de personnes dans cette salle le savaient déjà.
- Balivernes. Une des caractéristiques des sorcières, est qu'elles sont des menteuses. Bien, conformément aux lois en vigueur tu es condamnée au bucher. Etant donné tes aveux tu seras exécutée le plus rapidement possible et tu évites la salle de torture en récompense de ta franchise, sous couvert que tu te confesses avant l'application de la sentence.

Ce qu'elle n'aimait pas cette appellation de sorcière. Enfin elle ne voulait pas batailler sur les différentes formes de magies existantes et la dénomination de leurs pratiquants maintenant.

- Monseigneur Dorello, vous devez savoir quelque chose avant de rendre votre verdict final. Si je suis exécutée, toutes les actions que j'ai effectuées dans ma vie s'annuleront. Si je suis coupable d'avoir brûlé les récoltes, celles-ci réapparaitront. Mais mes bonnes actions s'effaceront aussi.

Personne ne parut comprendre dans l'assistance. Mais cette déclaration semait le doute dans leurs esprits.

- Par exemple, toutes les personnes que j'ai soignées se verront de nouveau atteintes de leurs maux. J'en vois certains parmi vous qui commencent à comprendre. Monsieur le Comte de Guariguière, seriez-vous prêt à parier qu'une autre magicienne viendra refermer la jambe ouverte de votre fils unique ? Et vous Monsieur Gradilon, accepteriez-vous que revienne l'eczéma de votre fille ? Un gâchis à quelques jours de la négociation de ses fiançailles avec un jeune noble du nord. Et surtout, Monseigneur l'évêque, seriez-vous prêt à affirmer que je suis une menteuse comme vous le disiez ?

Tout le monde se tût, le temps d'assimiler les nouvelles informations et d'évaluer l'impact des actions de la jeune femme sur la population de la région. Manuella avait délibérément pris un ton hautain afin d'accentuer sa supériorité par rapport à eux. Elle démontrait ainsi le désarmement total de ses accusateurs face à des problèmes de magie. Le Comte finit par se lever.

- Nous devrions suspendre la séance.

L'évêque sortit sans même ajouter un mot, perdu dans ses pensées. En l'espace de quelques minutes il ne resta dans la salle que trois gardes, le Comte et la jeune magicienne. Il prit la parole :

- Tu sais très bien que je suis contre ce procès, et tout ce qui a pu t'arriver ces derniers jours. D'autres sont de mon avis, mais je ne crois pas que notre voix pèse beaucoup face à l'Eglise. Il faut un coupable. Et tu n'as pas assez vécu dans le secret toutes ces années, tout le monde est au courant de ta ... particularité. De plus, au moins la moitié des femmes de la région sont jalouses de ta beauté. Je suis sûr que toi même tu n'es pas très surprise par la tournure que prennent les évènements. Je ne sais pas si ce que tu as dit est vrai ou si cela est juste un tour de passe-passe destiné à sauver ta peau, et ce n'est pas important car je sais que tu es quelqu'un de bien. Je vais voir si je peux raisonner les fous qui clament dans toutes les rues de la ville que l'on te brûle, et si je n'y arrive pas, je suis prêt à perdre mon fils aimé, à le sacrifier au nom de la bêtise collective.

Le Comte n'était pas quelqu'un de stupide, il savait que la conversation serait racontée et répandue par les gardes à une vitesse folle à toute personne tendant l'oreille. Il espérait peut être attirer ainsi la sympathie des habitants, mais la jeune guérisseuse ne croyait pas un instant que cela puisse marcher. Mais elle joua le jeu tout de même.

- Je vous remercie du fond du coeur. En l'honneur de personnes comme vous, je m'engage, si je sors vivante du château, à continuer de répandre le bien autour de moi et d'aider du mieux que je peux la population.

Le Comte de la Guariguière hocha légèrement la tête en signe d'acquiescement et s'en alla. Les gardes s'approchèrent de la jeune femme mais ils n'osèrent pas la toucher. Les croyances populaires concernant les sorcières avaient la vie dure.

- Ne vous torturez pas, je connais le chemin de ma cellule.

De retour en prison Manuella réfléchit à ce qu'il venait de se passer et son coup d'éclat apparaissait être de moins en moins une bonne idée au fur et à mesure qu'elle en mesurait les conséquences. Certes, elle avait un peu de répit, et les gardes lui avaient amené à manger mais quel mal avait-elle déclenché ? Si d'autres femmes se retrouvant dans sa position avaient vent de ce qu'elle venait de tenter, elles essaieraient par le même biais de faire douter leurs accusateurs, certaines de ces femmes pouvant être réellement coupables. Ou pire, les magiciennes le sont de mères en filles, si l'une d'elle est condamnée, l'autre pourrait décider d'accomplir la triste prophétie d'annulation des bonnes actions par vengeance. Et comme si cela ne suffisait pas, cela n'arrangerait probablement pas son sort à elle, car de nombreux adeptes de la magie se trouvaient proches des hommes puissants, il ne serait pas étonnant que l'un d'eux soit dans l'entourage de l'évêque et qu'il lui révèle qu'aucune rétroaction des pouvoirs n'était possible.

Elle ne savait pas depuis combien de temps elle se triturait l'esprit pour essayer de se sortir de ce mauvais pas, de toute manière le temps n'a aucun sens lorsqu'on est enfermé dans le noir dépendant totalement du bon vouloir d'autrui. En levant les yeux elle aperçut l'évêque Dorello qui la dévisageait depuis l'autre côté des barreaux de sa ridicule cellule, un sourire satisfait sur le visage.

- Je me suis renseigné sur les conséquences de la mort d'une sorcière, figure toi que l'on m'a confirmé ce que je pensais depuis le début ; ce n'est que pur mensonge. Et aucune annulation de tes actes passés ne se produira même si l'on te tue dans les pires souffrances.
- Si quelqu'un a pu vous dire que j'avais menti avec certitude, c'est que cette personne est elle-même adepte de la magie. Par suite, cela prouve que vous savez pertinemment que je ne représente aucun danger, que je n'ai rien fait de ce dont vous m'accusez.

