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 WA - Participation exercice n°107 -part II Voir la page du message Afficher le message parent
De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Jeudi 7 juin 2012 à 22:54:51
Bon, la deuxième partie... bon courage Narwa!
La consigne est enfin respectée!
C'est déjà ça!

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La Bande-son (cliquer sur PLAY)


Les deux armées se faisaient maintenant face, séparées par un no-man’s land à peine supérieur à un jet de flèche. Les lignes de guerriers suivaient le relief du terrain, leurs armes luisant comme autant de bouquets métalliques quand les rayons du soleil allumaient leur coeur d’acier. Les hommes du Duc étaient disposés en rangées compactes et disciplinées qui, longeant le Rempart, fermaient toute la largeur de la passe. Les premiers rangs tenaient fermement devant eux de lourds boucliers rectangulaires et cintrés, hauts de trois coudées et demie. Travaillés dans un alliage brillant et polis à l’extrême, ils formaient une muraille éblouissante qui renvoyait durement la lumière verticale tombant du ciel.

Derrière eux, en lignes serrées, des fantassins empoignaient de longues piques qui hérissaient chaque intervalle entre deux boucliers devant eux. Leurs hampes en frêne étaient dotées de fers quadrangulaires capables de stopper une charge de cavalerie. Si les Fauconniers étaient d’excellents archers et de coriaces fantassins, ils ne possédaient en revanche aucune tradition équestre. C’étaient de solides montagnards. Dans leurs montagnes, les chevaux de guerre étaient tout simplement inutiles.

Derrière les piquiers étaient postés les lanceurs de javelots, plus sobrement vêtus de simples cuirasses de cuir, dont la mission consistait à abattre les capitaines et officiers ennemis chargés de rameuter leurs hommes et qui se seraient aventurés trop près de la ligne de front.

Puis, regroupée sur les ailes et au centre, attendait l’infanterie lourde composée de vétérans propriétaires de leurs armes, des glaives et des haches en métal noble. Elle constituait en effet la fine fleur du ban fauconnier. Les tabards rouge et blanc, frappés au coeur du Faucon Pèlerin, rutilaient par-dessus les hauberts ajustés. Les casques corinthiens, surmontés de cimiers où les plumes de rapaces remplaçaient le crin, inspiraient la crainte et le respect. Les couvre-joues étaient si enveloppants et se rapprochaient si près du nasal qu’il semblait que des dizaines de tours d’acier empanachées attendaient patiemment, chacune percée par deux fines rayères.

Les phalanges de l’infanterie légère stationnaient entre les régiments de l’infanterie lourde, son armement plus léger lui permettant de manoeuvrer rapidement au milieu des combats. Dans leurs rangs, tous brûlaient d’en découdre avec les Seigneurs Taurins, impatients de montrer leur bravoure et leur témérité. Là naissaient les héros, disait un vieux dicton fauconnier. Mais dans les villages accrochés aux plus hautes montagnes, nombreuses étaient les femmes voilées de noir qui portaient le deuil d’un jeune époux ambitieux ou celui d’un fils trop avide de gloire.

Enfin, postés aux créneaux encore en place bien que branlants ou massés de par et d’autre de la muraille éventrée, se tenaient les archers, les meilleurs d’entre les meilleurs. Leurs arcs étaient à demi- bandés, les fascines de flèches posées à leurs pieds. De temps en temps, une plainte stridente déchirait les cieux. Une Harpie trop audacieuse, s’étant imprudemment avancée, était frappée en plein vol par une flèche impitoyable. Alors, pendant que l’infortunée dégringolait du ciel, ses soeurs poussaient de longs cris déchirants qui ponctuaient sa chute. Quand son corps heurtait finalement le sol, de longs vivats s’élevaient des rangs Fauconniers tandis que les troupes taurines demeuraient silencieuses. Etonnamment silencieuses.

L’armée des Fauconniers était impressionnante. On aurait dit un seul corps dont chaque partie évoluait en parfaite harmonie avec toutes les autres, sans jamais rompre l’équilibre de l’ensemble et sans jamais qu’un seul mouvement fragilise la cohérence stratégique globale. A l’écart, entourée de sa garde prétorienne et bien à l’abri entre deux régiments d’infanterie lourde, le Duc et son état-major occupaient une petite éminence d’où ils pouvaient embrasser toute la plaine.

