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 WA, exercice n°126 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 28 novembre 2013 à 23:44:12
Si je vous dis que le thème de la WA n°126 est « Conte de Noël », vous allez pousser un soupir agacé et murmurer entre vos dents serrées « ... ringard ! »
Et si ça ne l’était pas ? Quand je dis Noël, entendez solstice d’hiver, Nedelec, Yule, Calendo, ou toute autre célébration des nuits les plus longues de l’hiver, prélude à l’allongement des jours. Vous pouvez écrire de la guimauve, mais alors poussez–la jusqu’au dernier degré, que ça dégouline de bons sentiments et de glu bien pensante, jusqu’à l’écoeurement... ou en faire une histoire grinçante, dérangeante, terrifiante, de quoi donner Noël en horreur aux traditionnalistes gavés de dinde aux marrons et d’aphorismes moralisateurs. Soyez innovants, iconoclastes, provocateurs... L’essentiel est que vous vous amusiez en écrivant et que vos lecteurs en gardent un souvenir inoubliable...
Vous avez six semaines, jusqu’au jeudi 2 janvier 2014, parce que sur Faëries, c’est Noël tous les jours. Et mon 2° cadeau, c’est qu’il n’y a pas d’autre contrainte. Laissez-vous aller, partagez vos rêves ou réglez vos comptes, soyez vivants envers et contre tous, et que dans la longue nuit votre flamme brille de mille feux !
Narwa Roquen, toujours vivante


  
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Réponses à ce message :
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-12-03 11:13:14 

 Toujours vivante aussi !Détails
Quoique pas très active d'un point de vue littéraire. La faute à la vie, comme d'habitude beaucoup trop prenante. Quel dommage pour mes exercices 55 et 119 si bien entamés... Ils attendront. Et attendront aussi ces trois nouveaux synospsis que j'ai pondus en novembre et qui s'ajoutent à toutes les histoires qui attendent d'être rédigées.
Brèfle, noël c'est pas ringard. Noël ça brille et ça scintille; des fois ça réchauffe, des fois pas. C'est nappé de chocolat et fourré aux marrons. Noël ça me plait bien mais ce sera pour plus tard.
En atendant, j'espère que tout le monde va bien et je vous fais un bécot.

Est', comment ça je floode ?

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z653z  Ecrire à z653z

2013-12-03 15:56:07 

 non tu ne floodes pasDétails
/MaLife On
Mes principales occupations (extra-professionnelles) actuelles qui prennent du temps : jeu d'échecs, généalogie, wikipédia.
/MaLife Off

Mais je suis toujours vivant aussi :)

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Netra  Ecrire à Netra

2013-12-04 13:49:02 

 Ou alors on le fait tous ^^Détails
Ah zut on me souffle que oui, on le fait tous en fait ^^'

Mais je vous comprends... moi c'est pas que j'écris pas, mais je suis en plein climax final de roman du coup les WA quand j'essaie de les faire, je sors de l'histoire...
(Puis comme j'ai 2 jobs en plus des études, la lala lala)

Mais je pense très fort à vouuuuuuuuuuus !!!
Netra

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-12-15 18:08:18 

 T'es contributeur wikipedia ?Détails
T'as écrit sur quoi ? *curieuse*
Moi je corrige des fautes et j'ai un peu ajouté sur des illustrateurs français, Alice Cooper et James T Kirk.

Est', liche de fofo.

Ce message a été lu 6453 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-12-15 18:09:16 

 Roman ? Quel roman ?Détails
Cf titre.

Est', liche de forum.

Ce message a été lu 6725 fois
z653z  Ecrire à z653z

2013-12-16 13:15:50 

 Je suis un WikiGnomeDétails
Je corrige la plupart du temps des fautes de français.
Je contribue un peu partout sans vraiment m'investir dans un sujet particulier.
N'hésites pas à modifier les pages que tu veux. Au mieux, on t'expliquera gentiment ce qu'il ne faut pas faire.

à bientôt

Ce message a été lu 6488 fois
Netra  Ecrire à Netra

2013-12-17 20:59:59 

 La Dernière Geste Détails
ça s'appelle comme ça. C'est de la modern fan ^^

L'histoire est pas facile facile à résumer par contre, mais en gros y'a un énorme train, un dallage en fractale, un labyrinthe en 3D, une princesse japonaise je m'en foutiste, un chevalier de Keltia adepte des lavallières et du violon, une Selkie avec un caractère de merde et plein de cheveux, deux adorables Feux-follets un peu débiles, un prince pas vraiment tout à fait charmant, un samûrai, une fille-expérience-génétique, un médecin avec un chat, heu, et Taliesin. Je vous présente même plus Taliesin.

Y'a aussi beaucoup de chansons, des secrets, des souvenirs, une photo un peu cramée, des harpes (haaaaarpes) et un fantôme.

Ouais en fait dit comme ça c'est l'bordel ^^'
Netra

Ce message a été lu 6844 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-12-23 14:17:29 

 De la moderne fan' ?Détails
Connait pas. Mais le pitch est alléchant !

Est', et joyeux noël !

Ce message a été lu 6754 fois
Netra  Ecrire à Netra

2013-12-29 13:42:22 

 Modern fan'Détails
c'est de la modern fantasy, traduction c'est de la fantasy avec une technologie... ici on va dire qu'en gros c'est les années 80/90 à peu près. Y'a des baladeurs à cassette audio, des fusils sniper à lunettes de précision et pas de téléphone. Quand j'vous dis qu'c'est l'bordel...
Je pourrais pas tout mettre sur le forum, mais quand j'aurai fini de relire je mettrai quand même un extrait ou deux...
Netra, et ce soir c'est Albator au ciné. Ben oui, Albator, quoi...

Ce message a été lu 6726 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2014-01-06 00:52:15 

  WA - Participation exercice n°126Détails
Ô DOUCE NUIT



PROLOGUE


Personne ne le remarque dans les rues du lotissement de luxe qui se niche comme un joyau dans l’écrin de verdure du golf de dix huit trous. C’est tout à fait normal. Il fait partie du décor avec son uniforme gris mastic, son balai et sa carriole où trône l’énorme sac plastique dans lequel il déverse le maigre contenu des poubelles disséminées le long des allées.

Lui, c’est Archie. Il fait partie de l’équipe d’entretien recrutée par les gestionnaires du MBC Beverly Golf, une «gated community» particulièrement élitiste où vivent les descendants des plus vieilles dynasties familiales de ce coin du Massachusetts. Archie a déployé toute son énergie pour se faire embaucher. Tel était son but. Pénétrer l’Eldorado et la caverne d’Ali Baba réunis. Là sont amassés des trésors insoupçonnables, des monceaux d’or et d’argent, des ruisseaux de pierres précieuses qui transforment ses nuits en bals féeriques.

Car Archie est un voleur. Un exceptionnel voleur dont les exploits demeurent cependant anonymes. Aucune manchette de journal ne vante ses exploits. Pourtant son nom d’artiste est réputé dans le petit milieu des cambrioleurs de haut vol. Sa renommée s’étend jusqu’en Europe et en Asie. Il possède à son palmarès quelques unes des plus belles réalisations des cinq dernières années. Bien sûr, nul n’en a jamais entendu parler. Ce genre de... désagrément se règle discrètement entre avocats aux honoraires exorbitants ; dans la confidentialité feutrée et polie d’une réunion au siège de compagnies d’assurance connues des seuls initiés. Même pour la police, ces dossiers sont traités différemment. Ils sont confiés au FBI qui a créé un service voué à ce type d’enquête. Un service si discret que beaucoup, même au sein du Bureau, ignorent jusqu’à son existence.

Après sa dernière prouesse, Archie avait mis un continent entre lui et l’enquêteur obstiné qui avait bien failli le pincer en janvier dernier, à l’aéroport. Archie avait senti son souffle sur la nuque et sa main quasiment sur son épaule. Il faisait la queue au guichet quand l’agent spécial était apparu sur la galerie circulaire qui dominait l’aérogare. Archie s’était faufilé entre les mailles du filet mais sa piste n’avait pas eu le temps de refroidir suffisamment. Heureusement, les chefs du bureau régional du FBI n’avaient pas écouté leur limier. Il avait suffi d’un mince intervalle non couvert et hop, Archie avait joué la fille de l’air. L’agent fédéral avait réussi à le suivre avec juste assez de retard pour qu’Archie puisse s’échapper en se tortillant un peu. L’aurait-il reconnu? Après toutes ces années à lui filer le train, il aurait pu se faire une idée de l’apparence d’Archie. C’était un enquêteur hors pair, doué, presque capable de lire les pensées de sa proie.

Par le hublot du Boeing, Archie apercevait la salle des pas perdus. L’agent fédéral était là, derrière la vitre, les mains dans les poches, mastiquant son éternel chewing-gum. Ils se ressemblaient réellement : même chevelure mal coiffée, même façon de se balancer sur les pieds d’avant en arrière, comme des marins qui emportent partout avec eux le roulis de la mer, même indifférence étudiée, même goût pour les vêtements amples et fripés, même présence en déséquilibre, en pointillés. Disparaître sans que personne ne le remarque ne leur avait jamais posé de difficulté. Il leur suffisait de saisir l’instant où les regards se braquaient ailleurs. Archie avait juste adressé un bref sourire à l’hôtesse qui passait dans l’allée. Quand il avait redirigé son attention vers l’aérogare qui doucement s’éloignait déjà, l’agent fédéral n’était plus là. Archie avait alors souri plus franchement à l’hôtesse. Elle était son type de femme. Il ne doutait pas être son type d’homme.



