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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Lundi 5 mars 2012 à 14:54:45
LE DRAGON DES CZERNIKS ( 5 )


Résumé des épisodes précédents :
Le Dragon des Czerniks a toujours protégé la Svetlakie, mais il a disparu il y a bien des années ; on raconte qu’ avec ses sbires fantômes il a massacré le roi Igor, la Reine et le prince Vlad, héritier du trône. Les deux princesses, Marishka et Sonia, ont pu s’échapper. Marishka, l’aînée, est devenue Reine, en dissimulant à tous que contrairement à Vlad et à Sonia, elle ne possède pas le Don des Svetlakov qui permet de communiquer avec les animaux ; or ce Don est une condition indispensable à l’accession au trône.
Juste avant ses quinze ans, Sonia découvre que le Dragon a été assassiné, et que Marishka est responsable de sa mort ainsi que de celle de sa famille, pour réaliser son ambition. Après avoir essayé en vain de tuer sa soeur, Sonia s’enfuit. Sa jument Nadievna l’emmène dans les monts Czerniks à la recherche d’autres Dragons pour l’aider à destituer Marishka, Reine illégitime, meurtrière et cruelle envers le peuple. Chemin faisant elle rencontre Alexeï, un étrange vagabond qui lui sauve la vie. Elle trouve enfin Xetiakh, la femelle de Golgotch, qui accepte de l’aider si elle passe un an à son service.
Pendant cette année, elle aide à l’éclosion du dernier oeuf des Dragons, qui se nomme lui-même Soxtiotch ; elle partage la vie des deux Dragons jusqu’à l’automne suivant, où Xetiakh lui rend sa liberté. Alors qu’elle retrouve sa jument Nadievna et Hari, le gros chien d’Alexeï, ceux-ci lui apprennent que le jeune homme a été enlevé par des Thornterriens. Sonia décide de partir à sa recherche en différant son retour en Svetlakie.




« Raconte-moi, Nadievna. Quand a-t-il été enlevé ? A quoi ressemblaient ses ravisseurs ? Et qu’avez-vous fait pendant cette année ? Avez-vous parlé de moi ? Crois-tu que je lui ai manqué ? Est-ce que...
- Holà, petite fille ! Mais je devrais peut-être t’appeler grande fille, maintenant... Seul un cheval à plusieurs têtes pourrait répondre à toutes ces questions en même temps, et tu n’aurais pas assez d’oreilles pour tout entendre... Laisse-moi donc parler à mon rythme ! »
Ils avaient habité la petite cahute où Sonia avait rencontré Alexeï. Le jeune homme avait réparé la toiture, fabriqué de nouveaux volets, quatre chaises, un grand lit. Il avait beaucoup chassé, cousu ensemble des peaux de bêtes pour en faire des couvertures. Et il avait construit un vaste abri attenant à la cabane, fermé sur trois côtés, pour y loger Nadievna pendant l’hiver et y entasser la réserve de bois. Un mois auparavant, il était descendu au village le plus proche pour acheter à Sonia une paire de bottes et de nouveaux habits, car il se doutait qu’elle en aurait besoin à son retour.
« Trois jours plus tard, je broutais devant la maison quand j’entendis Hari aboyer.
- Il voulait encore couper du bois pour confectionner un coffre
», continua le Czernikois. « Des hommes sont arrivés à pied, ils nous ont encerclés, ils ont tiré l’épée... Aliocha ne pouvait rien faire ! J’ai aboyé pour alerter Nadievna, qui en a assommé deux, j’en ai mordu trois, mais il y en avait encore cinq autour d’Aliocha. Il nous a crié :
- Sauvez-vous, mes amis ! Je vous aime tous les trois
!
- Tous les trois ?
- C’est ce qu’il a dit.
- Et ces hommes, comment étaient-ils ?