Le cavalier montait un grand et splendide alezan, aux jambes à la blancheur immaculée et aux sabots de feu. C’était un animal fabuleux semblant surgi d’une ancienne légende. Celui qui le montait n’était pas moins prodigieux. Il était de haute stature et possédait une musculature hors du commun que soulignaient ses massives épaulières d’airain. Des tatouages sombres et filiformes se devinaient, entourant ses bras puissants. Son visage demeurait invisible, totalement caché sous une salade à mézail surmontée d’un étrange cimier. Il s’agissait d’une roue stylisée munie de trois rayons équidistants. Son pourtour était gravé d’une ligne de minuscules glyphes. Une longue épée battait le flanc de sa monture et un large bouclier en demi-lune était accroché dans son dos. C’était un guerrier. Un formidable guerrier. Un guerrier surhumain. Peut-être même était-ce un Dieu de la Guerre lancé au grand galop vers le Rempart. Des gerbes d’étincelles étaient soulevées par les sabots de sa monture qui martelaient inlassablement les pierres du chemin. L’animal ne paraissait pourtant nullement harassé, ses oreilles bien droites tournées vers son cavalier. Son large poitrail était parfaitement découplé. Les premiers contreforts des montagnes de l’Est étaient à présent tout proches. L’oeil était presque confondu, ne pouvant suivre avec précision ce stupéfiant équipage qui avalait littéralement l’espace, les détails s’évanouissant dans le flou.

Mais le temps n’était pas encore venu.

Si noble et si valeureuse qu’était l’armée des Fauconniers, celle des Seigneurs Taurins la surpassait de loin en nombre et en sauvagerie.

Formant les premières lignes, les détachements épars de fantassins hurleurs, étaient grimés comme des épouvantails hirsutes et démonstratifs. Leurs peintures rituelles dégoulinant sur leurs poitrines dénudées, ils brandissaient des frondes et de longues serpes. Leurs accoutrements, bigarrés à l’extrême, tissaient un patchwork invraisemblable de couleurs et de motifs macabres. Décimés lors des deux jours précédents, les bataillons alignés pour la Mère des batailles avaient été recomposés à partir des survivants sans grand souci d’homogénéité. Pourtant, malgré un taux d’attrition excessivement élevé, ils paraissaient habités par une exaltation sauvage et démoniaque due aux propriétés hallucinogènes des champignons qu’ils consommaient en dansant comme des zombis autour des braseros toute la nuit. Sur le front de l’armée taurine, ils trépignaient en vociférant, maintenus à grand peine en place par leurs officiers guère plus raisonnables. Bien que grouillante, cette troupe ne présentait pas de réel danger pour les Fauconniers. Jamais les fantassins hurleurs ne réussiraient à rompre le barrage des grands boucliers fauconniers. Ne possédant aucune protection suffisante, ils tomberaient comme des mouches sous la pluie de flèches qui s’abattrait sur eux ou finiraient empalés sur les longues piques qui se dresseraient devant eux.

Derrière, les cohortes compactes de l’infanterie lourde étaient d’un tout autre acabit. Ces mercenaires étaient rangés en bon ordre sous leurs bannières caractéristiques, oriflammes serpentines où le vermillon et le noir s’entrelaçaient en sombres motifs. Selon la force et la direction du vent, dans les plis du tissu apparaissaient des crânes rieurs, des créatures rampantes ou des sorcières sifflantes. Ces guerriers constituaient une force qui ne pouvait être négligée. L’aiguillon du pillage les avait incités à rejoindre la coalition du Roi Sorcier et leur science des armes en faisait des adversaires très dangereux. Passée à leur ceinture de cuir, ils portaient une courte dague avec laquelle ils prélevaient sur les morts ou les blessés qu’ils achevaient sans pitié, ce qu’ils appelaient leur Tribut. En effet, ils se livraient entre eux à un jeu particulièrement cruel. Ils comptabilisaient les ennemis qu’ils avaient abattus en prélevant sur leurs dépouilles les oreilles qu’ils arboraient en trophée, pendues à leurs cous. Ils étaient assez disciplinés et suffisamment courageux pour ne rompre l’engagement que lorsqu’ils constataient que la victoire était définitivement compromise.