L’avion avait décollé, l’emmenant de l’autre côté du continent. D’une certaine façon, il avait abandonné une peau morte au bord du Pacifique. Aucune souffrance. Les serpents et les lézards font ça tout le temps. Pourquoi pas lui? Il était d’essence reptilienne. Il s’était toujours senti comme un de ces animaux au sang froid, aux formes fluides et glissantes, affectionnant les endroits sombres comme le couvert des feuilles mortes de l’automne. La Californie n’était pas son environnement de prédilection. Trop de soleil. Trop de lumière. Il avait rempli son contrat. Des statuettes précolombiennes d’une valeur inestimable avaient changé de mains. Elles resteraient à l’abri, invisibles derrière les portes blindées d’un collectionneur fortuné.

1


Il avait regagné New-York, la ville où il savait disparaître à l’ancienne, loin des ordinateurs, des téléphones portables et de tous les gadgets à la mode trop aisément traçables. Archie avait hiberné, mettant cette interruption à profit pour se transformer en rat de bibliothèque. Il s’était consacré à ses recherches personnelles. Il poursuivait un Graal, le but de son existence. Une piste éthérée qu’il suivait depuis des années. Il était en quête d’un trésor. La jolie bibliothécaire de la New York Public Library était une jeune femme à son goût. Il n’avait pas tardé à l’éblouir par son érudition, à la charmer par ses manières prévenantes et à la conquérir enfin, entre la poire et le fromage, au cours d’un dîner galant chez Georges, un petit bouchon lyonnais sur Greenwich Street. En joignant ainsi l’utile à l’agréable, il avait pu accéder aux parties réservées de la grande bibliothèque ; les salles souterraines où étaient entreposées les collections privées. Celles-ci ne pouvaient être mises à la disposition du public, généralement à cause de leur état, mais, dans un tout petit nombre de cas, en raison du caractère sensible des informations qu’elles contenaient.

Une nuit, alors qu’il parcourait un petit ouvrage du dix-neuvième siècle, la tête confortablement installée sur le tendre fessier de sa belle maîtresse alanguie, son coeur s’était arrêté de battre. Archie s’était brusquement redressé, manquant de réveiller la belle endormie. Sur une feuille jaunie par le temps, il venait de tomber sur une indication qu’il recherchait vainement jusque là. C’était une courte note de bas de page faisant référence à son Graal. Elle établissait une connexion miraculeuse qui ouvrait une nouvelle perspective dans une direction inattendue. Un fil d’Ariane menant à d’autres références. C’était une avancée décisive. Fiévreusement, durant les jours qui suivirent, il explora cette nouvelle piste, accumulant les indices concordants. Tous corroboraient l’existence d’un trésor inouï, jalousement gardé, vieux de plusieurs siècles. Archie ne put en revanche découvrir la moindre description de ce fabuleux trésor. Il parvint cependant à le localiser assez précisément. Il était situé quelque part sur la côte du Massachusetts, pas très loin de Rochester, à proximité d’une rivière se jetant dans l’océan.

Il partit alors pour la Nouvelle-Angleterre où, sous la fausse identité de chercheur appointé par le gouvernement fédéral, il put examiner plusieurs recueils appartenant aux archives privées de la célèbre université Miskatonic, à Boston. Il y recueillit de précieuses informations qui, après de minutieux recoupements, le convainquirent que le trésor était bien caché dans le domaine du MBC Beverly Golf. Bien sûr, à l’époque, les élégantes villas design et ultramodernes qui se prélassaient sur les hauteurs dominant la rivière n’existaient pas. Elles avaient succédé à d’autres bâtisses érigées bien avant elles, dans le style victorien ou fédéral. Mais les fondations de ces manoirs étaient encore plus anciennes, remontant à l’installation des premiers Puritains autour de la baie de Massachusetts au début du dix-septième siècle. Ces colons avaient commercé avec les tribus algonquines qui peuplaient ces terres et avaient bâti leur prospérité sur l’expansion du port et des activités connexes.

C’était écrit entre les lignes, noyé sous des artifices symboliques. Il y avait un trésor qui attendait sous cette colline. Archie avait déchiffré le passage d’un texte hermétique où il était question de pierres précieuses grosses comme le poing et de diamants si purs qu’ils faisaient pâlir l’éclat du soleil de midi. Les yeux d’Archie avaient brillé. C’était devenu son trésor. Il était le seul non initié à en soupçonner l’existence.

2


De toutes les approches envisageables, il avait choisi la plus sûre. Un agent d’entretien avait fait défection de façon opportune. Archie n’avait eu aucun mal à se faire embaucher à sa place. Qui irait jamais ouvrir la malle arrière d’une vieille Buick attendant stoïquement la compression au fond de la plus grande casse automobile de l’Etat?

Pendant des semaines entières, Il avait méticuleusement fureté dans tous les recoins de l’immense domaine privé. A force de rendre de menus services aux résidents, il avait peu à peu gagné leur confiance et surtout celle de Ed, le contremaître qui supervisait l’équipe. Archie était devenu son adjoint putatif. Il n’était plus obligé de lui rendre compte de ses moindres faits et gestes et, surtout, il possédait désormais un jeu complet de tous les passes accédant aux locaux techniques, y compris ceux des villas. Quand ce jour était arrivé, l’automne embrasait les forêts qui se miraient dans la baie. Archie y vit un bon présage. L’automne était sa saison favorite. Le serpent en lui s’éveillait doucement.

Il avait étudié, jour après jour, les habitudes des habitants des somptueuses demeures. Dans cette petite communauté ultra-privilégiée, il avait dénombré une vingtaine de familles. Chaque matin, de grosses limousines aux vitres sombres descendaient vers la ville qui s’étendait de l’autre côté de la Danvers, en traversant l’Essex Bridge. Les bureaux des maîtres du Beverly Golf se trouvaient au dernier étage de bâtiments austères et historiques sur Chestnut Street, où s’alignaient jadis les sièges des compagnies de commerce maritime qui firent la fortune de la ville jusqu’au début du dix-neuvième siècle. Archie n’avait pas réussi à déterminer en quoi consistaient exactement leurs activités actuelles, hormis ce qu’indiquaient les plaques de laiton fixées à l’entrée des buildings. Ils semblaient tous exercer la profession de courtier : en assurance, en marchandises diverses, en affrètement maritime, voire en des domaines totalement abscons pour Archie. Pourtant cela devait être très lucratif, l’entretien de l’immense domaine engloutissant des sommes rondelettes que les recettes du golf ne pouvaient à elles seules justifier.

Un mystère insondable entourait vraiment cette « gated community ». Cela renforçait la conviction d’Archie. Il y avait bien plus, sous ces dehors bourgeois lisses et racés, que ce qu’il était donné à l’oeil de voir. Le trésor était pour Archie la réponse évidente. La seule réponse valable, de quelque côté qu’il retournait le problème. Ces puissantes familles partageaient un secret. Un pacte séculaire les unissait, garantissant leur prospérité d’une façon ou d’une autre. Archie rêvait alors de sous-sols humides où étincelaient des monceaux de lingots d’ors rangés comme à la banque, des dizaines de coffres ouverts regorgeant d’opales et d’émeraudes. Le port n’avait-il pas abrité les fameux corsaires lors des deux guerres anglo-américaines? Les compagnies maritimes n’avaient-elles pas commercé avec l’Inde, contrée où les pierres précieuses pleuvaient littéralement des mains des Maharadjas? Les armes de la ville ne portaient-elles pas la devise «Divitis Indiae usque ad ultimum sinum», ce qui signifiait « jusqu'aux ultimes recoins de la richesse indienne » ?

Depuis cet âge d’or, la ville s’était endormie et sa gloire avait pâli, les centres de développement économique s’étant éloignés vers Boston et New-York. Pourtant, il y avait un dragon qui gardait jalousement son trésor sous la colline. C’est ce que racontaient à demi-mot les ouvrages mis au jour par Archie. Et un trésor appelle toujours son voleur, obéissant en cela à une loi d’airain aussi vieille que le monde. Archie brûlait de le conquérir. Cet exploit serait le point d’orgue de sa carrière. Après, sa renommée brillerait jusqu’à la fin des temps au firmament des voleurs.

3


Archie avait tenté de se faire une idée du lotissement vu du ciel, grâce à Google Maps, parce qu’il supposait que cette perspective pouvait être intéressante. Malheureusement, dès qu’il le survolait, de gros pavés gris et flous envahissaient l’écran de l’ordinateur, interdisant tout agrandissement. Il avait vérifié les données topographiques : latitude 42.563607 et longitude -70.903343. Aucune erreur. Au nord, la Trask Lane se perdait dans le néant à quelques centaines de mètres de l’autoroute 128. Au sud, la nouvelle voie financée par le comté s’achevait sitôt commencée. D’après les avertissements de Google, le programme réagissait ainsi en présence de sites gouvernementaux classés secret défense ou protégés par des lois d’exception.