- Ils portaient la barbe en collier, comme les Thornterriens», intervint Nadievna. «Vêtus de noir, ils avaient un blason cousu sur l’épaule droite, un blason doré.
- Une ronce noire sur fond d’or
», précisa le chien. « Nous les avons suivis de loin ; ils ont repris leurs chevaux au village, passé la frontière à Mensk, et ils ont rejoint Thornia, la capitale. Nadievna s’est cachée aux alentours et j’ai pu me faufiler dans la ville. Les odeurs étaient faibles et embrouillées, mais j’ai trouvé sa piste. Elle menait au palais ! J’ai essayé vingt fois d’entrer, je te le jure, Sonietchka, mais les gardes étaient vigilants. Même un chien errant ne pouvait pas franchir les portes!
- Mon pauvre Hari, je te crois. Vous avez fait tout ce que vous pouviez. Hélas ! »
Elle se baissa pour caresser longuement le chien, puis s’appuya contre l’encolure de la jument en lui grattant le garrot. Une fois encore, elle se surprit à penser que tout était tellement plus simple avec les animaux...




Revêtue des habits d’homme qu’Alexeï avait laissés pour elle, les pieds bien au chaud dans des bottes de cuir qui semblaient avoir été taillées sur mesure – comment avait-il pu deviner ?-, Sonia sella sa jument, puis jeta un dernier regard nostalgique à la cabane. Elle l’avait rencontré là, il l’avait attendue là, il avait tout préparé pour son retour, là... Et un peu plus haut dans la montagne, quelque part entre la neige et le ciel, il y avait deux Dragons avec qui...
« Tu es prête, petite fille?
- Tu as raison, Nadievna, le passé ne reviendra pas. Il nous appartient d’écrire notre avenir. En route ! »
La jument se cala dans un pas chaloupé et constant, bercement consolateur autant que promesse vigoureuse.
« Hé... tu n’as pas perdu ton assiette, c’est bien ! Je m’attendais au pire, après un an sans monter...
- C’est que... Je suis montée...
- Xetiakh avait des chevaux ? Un âne?
- Non... Sur son dos...
- Nom d’un trèfle rose ! Tu as chevauché la Dragonne?
- Quelquefois... Mais bien après que Soxtiotch ait appris à voler !
- Sox...
- Marche. Je vais te raconter. Quand j’arrivai enfin à la grotte de Xetiakh, effrayée, épuisée, transie, elle me renvoya aussitôt chercher du bois pour le feu. Les larmes gelaient sur mes joues et je ne sentais plus mes mains, mais la Dragonne alluma le feu et elle se montra étrangement compatissante. Puis, le lendemain... »




Le frémissement de Nadievna tira Sonia de sa rêverie.
«Nous arrivons. Ce sont les tours de Thornia. »
La citadelle se dressait devant eux, imposante et fière, entourée d’un mur d’enceinte crénelé en pierre grise ; deux tours noires émergeaient de la forteresse, gigantesques et pointues comme deux poignards déchirant le ciel. Sonia frissonna.
« Cette ville n’a pas l’air accueillante...
- Ses bâtisseurs voulaient inspirer la crainte», lui répondit Hari avec philosophie. « Mais il doit y vivre aussi des braves gens, là comme partout...
- Néanmoins... Petite fille, ne révèle à personne notre provenance. Fais-toi passer pour une Levantine, ou une Jivonoise
...
- Je te rappelle que je porte des habits d’homme !
- Bien, un garçon ! Mais surtout ne parle pas de la Svetlakie!
- Et pourquoi ?
