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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Dimanche 21 aout 2011 à 21:14:59
6 – LE MOWANG DEMASQUE


La lumière déclinait enfin au-dessus des murailles rouges de la Cité interdite. Je me mis en marche vers le Palais des Vagues de Jade. J’avais au préalable récité une prière adressée aux Dieux pour qu’ils favorisent mon entreprise. Le Luduan m’avait mis en garde. Je sortis de la Cité Impériale par la porte de la Prouesse Divine et je dirigeai mes pas vers le nord-ouest, vers la colline de la Longévité qui domine le lac de Kunming. J’avais auparavant gravi la colline aux charbons et je m'étais retourné une dernière fois en arrière. Sous mes yeux, malgré le voile jeté par la malédiction, miroitait la splendeur de la Cité Interdite. L’astre du jour glissait lentement derrière l’horizon, ses derniers feux embrasaient le pourpre et l’or des murs et des toits parfaitement alignés. Je me remis en route pour respecter la consigne de Luduan.

Parvenu au Palais d’Eté, je longeai la monumentale Porte de l’Est qui ne s’ouvre qu’au passage de l’Empereur pour m’engouffrer sous une poterne latérale et anonyme. Les sentinelles postées de part et d’autre n’esquissèrent aucun mouvement. Peut-être l’une d’elles a-t-elle frissonné inexplicablement lorsque je l’ai frôlée. J’étais devenu plus fantôme que vivant. Pourtant, si j’étais à présent exclus de la dimension commune, je n’évoluais pas encore dans la dimension inférieure. J’étais étranger aux deux mondes. Je me tenais précisément sur la frontière séparant le Yin et le Yang. Je n’étais ni bleu ni rouge.

Le crépuscule envahissait déjà les allées et les bosquets. Un clair-obscur régnait au-dessus des pelouses et des plantes aquatiques. Je pressai le pas. Le ciel était fermé au-dessus des grands arbres et le lac figé était un miroir d’eau enténébrée, aussi lisse qu’une lame de verre noir. Cette étrange atmosphère travestissait les repères et les contours. Je débouchai sur le Palais des Vagues de Jade au moment précis où le dernier grain de clarté était englouti dans le catafalque qui ensevelissait le Palais d’Eté. Je rassemblai tout mon courage et je m’avançai vers l’entrée sud, la seule encore accessible.

Trois marches délimitaient le perron qui s’ouvrait sur le Palais des Vagues de Jade. Les silhouettes estompées des eunuques se découpaient dans la faible clarté qui filtrait des appartements privés situés derrière eux. Je regardai de tous côtés. Rien ne bougeait dans les ombres profondes. Je posai un pied sur la première marche et j’attendis. Toujours rien. Avec une extrême lenteur, je mis mon autre pied sur la seconde marche, épiant la moindre perturbation autour de moi. Le Luduan ne pouvait s’être trompé ! Je fis un dernier pas et je fus sur le perron du Palais, à quelques foulées de mon maître !

A cet instant, l’ombre donna naissance à l’ombre. Une forme s’approcha de moi, ses contours se précisant peu à peu. C’était une jeune fille, aux longs cheveux pâles, qui paraissait entourée d’une aura d’argent frémissant. Elle était belle et simplement vêtue d’une longue tunique flottante qui balayait le sol. Elle tenait ses yeux pudiquement baissés et ses longs cheveux masquaient une partie de son visage. Elle semblait glisser sur les briques sans à-coup, maintenant ses bras le long du corps. Une infinie tristesse pinça mon coeur. Elle me rappelait confusément Perle. Cette même grâce aérienne, cette même ligne fine et volontaire, ces mêmes longs cheveux libres et doux. J’oubliai le conseil du Luduan, subjugué par une magie subtile. Ah, si je pouvais revenir en arrière et tout recommencer ! Hélas, le temps ne coule que dans un sens pour tous, hommes ou Dieux. Pour tous sauf pour un. Hélas, ce n’était pas moi !