Il avait ensuite écumé les boutiques des environs en poussant même jusqu’à Boston. Il recherchait une carte plus explicite. Peine perdue. Seul le golf était parfaitement identifiable mais la partie du domaine comprenant les villas était uniquement matérialisée par ses limites territoriales. En désespoir de cause, Archie s’était rendu au service de l’urbanisme de la ville en prenant soin de ne pas mettre la puce à l’oreille de l’employée. Il avait demandé plusieurs types de documents et de plans mais en fait un seul l’intéressait. Là encore il avait fait chou blanc. C’était tout à fait incompréhensible. Une telle oeuvre de dissimulation nécessitait des moyens dépassant l’entendement. Le trésor devait être absolument fabuleux. C’est ainsi qu’avait réagi Archie. Ce n’était pour lui que des preuves supplémentaires qu’un secret d’Etat était entreposé sous cette colline victorienne.

Alors Archie s’était constitué des fiches très complètes sur les familles composant la communauté retranchée. Il y avait d’abord quelques familles mineures qui ne comptaient pas. Il avait fallu toute l’expérience d’Archie en matière de psychologie humaine pour discerner les infimes différences de statut dans le groupe apparemment homogène. Elles étaient uniquement perceptibles à de petits détails. Un pas qui ralentit l’espace d’une seconde, un regard qui ne s’attarde pas, une phrase qui se termine par une interrogation muette. Un observateur trop pressé aurait conclu hâtivement à une communauté soudée et privilégiée et à des rituels anachroniques ponctuant les relations sociales. Cela avait l’apparence d’une éducation traditionaliste, perpétuant des valeurs obsolètes, qui fascine tant l’américain moyen ayant tendance à confondre assez facilement l’Histoire avec la version édulcorée des séries télévisées. Il ne s’agit pas d’un Dallas à la sauce calviniste, revisité par les descendants des Pères Pèlerins fuyant les persécutions de Jacques 1er. Ces familles périphériques étaient au nombre de douze. Mais rien dans leur train de vie ne les distinguait vraiment des autres familles. Elles possédaient la même morgue hautaine, les mêmes lunettes de soleil fortement teintées qui cachaient leurs yeux et cette froide politesse qui dressait autour d’elles un mur bien plus haut que celui qui entourait leur immense domaine. Elles étaient imbues de leur puissance, respectant les règles pour mieux signifier qu’elles étaient en fait bien au-dessus. Pour Archie, elles composaient une sorte de cour où de grands seigneurs observent une stricte étiquette.

Sur la marche supérieure se trouvaient les Princes. C’est ainsi que les avait baptisés Archie. A force de les étudier, il avait fini par repérer leur extraordinaire aura. Ils se vêtaient pourtant dans les mêmes boutiques chics du South End à Boston. Mais il y avait en eux quelque chose de plus fringant, de plus altier dans leur maintien, qui semblait peu à peu éclipser ceux qui se tenaient autour. Il avait compté six familles princières : les Ward, les Thurston, les Curwen, les West, les Olmstead et les Rogers. Leurs villas étaient bâties plus près du sommet de la colline, comme une couronne ceignant un front royal. Leurs femmes étaient plus belles, plus énigmatiques, créatures lointaines et indolentes aux paroles murmurées.

Au sommet de la colline, près d’un grand bosquet d’arbres qui s’élevaient comme des cierges vers le ciel, la dernière demeure était un imposant manoir aux murs de briques rouge sombre comme le sang séché. Sa toiture, aux versants multiples, était coiffée de nombreuses souches de cheminées et dentelée de pignons à volutes où s’accroupissaient des grotesques de pierre aux formes tourmentées. Hormis son caractère monumental, cette construction différait de celles bâties par Samuel McIntire, l’architecte de Salem adepte du style fédéral, lui-même inspiré par les travaux de l’architecte vénitien Andrea Palladio, qui concevait ses villas comme des temples romains.

C’était un palais où résidait la famille royale, avait décidé Archie. Le maître des lieux, M. Gamgell, était un homme de haute et large stature, au teint pâle et olivâtre, aux cheveux noirs et raides retombaient sur ses épaules, comme si les années 70 avaient toujours cours. Ses yeux étaient noirs et liquides, son front haut et puissant et son nez légèrement camus au-dessus de lèvres fines et exsangues qui tenait plus de l’entaille que d’une bouche. Son épouse était à son image. Elle avait des membres longs et déliés, une poitrine plus menue et des hanches moins galbées que celles des princesses. Son port de tête était fier et souverain. Son visage jetait dans le coeur d’Archie un sentiment obscur qu’il ne parvenait pas à expliquer. Un visage anguleux et finement marbré où les yeux, qui avaient la couleur changeante de l’étang après l’orage, saillaient un petit peu trop. Ses lèvres pulpeuses étaient toujours habillées de teintes sombres et nacrées. Cependant, si sa beauté était indéniable, troublante et presque hypnotique, elle ne respectait définitivement pas les canons en vigueur.

4


Archie n’était pas resté insensible au charme des riches bourgeoises qui s’ennuyaient en attendant leur mari. Il avait été subjugué par l’une d’entre elles, une princesse dont les longues boucles dorées cascadaient sur des épaules laiteuses. Elle lui avait semblé moins inaccessible que ses semblables. Elle riait presque sans faire de bruit et Archie sentait ses regards peser sur lui quand il passait sous ses fenêtres. Elle s’appelait Abigail. Abigail Ward. Son mari était souvent absent, partant tôt et rentrant tard. Elle pouvait servir ses intérêts et le rapprocher du trésor. Il avait saisi la première occasion qui s’offrit à lui. Lorsque la société qu’elle avait chargée d’entretenir son jardin avait fait faux bond à la dernière minute, il lui avait proposé ses services. Elle avait finalement accepté.

C’était une journée particulièrement étouffante vers la fin de l’été. Pendant la pause qu’il s’était accordée, elle lui avait gentiment offert une citronnade et l’avait invité à s’asseoir avec elle dans le salon de jardin, près de la piscine. Elle faisait très jeune dans sa tenue estivale. Un large chapeau de paille la protégeait des rayons du soleil et elle avait posé ses lunettes devant elle, révélant des yeux sombres comme une mer d’hiver. Au début, ils avaient bavardé de choses et d’autres, de choses futiles comme le font des étrangers partageant un petit bout d’espace-temps. Elle lui avait parlé de ses lectures et de ses enfants, il lui avait menti en retour, naturellement.

Archie n’avait jamais vu d’enfant, pas même durant les vacances scolaires. Pourtant, quand il lui avait été permis de pénétrer dans le vestibule des grandes villas, il y avait, comme dans tant de foyers américains, des cadres accrochés au mur où des visages de gamins le contemplaient. Des filles et des garçons de tous âges. Il avait fallu un peu de temps à Archie pour mettre le doigt sur le détail qui le chiffonnait inconsciemment. Tous ces portraits avaient un point commun, qu’ils soient en noir et blanc ou en couleurs. Aucun enfant ne souriait. Ils affichaient tous au contraire une gravité paradoxale qui mettait Archie mal à l’aise.

Abigail lui apprit, au cours de la conversation, que ses deux garçons étaient en Suisse où ils suivaient une scolarité dans un excellent établissement privé. Après, ils intègreraient une prestigieuse université, peut-être même la Miskatonic. De cette façon, lui avait-elle assuré, ils seraient prêts à succéder à leur père à la tête de l’affaire familiale. Archie avait relevé qu’elle ne s’était jamais départie d’un ton impersonnel. Une mère aurait dû être assez fière de la réussite de ses enfants, lui avait-il semblé.

Puis la ravissante jeune femme délaissée par son mari s’était peu à peu enhardie. Elle avait commencé de glisser dans la conversation des propos à double sens qui la faisaient légèrement rougir. Elle avait frôlé sa main en lui resservant un verre de citronnade à peine sucrée. Archie s’était attaché à demeurer très professionnel, mobilisant toute sa volonté pour déterminer l’origine ethnique d’Abigail.

Le léger épicanthus qui plissait ses paupières accréditait une origine asiatique alors que ses lèvres et le dessin de son nez évoquaient sans conteste le sous-continent indien. Mais tout était remis en question par l’or pâle de ses cheveux, ce qui achevait de déconcerter Archie. C’était le type de blondeur presque délavée qui se rencontrait souvent chez les scandinaves. Abigail semblait être la somme improbable d’emprunts génétiques inconciliables. Ses traits étaient ceux d’une jeune femme qui ne portaient pas encore l’empreinte griffue du temps. La texture de sa peau était douce et lisse, exempte de tout artifice esthétique à la mode. Il lui avait donné la trentaine, tout au plus. Or quelquefois, quand un nuage assombrissait l’orbe solaire, quand la lumière devenait plus basse et plus froide, naissait dans ses yeux une langueur inattendue, une sorte de fatigue de vivre. Archie n’avait surpris cette expression qu’une seule fois auparavant. C’était chez une très vieille dame qui se languissait dignement sur le perron de sa maison de retraite, dans le sud de la Louisiane. Elle lui avait murmuré, d’une voix mélancolique et chargée de regret, que la Mort semblait l’avoir oubliée en chemin. Comme son propre fils qui ne venait plus la voir, lui avait-elle dit. Elle ne l’avait pas reconnu, cette fois-là encore.

Archie avait résisté au démon qui ricanait sur son épaule. Trop de caméras dans le coin. Et plus il avait reculé pour éviter de succomber à la tentation, plus il avait eu l’impression qu’un désespoir grandissait dans les yeux d’Abigail. Il avait battu en retraite sans vergogne. Il n’avait pas voulu risquer de tout perdre pour une banale histoire de jambes en l’air. Il avait bredouillé de vagues excuses pour abréger son travail et fuir le théâtre de sa piteuse déroute.