- Tu n’as donc rien retenu de tes leçons d’histoire ? Autrefois la Svetlakie et Thornterre étaient unies dans le même royaume. Mais à la mort du roi Vassili, ses deux fils Dmitri et Fiodor se battirent pour le trône. A la demande de leur mère, la douce et sage Natacha, le royaume fut scindé en deux. Pourtant les deux royaumes ne cessèrent à travers les âges de s’affronter pour des prétextes futiles. Jusqu’à ce que ton père Igor ne réussisse, avec l’aide de Golgotch, à infliger une sévère défaite à Ivan, roi de Thornterre ; le Dragon le priva de ses pouvoirs magiques, et depuis les deux peuples vivent en paix. Mais de même qu’on t’a élevée dans la crainte des Thornterriens...
- Et comment sais-tu tout cela ?
- J’ai vécu pendant la dernière guerre, qu’on a appelé la Guerre du Dragon. J’y ai participé. Je suis mort au combat. Je m’appelais Sergheï. Capitaine Sergheï Nadiev.
- Le Capitaine Nadiev ? Celui qu’on surnommait la Tour, parce que deux hommes pouvaient se cacher derrière lui, et qu’il était aussi inébranlable qu’un mur de pierre ?
- Voilà bien les enfants, qui retiennent les anecdotes au détriment de l’Histoire... »
La main de la jeune fille glissa sur l’encolure de la jument.
« Je suis vraiment désolée. Je te promets de ne jamais oublier la leçon.
- Bah », soupira Nadievna, «c’est la vie. On naît, on meurt, on renaît, on meurt à nouveau. La gloire est une chimère que balaie le vent de l’oubli. Dépêche-toi d’inventer un mensonge, nous arrivons. »



Dans la foule qui se pressait pour passer les portes de la cité, les trois compagnons étaient précédés par une charrette lourdement chargée de tonneaux de vin.
« Tu viens d’où, tu portes quoi ? », demanda le garde barbu.
- Divostok, j’amène du vin pour la Fête des Retrouvailles. »
Le soldat vérifia le chargement, regarda sous le chariot.
« Tu peux passer. »
« So-Xi-Takh », déclara Sonia avec un accent rauque et nasillard typique des peuples de l’Est. « De Jivonie je viens. Dresseur je suis, et mes numéros de cirque pour la Fête des Retrouvailles je propose. Allez, Hari, aide-moi ! Fais le beau, et toi, Nadievna, piaffe !
- Un chien de ma qualité! », protesta Hari en pensée, alors qu’il prenait un air idiot en tirant la langue et en faisant le beau, pendant que Nadievna, montant le dos, exécutait un piaffer impeccable.
Le garde haussa les épaules.
« Tu peux passer. »
Sonia se fendit d’un sourire émerveillé, tout en pensant :
« Merci, mes amis, le plus dur est fait !
- Le Donateur t’entende
!», commenta Hari.
Sur la grand place, de nombreux camelots avaient dressé leurs étals. Sonia mit pied à terre.
« J’aimerais bien savoir ce que c’est que cette Fête des Retrouvailles. Ouvrez bien vos oreilles! »
Elle fit semblant de s’intéresser aux armes d’un coutelier, et n’eut pas longtemps à attendre. Derrière elle, deux commères répondirent sans le savoir à sa question.
« Eh bien, enfin une fête ! Et tu crois qu’on va le voir ?
- Oui, oui ! Mon gendre, qui est le cousin d’un garde du Palais, dit que le Roi apparaîtra au balcon à midi ! Avec son fils !
- Notre Prince ! Quelle histoire, tout de même ! Enlevé par ces brutes de Svetlakiens, depuis trois ans ! Séquestré, torturé sans doute...
- Hélas... Il aurait perdu ses pouvoirs... Mais les Curateurs s’en occupent, ils ont bon espoir... »
Sonia avait fait volte face et ouvrait déjà la bouche pour crier quand Hari la bouscula d’un coup d’épaule, manquant de la faire tomber.
« Tais-toi ! Tu vas nous faire repérer !
- Mais les Svetlakiens n’ont enlevé personne ! Et nous ne sommes pas des ...
- Est-ce que le mot de propagande fait partie de ton vocabulaire
? », demanda sévèrement Nadievna, « ou est-ce que cette leçon-là aussi tu l’as manquée? »
Sonia se renfrogna.