L'homme d'Eglise fit demi-tour et s'en alla en riant.
Très sérieusement, Manuella songeait à lancer un sort pour remettre certains de ses patients dans l'état où ils se trouvaient avant qu'elle les soigne, une sorte d'avertissement. Elle serait bientôt brûlée vive, elle pouvait bien rendre son eczéma à cette chipie d'Aurora Gradilon. La jeune femme avait reçu une formation très approfondie sur la manière de guérir, et d'une façon générale sur comment s'occuper des personnes. Grâce à cela, elle pouvait s'économiser et ne souffrait pas franchement physiquement du manque nourriture et d'eau, du moins pas aussi rapidement que les gens normaux. Elle pourrait aussi rendre le feu quasi indolore lorsque le moment viendrait. En revanche elle ne possédait aucune connaissance en magie agressive, celle qui lui aurait permis de faire fondre le fer de sa cellule, et d'embraser toute personne se trouvant entre elle et la sortie du château. C'était son choix d'avoir donné cet itinéraire à ses pouvoirs, mais aujourd'hui elle le regrettait. Plongée dans ses pensées, imaginant toutes les atrocités qu'elle aurait pu faire à ses tortionnaires si elle n'avait pas été guérisseuse, elle s'endormit.

Manuella n'était pas réveillée, mais pas totalement endormie non plus quand elle entendit des pas pressés au loin. Sa cellule s'ouvrit et deux personnes entrèrent. Elle n'eut pas le temps de se retourner qu'on lui fit respirer des vapeurs s'échappant d'une petite fiole ; elle replongea dans le sommeil, un sommeil bien plus profond.

Les heures qui suivirent furent très hachées, elle reprenait conscience par moment mais ne comprenait pas très bien ce qu'il se passait. Elle se trouvait dans un carrosse en bois, des planches avaient été mises aux fenêtres pour ne pas qu'elle puisse voir l'extérieur. Mais de toute évidence elle s'éloignait de la ville, au grand galop. Des hommes tout autour du véhicule parlaient, riaient et se disputaient. Pourquoi l'emmenait-on ? Le bûcher qui lui était destiné était juste dans la cour principale du château. Ses yeux étaient bien trop lourds et son esprit bien trop embrumé pour qu'elle puisse continuer sa réflexion, elle décida de la remettre à plus tard en repartant dans les bras de Morphée encore quelques heures.

A son réveil, elle trouva à manger près de ses pieds. Un rapide sort de contrôle lui permit de s'assurer que ce n'était pas empoisonné. Son esprit se réveillait au fur et à mesure qu'elle dégustait la charcuterie, le fromage et le pain qui lui avait été laissés. Elle commença à réfléchir sur les possibilités expliquant pourquoi elle se trouvait dans cette situation. La plus plausible était que le Comte avait réussi à convaincre les membres participant à son procès de ne pas la condamner. L'évêque voyant ça d'un très mauvais oeil l'avait soustraite à sa geôle pour l'emmener se faire juger dans une autre ville. Mais ce n'était pas le genre d'homme dont l'empathie le poussait à donner à manger aux personnes qu'il avait condamnées à mort, ni même à se soucier de l'avis des gens l'entourant ; il aurait très bien pu la faire tuer plus discrètement et feindre un bête accident.

Le carrosse s'arrêta. Il fallait agir vite si elle voulait s'évader, elle décida de se rallonger afin de faire croire qu'elle dormait toujours. En fonction du nombre de gardes qui viendraient la chercher, elle pourrait essayer de se faufiler entre eux. Mais personne ne vint ouvrir la porte, au lieu de cela elle entendit que des hommes détachaient les chevaux. Il semblait même qu'ils partaient. Elle hésitait, cela ne pouvait être qu'un piège destiné à la faire sortir et probablement à la rouer de coups dès qu'elle aurait mis un pied dehors.

Pourtant après de longues minutes, elle s'aperçut qu'il n'y avait plus aucun bruit. Les sorcières ont un don pour repérer les vivants qui se trouvent autour d'elles, et en cet instant Manuella distinguait uniquement de petits animaux. Elle appuya sur la poignée devant elle et découvrit avec étonnement que ce n'était pas verrouillé. Elle entrebâilla la porte et jeta un rapide coup d'oeil dehors : ses pouvoirs ne l'avaient pas trompée, il n'y avait personne. Elle sortit. Elle était dans une clairière baignée de soleil, il devait être le tout début d'après midi d'une journée magnifique. Un sentier bien entretenu avait permis au cortège de l'amener ici, mais la route principale se trouvait à un bon kilomètre, elle pouvait la distinguer entre les arbres. Sur la place du cocher elle vit un parchemin scellé, en s'approchant elle remarqua les armoiries du Comte.

Manuella,

Je dois t'avouer mon échec, l'évêque n'a rien voulu entendre te concernant. Mais certaines personnes sont acquises à ta cause et persuadées de ta bonne volonté, nous avons donc organisé ton départ ; il faut croire qu'il me reste encore quelque pouvoir que l'Eglise n'arrive pas à me prendre. Il faut que tu saches que tout cela n'a rien de légal, et je me doute que tu as plutôt dû croire à un enlèvement qu'à une action bienfaitrice. J'en suis navré. Pour ta sécurité je ne saurais trop te conseiller que de rester éloigner de chez toi.
Prends soin de toi.

La lettre était signée de treize noms que Manuella reconnut, elle sourit. Il restait donc des gens doués d'un esprit critique envers les actions de l'Eglise, et des personnes acceptant de vivre dans la proximité de magiciennes. Cela était rassurant. Elle prit le reste de son repas dans le carrosse, ainsi que la couverture et partit visiter les environs. Un village en haut d'une colline à une heure de marche environ se dessinait sur l'horizon. Mais pour se souvenir de ce jour où des gens non initiés à la magie se sont mis en danger pour sauver une femme comme elle, Manuella décida que son nouveau chez elle serait cette clairière et qu'elle y construirait sa nouvelle maison, sa nouvelle vie.

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z653z  Ecrire à z653z

2011-06-29 13:50:14 

 magicienneDétails
Narwa avait parlé d'une sorcière mais elle en est une dans les yeux de certains personnages. J'ai bien aimé l'histoire même si elle est assez classique mais avec juste ce qu'il faut de suspense.
Certains mots m'ont choqué dans la période où tu racontes ton histoire que je situe au moyen-âge (minois, tapin, chipie).
Au tout début, elle sait que ça fait trois jours qu'elle est enfermée puis tu écris "de toute manière le temps n'a aucun sens lorsqu'on est enfermé dans le noir dépendant totalement du bon vouloir d'autrui."
Un autre incohérence est qu'elle soit allée mendier alors qu'elle ne souffre pas de la faim quand elle est en prison.
Il manque plein de virgules (et quelques accents) et certaines phrases sont trop longues.