5


Noël approchait. Les résidents avaient accroché à leur porte d’entrée la traditionnelle couronne de sapin ornée de pommes de pin et de boules colorées. Au crépuscule, des guirlandes lumineuses clignotaient aux fenêtres devant des rideaux hermétiquement clos. Sous la direction avisée d’Ed, l’équipe au grand complet s’était attelée à la décoration extérieure, à la fois du lotissement et du golf. Ils avaient déroulé des centaines de mètres de fils garnis d’ampoules, installé de faux pères Noël en mousse et en polystyrène qui faisaient semblant d’escalader le pool house, tout en veillant à préparer le domaine. Une énorme perturbation s’avançait vers eux, descendant de Terre-Neuve. La neige tomberait en abondance autour du 24 décembre avant que le froid polaire ne vienne tout recouvrir d’une patine de glace. Ce genre d’épisode était très rare, avait souligné le service météo. Si le Massachusetts était, à l’instar de toute la Nouvelle-Angleterre, célèbre pour la rigueur de ses hivers, sa côté méridionale était en général préservée des températures les plus extrêmes. Mais cette année, une conjonction de facteurs défavorables avait contrarié les prédictions. De gigantesques icebergs, dérivant vers le sud, avaient été signalés par les garde-côtes. C’était assez inhabituel pour faire les titres des journaux télévisés.

Le mercredi 18 décembre, Ed les avait à nouveau réunis dans le minuscule bureau du local technique principal, situé près de la loge des gardes de la société de sécurité privée appointée par le consortium.

« Bon, les gars, avait-il commencé, voilà le topo. Nous avons un emploi du temps bien chargé jusqu’à la fin de l’année. Vous connaissez pour la plupart le topo mais je vais le répéter pour les nouveaux. Noël, c’est pile dans une semaine. Il va y avoir des réveillons animés dans pas mal de résidences, comme chaque année. De nombreux s invités un cortège de traiteurs, certains de Boston. Je ne veux aucun couac. Ouais, ne me regarde pas comme ça, Pete, tu sais très bien pourquoi je dis ça ! »

Le dénommé Pete, un gros gars aux avant-bras couverts de tatouages de motard, grimaça. Il fit un clin d’oeil à Archie avant de lancer à Ed :

«Fais pas chier, Ed, c’était un putain d’accident ! Tu vas pas me balancer cette connerie à chaque putain de réveillon ! J’allais la rapporter, cette putain de caisse. Je l’avais juste mise de côté pour souffler un coup. Après, c’est pas ma faute si la caisse de champ est tombée quand j’ai glissé sur cette foutue plaque de verglas. J’te dis que c’était rien qu’un putain d’accident, Ed ! Même le big boss n’a pas bronché. Il a rien trouvé à redire. Alors lâche-moi avec ça, Ed !

Ed avait continué son speech comme si de rien n’était :

«OK, faites passer, voici vos feuilles de travail pour le 24 et le 31. Apprenez-les par coeur, je veux que tout glisse comme dans de l’huile. Ne soupirez pas, poursuivit-il en remarquant les sourcils qui se levaient d’étonnement. On nous paiera les heures supplémentaires au tarif habituel et triple si c’est après 23 heures. Et puis, vous voyez bien que comme les années précédentes, vous aurez un jour de relâche. Samedi prochain. Comme d’hab, les résidents vont se rendre de l’autre côté de la baie, à Nantucket, pour leur réunion annuelle. Ils ne reviendront que dimanche, en fin de matinée. Alors, jusque là vous avez quartier libre ! »

Comme personne ne bronchait, Archie leva la main.

« Oui, Archie ? répondit Ed.

« Pourquoi n’en profitons-nous pas pour avancer le boulot. Sans les résidents dans les pattes, les choses iront plus vite, non ? »

« T’es pas bête, Archie! ricana Ed. C’est vrai que nous n’y avons jamais pensé avant ! Le domaine est fermé durant l’absence des résidents. Les gardes ont l’ordre de ne laisser rentrer personne. Et la journée est payée de toute façon. Alors, moi, je dis, c’est tout bénef et j’en demande pas plus ! Autre chose à rajouter, Archie ? »

« Non, Ed, c’est parfaitement clair en effet ! Si c’est payé, alors je ne discute plus ! »

Archie ne posa pas d’autre question. Il savait dorénavant quand il s’introduirait dans le domaine pour rechercher le trésor. Une journée entière où il pourrait fureter dans tous les endroits qui lui étaient interdits. Le système de surveillance n’était pas un problème pour Archie. Cela n’avait jamais été un problème en vérité. Il était de cette race de voleur-là. Tous ces longs mois sous couverture n’auront pas été vains. Il serait bientôt riche. Plus riche que Bill Gates. Ses yeux se mirent à briller d’un éclat doré.

6


Le jour tirait à sa fin. Archie n’avait encore rien trouvé. Il avait visité les maisons des cercles inférieurs. Les verrous et les alarmes étaient ses amis. Il avait traversé des pièces richement meublées : des canapés du cuir le plus fin, des tapis de pure laine iranienne, des tableaux de peintres réputés, des vases chinois de la dynastie Ming. Il avait eu l’impression de traverser les plus belles pages d’un magazine d’ameublement et de décoration d’intérieur haut de gamme. Le moindre mobilier sortait des ateliers des plus grands stylistes contemporains. Chaque objet, jusqu’au cendrier posé sur la table basse, était en matière noble et précieuse, fleurant bon l’élégance et le luxe. C’était à la fois grisant et irréel. Archie devait s’empêcher de s’extasier toutes les deux minutes. Chaque partie s’intégrait avec harmonieusement avec l’ensemble, teintes, matières, époque. Il n’avait pas relevé la moindre faute de goût.

Il avait bien sûr ouvert les coffres-forts camouflés dans les endroits plus originaux. Ce n’était pas de vulgaires boîtes vaguement blindées fourguées aux caves peu regardants. C’était de l’acier trempé suédois, des mécanismes américains, un montage britannique et un design français. Leur ouverture requérait une expertise loin d’être à la portée de tous les cambrioleurs. Mais Archie était un Voleur. Il réussit à les déverrouiller sans les endommager. Ils contenaient des de liasses bien épaisses de grosses coupures, des rivières de perles et des bagues serties de diamants. Pour tout autre qu’Archie, mettre la main sur ces richesses aurait été largement suffisant. Mais Archie en voulait plus. Il voulait le Trésor.

Et puis, toutes ces maisons, si richement meublées, ressemblaient à des maisons de poupées grandeur nature. Elles avaient beau être du goût le plus exquis, réunir les plus beaux objets de la création, quelque chose faisait défaut. Archie avait l’impression de déambuler dans des salles de musée sans âme. Il n’avait pas trouvé l’ombre d’une miette dans les cuisines où les larges frigos débordaient de victuailles si bien emballées qu’on pouvait douter qu’elles aient été consommées. Une atmosphère étrange, stérile, était confinée entre ces murs. Tout y était trop propre et trop vide. Il manquait vraiment quelque chose. Archie avait la réponse sur le bout de la langue mais, obnubilé par le trésor qu’il recherchait éperdument, il la laissa en suspens.

Le jour tirait à sa fin et la nuit installait peu à peu ses quartiers. Archie s’approchait du terme de son expédition. Au-dessus de lui, se découpant sur l’arrondi blafard, le manoir dressait sa sinistre silhouette. L’astre nocturne emplissait une bonne partie du ciel, sa pâle clarté se réfléchissant sur le givre qui festonnait les branches des arbres figés. Au nord-est, de gros nuages s’amassaient au-dessus de l’océan, leurs contours cotonneux s’irisant sous la caresse de la lune montante. Archie pouvait déjà distinguer les premières lumières de la ville en contrebas. Tout lui apparaissait parfaitement net dans la transparence surnaturelle du crépuscule. Archie inspira profondément et consulta son bracelet-montre. Il lui restait du temps. Beaucoup de temps.

Il gravit le chemin qui accédait au manoir. Il avait chronométré son ascension. Il n’apparaîtrait sur aucune bande vidéo. Les magnétos s’étaient arrêtés d’enregistrer au bon moment. Archie excellait dans la programmation de toutes ces petites machines. Il parvint sur le perron du manoir des aigles. Il l’avait ainsi surnommé à cause des grands rapaces aux ailes déployées qui encadraient le portique à colonnades. Le lourd vantail de bois bardé de bronze s’écarta sans bruit. Il se retrouva à l’intérieur, sous une coupole noyée dans l’obscurité.

Pour éviter d’être repéré par les vigiles qui faisaient des rondes régulières, il tira de son paquetage dorsal son arme secrète. Un AN/PSQ-20, la lunette de vision nocturne qui équipait l’armée américaine. Elle combinait les technologies d’intensification d'image et d’infrarouge, utilisables ensemble ou séparément, ce qui la qualifiait pour tous les types d’environnement en basse ou en très basse luminosité. C’était le nec plus ultra en la matière.

Une fois équipé, il s’élança, comme un fantôme, sur la volée de marches. Son oeil droit le plongeait dans un univers fantastique. Il avait l’impression d’avancer dans une succession de halos verdâtres dans lesquels les objets les plus communs semblaient naître du néant.