«C’est bon, j’ai compris. Mais il me tarde bien de voir la tête de ce prince martyr, et d’écouter les mensonges du roi. Promis, je garderai mon calme. En attendant, il faut trouver la prison. C’est sûrement là qu’ils retiennent Aliocha.»
Ils firent tout le tour du palais, Hari la truffe au sol cherchant désespérément une odeur familière. Enfin un bâtiment bas, clos par une porte sinistre en fer noir, avec quelques fenêtres étroites fermées par des barreaux... Le coeur de Sonia se mit à cogner.
« Il est là, il est là, j’en suis sûre... »
Hari se mit à aboyer furieusement, et des têtes apparurent aux soupiraux, hirsutes, hagardes, hébétées.
« Y a-t-il un jeune homme parmi vous ? Arrivé depuis peu... Avez-vous vu arriver un jeune homme ? Il y a un mois, à peu près... Excusez-moi... Un nouveau prisonnier, jeune, brun... C’est... c’est mon frère, vous l’avez vu ? »
Elle parcourut toute la façade du bâtiment, priant, suppliant, exhortant. Les têtes ricanaient, ou déniaient, ou se détournaient. Un garde passa, faisant sa ronde.
« Vite, Hari! »
Le chien se mit à marcher sur ses pattes de derrière, à faire la toupie pour attraper sa queue, à sauter en aboyant tout autour de la jument.
« Va-t-en ! Il est interdit de s’approcher de la prison ! Dégage !
-Oui oui oui », répondit Sonia avec un grand sourire idiot, comme font les étrangers qui ne comprennent rien à la langue. Au même moment, le clocher sonna douze coups.



Essoufflés de leur course, les trois compagnons arrivèrent sur la grand place au moment même où deux trompettes, sur le grand balcon du palais, sonnaient pour ameuter la population.
« Braves gens de Thornterre », annonça le héraut, « faites silence et inclinez-vous devant sa majesté le Roi Ivan ! »
Devant la foule muette aux yeux baissés, le roi se montra au balcon.
« Peuple de Thornterre ! Ce jour béni est enfin arrivé ! Réjouissez-vous et festoyez, car le malheur est derrière nous ! Mon fils bien-aimé, votre Prince héritier, nous a été rendu ! Epuisé, il est vrai, par trois années de souffrances infligées par nos ennemis de toujours, ces Svetlakiens sournois, lâches et barbares...
- Hou hou hou... » gronda la foule en colère. Sonia ferma les poings et serra les dents.
- « Mais Thornterre est un grand royaume, et le Donateur dans sa miséricorde nous a permis de retrouver notre plus beau joyau. Mon fils est un puissant sorcier. Et dès qu’il aura affermi ses immenses pouvoirs, nous repartirons en guerre, et cette fois nous irons reconquérir notre dû. Que tremble la Svetlakie impie, car notre justice sera impitoyable ! Ses territoires déloyalement volés à notre Couronne feront bientôt à nouveau partie de notre patrimoine, de votre patrimoine ! A vous les terres fertiles, les mines d’or et de diamants, les esclaves soumis qui travailleront pour vous... »
Un tonnerre d’applaudissements accueillit ce discours. Le moindre bateleur, le plus affamé des paysans se voyait déjà honorable, respecté, riche, obèse, accumulant deniers et pierreries, repu de mets raffinés jusqu’à la nausée...
« Thornterriens, mes amis, mes frères, faites trembler le sol de notre glorieuse patrie en accueillant comme il le mérite... le Prince Alexeï ! »
Le roi se tourna en souriant vers un jeune homme qui s’avançait, suivi de près par deux soldats. La foule l’acclama avec ferveur, mais il ne salua pas. Il garda le regard perdu dans le lointain et l’attitude figée d’un arbre mort. Sonia porta la main à sa poitrine, déchirée par une douleur fulgurante.