A leurs côtés, ne leur cédant en rien en forfanterie et en superbe, les unités de lansquenets faisaient admirer leurs élégantes vêtures, explosions de teintes criardes et brillantes, cuirasses de buffles lustrées, shakos élégants surmontés de casoars de toutes les couleurs, cuissardes en cuir rouge et pantalons très ajustés mettant outrageusement en valeur les attributs virils. Ils ne devaient pourtant pas être pris à la légère. Leur accoutrement exubérant n’était qu’un vernis qui dissimulait une férocité rarement égalée et une audace presque joyeuse qui les rendait souvent imprévisibles. Ils attendaient l’arme au pied le signal de leurs trompettes. Leurs compagnons naturels n’étaient pas très loin. Les régiments de doppelsöldner, armés de longues hallebardes et vêtus d’uniformes tout aussi rutilants, se regroupaient autour de leurs célèbres tambours.

Et aussi loin que portaient les regards, les autres unités du Roi Sorcier emplissaient le fond de la vallée étroite. Les gigantesques créatures préhistoriques surgissaient comme des escapes brunes et écailleuses des flots innombrables. Elles étaient apparemment nerveuses, se dandinant d’un pied sur l’autre, et il fallait toute l’adresse et la patience de leurs cornacs pour les maintenir tranquilles.

Mais la force des Seigneurs Taurins résidait sans nul doute dans les nombreux escadrons de cavalerie lourde qui étaient massés sur les ailes de la grande armée du Roi Sorcier. Ils en étaient l’âme et le fer de lance qui s’enfoncerait jusqu’au coeur de ses ennemis. Leurs montures n’étaient pas ces élégants destriers qui faisaient la gloire des chevaliers des Fleurs. Non. Ils ressemblaient aux massifs chevaux de traits utilisés dans les travaux des champs mais dont la taille et le poids étaient autrement plus imposants. Ils dégageaient une impression de force irrésistible, capable de tout renverser lorsqu’ils chargeaient au grand galop. Leur hauteur au garrot était bien plus grande que celle de tout autre cheval domestiqué par l’homme. Selon la légende, ils auraient été conçus par un Esprit Malicieux de la Toundra qui vivait reclus sous les Montagnes Ensorcelées à partir d’une glaise maléfique et souterraine et de cendres d’os de créatures depuis longtemps disparues. Ils étaient lourdement bardés de fer. On pouvait distinguer les robes de mailles grises et éteintes qui protégeaient les parties les plus exposées. Leurs ombreux cavaliers jetaient l’effroi chez leurs adversaires. Malgré le jour encore vivace, ils ressemblaient à de grandes ombres qui repoussaient la lumière autour d’elles. Les visières d’airain de leurs casques étaient autant de larmes d’or rouge pleurées par le néant.

L’attente devenait intolérable. La chaleur écrasante. Le Duc aperçut alors le char qu’il avait déjà vu. Un magnifique char tiré par douze éléphants cuirassés. Un char aux dimensions fantastiques, ressemblant à un très grand navire courant les terres. Sa proue agressive arborait la face grimaçante de la Gorgone. Ce vaisseau maudit avançait entre les lignes de combattants qui s’ouvraient comme jadis les flots d’une mer légendaire. Il dépassa les premiers rangs des légions taurines et pénétra dans l’espace vide entre les deux armées. Au-dessus de la gueule foudroyante, un thuriféraire tenait une hampe où flottait un drapeau blanc.

Plusieurs archers Fauconniers tendirent la corde de leurs arcs, pointant leur flèche vers le ciel. Le Duc leva une main. Les archers baissèrent leurs armes.

