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 WA - Participation exercice n°96 - 3 Voir la page du message Afficher le message parent
De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Dimanche 14 aout 2011 à 18:46:29
3 – LE PUITS


J’étais un enfant de mon siècle. J’ai vu de mes yeux les étrangers venus d’au-delà des mers, bien après que Marco Polo ait été reçu à la cour du premier empereur Yuan, Kubilaï Khan. J’étais curieux de connaître leurs coutumes et leurs machines. Je reconnaissais leur audace et leur pugnacité. Les temps changeaient et même la façon de mesurer le changement. Un nouveau siècle approchait, disaient-ils. Un siècle prometteur qui allait éclairer le monde comme jamais auparavant. J’avais parlé à un officier français, avant que tout ne dégénère. Il s’appelait Paul. Il venait d’une terre dénommée Bretagne. Il était fier du bâtiment sur lequel il servait, le croiseur d'Entrecasteau, un géant des mers de plus de cent vingt mètres de long. Il me parla de ses rêves et de ses espoirs. Ils n’étaient pas loin des miens. Mais il ne comprit jamais pourquoi les Chinois se révoltaient ainsi. Comment aurait-il pu ressentir l’amertume grandissante d’une population qui découvrait avec effroi que la Chine n’était qu’un nain sur l’échiquier mondial, son hostilité à admettre que les puissances étrangères puissent bafouer un ordre immémorial, son insupportable mortification après la déroute de nos armées en Corée contre l’Empire Japonais, un empire mineur à ses yeux ?

Quand la Milice de la Justice et de la Concorde, dont les membres étaient vulgairement appelés Boxers par les Occidentaux, entra ouvertement en rébellion, j’ai été tenté comme tous les autres Chinois, de me rallier à eux pour rabaisser une fois pour toutes la morgue des Légations. Perle me persuada d’examiner le problème sous un autre angle de vue. Selon d’autres perspectives. La Chine ne tirerait rien de bon d’affronter les occidentaux. Elle leur était inférieure sur trop de plans. Nous n’aurions aucune chance. Seules de profondes réformes permettraient à l’Empire de retrouver son rang sur la scène internationale et de secouer le joug qu’on voulait lui imposer.

C’était après que nous ayons fait l’amour, cachés dans la pièce secrète d’une aile désaffectée d’un palais mineur. Elle y avait aménagé une couche moelleuse et tout ce qui était nécessaire pour se restaurer entre nos ébats. Elle avait sélectionné les servantes les plus sûres et les plus fidèles pour officier là et protéger notre tranquillité.

Perle m’aimait. Elle me le répétait chaque fois que nous nous retrouvions à l’abri des regards. Enfin, c'est ce que nous croyions naïvement ! Elle qui était pour tous la Concubine favorite de l’Empereur. Mais la vérité était différente. Elle l’avait aimé, oui, et avant moi. Mais leurs sentiments avaient évolué peu à peu, se muant en une amitié indéfectible, Guangxu recherchant avidement ses conseils.

« Bei, me dit-elle un jour, languidement allongée sur le drap, les temps à venir seront marqués par une révolution politique, industrielle et économique sans précédent. Si nous ne réussissons pas à faire prévaloir nos idées, alors la Chine s’expose à des bouleversements que je n’ose imaginer. Regarde le Japon. Il a parfaitement assimilé les secrets et les rouages des sociétés occidentales. Regarde, est-ce qu’il a vraiment changé ? Non ! Leur empereur est toujours autant révéré, l’organisation de la société n’a pas été fondamentalement transformée. Il faut que la Chine suive ses traces ! »

Je caressai son ventre, doux et souple mais je grimaçai quand je répondis :

« Ne me parle pas des Japonais ! Engeance de malheur. J’étais à Asan, à la suite du Prince et j’ai vécu la débâcle ! Nos troupes n’ont eu aucune chance. Ils étaient mieux armés, mieux préparés, mieux encadrés et mieux dirigés ! »

Perle se mit à rire, de son rire de gorge qui réveillait toujours le dragon en moi :

« Ils ont appris auprès de tacticiens étrangers. Comme notre cuisante défaite navale sur la rivière Yalu. Tous nos bâtiments envoyés par le fond. Tous sauf deux. Dis-moi pourquoi ? »

Elle me taquinait, éveillant subtilement mon désir, comme elle savait si bien le faire. Je consentis à m’humilier davantage :

« C’était deux croiseurs sortis de cales allemandes ! »

« Tu as parfaitement raison ! Les Japonais ont également fait appel à un ingénieur naval français pour se doter d’une marine moderne et efficace. Je te prédis que le Japon deviendra au siècle prochain, une redoutable puissance maritime ! »

Elle se retourna vers moi et ses lèvres et ses mains prirent les commandes de mon corps, m’emportant dans un tourbillon de sensations enivrantes. J’oubliai les Allemands et les Français, l’indigence de l’Impératrice Douairière et la crise qui menaçait le Trône Céleste.

Oui. Perle était une intelligence vive et acérée qui voyait bien plus loin que les murs silencieux de la Cité Interdite. Elle essaya de conforter l’action de Kang et les efforts de Guangxu pour réformer l’Empire mais elle se heurta au conservatisme et à l’aveuglement des Mandchous qui s’accrochaient aveuglément à leurs privilèges et à leur passé glorieux !

Perle ! Je me souviens de ses cheveux adroitement coiffés en un chignon aux lourdes volutes, de ses yeux limpides et sincères, de sa bouche sucrée et rieuse, de ses mains exquises et expertes, de sa peau, diaphane et onctueuse, et de mille autres détails qui me ravissent toujours au plus haut point. Elle ne faisait jamais les choses à moitié et l’amour encore moins. Elle était aussi brillante que la plus brillante des étoiles du firmament. Mais une perle ne peut rien contre la tempête !

Une fois libéré, je me suis précipité au dehors, à la recherche du puits dont avait parlé la Sorcière. Une grande confusion régnait à l’extérieur. Dans un ciel obscurci par les volutes de fumée rabattues par le vent, des dizaines de serviteurs se pressaient, traversant les immenses cours, les bras chargés d’objets précieux, encadrés par des gardes qui les exhortaient à aller encore plus vite. Je croisai plusieurs autres officiers. Ils me jetèrent des regards vides, comme si tout ça ne les concernait plus. En fait, je n’ai pas mis longtemps pour trouver le puits. Il était situé dans les quartiers extérieurs de l’Est, derrière le Palais de la Paix et de la Longévité.

C’était un puits anonyme où rien ne rappelait l’atroce assassinat qui y avait été commis. Quelques papiers froissés traînaient par terre ainsi que les débris d’un vase de porcelaine éparpillés sur les briques d’or. Une anse presque intacte ressemblant à un dragon stylisé, racontait son histoire. De loin, je crus distinguer une sinistre tache de sang qui maculait le marbre du puits. Quand je m’approchai, je découvris toute la cruauté de Li Lianying. Il avait deviné ce qui allait se passer. Sur la margelle blanche et circulaire était déposée une écharpe de soie rouge, toute simple. L'étoffe était maintenue sur la pierre par un bol ciselé que je reconnus aussitôt. Il faisait partie du service entreposé dans notre pièce secrète. L’écharpe appartenait à Perle. Celle qu’elle avait choisie en pensant à moi, juste avant de répondre à un ordre pressant de l’Empereur qui la souhaitait à son conseil.

Nous ne le savions pas mais elle courait vers le piège qui allait se refermer sur elle !


M

(à suivre)


  
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