« Tais-toi, je t’en prie, ne bouge pas, ne fais rien! », l’exhorta Nadievna d’une pensée tordue par l’angoisse.
« Attends un peu, il y a sûrement une explication, je le connais, j’ai vécu presque trois ans avec lui, je t’en supplie... » La pensée du chien se perdit dans un gémissement pitoyable.
Le balcon s’était vidé, les gens riaient et se congratulaient, des orchestres se mettaient à jouer un peu partout, des odeurs de beignets et de viande grillée envahissaient la ville, des jeunes filles passaient en jetant à pleines poignées des pétales de roses... Traînée par Hari qui avait saisi sa manche, poussée par Nadievna du bout de son museau, Sonia avançait comme un somnambule à travers les rues noires de monde. Enfin, une impasse déserte, un petit coin de solitude et de silence... Elle s’effondra en sanglotant sur les pavés inégaux. Aliocha ! Aliocha qui lui avait enseigné à faire du feu, Aliocha qui lui avait sauvé la vie, Aliocha qui lui avait promis de l’attendre... Un Thornterrien, un menteur, un sorcier ! Un ennemi, qui viendrait réduire la Svetlakie en esclavage ! Un instant de révolte la fit se redresser :
« Je préférerais le voir mort que... que... Ce n’est pas possible ! »
Les larmes reprirent de plus belle, et au désarroi immense vint s’ajouter la peur.
« Nous sommes en danger ici... et... je suis devenue folle quand j’ai compris que Marishka... Je ne vais pas réussir... Je suis trop faible... »
Le sabot de Nadievna frappa le sol avec colère.
« Lève-toi ! Tu es Princesse de Svetlakie, et notre future Reine légitime. Ta conduite est indigne ! Tu as vécu quinze ans d’insouciance, et alors ? Crois-tu que les soldats qui sont morts dans nos guerres pour conserver ton royaume étaient tous plus âgés ou plus aguerris que toi ? Ils ont donné leur vie pour toi et n’ont pas pleurniché ni gémi devant la peur ou la souffrance ! Que dirait ton père s’il te voyait te traîner au sol comme une limace baveuse parce qu’un homme t’a déçue ? Est-ce bien là le sang des Svetlakov ? Hier tu chevauches un Dragon et aujourd’hui tu geins comme un nourrisson qui a perdu son jouet? »
Sonia se leva sous l’injonction, hoquetant et soupirant, mais essayant de faire meilleure figure. Le ton de la jument se radoucit.
« Tu étais persuadée que Golgotch avait tué ta famille, n’est-ce pas ? Et pourtant il n’en était rien. Si un jour tu dois régner, il te faut acquérir la sagesse de ne jamais te fier aux apparences, et de ne croire que ce que tu auras vérifié par toi-même.
- Mais je l’ai vu, comme tu l’as vu ! Sur le balcon, à côté de son père...
- Qu’est-ce que tu as vu ? Oui, l’héritier de Thornterre. Mais tu n’es pas semblable à ta soeur. Pourquoi serait-il semblable à son père ? Moi, ce que j’ai vu, c’est un homme fatigué, figé, contraint, encadré par deux soldats... pas un futur despote arrogant et enthousiaste, cherchant les faveurs de la foule !
- Je le connais
», ajouta Hari, « je ne peux pas croire qu’il ait changé à ce point...
- Alors
... », renifla Sonia, « il serait vraiment prisonnier, il serait...
- Nous ne partirons pas d’ici avant d’avoir établi la vérité
», décréta la jument.
- «Bien parlé! », approuva le chien. « Nous lui devons bien ça.
- Et comment on fait ?
», gémit Sonia, prête à pleurer de nouveau.