Autres bricoles :
un évidence -- une évidence
jamais démasqué -- démasquée
du pain, elle voulait seulement une miche de pain car une attaque -- du pain. Elle voulait seulement une miche, car une attaque
et très prêt -- près
S'ils l'avaient rencontré -- rencontrée
l'Eglise l'avait fait amenée -- faite amener
ville ainsi que des environs -- et des environs
coupable d'avoir brûler les récoltes -- brûlé
destiné à te sauver la peau -- à sauver ta peau
pour pas qu'elle puisse voir l'extérieur -- pour ne pas
plus tard en repartit -- et repartit / en repartant
condamner, l'évêque -- condamner. L'évêque
ses pouvoirs ne l'avaient pas trompé -- trompée

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-07-03 15:33:28 

 WA n°95, participationDétails
LE BALLET



« La course se déroule maintenant depuis une heure, sous un soleil radieux, et pour l’instant l’Audi n°3 est toujours en tête, suivie par deux Peugeot. La Lola Aston Martin n°18 semble en difficulté. Pour la deuxième fois elle ralentit, et le pilote va sans doute être obligé... Aaah ! C’est une sortie énorme ! Il y a des débris partout... Comme vous le voyez... A la sortie de la chicane Dunlop, c’est une Ferrari qui vient au contact de l’Audi n°3, par l’arrière ; celle-ci part en dérapage sur le côté, elle fait un tonneau en heurtant les rails, ce qui la projette au dessus de la barrière, puis un tête à queue en l’air, et elle retombe sur le toit, heureusement du bon côté, tandis que des éléments sont projetés sur les photographes et les commissaires de piste...Une roue continue sa course folle de l’autre côté des rails, et manque de peu un journaliste... Est-ce qu’il y a des blessés ? C’est dramatique, dramatique ! Il faut rester silencieux, on croise les doigts, on retient sa respiration et son souffle, c’est l’angoisse et la consternation dans le stand Audi... Le choc a été d’une violence inouïe, la voiture a pratiquement explosé... »



J’ai mal. La jambe. Le bras, aussi. Et la tête. Qu’est ce qui s’est passé ? La course ! Un choc à l’arrière, et puis je me suis envolé. J’ai vu arriver les rails... Est-ce qu’il y a des blessés ? Mon coeur est en surrégime. Pas encore une fois, non, c’était trop horrible... Je n’ai jamais voulu... Si je suis retombé du mauvais côté...
« Eh ! »
J’ai crié. Il faut que je sache.
Pas de réponse. Je suis couché sur un lit mais ça ne ressemble pas à une chambre d’hôpital. Dans la semi pénombre je distingue des meubles en bois, des rideaux bariolés à la fenêtre, on dirait plutôt une maison... Où suis-je ?
« Y a quelqu’un ? »
Un pas claudicant s’avance vers moi. Une tête hirsute, un visage de très vieille femme surmonté d’une tignasse d’épouvantail, vaguement orange. La voix qui sort de cette bouche à demi édentée est rauque et distante.
« Alors, il se réveille ? Il va pas bouger, hein, sinon il se ferait mal. Il va boire un peu de tisane. »
Elle me soulève la tête et porte un bol à mes lèvres. C’est un cauchemar, c’est sûr, je dois être dans le coma. Mais à Donington... Je suis resté inconscient trois jours, et je n’ai aucun souvenir.
Elle repose le bol.
« Il y a des blessés ?
- Sais pas. Faut pas qu’il s’énerve, c’est pas encore gagné. »
Est-ce que je vais mourir ? Pourquoi ne suis-je pas à l’hôpital ? Je ne veux pas mourir, pas maintenant... Kelly ! Et Finlay, et Charlotte ! Finlay... J’avais dit que je l’appellerais au premier changement... Son match de foot !
« Quelle heure est-il ? »
La vieille a entrouvert les rideaux et s’est éloignée dans un haussement d’épaules.
Tout à coup une immense fatigue... Est-ce que c’est ça, la mort ?



Le virage d’Arnage. 4°. 1°. Et on remonte. Ca glisse toujours. Le virage Porsche en 5°. Un frisson. Le Pont, la Corvette, le Ford... je suis trop vite... Non, ça va. Les stands, la courbe à fond, et la chicane Dunlop, freinage sur l’angle et... aah ! les rails... Ca a tourné dans tous les sens, comme quand on est renversé par une vague... Rien à faire... Je ne veux pas mourir...
J’ouvre les yeux. Je suis sur le lit. Je ne suis pas mort. Je suis fatigué, je n’ai pas la force de bouger un doigt mais je n’ai plus mal. Je ne comprends rien, ça doit être le choc. Si je reste en vie j’emmène tout le monde au soleil, Miami, Acapulco, loin...