Il visita toutes les pièces du premier étage mais il fut une fois encore déçu par les résultats de ses recherches. Visiblement, les mêmes architectes d’intérieur avaient également sévi ici aussi. Peut-être y avait-il une touche supplémentaire de baroque viennois par-ci et de g_o_t_hique flamboyant espagnol par-là. Une atmosphère quasi mystique se dégageait de ces lieux. La sensation de marcher dans un temple consacré. Il crut même entendre des voix plaintives mais, quand il s’arrêta pour mieux écouter, il n’y avait que le silence. Poursuivant ses recherches, il fouilla de la même façon les deux autres étages. En pure perte.

7


Il redescendit dans le hall d’entrée. De part et d’autre, deux grands salons de réception formaient les deux ailes de la demeure. A leur extrémité la plus éloignée, ils disposaient d’une cheminée monumentale qui ouvrait une gueule gigantesque. Il commença par celui qui abritait une très longue table en bois massif autour de laquelle s’alignaient de lourds fauteuils matelassés et cloutés. Dos à la grande cheminée, le dernier siège était encore plus majestueux. Au plafond, deux grands lustres se transformaient, dans sa vision scotopique, en fontaines miroitantes, la moindre particule lumineuse arrachant des éclairs aux myriades de pendeloques de cristal taillées en forme de larme.

Soudain, les murmures lancinants s’éveillèrent à nouveau. Cette fois-ci Archie les entendit distinctement. Ils semblaient provenir du fond de la salle. A pas comptés, aux aguets, il se rapprocha lentement de la cheminée. Les murmures se changèrent en une sorte de mélopée soupirant une étrange liturgie. Posant la main sur le linteau, il examina l’intérieur de l’âtre où il aurait aisément pu se tenir debout. Une grande plaque métallique fermait le fond du foyer.

Grâce au dispositif d’amplification de lumière, Archie vit de légères pulsations lumineuses naître au centre de la plaque. Il ferma son oeil droit. L’obscurité se reforma, totale. Lorsqu’il rétablit la vision infrarouge, les pulsations devinrent plus intenses, rougeoyant bientôt comme un fer porté au feu. Se répandant rapidement dans les creux de la gravure centrale, elles dessinèrent les contours d’une étrange créature. C’était une sorte de gargouille vaguement humanoïde, aux membres puissants et écailleux. Sur sa tête batracienne, où saillaient des yeux globuleux, était posée une couronne. Cela devait être une de ces divinités tirées du bestiaire sans limite de la mythologie méditerranéenne, songea Archie. Les pulsations battirent plus vite, donnant l’impression que la fabuleuse créature se détachait du métal, comme dans une sorte d’animation 3D. Les pulsations s’élargirent plus encore et découvrirent huit autres animaux fabuleux, formant une étoile autour de la créature amphibienne.

La mélopée marmonnée par le choeur invisible gagna en puissance. Sur un rythme lent et répétitif, elle reprenait le même thème, répété à l’envi sur des tonalités subtilement différentes. C’était à la fois apaisant et troublant. Le chant sourdait de la plaque d’acier sur laquelle les neuf créatures fantastiques avaient entamé une ronde hypnotique, leurs silhouettes frissonnant d’une lumière étincelante. Archie éteignit la lunette. Les ténèbres envahirent à nouveau les lieux mais la mélopée résonnait toujours. Il consulta brièvement sa montre. Minuit approchait. Il lui fallait faire désormais attention.

Il ralluma l’AN/PSQ-20. Les créatures s’étaient libérées de la gangue métallique et flottaient librement dans l’air. Elles se dressaient sur leurs longues pattes palmées, imitant des attitudes humaines. Formant un cercle régulier, elles tendaient leurs bras contrefaits, terminés par des mains griffues, en se balançant comme si elles célébraient un rite obscur. Au centre de la ronde, la créature couronnée fixait Archie de ses yeux saillants qui ne clignaient pas. Un regard d’ambre où dansaient de sombres fulgurances. Un regard intense qui drainait toute sa volonté. A cet instant, quelque chose lui souffla à l’oreille que le trésor qu’il convoitait depuis si longtemps était forcément caché derrière cette porte. Juste derrière cette porte. Cette porte ? Bien sûr, c’était une porte secrète qui conduisait à son trésor. Comment n’y avait-il pas déjà pensé? Tout le reste n’avait plus d’importance.

Fébrilement, il explora minutieusement la plaque de métal, à la recherche d’un mécanisme d’ouverture. Les créatures fantômes avaient disparu. Il porta cette hallucination sur le compte de l’extrême tension qui l’habitait depuis plusieurs mois. Un excès d’adrénaline.

Sous ses doigts, il découvrit une échancrure dissimulée. Il tira tout d’abord sans résultat. Il appuya ensuite fermement et sentit le métal céder sous la pression. Il y eut un déclic sourd. La plaque tout entière pivota sur son axe. Un couloir de ténèbres s’ouvrait devant lui, confirmant sa conviction. Le trésor, son trésor, était au bout.

Il s’engagea lentement dans le boyau aux murs pavés de pierres nues. La vision nocturne ajoutait une dimension onirique à sa progression. Le tunnel s’enfonçait sous la terre selon une pente assez prononcée. Il atteignit un puits d’un large diamètre. Dénué de margelle, il était creusé à même le sol. Sans sa lunette, il aurait basculé dans le gouffre. Des dalles scellées dans la paroi formaient une sorte d’escalier vertigineux qui s’enfonçait en épousant la courbure du cylindre. Archie se pencha pour évaluer la profondeur mais il ne put percer le brouillard verdâtre qui bouchait la perspective. Le fond était hors de vue. Il posa un pied prudent sur la première dalle. Elle semblait solide. En agrippant le rebord par sécurité, il fit porter tout son poids sur la plaque de pierre. Elle ne bougea pas d’un millimètre.

Alors, il commença la descente, marche après marche. La vision nocturne lui conférait un avantage incontestable. La circonférence du puits était si régulière qu’il apparaissait évident qu’il n’était pas d’origine naturelle. Au bout d’un moment, il réalisa qu’il n’avait plus à craindre d’être repéré par les vigiles. Il éteignit la lunette et ceignit autour de sa tête un bandeau équipé d’une puissante torche qui projeta aussitôt une lumière intense. Il tira aussi de son sac un bâton fluorescent qu’il craqua avant de jeter dans le gouffre. Il accompagna sa chute du regard. Elle dura quelques longues secondes. Quand le bout de plastique s’immobilisa, Archie estima qu’environ une centaine de mètres le séparait encore du fond. Une bonne vingtaine de minutes d’efforts. Il reprit sa progression.

Sous lui, , à quelques mètres à peine, le bâton lumineux se consumait dans un halo d’un vert fluo éblouissant. Soudain, alors son pied prenait appui sur une autre dalle, celle-ci se déroba d’un coup. Toutes les dalles furent comme aspirées dans la paroi. Il rechercha vainement une prise autour de lui. Déséquilibré, il tomba dans le vide. Il essaya de mettre de se recroqueviller pour limiter les dégâts mais cela ne fut pas suffisant. Il heurta sèchement le sol de terre battue. Il crut que tous ses os explosaient. Une douleur fulgurante lui déchira les poumons. Il perdit connaissance.

8


Quand il revint à lui, tout ce qui l’entourait était flou. Il avait dû subir une sacrée commotion. Il était allongé sur une surface dure et de froide. Son sac avait disparu et sa torche ne fonctionnait plus. Un courant d’air charriait vers lui de forts effluves marins. Il voulut porter une main à son visage mais elle ne répondit pas. Il pouvait bouger ses doigts mais impossible de faire le moindre mouvement. Il sollicita son autre main. Celle-ci aussi semblait paralysée.

Il tenta de se redresser mais il en fut aussi empêché. Il aperçut les cordes. Il était ligoté sur une sorte d’obélisque, les bras fermement maintenus le long de son corps, dévêtu jusqu’à la taille Les protecteurs du trésor avaient déjoué ses plans et s’étaient montrés plus malins que lui. Il était à leur merci, fait comme un rat. Son ange gardien, pour la première fois, ne s’était pas montré à la hauteur. Sa carrière promise à un si bel avenir s’arrêtait net au fond de ce trou. La parabole était cruelle.

Sa vision périphérique se rétablissait peu à peu. Il discerna loin au-dessus de lui une voûte semblable à celle d’une grotte ou d’une caverne. Des ombres fantomatiques la peuplaient, ombres déformées et longilignes, portées par la faible luminosité qui régnait en ces lieux.

Archie se sentit soulevé vers l’avant. Son champ de vision s’élargit. Il se trouvait dans une large caverne qui s’évasait en amphithéâtre. Quelques flambeaux, piqués sur des hampes de bois, jetaient une lumière maladive. A ses pieds, d’Archie, le sol s’abaissait progressivement jusqu’à une plage sablonneuse qui bordait une étendue d’eau, sombre et étale.. Sur sa gauche se tenait un groupe d’hommes et de femmes, habillés de longues tuniques brodées de fils d’or et d’argent. Leur visage était grimé de façon à estomper habilement leurs traits humains et à faire ressortir des formes plus anguleuses. Leur bouche et leur nez étaient réduits à leur plus simple expression tandis que le contour de leurs yeux était au contraire très exagéré.

Archie reconnut toutefois les résidents du lotissement dans cette assemblée païenne. Le choeur était composé des familles subalternes.

Tout de noir vêtus, leurs membres arboraient le même maquillage uniforme. Ils tendaient les bras au-dessus de leur tête en psalmodiant la même litanie et se balançaient d’avant en arrière et de droite à gauche, tels des roseaux dans le vent.