- «Si son Altesse la Princesse Royale de Svetlakie voulait bien se donner la peine d’utiliser sa Royale Intelligence... »
Sonia foudroya la jument du regard, mais aussitôt après, elle se mit à réfléchir. S’il y avait un moyen d’approcher Aliocha, elle devait absolument le trouver, et pour troublée qu’elle fût, c’était à elle de prendre l’initiative. Vaguement, dans un coin obscur de son esprit, il lui sembla entendre le cri de chasse d’un Dragon, et la voix de Xetiakh lui répéter :
« Le Dragon des Czerniks protège la Svetlakie. Courage, Princesse. Tu as déjà fait des choses plus difficiles ! »



Aux portes du palais se pressaient jongleurs, acrobates et ménestrels, quémandant aux gardes austères le droit d’entrer pour montrer leur spectacle au roi, dans l’espoir d’une récompense sonnante et trébuchante.
« Hugolin le barde, je te connais... tu peux entrer...
- Moi, moi, monseigneur ! Je suis le meilleur jongleur de Thornterre, regarde ! » L’homme lança quatre balles dans les airs, mais en manqua une, qui roula vers Hari. Le chien jappa de plaisir, la rapporta joyeusement au jongleur déconfit, puis entama une série de cabrioles endiablées, et s’immobilisa aux pieds du garde, vers qui il tendit la patte en inclinant la tête sur le côté, la langue pendante. Nadievna, qui ne voulait pas être en reste, se dressa sur les postérieurs et avança ainsi, laissant retomber ses antérieurs de chaque côté du chien, qui ne broncha pas. Sonia vint se glisser sous le poitrail, et la jument posa ses antérieurs sur ses épaules. Spontanément, la file des artistes applaudit.
« Très bien », soupira le soldat, « puisque tes collègues ont l’air d’apprécier... Passe. »
Sonia tournait en rond dans la petite pièce attenante à la salle du banquet. Le chant du ménestrel n’en finissait pas. Si Aliocha la dénonçait, elle serait une proie facile... Marishka serait trop heureuse de se débarrasser d’elle si déjà le roi Ivan demandait une rançon... A moins qu’il ne la fasse égorger tout de suite. Ce qui en quelque sorte valait peut-être mieux, parce que sans Aliocha... Mais la Svetlakie... C’était une folie, de se jeter seule dans la gueule du loup...
« Le Dragon des Czerniks protège la Svetlakie, et ton peuple attend la délivrance! »
« C’est à toi, dresseur. Incline-toi jusqu’au sol, et attends le bon vouloir du roi. »
Sonia inspira profondément, accrocha un sourire béat sur son visage encore humide de larmes, redressa ses épaules et entra.
« Majesté, un jeune dresseur, venu de Jivonie...
- Bien, bien, qu’il fasse... »
Le roi interrompit le majordome d’une voix passablement agacée. Il détestait les banquets qui traînaient en longueur, il avait la musique en horreur et méprisait les saltimbanques, ces parasites stupides qui volaient leur pain sur la naïveté des pauvres gens. Mais c’était jour de fête, les Thornterriens allaient bientôt mourir au combat, il avait besoin de leur fidélité pleine et entière. La politique requiert souvent hypocrisie, patience et concessions. Le roi soupira et se resservit un gobelet de vin.
Hari se mit à aboyer en sautant autour de Nadievna, qui se cabra en hennissant, boxant l’air de ses antérieurs comme un étalon furieux, tandis que Sonia, un genou à terre, déclarait d’une voix forte :
« Prince Alexeï, c’est un honneur de vous revoir ! »
Le prince, assis à la droite du roi, et derrière qui se tenaient toujours deux soldats, promena un regard absent sur la salle remplie de notables et de dignitaires. Regard qui s’attarda un instant sur le chien, sur le cheval, sur le dresseur... Raide comme un automate, il se leva, le verre à la main, comme pour porter un toast... et s’écroula sur la table dans un fracas de vaisselle et de verres brisés.