Une main vive ouvre les rideaux en grand.
« Ca va ? »
C’est une jeune fille qui ne doit pas avoir quinze ans. Elle porte une longue robe noire, comme la vieille. Son visage est constellé de taches de rousseur, elle aussi a les yeux verts et une cascade de boucles rousses danse sur ses épaules. Elle lui ressemble... sa petite-fille ? Je voudrais lui répondre mais j’ai la gorge sèche.
« Alors c’est toi le pilote ? On en a eu quelques-uns...Un qui s’était envolé jusque dans le bois, c’était trop drôle... »
Son rire me glace. Peter Dumbreck, sur Mercedès, en 1999... Il s’en était sorti...
« Ah, et un autre aussi, avant, qui avait explosé en vol... Ouh ! Je m’en souviens, ça avait fait du dégât dans la foule ! »
Peter Levegh, en 1955... Je n’étais pas né ! Comment peut-elle s’en souvenir ? Je dois délirer, ce n’est pas possible...
« T’es vieux... mais ça ne me gêne pas. »
Elle s’assied sur la chaise près du lit, remonte la longue jupe pour découvrir une cuisse blanche comme de la crème, qu’elle gratte furieusement.
« Les moustiques... c’est terrible... »
Le sourire aguicheur de ses lèvres humides dément le moindre inconfort. Elle a gardé la robe retroussée à mi-cuisse, et elle pointe au sol le bout de ses bottines noires pour mettre en valeur le galbe de ses jambes, tandis que d’une main elle relève la masse de ses cheveux roux, en cambrant le rein... Elle me fixe de ses yeux verts, Lolita provocante et faussement ingénue. Comme les petites amies de Finlay qui me frôlent sans rougir...
« Tu es marié ? »
Je rassemble le peu de salive qui reste dans ma bouche pâteuse pour articuler :
« Vous êtes une très jeune fille... Je ne suis pas... intéressé.
- Connard ! », me hurle-t-elle en se levant d’un bond.
Elle claque la porte derrière elle. Dommage, j’ai toujours soif. L’écho se répercute douloureusement dans ma tête. Je me demande bien où je suis tombé... Et il faut que j’appelle Finlay... J’entends des éclats de voix dans la pièce voisine.
« Quel crétin, ce type ! Il faut qu’il crève ! Il a essayé de... de...
- T’as-t-y porté la soupe au gamin ? »
Ca, c’est la grand-mère.
« Il est trop bête, ce gosse. Se suicider à dix ans ! Et en plus il veut rien bouffer !
- Tais-toi. Tu n’es pas en âge de juger. Et si tu l’étais, tu ne jugerais pas. »
Cette voix...
« Va faire boire la femme.
- Celle qui s’est fait tabasser par son mec ? Trop nase...
- File, et sans un mot. Je vais voir le soldat, pauvre homme... »
Cette troisième voix... C’est une voix de femme, de Femme. Elle est chaude, voluptueuse. Elle porte en elle tous les désirs inassouvis... C’est une voix de reine, généreuse et magnifique, celle qui n’a qu’à paraître pour que les âmes s’embrasent... Une voix d’enfer et de paradis, de respect absolu et de pulsions torrides... Je délire, je suis sûr que je délire... J’ai soif...


Donington. J’avais 21 ans. J’ai tué un spectateur. C’était il y a 21 ans. Mon Dieu, je veux bien mourir si c’est l’heure, mais fais que je n’aie tué personne ! Après tout, je suis en sursis depuis 21 ans. J’ai eu une vie formidable. J’aurais aimé voir grandir mes enfants. Mais c’est vrai aussi que... Kelly se débrouillera, je le sais. Elle leur trouvera un autre père, sans doute plus présent, plus disponible... Ils se consoleront...
Les larmes me montent aux yeux. Et quoi ? Si c’est l’heure... Je l’ai cherché, non ? Nous le savons tous, même si on joue les bravaches avant de prendre le départ. Il y a de moins en moins d’accidents, mais c’est le risque qui nous envoie au ciel. Cette fichue adrénaline... Plaisir égoïste et solitaire, drogue dure dont l’overdose quelquefois fait des dégâts collatéraux... Donington... Oh je voudrais tant revenir en arrière, sauver cette vie... Est-ce que je peux donner la mienne pour un enfant de dix ans ? Pour une femme battue ? Pour un soldat ?



Un parfum ambré me fait ouvrir les yeux.
« Allan, il faut boire encore un peu... Si vous voulez bien... »
Elle m’aide à me relever. Je n’ai plus mal, je suis courbatu mais j’arrive à saisir le bol qu’elle me tend. C’est Elle ! Les cheveux roux relevés en un chignon élégant qui dégage un long cou gracieux, les yeux verts où passent des paysages sereins de lacs secrets entre les montagnes, et ce visage tel que je l’avais rêvé, empreint de cette noblesse, de cette pureté... Elle a le sourire esquissé des madones italiennes, et des mains si fines, si blanches, qu’aucun anneau ne vient alourdir...
Je lui rends le bol vide.
- « Merci, madame. Madame ?
- Mrs Parks, of course », me sourit-elle
- Je vous suis reconnaissant de... de... Mais il faut que je téléphone à mon fils...
- Bien entendu. Mais il est encore un peu tôt ; prenez patience. »
Elle sort dans un frémissement de robe noire, laissant dans son sillage cette senteur troublante qui me donne envie de vivre.


Qu’est-ce que c’est ? On dirait un roulement de tambour... C’est un orage, non ? De la musique ! Des cuivres agressifs, une grosse caisse vulgaire, on dirait une fanfare de village... La jeune fille entre à la volée en dansant une gigue échevelée, les mains sur les hanches relevant partiellement sa jupe.
« C’est le final ! Tralala, tu vas crever ! »
Elle ressort en riant mais c’est la vieille qui la remplace, tournoyant lentement dans une valse de mauvais orchestre viennois.
« Tout va bien, il va y arriver... »
Elle disparaît à son tour et c’est la Femme, majestueuse, qui telle une ballerine enchaîne des déboulés sur les pointes, tandis que le choeur des violons accompagne le chant mélodieux d’une flûte fragile. Elle s’immobilise en une arabesque parfaite, elle est aussi légère qu’un oiseau, ses bras interminables se posent sur l’air comme des ailes qui palpitent au vent, tendus et vibrants jusqu’au bout des doigts, le temps est suspendu, elle pose un doigt sur son sourire et s’échappe...
Et puis les trois musiques se superposent, la gigue, la valse et la flûte, et les trois danseuses tourbillonnent dans la pièce, leurs images se superposent et se confondent, je ne peux plus les distinguer, j’ai le vertige, tout tourne autour de moi...


Quelqu’un a ouvert la portière. Ca sent la poussière et le pneu brûlé. Des mains m’extirpent de l’habitacle. Le hurlement des voitures qui continuent à tourner agressent mes oreilles et me font cogner le coeur. Je marche au milieu des débris de mon Audi, soutenu par un sauveteur. Quelqu’un crie :
« Il va bien, il va bien ! »
Je me retourne. La voiture est une épave. Seule la cellule est restée intacte. On m’aide à retirer mon casque. Je m’entends demander d’une voix hagarde :
« Quelle heure est-il ? »
Narwa Roquen,c'est mieux à cheval...