Un peu à l’écart, les Princes portaient des vêtements plus précieux et des colliers de perles brillantes et de coquillages nacrés pendaient à leur cou. Leur visage était maquillé avec plus de soin, renforçant le réalisme de la transformation. Mais, malgré le maquillage qui l’enlaidissait, Archie identifia Mme Ward quand elle l’envisagea. Elle avait dans les yeux la même expression effrayée. Son mari se tenait à côté d’elle. Son masque facial était celui d’un crapaud. Une bouche large et sans lèvre. Un nez totalement écrasé. Une peau gris jaunâtre couverte de pustules. Des pupilles horizontales dans des iris d’ambre. M. Ward fixait un point situé sur la droite d’Archie.

Celui-ci tourna son regard dans cette direction. Là se tenait M. Gamgell. Ses traits humains avaient totalement disparu. Des ouïes palpitaient sur son cou. Un bec cartilagineux déformait le bas de son museau camus. Une couronne d’algues et de lichen brinqueballait sur une crête hérissée d’épines reliées par une fine membrane. Ce monstre amphibien croassait au bord de l’eau noire, dessinant des signes incompréhensibles avec le sceptre qu’il tenait dans sa main palmée.

Archie sentit la panique le gagner. Il crut être tombé entre les pattes d’une secte s_a_t_a_n_i_q_u_e. Des adeptes d’un culte païen ésotérique comme il en existait des dizaines aux Etats-Unis. Souvent, des personnes respectables s’adonnaient à ces pratiques sulfureuses. Cela ne finissait jamais vraiment bien. Il avait entendu des histoires horribles où il était question de tortures et de sacrifices. Il voulut s’adresser à ses illuminés pour tenter de les amadouer.

9


Mais à ce moment, une étrange mélopée envahit la caverne. Un chant lourd et puissant, rappelant ces chants liturgiques qu’il entendait parfois en accompagnant sa mère à l’office religieux. La langue était étrange, longues suites dissonantes d’onomatopées gutturales et de phonèmes sifflants qu’Archie s’avoua incapable d’identifier. C’était une sorte d’appel lancinant et terrible. Les récitants ne prêtèrent pas attention au sang qui suinta des commissures de leurs lèvres. Au sein de ce chant monstrueux, une phrase revenait régulièrement. Elle s’insinua dans l’esprit de Charlie où elle s’imprima en lettres de feu.

Elle fit naître en lui d’abord un sentiment de dégoût viscéral, comme s’il se vautrait dans la fange la plus abjecte, une matière molle et sanguinolente où flottaient des grumeaux suppurants. Elle pénétrait en lui par tous ses orifices. Il pouvait sentir la putréfaction envahir sa bouche et glisser au fond de sa gorge. La sensation était si réelle qu’Archie sentit une irrépressible nausée remonter le long de son oesophage. Mais, ensuite le plaisir explosa en lui, tout aussi intense. Il éprouvait une jouissance glauque à se complaire dans cette ignominie. Une exaltation venue du tréfonds de son être, réveillant en lui les plus vils instincts primordiaux que la civilisation avait mis des milliers d’années à juguler. Cette volupté était indicible, au-delà de tout ce que pouvait offrir la drogue la plus dure. Archie était emporté dans une orgie sensuelle qui inondait ses veines comme un maelström irrésistible. Il se sentait constamment au bord de la jouissance et c’était là une terrible malédiction. Mais chaque fibre de son être en réclamait toujours plus.

Alors, ne tenant plus, il se mit à crier sans retenue, ad libitum :

«Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn ! »
« Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn ! »
« Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn ! »

Ses cordes vocales devinrent douloureuses à force de se distendre pour articuler convenablement ces sons gutturaux. Autour de lui, le choeur se fit encore plus ample, reprenant cette incantation innommable. Les échos languissants et virevoltants prolongeaient ces incantations. Sur la voûte de la caverne, les ombres difformes se contorsionnaient à un rythme de plus en plus effréné.

Les oreilles d’Archie bourdonnaient. Le sang s’écoulait de ses narines, de ses oreilles, de ses yeux et de sa bouche mais il continuait de s’époumoner, même si sa gorge se déchirait, même si la caverne se mettait à tanguer. C’était plus fort que lui. Il devait l’appeler, proférer cette incantation. Sinon, il ne connaîtrait pas la paix. Car la paix réside dans le silence et les profondeurs.

L’eau se mit à s’agiter violemment puis un tourbillon se creusa à la surface. Une forme gigantesque émergea de l’onde noire. Une créature à l’apparence vaguement humanoïde. Son corps était recouvert d’écailles luisantes. Ses pattes massives se terminaient par des griffes aussi longues qu’une cuisse d’homme. Sa face était un entremêlement de tentacules aussi épais que le plus puissant anaconda. Un bec de pieuvre dépassait de ce cloaque en perpétuel mouvement. De longues ailes effilées surgissaient dans son dos .Au fond de ses yeux largement écartés se reflétaient une malignité absolue, une noirceur insondable, un appétit insatiable qui dépassaient l’entendement humain. Se dressant de toute sa hauteur, l’immonde créature fit un pas en avant et sa patte s’enfonça dans le sable de la petite plage.

La raison d’Archie vacilla. Rien ne l’avait préparé à cette apparition cauchemardesque. Il hurla, tenta de se défaire des liens qui l’entravaient. Le grand prêtre le désignait à présent en tendant le sceptre vers lui. L’odieuse monstruosité sembla l’écouter, suspendant son pas. Elle inclina sa tête sur le côté, couvant Archie de son regard démoniaque. Un abîme sans fond s’ouvrait dans son oeil où pulsait un Chaos morbide. C’était quelque chose de pire que la Mort. Archie secoua la tête comme s’il cherchait à se réveiller d’un mauvais rêve. Il se démena comme un dément mais ses liens tinrent bon. La mélopée hallucinée cessa soudain. Alors la voix du grand prêtre s’éleva, forte et claire :

« Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn »

Le choeur extatique lui répondit et Archie ne put y soustraire sa propre voix :

« La! Ia! Fhtagn Cthulhu ! »

La créature ainsi appelée des abysses où elle dormait depuis des années, Cthulhu l’Innommé, le Grand Ancien, fondit sur Archie. Mais avant que les griffes monstrueuses ne l’éventrent, avant que son coeur et ses entrailles ne soient déchirés à coups de bec, la démence s’empara du malheureux. Il riait comme un damné quand, dans un dernier claquement rageur, Cthulhu lui arracha la tête.

EPILOGUE


La Chevrolet Cruse vient se ranger le long du trottoir, juste en face du poste principal de sécurité du MBC Beverly Golf. Deux hommes quittent le véhicule. La neige a recouvert toute la région en ce début d’année. L’Etat est en alerte météo maximale mais cela ne les a pas arrêtés.

Le plus âgé est vêtu d’une grosse parka visiblement trop grande pour lui. Il mâchouille un chewing-gum. Suivi de son jeune collègue, il se dirige vers le poste de garde d’où sort bientôt un vigile. Celui-ci ravale sa grimace quand il reconnaît les insignes que lui tendent les visiteurs. Les agents gouvernementaux plaisantent rarement sur leurs prérogatives.

« Bonjour Monsieur, je suis l’agent spécial Clive Dempsey. Avec mon collègue ici présent, nous enquêtons sur un cambriolage. Selon nos informations, le principal suspect aurait été aperçu récemment dans le coin. Est-ce que ce visage vous dit quelque chose ? »

L’agent Dempsey extirpe une photo d’Archie de sa poche et la tend au gardien. Celui-ci secoue la tête :

« Non, je n’ai pas vu c’gars par ici... mais je suis nouveau ! Il y a eu quelques changements en début janvier. Attendez, je vais demander à mon patron ! Comment vous l’appelez votre type ? »

«C’est un malin, il change d’identité comme vous de chemise. Alors son nom importe peu!»

Le vigile appelle son chef avec son talkie accroché à l’épaule. Au bout de quelques minutes, une Jeep s’arrête de l’autre côté de la barrière. Un autre vigile en descend, les yeux protégés de la luminosité de la neige derrière des Ray-ban teintées. Une fois les présentations refaites, il examine la photo à son tour.

«Non, jamais vu ce gars là vadrouiller par ici ! Vous avez demandé au bureau du shériff ?»

«Vous pensez bien. Lui non plus, il n’a jamais remarqué un homme correspondant à la photo. Bon, j’ai l’impression qu’on fait fausse route mais, quitte à avoir affronté ce mauvais temps, autant que nous essayions de rentabiliser le déplacement. Vous permettez que nous interrogions les résidents? Ils pourraient avoir noté un détail intéressant !»

«Oh, ça, je ne sais pas ! C’est des gens respectables qui vivent ici, ils n’ont pas l’habitude d’être dérangés pour rien. Si encore vous aviez prévenu, mais là... » répond le responsable de la sécurité, embarrassé.

« Si cela ne tient qu’à ça, rétorque Clive, voyons quelle heure est-il ? Ouais, je peux appeler un juge fédéral et obtenir un mandat sous deux heures. J’en profiterai aussi pour réclamer des renforts. Une dizaine d’agents lâchés dans votre résidence, je ne sais pas si vos patrons apprécieront franchement la situation ! Mais c’est vous qui voyez, bien sûr !»

Le chef le regarde fixement. Il abdique rapidement : « Ok, mais vous faites vite!» Il fait signe à son collègue de relever la barrière. Tout en regagnant la Chevrolet, le jeune agent du FBI demanda à son aîné :

«Pourquoi ne lui as-tu pas parlé de la bande vidéo prise par la caméra du cadastre municipal où apparaît le visage de ton voleur ? On n’est pas là par hasard quand même !»