Alors oui, cette apparition me désorienta, malgré les avertissements du Luduan, malgré tout l’attachement à mon Empereur, malgré la promesse qui m’avait été faite ! Je ne la repoussai pas quand elle me dit :

« Aie pitié d’une pauvre enfant jetée sur les chemins de la nécessité ! J’ai faim et j’ai soif ! Aide-moi je t’en prie et je saurai me montrer reconnaissante ! »

Sa voix était douce à mes oreilles. La malédiction semblait n’avoir pas de prise sur elle. Elle fondait en moi comme du miel dégouttant de son rayon de ruche. Son corps fut bientôt tout contre le mien. Les lignes de son visage dessinaient le plus bel ovale qui puisse s’imaginer. Sa peau était lisse et douce ! Parfaite et épurée était l’amande de ses yeux. Elle resplendissait comme une étoile tombée du ciel.

« La guerre m’a séparée de mes parents. J’ai dû fuir devant les diables étrangers. J’ai marché, encore marché, toujours de nuit, me cachant le jour pour échapper aux rôdeurs des chemins ! J’ai si faim ! Peux-tu m’aider ?»

J’étais prêt à tout tenter pour satisfaire son souhait. Ses lèvres touchaient presque les miennes quand ses yeux plongèrent au fond des miens et une horreur sans nom dissipa la magie qui m’enveloppait comme une mouche dans la soie de l’araignée. L’apparition lut dans mon regard qu’elle avait perdu son emprise sur moi. Ses bras enlacèrent mon cou en une étreinte de fer. Sa bouche se tordit en un ignoble rictus, découvrant des dents effilées comme des poignards. Je me débattis de toutes mes forces, essayant de la repousser. Mais, inexorablement, sa bouche démesurée s’approchait de mon cou. Malgré tous mes efforts, j’allais succomber à l’assaut de la créature démoniaque. A moins de dix mètres de là, les eunuques préposés à la garde de Guangxu ne se rendaient compte de rien. Juste le bruissement singulier des feuilles dans les branchages. L’effort que je déployais vidait rapidement mon énergie. Je luttai bientôt pour gagner quelques secondes supplémentaires, la fin devenant inéluctable.

J’étais à genoux, la créature exhalait une haleine fétide qui corrompait ma gorge. C’en était fait de moi, de Perle et de l’Empire. J’avais été imprudent, je n’avais pas respecté les exhortations du Luduan. Je fermai les yeux. Un cri de colère fusa et, soudain libéré de l’étreinte cauchemardesque, je tombai à la renverse.

Au-dessus de moi, se dressait un singe de taille humaine, vêtu d’une cuirasse étincelante et armé d’un long et lourd bâton. Je reconnus aussitôt Sun Wukong, le Singe de Métal, celui qui avait accompli tant d’exploits merveilleux. Il se tenait dans une posture de combat, bâton tendu devant lui. Plus loin, projetée à plus de trente pas, la créature se relevait lentement. Sa physionomie changea. Elle se métamorphosa en un démon grimaçant, aux orbites rougeoyantes et aux formes bestiales.

Sun Wukong lui adressa cet avertissement :
« Je t’ai encore mis à jour, Bai Gu Jing ! Retourne auprès de ton sinistre maître. Celui-là ne t’appartiendra pas ! »

« Tant pis. J’aurais apprécié de boire son sang et son âme. Enfin, ce qui lui reste d’âme ! Tant pis mais il a néanmoins perdu ! Il est trop tard ! J’ai réussi, mon maître sera content ! »

Le démon ricana d’une hideuse façon et disparut entre les ombres sans laisser de trace.