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z653z  Ecrire à z653z

2011-07-04 13:26:54 

 La courseDétails
J'ai reconnu le circuit du Mans. Je note que l'Audi n°3 est en tête, suivent deux Peugeot (2e et 3e). Et quelques secondes après une Ferrari tape l'Audi n°3 ?? Le plus vraisemblable est qu'elle ait un tour de retard (et qu'elles ne roulent pas dans la même catégorie) sur l'Audi de tête et les deux peugeot sinon je la vois mal passer deux voitures aussi vite et taper l'Audi.
A mon avis c'est l'Audi qui a tapé la Ferrari (ah bah, en regardant la vidéo de 2011, c'est bien l'Audi qui a tapé la Ferrari en la dépassant et/ou la Ferrari qui a tapé l'Audi en se rabattant).
Bref, ça peut choquer pour ceux qui ne connaissent pas un peu les règles de cette course (et qui n'avaient pas vu l'accident comme moi).

Le titre est très bien trouvé (en référence aux deux ballets de ton histoire).

Pour une fois, j'aurais aimé un peu plus de détails sur le rôle des sorcières même si on comprend pas mal de choses.

Petite bricole :
"Mon Dieu, je veux bien mourir si c’est l’heure, mais fais que je n’aie tué personne." -- J'aurais mis "faites" car je vouvoie Dieu. Après, chacun fait comme il le sent.

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-07-04 14:23:08 

 Tu ou vous?Détails
Les Français vouvoient Dieu. Mais Allan Mc Nish est d'origine écossaise, et les britanniques ne tutoient que Dieu... alors j'ai fait couleur locale...
Cette vidéo, j'ai dû la voir cinquante fois, ainsi que celle des autres accidents du Mans; la plus impressionnante c'est quand même celle de Dumbreck, en 99, où on voit littéralement la voiture s'envoler... Mais j'ai pensé qu'on reconnaîtrait plus facilement la plus récente.
Quant aux sorcières, il y en a peut-être trois, et peut-être pas...
Narwa Roquen,ballet, balai, bal laid...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-07-04 14:39:28 

 La vérité si Le Mans !Détails
Sorcière au sens mythologique !

C’est vrai qu’il y a une grande distance entre le sport équestre et le sport mécanique ! Sacrée histoire. La vie du coureur automobile n’a tenu qu’à un fil. D’ailleurs toutes nos vies, à en croire la légende, ne tiennent qu’à un petit fil que filent patiemment trois soeurs.

Tes descriptions de la course, intenses et nerveuses, sont bien observées et le rendu est bluffant de réalisme. J’ai un peu pataugé sur le nom des virages (merci Google !). L’accident est bien décrit, ni trop ni trop peu et est fidèle à l’accident réel de l’Audi n°3 en 2011 au Mans (merci à z653z pour la précision du technicien mais l’introduction de Narwa semble directement dériver du commentaire des journalistes, ce qui justifie sans doute la petite erreur sur la cause de l’accident !).

Tu décris donc le moment où se joue son destin, ces quelques instants qui vont placer le personnage entre les deux mondes. Bien vu les souvenirs d’accidents célèbres (j’ai revisionné le vol plané de Peter Drumbeck, impressionnant, un vrai décollage !).

Bien vu également la désorientation du héros et ses tentatives de recoudre les fils de son histoire, de se raccrocher à une réalité en pointillé. Où est-il ? Qui sont ces femmes qui veillent à son chevet ? Que lui veulent-elles ?

Si des sorcières traditionnelles, elles empruntent bien la couleur des cheveux, bien sûr tous ceux qui ont été bercés par les légendes latines et grecques ont reconnu en elles, une sororité célèbre que tu dévoiles d’ailleurs indirectement. Elles ne perdent jamais le fil de l’histoire, ni le fil de quiconque du reste. C’est marrant, mais en revoyant les images de l’accident, j’ai eu l’impression qu’une main gigantesque avait pris l’Audi pour une pièce de monnaie et qu’elle avait tiré au sort : pile ou face. Pile tu vis, face tu meurs !

Tu t’écartes légèrement de l’orthodoxie mythologique (âge de ces fileuses), ce qui te permet d’introduire la pluralité des décisions qui préside au jugement final. Pour le titre, il y a bien sûr les ballets des 3 sorcières, mais il ne faut pas oublier celui des voitures sur le circuit

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-07-04 15:44:49 

 Manuela run (*)Détails
Une histoire de sorcière de facture très classique. Une jeune et belle sorcière est en butte à l’acharnement inquisitorial et borné de l’épiscopat. Grâce à ses bonnes actions, elle sera sauvée du bûcher par sa pratique reconnaissante.

Les ingrédients sont bien présents et l’action est soutenue. Pas de temps mort, des rebondissements agréables, des méchants plus bêtes que méchants d’ailleurs et une fin heureuse. Une légère contradiction : dans le 1er paragraphe, tu indiques qu’elle est restée 3 jours enfermée et dans le 4ème, 9 jours. Je peux imaginer que rester 9 jours sans manger doit effectivement être une source de désagréments !

La fin me déconcerte également. Ses libérateurs ont pris mille précautions pour ne pas qu’elle sache ce qui lui arrive, ni qui ils sont et ils prennent soin de signer une lettre qui révèle le complot et l’identité de ceux qui ont osé défier l’Eglise ! Cette reconnaissance pourrait constituer une arme redoutable pour la sorcière !

Enfin je pense que tu peux progresser en matière de style et de vocabulaire. Sinon, ton récit, aussi original soit-il, n’aura pas la même force. Il y a des tournures trop familières (continuer son délire, âneries plus grosses que lui...), maladroites ou comme le souligne z653z, anachroniques (plaider coupable ou non coupable, évaluer l’impact...).

Ceci dit, la technique ça se travaille et avec le travail, les résultats arrivent vite! Tu as l’imagination, l’inventivité et visiblement l’envie d’écrire des histoires et vois-tu ça, cela n’a pas de prix ! Et j’ai l’impression que tu as pas mal de temps devant toi pour y arriver. J’attends donc avec impatience ta prochaine contribution car plus on est de fous, et plus on rit !