«Tu as entendu les réponses du chef de la police et du bureau du maire. Bervely est une petite ville résidentielle qui ne veut pas qu’on trouble sa tranquillité. T’as consulté les statistiques criminelles? Pas un meurtre en dix ans. Rien que des décès accidentels. Les vols et les cambriolages sont très en dessous des moyennes. Boston n’est pas si loin ! Pas de trafic, pas de contrebande, nada ! Je ne m’explique pas ! Alors oui, je suis tombé par hasard sur ce bout de vidéo mais l’image est de si mauvaise qualité qu’elle ne tiendrait pas deux minutes devant un avocat stagiaire. Pourtant je suis sûr que c’est bien mon voleur. Il était là. J’ai discrètement vérifié les documents consultés au cadastre depuis le début de l’année dernière pour ne pas éveiller les soupçons. En septembre, quelqu’un a demandé tout un lot de documents. En septembre, c’était aussi le mois où a été prise la vidéo. Parmi ces documents, il y avait le plan de ce quartier. Pourquoi? Quelque chose l’attirait ici. Si je découvre quoi, je le découvre lui. Il se tient, mon raisonnement, non ? »

« Tortueux, peu scientifique, il ne vaut que par ta conviction ! »

« Au moins, toi, t’es direct ! Fais gaffe à ce que cela ne te joue pas un mauvais tour, ta carrière ne fait que débuter. La mienne, elle est dans mon dos ! Alors l’opinion des autres, j’en ai rien à cirer ! »

Il gare la Chevrolet sur le parking visiteur et ils entreprennent de frapper à toutes les portes. Mais à chaque fois, la même réponse polie les accueille. Personne ne semble se souvenir d’avoir jamais vu le visage de la photo. Les regards sont francs, les réponses directes. Aucune manifestation de gêne, aucune impatience. C’est tout juste s’ils ne doivent pas refuser une bonne tasse de café bien chaud.

C’est enfin une jeune femme blonde qui vient leur ouvrir. Elle contemple la photo peut-être une seconde plus longtemps que les autres résidents. Quand elle reporte ses regards sur eux, elle leur fait exactement la même réponse. Le plus jeune des agents fédéraux parait intrigué par l’expression qui a fulguré dans les sombres prunelles de la jeune femme. Mais il oublie cette impression quand elle lui offre le plus beau sourire qu’il lui a été donné de voir.

En revanche, pour l’agent Dempsey, la coupe est pleine. Il a froid. Il tourne en rond et les portes se referment sur son nez. Il aura du mal à rédiger son rapport et à justifier les frais engagés pour venir jusque là. Il décide de mettre un point final à toute cette histoire. Alors qu’il ne leur reste qu’une poignée de demeures à visiter, il tourne sèchement les talons :

« Basta, ça suffit ! Ils me font tourner en bourrique! Allez, c’est décidé Mulder, on repart à New-York! C’est pas ici qu’on trouvera la vérité ! »

M
(qui a un commentaire en retard!)

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2014-01-19 21:29:52 

 WA, exercice n°126, participationDétails
Solstice du Chasseur






La lune est à son premier quartier. Mais chose étrange, de cet astre frileux recroquevillé dans le ciel glacé descend un rayon lumineux large et intense, braqué tel un projecteur sur la clairière du Bois aux Griffes. Le froid est vif, mais il n’a pas neigé. On dirait que le temps retient son souffle, le silence est profond, mais plus respectueux que craintif. Pourtant, ce bois-là, aucun humain ne peut y pénétrer. Il est ceint d’une couronne d’épineux infranchissables. Quant à ceux qui ont tenté de se frayer un chemin à coups d’épée ou de hache, ils ne sont jamais rentrés chez eux. Il court de sombres légendes sur ce bois maudit. On dit que la nuit, surtout au coeur de l’hiver, s’y déroulent de bien étranges conciles. Venez, approchons-nous. Non, ne craignez rien. Nous resterons invisibles.



Le Père du Solstice est monté sur la Souche Sacrée. Il est âgé, mais sa griffe est encore acérée, sa dent perçante et son bond précis. C’est un sage. Il sait jauger les Chasseurs comme personne, et il sait tirer le meilleur de chacun d’eux. Vous en doutez ? Ecoutez, regardez.
Devant lui, ils sont presque une centaine, les chefs de groupe devant, les soldats derrière. Ils n’ont pas besoin de lumière pour voir, mais comme à chaque concile, la lune les honore de ses froides lueurs.
« Mes amis, nous avons devant nous une longue nuit et beaucoup de travail. Que le Solstice du Chasseur rende vos missions victorieuses et vos coeurs joyeux à l’ouvrage. Vous dormirez demain !
Premier point : il faut débarrasser la mère Allyra de tous les intrus qui infestent sa demeure. Berhal, ce sera ta mission.
- En une nuit ? Il y a des loirs au grenier, des mulots dans la maison et des rats à la cave !
- Combien de Guerriers veux-tu ?
- Au moins neuf !
- Neuf volontaires pour Berhal ? »
Neuf queues se lèvent.
« Merci, mes amis. Allez, et que le Solstice vous soit favorable.
Deuxième point : la petite Marida a été attaquée hier par trois corbeaux ; ils l’ont défigurée pour un panier de pommes ! Ils nichent dans la tour Est. Sadri, cette mission est pour toi.
- Combien de corbeaux dans le nid, Père ?
- Sept. Dont deux jeunes. Combien de Guerriers veux-tu ?
- Huit ?
- Prends-en douze. Ils sont rapides et cruels. Il vous faudra être malins et impitoyables. Il n’est rien de plus dangereux qu’un corbeau blessé. Et le jeune que vous auriez épargné aujourd’hui, parce que vous l’estimeriez innocent, deviendrait demain un monstre d’autant plus redoutable. Je souhaite que seuls des chasseurs expérimentés prennent part à cette expédition. Douze volontaires ? »
Douze queues se lèvent.
« C’est bien. Je vous rejoindrai quand la réunion sera terminée. Merci, mes amis. Allez, et que le Solstice vous soit favorable.
Troisième point : Terenz, le fils du boucher, a perdu la clef de sa maison en traversant le champ de la Grive. Ses parents le privent de repas tant qu’il ne l’a pas retrouvée. Il a cinq ans ! Et sa poche était trouée... Driss, c’est ta mission.
- Il est grand, ce champ !
- Mais le danger est nul. Combien de Guerriers veux-tu ?
- Cinq.
- Tu en auras quatre. Quatre volontaires ? »
Quatre queues se lèvent.
« Non, Bogoss, tu es un chasseur aguerri. Tu vaux mieux que ça. Une bleusaille ferait bien l’affaire... Tiens, Carina, notre jeunette toute blanche...
- Mais je vais me salir ! Et je dois rentrer tôt, Benevolia m’attend...
- Et elle t’a promis un bol de crème, c’est ça ? »
Sourires entendus dans l’assistance. Ils ne sont pas indulgents, non. Ils ont fait leurs preuves. Ils ont risqué leur vie. Ils sont fiers de faire partie du Clan des Chasseurs. La nuit du Solstice, leur devoir est leur honneur.
Carina baisse son regard vert et se lèche une patte pour dissimuler sa gêne.
« Allez, mes amis. Merci de votre aide. Que le Solstice vous soit favorable.
Quatrième point : Lars le colporteur n’est toujours pas rentré, la neige dans le nord a dû le retarder. Sa femme n’a plus que du gruau pour nourrir leurs cinq enfants. Trois lièvres lui seraient bien utiles. Sylis, c’est pour toi, ma belle.
- Trois jeunots avec moi ? Bonne manière de vous couvrir de gloire ! »
Trois queues se lèvent.
« Je vous rappelle », continua le Père du Solstice, « que vous ne devez tuer que les mâles. Pas de femelle, et surtout pas de petit. Il y a une coulée à l’orée du Bois de Jacou.
- Et comment on reconnaît un mâle d’une femelle quand ils s’enfuient ? »
Le jeune Chasseur semble totalement perdu, mais les autres débutants n’ont pas l’air plus assuré. Ne vous moquez pas. Ils ont juste à coeur de ne pas décevoir leurs aînés.
« Sylis ?
- Oui, Père. Pour votre gouverne, la femelle court avec les oreilles couchées, le mâle les garde dressées.
- Profitez de votre chance ! Sylis est notre meilleure Chasseresse. Vous allez beaucoup apprendre en accomplissant votre mission. Merci à vous, et que le Solstice vous soit favorable.
Cinquième point...