Parvenu au milieu du no man’s land, le char du Roi Sorcier s’immobilisa. Des trompettes glapirent aigrement et le silence se fit plus profond encore. Une silhouette, assise sur un trône démesuré, se détacha sur le pont avant du char. Le Duc, bien qu’éloigné, ressentit à nouveau l’aura de puissance qui se dégageait d’elle. Un homme le regardait. Un homme grand, très grand, vêtu d’une ample et longue tunique noire, brodée de fils d’or et d’argent. Le Duc tressaillit quand les regards du Roi Noir se rivèrent aux siens. Malgré la distance qui les séparait, un lien subtil s’établit. Autour de Roi Sorcier, de vagues formes évanescentes décrivaient d’étonnantes pirouettes. Presque inaudible, le Duc crut entendre à nouveau un choeur invisible de voix bruissantes.

« Je te l’avais promis avant que tu ne quittes ma compagnie de façon si peu courtoise ! Tu vas pouvoir aujourd’hui me montrer comment un Duc meurt ! As-tu écrit un dernier courrier à ton épouse ? Le Castel-Nid sera vide et froid. Mon archiviste m’a dit que tu avais une fille, une jeune enfant sémillante, âgée de six printemps. J’ai promis ton Castel et tout ce qu’il contient à l’un de mes fidèles capitaines Janissaires. Il réchauffera ton lit et ta femme ! Entends-tu, Duc ? »

La voix du Roi Sorcier résonnait comme le tonnerre dans la plaine immense. Elle grondait et cascadait entre les parois du canyon, chaque mot demeurant parfaitement compréhensible. Le Roi Noir tendit théâtralement son doigt vers le Duc qui blêmit, aussi roide qu’une statue.

« As-tu rempli tes derniers devoirs? Es-tu en règle avec ton Dieu? Avant le crépuscule, ce sable rougira du sang des Faucons. Je n’accorderai aucune grâce à ceux qui auront tiré le glaive contre moi aujourd’hui ! Je jetterai les prisonniers du haut des falaises pour vérifier s’ils peuvent voler comme toi! Tu as gagné deux jours. Ce n’est pas suffisant. Le Polémarque n’aura pas le délai qu’il espérait. Il ne pourra m’arrêter. Quand il sera tombé ou traîné enchaîné à mes pieds, le Royaume de l’Ouest connaîtra son destin !»

Le Roi Sorcier marqua une courte pause, saluée par une bronca indescriptible. Mais les Fauconniers ne se laissèrent pas si facilement impressionner par cet artifice oratoire. Une épée heurta bruyamment un bouclier. Elle recommença. Et puis encore. Une autre se joignit à elle et bientôt toutes deux frappèrent en cadence le métal des écus. Rapidement, beaucoup d’autres imitèrent son exemple, donnant naissance à un formidable martèlement lent et martial qui couvrit les vociférations des troupes taurines. Un martèlement de défi et d’honneur. Les Fauconniers ne reculeraient pas. Les Fauconniers ne failliraient pas. Le Duc ne fit rien pour mettre un terme à cette manifestation d’orgueil qui renforçait la cohésion de ses troupes. C’étaient tous de valeureux guerriers et ils n’hésiteraient pas à sacrifier leur vie pour défendre un Royaume qui ne leur était rien. Le vacarme métallique enfla jusqu’à atteindre un niveau presque insupportable et stoppa net. Seuls les échos rageurs persistèrent un peu et s’éteignirent progressivement. Le silence se reforma sur le champ de bataille.

Alors, le Roi Noir se leva lentement de son trône, apparemment impassible même si un observateur avisé aurait remarqué la blancheur excessive de ses phalanges qui avaient martyrisé les accoudoirs pour contenir sa fureur. Aux yeux de tous ceux qui le regardaient, sa taille parut grandir exagérément comme un nuage noir se développe sur le front de l’orage. Il reprit la parole, instillant un venin puissant dans ses paroles mielleuses :

