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De : Maedhros Date : Samedi 30 mars 2013 à 20:00:10 | ||
LE REVEIL DE LA DEESSE La musique... "Vous les voyez, sergent?" Le soleil les écrase sous une chaleur plombée. Une chaleur à la limite du supportable. Cette chaleur a choisi son camp. Elle ne les aime pas. Elle ne les a jamais aimés. Elle ne les aimera jamais. Pourtant, il y a un travail à terminer. Après, ils pourront rentrer à la maison; repartir de l'autre côté de ce putain d'océan. "Alors, vous voyez quelque chose, sergent?" La voix du colonel Angelson a l'accent traînant du Sud. Du bayou. Une nonchalance que démentent ses yeux gris et son visage taillé à grands coups de serpe. Il s'essuie le front avec un foulard rouge détrempé. Il connait ses classiques. Il a customisé son treillis réglementaire aux tons beige et sable. Des sabres s'entrecroisent sur ses épaulettes. Il n'a pas élevé la voix, assis dans le Humwee de commandement, sa portière à demi-ouverte. Il n'a plus la force de s'énerver. Il perd toute l'eau de son corps. Il se liquéfie comme le Squonk, cette créature légendaire. Si cela continue, il ne restera bientôt de lui qu'un uniforme et des godasses remplis de flotte. Il n'a jamais imaginé qu'il souffrirait à ce point de la chaleur. Elle n'arrête pas de monter, oppressante, hors norme. Ses hommes ressentent la même chose. Ils ont tous l'impression de s'enfoncer droit dans le ventre de l'Enfer. Le thermomètre a dû se dérégler. Il s'obstine à afficher la même incroyable valeur. 58° Celsius. En cette saison, cette température est tout simplement anormale; elle rend le moindre millimètre carré de métal non protégé dangereusement brûlant. Le sergent Myers abaisse ses jumelles avec lesquelles il a scruté longuement les premiers contreforts montagneux où s'enfonce la route qu'ils suivent depuis près de quatre heures. "Aucune trace, mon colonel. Pas un reflet. Pas un mouvement. Nada. Rien ne bouge. Cela fait peut-être mille ans que ces cailloux n'ont pas été dérangés. Si nos amis se sont réfugiés là-dedans, cela va être une putain de randonnée pour aller les chercher. Ouais, un putain de crève-coeur, sauf votre respect, mon colonel!" Le sergent Myers ne mâche pas ses mots. Bâti à sable et à chaud, il n'a peur de rien. Du haut de son mètre quatre vingt quinze, il a l'habitude que la foule s'ouvre devant lui. Ses galons, il les doit à son instinct de survie et à ses capacités à avancer, quel que soit ce qui se dresse entre lui et son objectif. Il n'ira pas plus haut certes, car il sort du ghetto; il ne peut le cacher. Mais les hommes le respectent. Angelson lève les yeux vers le ciel. Un satellite invisible les observe là-haut. Des post-adolescents ennuyés regardent des images HD sur leurs consoles à des milliers de kilomètres. Il réfrène l'envie de leur faire un petit signe de la main. Il n'a pas encore fait une croix sur sa première étoile. Il touche l'écran tactile de l'ordinateur embarqué. Quand elle revient à la vie, l'image saute constamment et des perturbations électromagnétiques créent des reflets fantômes aux couleurs psychédéliques. Putain de chaleur. Il fait défiler la carte jusqu'à l'endroit où la colonne de blindés légers, lancée à la poursuite des Djihâdistes, s'est arrêtée. La carte est d'une sobriété toute désertique. Hormis le massif, il n'y a absolument rien de remarquable. Du sable, de la rocaille et encore du sable, sur des dizaines de kilomètres. Putain de pays. Il appuie sur une touche du clavier et de minuscules échos mouchettent une poignée d'hexagones devant eux, situés au coeur du massif. Ils sont donc là, planqués quelque part sur ces hauteurs. Le sergent a raison. Les débusquer ne s'annonce pas comme une partie de plaisir. Ils ne sont pas de ces terroristes qui plaisent tant aux journalistes; qui décampent quand la cavalerie rapplique. Non. Ceux-là sont de