M

(*)

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-07-07 23:08:32 

 Commentaire Maedhros, exercice n°95Détails
En route pour un nouveau challenge ! Check list : patience OK, perspicacité euh... , Google OK ; Méthode : lire et relire. Mais où sont les petits cailloux blancs ?
C’est la longue histoire d’un être de Lumière – probablement. Si, si, c’est un gentil, il fait du bien aux gens, il donne aux bonnes oeuvres... Mais il habite chambre 66, c’est louche.
Il sauve les âmes des sorcières en les volant au Malin... d’une manière certes peu orthodoxe (charité bien ordonnée...). Mais il ne peut pas entrer dans une église... et pourtant son destin est de rejoindre le choeur céleste, qui a vu des démons chanter en choeur ? Et il frémit quand la chanson parle du Diable !
Mais il dit lui-même qu’il n’est pas un saint...
Bon alors disons une Entité, un ange d’une sorte particulière qu’on ne m’a pas enseignée au catéchisme, un agent infiltré sous couverture ( sous couette à l’occasion), dont le Pouvoir niera, quand la cassette se sera auto-détruite, avoir jamais commandité la mission...
Le Sud aux Sudistes ! Pur produit du sud des USA, Kenny ( celui qui a jailli du feu) nous entraîne à sa suite sur la longue route, où il sème amour et fraternité. Le texte est long, c’est vrai, il se traîne comme la route et comme l’accent du sud, il est répétitif comme les refrains des chansons – mais en général, on ne se souvient que d’eux. Alors oui, on peut faire plus court, on peut faire plus nerveux, mais ça ne sera pas la même histoire. Telle qu’elle est, elle est cohérente. Qui n’a jamais écouté la même chanson en boucle pour ne pas sortir d’une atmosphère qui nous allait bien à ce moment-là ?
L’idée d’émailler le texte de chansons vaut son pesant d’or. Y a-t-il un éditeur dans la salle ? Je suis sûre que ça serait un créneau porteur.


Bricoles :
- sans tambours ni trompettes : et sans s
- ... et les virgules, avant « n’est-ce pas », encadrant un « bien sûr », avec les apostrophes, entre « non » et « jamais », etc...
- Au-dernier moment : au dernier
- Elle lui parût légèrement plus chaude : parut
- Surpiqures : surpiqûres ( ah ces ^^ qui se baladent...)
- stetson, black hawk : méritent des majuscules
- il n’avait choisi : il avait choisi ou il n’avait pas ?
- un tonnerre d’applaudissement, une salve d’applaudissement : d’applaudissements
- la voix chaude et vibrante, à l’accent traînant de Kenny s’éleva : Il y a tout, mais tel quel, c’est un peu bancal. Je propose : Chaude et vibrante, la voix de Kenny s’éleva, avec son accent traînant ... mais il y a sûrement d’autres solutions
- c’étaient des mots simples et de tous les jours : redondance... et répétition avec « tous les jours » 3 lignes plus bas
- des morceaux purs chicken picking : pur ( formulation abrégée pour « dans le pur style »)
- ses yeux plus brillants qu’ils l’auraient dû : ne l’auraient
- toute la voute céleste : voûte
- faute de frappe : , , ussi tendres que des fruits
- les draps claquants follement : follement


Ca c’est de la bal(l)ade ! On est bien embarqué... Quitte à faire dans la longueur, tu aurais pu ajouter un peu de piquant en mettant ton héros en danger. Tu dis bien que la sorcière est dangereuse, mais on est obligé de te croire sur parole, ce qui est toujours un peu frustrant. Et au pire si à force de rallonger ça finit en roman, personne ne s’en plaindra...
En tout cas, merci pour le voyage ! Moi qui ai toujours peur en avion...
Narwa Roquen,celui qui chante rejoint le ciel...

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-07-11 22:52:44 

 Commentaire Hivernale, exercice n°95Détails
Jolie petite histoire, dirait Téléphone. Mais celle-ci finit bien. Ton héroïne est sympathique, l’Evêque est odieux à souhaits, et le Comte est reconnaissant et courageux. L’histoire est plaisante quoique l’intrigue soit simple. Je relève, comme Maedhros, l’incohérence de l’enlèvement anonyme alors que la lettre est signée. C’est bon pour le suspense mais ça n’a pas de sens. C’est comme si tu n’avais pas pu choisir entre les deux possibilités. Idem pour les trois jours qui deviennent neuf.
Il y a de plus un certain nombre de maladresses et imprécisions que je t’invite à corriger :
- la première phrase dit « vous », puis on passe au « tu » pour tout le reste
- sortir des âneries, faire le tapin, cela puisse marcher, chipie : pas adapté à ce genre de texte
- surréalisme : c’est un style littéraire et artistique. Ca ne veut pas dire surnaturel
- la phrase « elle n’y faisait pas vraiment attention... » est trop longue. Tu as tendance dans ce texte à enchaîner les idées ou les évènements en les séparant par des virgules. Le point et le point virgule sont pourtant bien utiles
- extermination : signifie « destruction très grande d’hommes ou d’animaux » ; cela ne peut s’appliquer à un individu isolé
- récurrent : « ce qu’il » au lieu de « ce qui »
- sous couvert : je suppose que tu voulais dire : à condition que
- elle ne voulait pas batailler... maintenant. Le « maintenant » est trop loin de « batailler »
- les fous qui clament... que l’on te brûle : je suppose que tu voulais dire « qui réclament »
- rétroaction des pouvoirs : pas des pouvoirs, des sortilèges peut-être, mais « rétroaction » est un peu trop moderne
- si quelqu’un a pu vous dire : le raisonnement de ce paragraphe relève du syllogisme
- sur comment s’occuper des personnes : « sur comment » est lourd, et « s’occuper » est flou
- elle aurait pu faire à ses tortionnaires : imprécis. Il faut essayer au max de laisser à « faire » son sens de fabriquer, hormis les expressions habituelles (faire plaisir etc)
- pour ne pas qu’elle puisse voir l’extérieur : pour qu’elle ne puisse pas voir à l’extérieur
- les bras de Morphée : c’est un peu éculé
- les possibilités expliquent pourquoi : lourd
- il devait être le tout début d’après-midi : ce
- kilomètre : au Moyen Age on comptait en lieues
- elle prit le reste de son repas dans le carrosse... , ainsi que la couverture : c’est ambigu. On dit « prendre un repas » pour le manger, et toi tu veux dire qu’elle l’emporte
- son nouveau chez elle : ça ne se dit pas ; on dit un « chez soi », et encore, c’est familier. Résidence, domicile...