« J’ai vu dans les limbes du temps des fous tels que vous, bouffis d’orgueil et bercés d’espoirs mensongers. Oui, j’ai vu, entre le flot et le rocher, là où s’élevaient des piliers de feu, une troupe de guerriers aux casques rutilants qui se prirent pour des héros ! Oui, ces fous ont cru assez forts pour s’opposer à une armée d’Immortels. Ils sont morts jusqu’au dernier et leurs traces ont été emportées par les sables du temps. Qui se souvient d’eux à présent? Ils furent décimés impitoyablement quand leur roi insensé refusa de courber l’échine devant le Monarque du Levant ! Ils étaient pourtant considérés comme de parfaites machines de guerre, éduqués dans l’art militaire depuis leur plus jeune âge. Leur Roi descendait, prétendait-il, d’un Dieu Lion. Son crâne desséché a été planté au bout d’une pique à l’endroit même où il a été décapité. »

Au fur et à mesure du récit, le Roi Noir jouait avec sa voix, utilisant de subtiles harmoniques qui s’infiltraient dans les esprits des Fauconniers et obéraient leur jugement. Le Roi Noir pouvait discerner les progrès de son oeuvre sur les visages alignés devant lui. Il y voyait avec satisfaction les ailes d’une peur naissante qui obscurcissait les regards et faisait vaciller leur détermination. Un flottement se dessina dans les rangs qui parurent soudain moins altiers, moins minéraux. Le Roi Sorcier voulut parachever son intention maligne. Il mit sans sa voix tous les artifices, que l’étude des noirs grimoires lui avait enseignés en matière de science oratoire, pour porter l’estocade finale.

« Alors, dit-il d’un ton péremptoire qui brisait dans l’oeuf toute velléité de résistance. Alors, aujourd’hui, aucun Dieu né d’Homme n'accourra à votre aide. Aucun Esprit Tutélaire ne viendra à votre rescousse! J’ai étendu un voile magique au-dessus de ces lieux, un voile qui a déplacé d’un battement de coeur cette vallée et tous ceux qu’elle contient. Nous sommes hors du temps, invisibles et inaccessibles à toute intervention, fut-elle divine. Je suis le Boucher et vous êtes les brebis promises à l’abattoir. Vos mains sont débiles et dans vos gourdes, une eau turbide n’étanchera pas votre soif. Déposez les armes et écartez-vous de mon chemin. Le futur n’est pas écrit en ce qui vous concerne. Vos noms ne sont pas encore couchés sur le Grand Livre des Morts. Mais cela ne tardera plus. Pensez à vos femmes ! Pensez à vos enfants ! Pensez à vos parents ! Ils vous attendent et ils pleurent votre absence. Pensez à... »

A cet instant, un mouvement se devina derrière les lignes de Fauconniers, accompagné d’une sourde rumeur. Le Roi Noir dirigea ses regards dans sa direction. Malgré l’acuité de sa vision, qui portait bien au-delà de ce qu’un oeil humain pouvait voir, il ne put deviner l’origine de cette effervescence. Pourtant, cela approchait. Le Roi Noir éprouva, l’espace d’un instant, un trouble inexplicable, comme une goutte d’eau glacée tombant dans l’étuve de son esprit. Il concentra ses pouvoirs mais ne parvint pas à percer un rideau insondable qui soustrayait à sa vue l’objet de sa curiosité. Là-bas, une silhouette confuse miroitait comme un mirage dans le désert surchauffé. Elle traversait les rangs des Fauconniers qui s’écartaient presque religieusement sur son passage. Des exclamations étonnées fusaient quelquefois. Le Roi Noir décela enfin une présence, une présence qui n’appartenait pas entièrement à ce monde. Il fut contrarié.

Quand le guerrier s’avança en pleine lumière, le Roi Sorcier ne montra aucune surprise. Le Phante faisait partie de ses ennemis intimes depuis de nombreuses années. Vak n’avait pas changé depuis qu’ils avaient lutté sur le Pont des Ames au-dessus des chutes du Destin. Vak le Phante. Un de ceux qui faisaient bégayer les lois inexorables qui sévissaient sur les terres désolées. Vak avait surmonté tous les obstacles. Il avait traversé les flammes ardentes qui erraient dans les gorges hantées. Il avait lutté contre les tornades de vents de verre, aux rafales coupantes comme des rasoirs. Il avait résisté aux parfums empoisonnés des fleurs sirènes. Il avait affronté victorieusement les Anges des Confins qui commandaient les péages établis entre les mondes de la surface.