J’étais accablé. Le Singe de Métal m’aida à me relever. Comme un fou, je me précipitai vers le Palais. Je trouvai la salle où mon Maître finissait son repas. Il leva la tête quand je m’agenouillai devant lui, les larmes ruisselant sur mon visage :

« Altesse, j’ai failli ! J’ai failli à vous sauver! J’ai tout perdu en un seul instant ! Mon honneur, ma bien-aimée et j’ai trahi la confiance placée en moi ! »

Il voulut me réconforter quand un hoquet étrangla sa voix. Il porta les mains à son bas-ventre. Une souffrance aigue se peignit sur son visage qui devint affreusement pâle. Il s’affala en arrière sur les coussins, en poussant de petits gémissements et en transpirant abondamment. Un eunuque s’approcha de lui et lui posa la main sur le front.

« Cela a commencé ! » dit-il laconiquement.

L’Empereur déchu était pris de violentes convulsions qui crispaient son visage. Il vomit sur la soie sauvage une humeur jaunâtre mêlée de trainées sanglantes. Mon Maître se mourait ! J’étais désespéré.

Une voix forte et impérieuse m’appela depuis l’entrée de la salle :

« Viens, mon fils ! »

Ces mots cinglèrent comme des ordres et je me levai pour répondre à l’appel de Sun Wukong qui m’attendait sur le perron du Palais.

« Viens, il est inutile que tu assistes aux tourments de ton maître ! Tu ne peux plus rien pour lui. L’Empire est désormais perdu, ses jours sont comptés. Mais tu peux encore frapper l’instigateur de cette tragédie, le roi démon qui a ourdi cette conspiration ! »

« Celui qui manipule la Sorc... l’Impératrice Cixi n’est-ce pas ! »

« Oui. Je le connais aussi. Il se nomme Niu Mo Wang, le Roi Démon à la tête de Taureau ! Il se cache dans les appartements de Cixi. Avec mon aide, tu pourras l’affronter. Je ne sais si ton karma sera changé mais je suis d’humeur espiègle et qui ne tente rien n’obtient rien, n’est-ce pas ? »

J’étais aveuglé par la douleur et j’aurais fait n’importe quoi pour me venger.

« Indique-moi le chemin ! »

« Accroche-toi fermement à moi! Je suis capable de franchir plus de cent mille lieux d’un seul bond. Nous n’aurons pas besoin d’aller aussi loin ! Juste un minuscule sautillement qui nous propulsera tout droit dans les appartements privés de l’Impératrice, le mal-nommé Palais de la Grande Bienveillance ! »

Le Singe de Métal bondit au-dessus des nuages, m’emportant dans ses bras comme un fétu de paille. A peine avais-je pu distinguer les étoiles épinglées au firmament que nous retombions déjà, aussi brutalement que la foudre.

Le Palais de la Grande Bienveillance appartenait aux six palais de l’Est qui abritaient les appartements privés de l’Impératrice et des concubines. Nous franchîmes sans encombre les différents points de contrôles qui entouraient la chambre où reposait la sorcière. Enfin, j’allais pouvoir l’affronter. J’étais dans un tel état d’excitation et de désespoir qu’il me sembla que tout était possible. Aidé par le héros mythologique, je brûlais d’en découdre. Combien aurais-je mieux fait de réfléchir quelques instants avant de suivre sans hésiter le Singe de Métal !

Plusieurs braseros réchauffaient la pièce au centre de laquelle trônait un lit à baldaquin, en bois sculpté ajouré et laqué rouge et or. Les larges panneaux de bois précieux étaient finement ornementés. Les motifs figuraient généralement le Phénix, l’emblème personnel des impératrices de Chine. Derrière la tenture, elle sommeillait. Nul ne nous entendit quand nous traversâmes la chambre. Aucune oreille humaine, devrais-je préciser!

A peine avions-nous parcouru la moitié de la distance qui nous séparait du lit impérial qu’une brume opaque se leva dans la pièce, noyant mobilier et tapis sous une épaisse couche moutonneuse. C’était comme remonter un torrent tumultueux. Il me fallait lutter contre un courant invisible qui s’enroulait autour de mes jambes.