Désespoir, désespoir... Et je n’ai pas fini... Il reste les fameuse Bricoles...
-elle se demanda comment quelqu’un pouvait-il... Après « elle se demanda », c’est « quelqu’un pouvait » (discours indirect). Sinon c’est « Comment quelqu’un pouvait-il... »
- roux : répété en 2 lignes
- il y faisait abstraction : en
- à pieds : pied
-Circonflexes : bien sûr, bûcher, réapparaîtront
-diable : Diable
- comment l’Evêque : c’est une question, donc : ? , et non pas un point
- traits d’union : plaides-tu, vous-même, toi-même, figure-toi
- ce qu’elle n’aimait pas... : !, et non pas un point
- rester éloigner : éloignée
-Les gens non initiés à la magie se sont mis en danger : c’est un passé composé ; dans un texte au passé, « s’étaient mis » ou « se mirent »


Pouf pouf ! Pas de panique ! Il s’agit seulement de travailler. Je te conseille en toute amitié de réécrire ce texte, au moins pour toi, pour bien mémoriser mes remarques. Paris ne s’est pas fait en un jour, et il n’y a qu’un génie par siècle ( je te rassure, ce n’est pas moi non plus). Plus tu écriras, mieux tu écriras. Profite de l’été pour participer aux anciens exercices. Tu as de l’imagination, le sens du dialogue et l’art d’attirer la sympathie du lecteur. Personne ne peut t’apprendre un don. La technique, en revanche, s’acquiert. Il suffit juste de travailler.


...Et n'oublie pas que nous serions tous ravis d'avoir tes commentaires sur nos textes... Tu pourras t'y venger à loisir...
Narwa Roquen,toujours aussi pénible...

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-07-12 13:29:42 

 AdditifDétails
Dans les Bricoles:
- claquants follement: la correction est "claquant" (le mot était resté dans le clavier...)
Narwa Roquen,qui comprend vite à condition qu'on lui explique longtemps, merci à z653z

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2011-08-24 09:39:28 

 WA 95 : participationDétails
Un peu de temps libre et je fais un passage parmi vous. J’espère que vous allez tous bien. Je pense bien à vous malgré mon peu de présence.
J’ai fait un rêve étrange il y a quelques semaines et j’ai eu envie de l’écrire. J’aurais souhaité en faire un poème mais je suis trop mauvaise pour écrire des vers... Il n’y a pas vraiment d’histoire, juste des impressions.




Je pars avec eux







Ma place n'est plus ici. Je m'en vais, ma toute belle. Pourras-tu me pardonner ? Ma plume court en silence sur le vélin. La nuit est tombée sur la ville. Je n'ai jamais vraiment appartenu à ce monde. Ce soir, je l'abandonne. Je t’abandonne.
Je pars avec eux.

Adieu, ma soeur bien-aimée, ma tourterelle. J’ai pris ma décision. Ce soir, je sortirai et, quand la Cohorte passera, je me joindrai à elle. Je marcherai enfin parmi les miens. Ce soir, j’accepte ma vraie nature. Depuis que je suis née, on m’a appris à les craindre, à les haïr. «Ferme bien les volets quand le Voile s’effiloche.» «Ne sors pas dans les rues à la lumière de la Lune Ombreuse.» «Ne les regarde pas passer sinon ils t’emporteront.» Je les ai regardés, ma toute belle. J’ai vu leur étrange et fantastique beauté. A chaque fois, j’ai écarté les planches de bois et je les ai contemplés en secret, prudemment, du coin de l’oeil, sans m’attarder sur aucun d’entre eux. Je les connais. Ils sont moi. Je l’ai toujours su mais je ne voulais pas te laisser. J’ai longtemps hésité. Jusqu’à ce soir.
Je pars avec eux.

Je les entends. Encore une fois, le Voile se déchire et nos deux mondes se rapprochent, se mêlent. Ils ont franchi les portes de la ville. La Cohorte arrive ! J’entends sa musique, baroque et saugrenue, les éclats de silence, l’harmonie d’un désordre joyeux. Ne peux-tu l’entendre dans ton sommeil tranquille ? Ils chantent et leurs voix sont d’eau et de ténèbres. Ils jouent et leurs notes explosent et se figent et caressent mon coeur. Bientôt, mon chant se mêlera aux leurs. Ah ! que ces derniers instants d’attente me semblent longs ! Pardon, ma soeur adorée, j’ai hâte de quitter cette maison, de te quitter. Les larmes ruissellent sur mon sourire radieux et viennent tâcher mes derniers mots. Tu es forte. Tu survivras sans moi. Je ne manquerai à nul autre. Maman me hait depuis le premier jour. Je hurlais, couverte de sang et de fluides, je cherchais son sein mais elle a vu la marque sur mon épaule. Quand aux autres, ils me craignent et se signent sur mon passage. Je n'ai jamais vraiment appartenu à ce monde. Mon vrai peuple approche, dans la lumière de la Lune Ombreuse.
Je pars avec eux.

Des volets claquent, des clés tournent précipitamment, on mouche les chandelles. Cachez-vous, honnêtes gens, car la Cohorte arrive ! Tremblez, fermez les yeux ! Leur regard peut vous envouter, vous subjuguer, et vous persuader de les suivre. Ils approchent. A leur tête, je le sais, marche un enfant infiniment vieux. Sa peau est lisse comme le tronc d’un arbre et ses yeux brillent comme nuages d’orage. Il tient une lumière magique qui projette des étincelles de bronze et d’ambre. Tant de fois, je l’ai contemplé ! Qu’il me tarde donc de le suivre ! Derrière lui avance un être aussi gigantesque que le temps, aussi doux que la solitude, aussi terrifiant que la vie elle-même. A sa gauche, clopine toujours cet autre aux membres de fumée. Sa main qui n’en est pas une brandit un flambeau à l’éclat d’encre. Ils avancent, troupe formidable, mosaïque d’êtres splendides et biscornus, irradiant de magie. Je suis l’une d’eux. Ma soeur, toi seule connais mon pouvoir. Toi seule as vu les fleurs de lumière sucrée et entendu le discours des chats. Je ne veux plus me cacher. Je sais que tu comprends, ma toute belle, ma tourterelle. Ta main n’a que cinq doigts et le lait n’a jamais tourné sur ton passage. Mais je sais que tu comprends. Me pardonneras-tu ?
Je pars avec eux.