Vak ne pouvait pas vraiment être qualifié de géant. Mais sa taille et sa carrure étaient bien plus imposantes que le plus grand des hommes attendant sur la plaine pour se battre. Il les dominait de la tête et des épaules. Son port était celui d’un seigneur, altier et déterminé. Autour de ses avant-bras, le Roi Sorcier reconnut immédiatement les tatouages claniques des Phantes. Deux sombres Wyverns délicatement dessinés s’enroulaient autour des poignets de Vak. Leurs queues tarabiscotées, que le talent de l’artiste rendait quasiment vivantes quand les muscles roulaient sous la peau, remontaient le long des bras et de chaque côté du cou jusqu’aux tempes où, en escarboucles fines et ciselées, elles entouraient les yeux. Ah ! Les yeux de Vak! Comme à chaque fois, le Roi Sorcier sursauta mentalement. C’était un réflexe irrépressible. Les yeux fermés de Vak le mettaient mal à l’aise. Ils lui interdisaient de plonger droit dans son âme où il aurait pu déployer ses artifices. Mais Vak était aveugle, comme tous les Phantes. Ses paupières avaient été cousues le jour de sa naissance à l’aide d’une colle organique qui avait les mêmes propriétés que l’épiderme. Tête nue, le Phante était armé d’une formidable épée et d’un puissant bouclier qui arborait le Grand Oeil.

Un frisson courut le long de la moelle épinière du Roi Sorcier. Cette engeance était un odieux blasphème jeté à la face de tous les Dieux, même ceux que vénéraient les serviteurs ténébreux. Elle servait des êtres incroyablement anciens qui avaient jadis régné sur ce monde mais qui, à présent, étaient exilés dans ses confins. Des êtres qui se moquaient éperdument des hommes et de leurs rois, des magiciens et de leurs démons, des puissances ténébreuses comme des puissances tutélaires.

Son regard glissa ensuite vers la marque que Vak arborait entre les sourcils. Sa forme rappelait un oeil stylisé, exagérément étiré. Des pigments d’or et d’argent mêlés soulignaient le galbe des lignes qui encadraient en leur centre, un disque parfait de la taille de l’ongle du pouce. Il était divisé en deux parties égales. Celle de droite était entièrement noire à l’exception d’un point à la blancheur intense. Celle de gauche était entièrement blanche à l’exception d’un point d’un noir profond. C’était la marque des Phantes qui, ayant décidé de rompre leur serment, avaient quitté leur sol natal en franchissant la frontière, parsemée de pièges infernaux, séparant les confins des terres habitées.

Les maîtres des Phantes étaient les E’Einvaes, ce qui pouvait approximativement se traduire par « ceux qui flottent et ne connaissent ni avant ni après». C’étaient de purs esprits nés au coeur de la tourmente originelle de gaz et de matière qui enfanta ce monde à partir du néant. Ils oeuvrèrent durant des centaines de millénaires pour façonner ce monde. C’étaient des entités élémentaires. Des bâtisseurs convoqués par les Artisans des Cieux. Suivant le maître-plan dont ils n’étaient que les diligents ingénieurs, ils élevèrent les montagnes, creusèrent les mers et les océans et ensemencèrent la terre. Une fois leur labeur achevé, ils auraient dû disparaître, consentir à regagner le coeur minéral et flamboyant qui les avaient vus naître. Mais pour des raisons que le Temps a effacées des mémoires, il en fut autrement. Les E’Einvaes ne voulurent pas renoncer à ce monde qu’ils avaient appris à aimer comme un père son enfant. Ils se rebellèrent.