vrais combattants entraînés, endurants et connaissant le terrain comme leur poche. Ils ont attaqué un dépôt d'armes et de munitions et ont décimé la garnison locale. Leur commandant est une figure de première importance dans le jeu des MWDM (most wanted dead men), le jeu aux soixante dix sept cartes, toutes différentes. Le colonel tape sèchement sur le pare-brise pour demander à Myers de reprendre le volant. Sur la banquette arrière, les deux Rangers restent silencieux, berçant toujours leurs armes. Le colossal sergent claque la portière et se tortille sur son siège pour trouver une position relativement confortable. Angelson ouvre le canal de transmission afin que tous les chefs de bord des MRAP de la longue file de blindés, entendent son message : "OK les gars, on appartient au 75ème Rangers, alors bordel, on va aller au bout de cette putain de mission. Les deux premiers Ocelot, commencez à avancer et maintenez-vous à sept cents cinquante mètres de nous. Ouvrez l'oeil et le bon. Si vous êtes pris à partie, décrochez et mettez-vous à couvert. Attendez-nous!" Un vrombissement déchire l'air au-dessus de leurs têtes, noyant la réponse grésillante. Un drone passe en rase-motte, cadeau des anges gardiens qui veillent sous les montagnes du Colorado. Un signe évident adressé par l'état-major. L'opinion publique a besoin d'une victoire éclatante de toute urgence. Aujourd'hui, elle est à portée de main. C'est une opportunité idéale. Malheureusement, il y a une contrepartie. Il n'y aura pas de long bombardement aérien qui pourrait pilonner la zone et préparer l'assaut. Le citoyen veut des larmes et du sang. Il veut de vrais soldats, des gars du pays. Il veut voir leurs visages pour qu'il puisse reconnaître ses propres enfants. Ce n'est pas pour rien si cette journaliste est là, à trois véhicules de lui, imposée par les huiles de l'état-major et leurs putains de conseillers en communication. Cette foutue gonzesse se la joue et pose des questions aussi ronflantes que creuses. Elle est un reporter spécial dépêché par le Washington Post. Force est de reconnaître qu'elle s'est y faire avec des gosses de vingt ans. Ses yeux noirs et ses allures de gazelle urbaine y sont pour beaucoup. Malgré son aversion pour cette engeance, Angelson est néanmoins impressionné par sa détermination et sa résistance. Il ne lui a rien passé. Aucun supplément d'eau. Aucun traitement de faveur. Il l'a même confiée aux bons soins de la caporale Leveaux, une vraie dure à cuire, originaire comme lui de Louisiane. Elle aura son reportage mais elle aura payé pour ça. Une gigantesque tempête de sable les talonne. C'est elle qui empêche le déploiement des Apaches. Les hélicoptères de combat auraient été pourtant rudement utiles en appui aérien. La tempête s'approche à petite vitesse mais son front incurvé s'étend sur plusieurs centaines de kilomètres, interdisant tout retour en arrière. C'est une tempête centenaire à en croire les météorologistes. Les autochtones l'ont baptisée Mère des tempêtes. Cela dit bien ce que cela veut dire. Ce phénomène insolite s'est manifesté peu après leur départ d'Hafar Al Batin. Il s'est développé avec une rapidité extraordinaire, prenant des proportions considérables. Et ce monstre climatique, véritable mur de sable haut de plusieurs centaines de mètres, se referme sur eux. Le sergent a mille fois raison. Cela promet vraiment d'être un putain de crève-coeur. "GO...GO...GO" lance le colonel dans son micro. Les lourds véhicules s'ébranlent et, les uns après les autres, s'engagent lentement entre les flancs rocheux qui s'élèvent de chaque côté de la route poussiéreuse. Ces hommes sont des Rangers. Ils ouvrent la voie quel qu'en soit le prix, comme sur cette plage de débarquement allemande. Ils ne renoncent jamais. (à suivre...) M Ce message a été lu 6464 fois | ||
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