Je les sens dans mes os ; ils sont dans l’air que j’inspire. Ils sont moi. Je l’ai toujours su. Tant de fois, je les ai vus passer. Tant de fois, j’ai résisté à l’impulsion de les suivre. Pour toi, ma soeur bien-aimée. Ce monde de haine et de peur, ce monde de froid et de douleur, de gris, d’ennui, de désespérance... ce monde n’est pas le mien. Ce soir, je l'abandonne. Je t’abandonne. Lorsque le Voile se reformera, lorsque nos deux mondes se sépareront, alors tu seras seule. Penseras-tu à moi ? Me haïras-tu ? Et lorsque reviendra la Lune Ombreuse, me guetteras-tu par la fenêtre ? Ils sont là à présent. Ils passent devant notre porte ouverte. Ma toute belle, tu dors innocemment, notre mère tremble et se recroqueville sous les draps et moi, je les regarde enfin librement. Ils avancent, tous à leur manière singulière, flottant, glissant, tombant, vibrant... Ils sont environnés de lumières aux couleurs indéfinissables, inconnues de ce monde. Il y a dans leurs rangs des êtres à tête de pluie et à queue de phénix, des monstres superbes et des dryades inquiétantes. Une femme à neuf bras, belle comme le poison, ondule une danse immobile. Une chimère translucide, le corps caché sous une toge de cendre, exhale des parfums tranchants. Il est temps.
Je pars avec eux.

Adieu, ma soeur, ma tourterelle. Je lâche la plume et je sors dans la rue. Je me mêle à la Cohorte. Enfin... enfin ! Un sphinx sans visage se retourne et me sourit. Une créature aux cheveux de foudre et aux yeux de brume prend ma main et la serre doucement. Je suis chez moi.

Estellanara, a ghost in the shell

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z653z  Ecrire à z653z

2011-09-01 15:37:24 

 originalDétails
Il y a juste la fin au présent qui me gêne un peu vu qu'elle est sortie de la maison et qu'elle ne peut plus écrire (à moins qu'elle commande aux objets). Je l'aurais mise au futur.
Sinon, les répétitions sont comme la musique d'une marche où le même thème se répète (pas sûr que ça plaise à tout le monde).
Par contre, c'est assez bizarre comme rêve, les miens sont terriblement terre à terre (peut-être le surmoi).
C'est court et efficace avec une agréable petite musique/ambiance de fond.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2011-09-02 14:09:24 

 Merci pour ta lecture !Détails
Contente que ça t'aie plu ! Ben, en fait, c'est pas la lettre mais les pensées du personnage qu'on suit... Chais pas trop comment corriger le problème, du coup.
Ben moi, je fais souvent des rêves hyper bizarres... J'en ai encore trois à écrire si je trouve le temps.

Est', bradeuse déchainée.

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-09-03 22:07:33 

 Commentaire Estellanara, exercice n°95Détails
Excellent! C'est rythmé, poétique, imaginatif. Il n'y a pas d'histoire mais c'est l'histoire d'une vie, le tournant d'une vie. Irréprochable. Juste la bricole d'un ^ sur envoûter. C'est cohérent, riche, techniquement très bien maîtrisé.
Un exercice très réussi. Un exercice.
Et si tu allais plus loin? Plus loin que ces exercices scolaires qui à ton niveau sont un jeu d'enfant... C'est une introduction parfaite pour une histoire plus longue. Elle part, elle revient, et qui sait, elle pourrait sauver sa soeur d'un danger quelconque... Mais c'est à toi d'écrire l'intrigue...
Je suis ravie que tu te souviennes de nous et te lire est toujours un bonheur. Mais j'ai envie de hurler à la lune devant tant de talent si peu exploité!
Alors haïs moi, insulte moi, maudis moi... mais écris!
Narwa Roquen,résolument odieuse et consciente de l'être

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2011-09-04 12:29:22 

 Va, je ne te hais point. (^-^)Détails
Rhooo merci... *rougit* Merci pour ta lecture et pour ta critique.
Ah, c'est que je ne prends pas le temps d'écrire des choses longues... Et puis, je ne sais pas, je m'y sens moins à l'aise. Et je ne suis pas sûre du tout, de mon côté, d'avoir le moindre talent à exploiter...
Et puis, j'aime le côté percutant des nouvelles. Et leur brièveté me permet de les finir. J'ai plusieurs textes longs en cours depuis de longues années, jamais finis. J'ai beaucoup de mal à m'astreindre sur la durée, de façon régulière, ce qui fait que j'abandonne les textes. Puis, quand je les reprends, mon style a changé ou le début ne me plait plus... Je songe à me ménager, un jour, une vraie plage de temps pour écrire avec régularité. Si je le fais, vous serez les premiers à me lire !!
Oh mais je ne vous oublie jamais ! Je passe régulièrement en fantôme, sans poster, pour voir qui parle.
Hihihi ! Mais je ne te hais pas du tout et je suis quelqun de très poli (quoique...) ! J'ai commencé quelque chose pour le 94; j'espère pouvoir le publier.

Encore merci pour ton avis !
Est', a ghost in the shell.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-09-04 17:39:46 

 Song from HamelinDétails
Je joindrai mes voeux à ceux de Narwa afin que tu puisses trouver le temps de baguenauder dans les chemins de traverse des WA. Chaque fois que tu postes une contribution, une jolie musique se fait entendre, une petite mélodie bien agréable à l’oreille et ce n’est pas ce récit qui scintille d’une douce lumière cendrée qui me démentira.

J’ai beaucoup apprécié la construction, toute en retenue, en demi-jour, qui effleure les choses plutôt qu’elle ne s’y attarde au risque de briser la magie qui se dégage de ce long poème en prose. Il y a de belles choses qui murmurent entre les lignes. Le regret indicible de l’adieu et l’attraction magnétique de l’inconnu. La Cohorte, des mondes (ou des univers !) qui se rapprochent le temps d’une procession, le mystère et la séduction, l’altéralité puisque j’ai compris que l’héroïne est différente.

J’aime aussi le rythme qui emprunte aux anciennes psalmodies, avec les répétitions qui battent la mesure et équilibrent l’ensemble. Le style est fluide et impeccable. Les images sont délicates et dégagent un charme singulier.

Epistolaires ou parlés, ces adieux en forme de délivrance illustrent de la plus belle des manières ton talent. Bienvenue parmi les tiens.


M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2011-09-05 11:31:34 

 Merci, vraiment (^-^")Détails
Je suis ravie que tu apprécies mon modeste texte... Faut me dire les trucs qui vont pas, aussi, pour que je m'améliore ! C'est bien agréable de repasser par ici, n'empêche.

Est', a ghost in the shell.

PS : j'y ai pensé aussi, en me relisant, au joueur de flûte.

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