Ils livrèrent alors une guerre longue et farouche contre leurs suzerains, les grands architectes du Cosmos. Une guerre sauvage et désespérée. A la fin, ils furent vaincus et ils furent jugés. Les Artisans célestes les condamnèrent à demeurer éternellement dans une petite partie du monde qu’ils retranchèrent du reste. Les Confins. Un domaine désertique et inhospitalier où rien ne poussait ni ne vivait. Une terre aride et rocailleuse qu’ils furent incapables de domestiquer. Tel fut leur châtiment. Mais les E’Einvaes étaient ingénieux et persévérants. Ils observèrent les hommes qui émergeaient des boues et des grottes. Voyant ces créatures malhabiles et impuissantes, l’envie et l’orgueil obnubilèrent leur volonté. Ils imaginèrent un stratagème abominable pour satisfaire leurs folles aspirations et leur soif inextinguible. Ils voulaient dominer et s’adapter pour recouvrer leur liberté.

Malgré le danger d’oblitération que représentait pour eux un séjour hors des Confins, ils parvinrent à séduire quelques femelles humaines, plus perméables à leurs suggestions que les mâles, bien trop prisonniers de leurs instincts animaux pour être facilement assujettis à leur volonté éthérée. Mais les pauvres femelles, ne supportant pas l’extraordinaire désolation des Confins et la vue effroyablement étrangère des E’Einvaes, ne survécurent pas longtemps dans ces conditions extrêmes. Toutes moururent? Non. Une survécut. Une infirme. Une aveugle de naissance. La cécité congénitale se révéla un formidable instrument de domination qui permit aux E’Einvaes d’imposer à leurs infortunées esclaves une emprise mentale infiniment étroite, infiniment intime. Ils apposèrent leur sceau spectral sur ces âmes apeurées. Mais contre toute attente, une sorte d’anthropomorphisme gagna au fil du temps ces purs esprits qui mimèrent peu à peu les comportements humains.

Par de répugnantes métamorphoses, ils parvinrent à un simulacre de copulation. Ces odieuses étreintes consacrèrent des fruits stupéfiants. Outragée, Dame Nature se vengea amèrement. Les parturientes donnèrent naissance à une progéniture exclusivement masculine. Tous ces garçons étaient aveugles. Ainsi fut créée la race des Phantes, les fils humains des E’Einvaes. La chair issue de la non-chair. Les Phantes n’héritèrent cependant pas de tous les pouvoirs de leurs pères mais reçurent en partage de nombreux dons que le commun des mortels et nombre de créatures de l’Inter-Monde considéraient comme extraordinaires. Ces prodigieuses aptitudes furent dévoilées lorsque les premiers Phantes transgressèrent la frontière et entrèrent dans le vaste monde des Hommes.

Et les hommes furent émerveillés. Les Phantes, aveugles de naissance, pouvaient voir sans aucune difficulté, de nuit comme de jour. Et leur vision avait une profondeur et une acuité aucunement freinées par les fragiles apparences. Les Phantes ne projetaient aucune ombre sur le sol, quelle que soit l’intensité de la lumière dirigée sur eux. Ils se montrèrent des guerriers aux immenses capacités qui en firent des légendes dont les exploits résonneront longtemps dans les chroniques humaines. S’ils n’étaient pas totalement invulnérables à la magie, seule une congrégation de sorciers était en mesure d’invoquer un sort capable de les terrasser.

Mais jusqu’alors, le Monde n’avait pas connu de magicien aussi puissant que le Roi-Sorcier.

Vak était un Phante, fils d’un illustre seigneur E’Einvaes, l’un des plus anciens et des plus puissants. Sa voix était respectée au Grand Conseil. Vak s’était enfui en le maudissant. Les gardes envoyés à ses trousses furent retrouvés gisant dans leur sang. Ils avaient été balayés par la fureur dévastatrice de Vak. Son père aurait pu déchaîner contre lui la colère des E’Einvaes mais il ne put s’y résoudre. Il le laissa partir. Il savait que son fils lui reviendrait. Un jour. Et le seigneur E’Einvaes avait l’éternité devant lui. Il attendait sans impatience car rien n’est plus long que l’éternité et le Temps était pour les E’Einvaes un délice dont ils n’étaient jamais rassasiés.

« Toi ! » murmura le Roi Sorcier. « Toi ! » rugit-il et sa terrible voix emplit tout l’espace. Une explosion sonore dont l’onde déchira l’air. Tous, Fauconniers et Seigneurs Taurins, esquissèrent à l’unisson une grimace, le son agressant douloureusement leurs tympans.