Une ombre gigantesque se leva lentement entre nous et notre but. C’était une forme démoniaque et terrifiante. Elle possédait une énorme tête taurine posée sur un torse cyclopéen. Ses jambes étaient épaisses comme des troncs d’arbres et ses bras n’étaient pas moins impressionnants, terminés par des battoirs capables d’enfoncer d’un seul coup ma pauvre boîte crânienne comme une vulgaire noix ! Sans jamais l’avoir rencontré, je sus que je me tenais devant un Mowang, un Roi-Démon. Même Sun Wukong suspendit son pas, soupesant son bâton et jaugeant son formidable adversaire.

« Ainsi voici les héros annoncés par mon serviteur! Le Singe de Métal et l’Humain sur le Seuil! Pourquoi prends-tu parti dans cette histoire, Sun Wukong? Tu aurais dû rester dans l’Ouest ! Ici, il n’y a pas de place pour toi à présent ! »

Sun Wukong le foudroya du regard :

« Je vais où je veux et je ne rends de compte à personne Niu Mo Wang ! Pas même aux Dieux ! Ils n’ont pas réussi à me dompter malgré le séjour qu’ils m’ont forcé à faire au coeur d’un four divin. Soixante-douze jours par ordre de l’Empereur de Jade, le roi des Dieux ! J’ai pourtant survécu, devenant plus fort encore ! Nul ne me résiste ! Alors, à ta place, je fanfaronnerais moins ! »

Niu Mo Wang répondit :

« Je ne suis pas aussi faible que Bai Gu Jing que tu as défait tout à l’heure ! Je tire ma force du coeur sombre de la Terre. L’Empire du Milieu a vécu. Les vieilles valeurs n’ont plus cours. L’Ordre Naturel est révolu et un règne obscur va s’ouvrir bientôt. Je veux écrire une nouvelle page pour la Chine, plus ténébreuse! Telle est mon dessein, mon grand oeuvre ! Malgré toute ta force et ta bravoure, tu ne pourras t’y opposer ! Mon nom s’inscrira en lettres de feu dans les temps à venir ! »

Sun Wukong fit un pas en avant, sa silhouette avait grandi jusqu’à occuper tout l’espace séparant le sol du plafond. Sa voix tonna comme un ouragan :

« Que m’importe les siècles futurs! J’ai affronté les Roi-Dragons dans leur forteresse sous-marine et j’ai pris ce dont j’avais envie! Veux-tu tâter de ce bâton que nul ne parvient à soulever à part moi ? »

Le Roi-Démon sembla hésiter un instant. Puis il cracha au sol et jeta ces paroles avant de déguerpir dans un halo de flammes vivantes :

« Faites ce que bon vous semble de la vieille folle. J’en ai terminé avec elle. Mais nous nous retrouverons. Ailleurs et plus tard ! »

Seul son sinistre ricanement flotta quelques secondes encore derrière lui. La brume se dissipa, comme avalée par une bouche invisible.

Sun Wukong se retourna vers moi :

« C’est ici que je te quitte même si ton aventure n’est pas terminée. Le Roi-Démon avait raison. Les vieilles lois changent et les Cinq Eléments devront se préparer en conséquence ! Nos routes se croiseront à nouveau avant que la fin n’advienne! Au revoir Guan Bei! Tout n’est pas perdu... pour toi ! ajouta-t-il »

Il sortit vivement de la chambre et je ne le revis plus.

Je m’approchai du lit et j’ouvris les rideaux de tissu. J’espérais que la Sorcière, en me voyant, aurait au moins une expression surprise. Je fus déçu. La seule expression que je découvris sur son visage, fut celle de la terreur. Sa dernière expression, figée dans une mort douloureuse. La poupée n’avait pas survécu au dédain de son maître.

J’étais à nouveau seul et désemparé. Je regagnai lentement le puits de marbre et je décidai de refermer les paupières.

M
(à suivre)


  
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