« Le Prince a un malaise ! Faites venir les Curateurs ! Le spectacle est terminé, dehors, dehors... »
Alors que Sonia, désolée, se dirigeait à contrecoeur vers la sortie, pensant que tout était perdu, un immense éclair de feu embrasa la salle du banquet, suivi par une épaisse fumée noire qui rendait l’air épais, opaque et irrespirable.
« Qu’est ce qui...
Ne te retourne pas ! Dehors, petite fille, dehors, vite... Monte sur mon dos, le temps presse! »
Tandis que le palais retentissait d’explosions et de hurlements de détresse, les trois compagnons réussirent à se frayer un chemin vers l’air pur du parvis. Autour d’eux, tout le monde fuyait se mettre à l’abri. Aucun spectacle, aucun banquet, aucune garde ne valait qu’on y laisse la vie ! Ils s’apprêtaient à galoper vers les portes de la ville quand un cri les figea sur place.
« Sonietchka ! »
Nadievna fit un demi-tour sur les hanches, et avant que Sonia soit revenue de sa surprise, Alexeï était en croupe derrière elle et la jument s’élançait de toute sa puissance, précédée par un Hari qui montrait les dents pour écarter les importuns. Des trompettes sonnèrent, au milieu desquelles retentissait la voix tonitruante du roi.
« Pourchassez-les ! Rattrapez-les ! Le Prince a été repris ! A mort les ennemis de Thornterre ! Soldats, à cheval ! Je veux leurs têtes ! Je veux... »
Nadievna dévala la colline plus vite que le vent. Sonia sentait les bras d’Alexeï qui serraient sa taille, la chaleur de son corps contre son dos, et la vitesse, et la liberté, et l’enivrement, et le bonheur, et la certitude...
La jument s’arrêta enfin au bord d’un ruisseau. Les cavaliers mirent pied à terre, étourdis, essoufflés. Hari lapait déjà l’eau avec frénésie.
« Merci, Sonietchka. Ils m’ont enlevé, drogué... Je... je ne suis pas comme eux, il faut me croire... Je ne veux pas de guerre. Je ne veux pas être leur sorcier. Je suis parti pour ça. J’ai tout fait pour oublier mes pouvoirs. Il faut que tu me croies...
- Je te crois », murmura Sonia dont les yeux s’embuaient de larmes de joie. « Je te crois... »
Au loin des clameurs guerrières semblaient se rapprocher.
« Si je comprends bien», ricana Hari maintenant désaltéré, « non seulement nous avons encore la Svetlakie à sauver, mais en plus nous avons tout Thornterre à nos trousses... De mieux en mieux!
- Tu as raison, Hari », répondit Aliocha. « Mais... il se pourrait que je ne sois pas sans ressource...
- En selle, vite, tous les deux ! Nos poursuivants se rapprochent, nous discuterons plus tard !
- Mais il
...
Sonia ne finit pas sa phrase. Aliocha l’avait jetée sur la selle et était remonté derrière elle. La jument repartit à bride abattue.
« Je suis toujours là, princesse Sonia. Le Dragon des Czerniks ne faillira pas à sa tâche. Les Dragons ! Soxtiotch est presque adulte, maintenant, et il insiste pour combattre à tes côtés! »
Sonia ferma les yeux. Le danger était derrière, et le danger était devant. Le présent était incertain, l’avenir plus qu’aléatoire. Mais jamais aucune peur ne lui avait paru plus souriante, aucun péril plus confortable, aucun doute plus rassurant. Que valaient les armées de Thornterre et les mercenaires de Marishka, face à la certitude que sa cause était juste et qu’elle ne serait plus jamais seule pour la défendre...
Narwa Roquen, vous reprendrez bien un petit oxymore?


  
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3 le fait qu'ils le cherchent - z653z (Mar 15 mai 2012 à 23:17)
3 Denari e spade - Maedhros (Dim 25 mar 2012 à 18:21)


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