Tous sauf Vak.

« Croyais-tu m’avoir dompté, Gareen ? » Vak avait affublé son ennemi d’un nom qui en langage E’Einvaes désignait la boue qui croupissait au fond des latrines. Si les Fauconniers ne comprirent pas l’injure proférée par le Phante, ils remarquèrent toutefois la pâleur qui envahit le visage du Roi Sorcier. Vak poursuivit :

« Tu as perpétré un odieux crime, profitant de mon absence ! Je t’ai cherché durant de nombreuses lunes, suivant la trace de tes forfaits. Mais chaque fois, j’arrivais trop tard. Tu laisses derrière toi malheur et destruction, horreur et affliction. Tu t’échappais mais tu ne pouvais continuer ainsi indéfiniment. Aujourd’hui, je vais t’affronter. Tu devras me rendre ce que tu m’as dérobé par malice ! »

« Crois-tu qu’elle est ici ? » Le Roi-Sorcier avait repris contenance. Une arrogance méprisante se peignait sur son visage. « Tu croyais réellement que je prendrais un tel risque? Elle est à moi. Elle est hors de ton atteinte. Et tous tes pouvoirs n’y pourront rien. Elle est à moi à présent. Elle ne m’aime pas encore mais elle m’aimera quand je serai, bientôt, le Roi de ce Monde, celui qui unifiera les deux Royaumes. Contemple la multitude de mes guerriers! Ils viennent du plus profond des forêts et dans leurs veines circule la sève des Premiers Arbres. Ceux que tes Pères ont semés de leurs mains. Tu me défies? Qu’il en soit ainsi. Cette journée scellera mon triomphe. Ta tête ornera ma tente ce soir, Phante ! »

« Où est-elle ? » Vak fit un autre pas en avant.

« Que t’importe ? Mais je vais te le confier pour que tu mesures à quel point tu es insignifiant à mes yeux. Elle vit dans la salle au sommet de la plus haute tour de mon Palais! Mes serviteurs zélés veillent sur elle. Et leur vigilance est sans faille ! »

Le Roi Sorcier fit un geste et une brume enveloppa le char qui le masqua à la vue de tous. Quand les volutes se dissipèrent, il n’était plus là. Le Phante poussa un hurlement en brandissant sa longue épée que même le plus vaillant des chevaliers aurait soulevée difficilement à deux mains. Il se retourna vers les Fauconniers, ses yeux hermétiquement clos :

« Il ne sera pas dit que Vak a lâchement abandonné ceux qui s’étaient dressés contre un oppresseur dix fois plus nombreux qu’eux. Ecoutez-moi. Le jour est encore jeune et tout espoir n’est pas perdu. Ensemble nous tiendrons. Ensemble nous nous battrons. Retenez ceci. Tant qu’il y aura un homme qui se lèvera pour refuser le joug que lui tend ce démon, je serai à ses côtés. Il pourra compter sur son frère à sa droite et sur son frère à sa gauche. S’il venait à tomber, son frère qui était derrière lui prendra sa place. Et tous, nous tiendrons. Beaucoup vont mourir mais grâce à leur bravoure, bien plus continuerons à être libres ! «

Ces mots galvanisèrent les rangs des Fauconniers. Leurs têtes se redressèrent et leurs lames cessèrent de trembler imperceptiblement. Le Duc salua le Phante et le rejoignit au centre de la ligne, entouré des armures brillantes de sa garde prétorienne au grand complet. Le Phante coiffa son heaume qu’il portait en bandoulière. Il ressemblait à un être mythique, un de ces Héros surhumains qui peuplent les légendes racontées par les bardes lors des veillées au solstice d’Hiver. Devant eux, les tambours des armées taurines commencèrent à battre, appelant à l’assaut. C’était une trépidation tellurique qui fouaillait les tripes et les âmes.

La dernière bataille de Fort Verrou allait débuter.

M


  
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3 Commentaire Maedhros, exercice n°107 - II - Narwa Roquen (Mar 12 jun 2012 à 20:27)


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