Et encore sept queues qui se lèvent. Vous voyez ? Ils ont vaillants, ils ne rechignent pas à la tâche. Il ne manque jamais de volontaires. C’était le seizième point. Dans la clairière ne restent plus que deux Chasseurs Solitaires, de ces êtres exceptionnels, inventifs, intelligents, courageux et honnêtes, pourtant incapables de travailler en équipe, et tout autant réticents à exercer un commandement. Des êtres faits pour réaliser des merveilles – ou affronter des catastrophes.
« Macha, Libo, mes Solitaires ! J’ai deux tâches difficiles que je vous ai réservées, si vous les acceptez. »
Les deux têtes s’inclinent dignement. Il n’est pas dans leur nature d’obéir, et ils connaissent leur propre valeur. Mais ils n’en sont pas moins généreux pour autant.
«Macha, le vieux Thal va passer ce soir, tout seul. Je voudrais que tu sois à ses côtés. Amène son esprit aux Portes de la Lumière, dans la paix et la sérénité. Prends garde à toi. Tu sais que si tu vas trop loin...
- Je le sais, Père. Je serai prudente.
- Libo, viens près de moi. »
Le Père pose son front contre celui de Libo, et dans la figure de la transmission, les deux queues s’entrelacent au zénith. Les images s’inscrivent dans l’esprit du Solitaire.
La jeune serveuse de l’auberge est rouge de plaisir. A son cou pend une grosse perle noire, courant sur une lourde chaîne en or. Un homme deux fois plus âgé qu’elle lui caresse la joue et regarde ses seins. Puis dans un autre village, le feu, les cris, des épées et des flèches, la mort fauchant à tour de bras hommes femmes et enfants.
« Qu’il abuse d’une jeune imprudente n’est pas le pire. Avec sa bande de renégats, il porte la mort où qu’il aille, et les habitants de Ressesk l’ont contrarié en pendant haut et court l’un de ses lieutenants. L’assaut est prévu demain matin avant l’aube, mais les brigands attendront l’ordre de leur chef. Tu sais que nous ne sommes pas censés faire... ce genre de choses, pour la réputation de notre Clan. Les hommes sont bien plus sanguinaires que nous, mais ils sont aussi toujours prêts à nous accuser de tous les maux, juste parce que nous ne sommes ni serviles ni soumis. »
Libo hoche la tête.
« Je le ferai, Père. Sans être vu.
- Merci, mes chers amis. Allez, et que le Solstice vous soit favorable. »



La nuit sera interminable. Les hommes se terrent dans leurs demeures, allumant foyers et lampes pour lutter contre le froid, pour lutter contre l’obscurité, pour lutter contre la peur de mourir de froid dans les ténèbres. Pour un soir, ils se donnent l’illusion que l’hiver fait une trêve. Ils brûlent le bois, puisent dans les réserves, s’empiffrent sans compter comme si demain n’existait pas, comme si l’été était à la porte. Ils passeront des mois, ensuite, à rogner sur les bûches, à économiser le pain, la viande séchée et le gruau, à se coucher la faim au ventre et à se lever la mine blafarde... Avec au coeur le souvenir lumineux d’une nuit où ils se sont sentis riches et joyeux. Ainsi vit l’homme, pour qui un moment d’exception est plus précieux qu’un quotidien assuré mais banal ; ainsi vit l’homme, qui est plus fort d’un bon souvenir ou d’un projet radieux que d’une assiette remplie d’indifférence.




La nuit semble ne jamais vouloir finir. Il n’a pas allumé de lampe. Les braises s‘éteignent lentement dans l’âtre, mais Thal n’a pas la force de se lever pour remettre une bûche. Il respire mieux dans son fauteuil. Aller se mettre au lit, à quoi bon. Il est seul, il n’y a personne pour lui donner des conseils. Personne à qui il ait envie de faire plaisir, même au-delà de son propre désir. Son esprit vagabonde, s’éloigne de son corps usé jusqu’à la trame, revient le faire sursauter et gémir, s’évade encore...
« Kalouchka, ma belle, tu es revenue... »
Les mots se forment dans sa tête mais il les articule à peine. Son souffle est trop précieux pour le disperser en paroles. Sa main se pose sur le dos soyeux, et le ronronnement qui lui répond est la plus douce des musiques. Macha, les yeux grand ouverts, est attentive. Elle sait entendre les pensées. C’est sa mission. Elle ne faillira pas.
« Tu m’as tellement manqué, tu sais... »
La respiration devient plus ample, plus régulière. Le poids qui écrase sa poitrine depuis des mois s’est soudain envolé. Thal se laisse glisser dans une douceur tiède.
« Tu te souviens, Kalouchka ? Les enfants étaient jeunes, ils couraient partout dans la maison, ils riaient, se bousculaient, ils faisaient des bêtises... Et moi je les grondais... Quelle folie ! Les grands yeux noirs d’Ildo, les cheveux d’or de Bettina... Je les appelais mon Guerrier et ma Princesse. Hélas ! Mon Guerrier est parti à la guerre, et il est mort fauché comme un épi trop mûr sans avoir eu vingt ans. Ma Princesse a épousé un riche marchand, et elle est partie loin, trop loin... J’ai fait le voyage une fois, j’étais si heureux à l’idée de la revoir ! Mais elle m’a fait dîner à la cuisine, avec les domestiques. Elle m’a dit « Tu me fais honte. Ce soir je reçois le Comte Dourian, le Baron Nabor et Mestre Vodil, le roi de la soie. Que diraient-ils s’ils te voyaient attifé comme un paysan ? Ils refuseraient de m’adresser la parole ! »
J’ai répondu : « Mais, ma fille, je suis un paysan. La terre m’a fait vivre, et elle t’a fait vivre aussi. Moi, je n’en ai pas honte, je lui en suis reconnaissant. »
Elle m’a tourné le dos. Alors je suis reparti. Ludy, mon épouse bien aimée, en est morte de chagrin quand je lui ai raconté. C’est comme ça, c’est la vie. J’espérais bien la rejoindre vite, et pourtant je suis toujours là. Mais ce soir... Ah ma Kalouchka... Je me sens si bien, ce soir, si léger... Il fait nuit, et pourtant je vois une grande lumière. Elle est douce, elle vient me chercher. Je vais enfin rejoindre mon Ildo, et ma Ludy, et toi... Je n’aurais jamais pensé que mourir fût aussi facile et aussi merveilleux. Grâce à toi, je n’ai pas peur... »
Ronronner. Canaliser la Lumière. Etre là, ne pas céder à la tentation de ce bien-être merveilleux... J’ai encore des choses à faire, des missions à accomplir. Libo a-t-il besoin d’aide ? Sa tâche est si délicate... Mais je ne peux pas presser le temps du vieil homme. Thal s’endort doucement, il ne souffre plus, il ne souffrira plus jamais.



« Bon, alors, et ces mulots ? On ne va pas rester là jusqu’au Solstice du Paysan !
- Il en reste un, un seul ! Mais il est caché derrière le tas de bois.
- Alors on va être plus malins que lui. Ils ont besoin de nous, à la cave. Les rats s’organisent en cohorte, ils sont résolus à ne pas lâcher la place. Mais nous accomplirons notre mission. Tillou, à gauche. Armil, à droite. Darn, tu sautes sur le tas pour déplacer les bûches. Il finira par sortir. Exécution ! »
Le mulot n’a même pas eu le temps de gémir. Un coup de dent, un seul.
« Bien », approuve Berhal d’un bref mouvement de tête. « Tillou, tu évacues les cadavres par la chatière et tu nous rejoins. Les autres, avec moi, à la cave. »
Les rats se sont regroupés en cercle au milieu de la cave. Ils sont dix. Autour d’eux, ils ne sont que six, et ils ne sont guère plus gros que leurs adversaires. Berhal seul est impassible. Il jauge la situation, inspecte les lieux.
« A mon signal, Fedor, tu sautes sur le manche du râteau, oui, là. Ca va partir dans tous les sens. On n’en aura pas plus de cinq, mais c’est toujours ça. »
A ce moment là, des pattes silencieuses descendent l’escalier.
« On a pensé qu’on pourrait vous aider... »
Driss mène ses quatre Guerriers.
« On a trouvé la clé, alors... »
Berhal sourit.
« Chacun le sien. Merci, Driss. Nous allons réussir. A mon commandement... »




Terenz a passé l’après-midi à chercher dans le grenier, entre les bottes de foin. Il y a joué avec sa soeur, hier, en rentrant. Il a faim. Il n’a rien mangé depuis la veille au midi, et il n’a pas trouvé cette satanée clé. En bas on rit, on chante, on mange et on boit. Il s’assied sur le haut de l’escalier. Au moins, il y a un peu de lumière, et les parfums qui montent jusqu’à lui le font saliver. Inutile de descendre, il sait que son père ne cèdera pas. Il a fini par d’endormir entre deux bottes, tellement il était fatigué. Il essuie d’un revers de manche les larmes qui coulent encore sur ses joues. Il se sent terriblement malheureux, et terriblement coupable. Mais tout ce dont il se souvient, c’est d’avoir mis la clé dans sa poche, avant de traverser le Champ de la Grive... Une crampe soudaine lui étreint le mollet, ça fait mal, il halète, il se prend la jambe à deux mains, il se lève... Cling cling cling... Elle est là, devant lui, elle descend degré après degré toutes les marches de l’escalier, et sa chanson joyeuse est une invitation riante à la suivre...
« Maman ! Papa ! Je l’ai retrouvée ! »


En haut de la tour Est, le combat fait rage. Griffes et dents contre becs et serres. Deux cadavres de corbeaux à terre. Cinq Chasseurs qui saignent, qui à l’épaule, qui à la tête, qui au cou. Ils sont durs au mal, ils lècheront leurs plaies plus tard. Les trois corbeaux adultes font cercle autour des jeunes. Ils pourraient fuir, mais il faut leur reconnaître cette qualité, tout malfrats qu’ils soient : leurs petits sont sacrés. Ils combattront jusqu’à la mort pour protéger les jeunes. Les Guerriers feulent en prenant position. Dans leur coeur, la rage le dispute à la peur, mais ils ne reculeront pas. Ils ne quittent pas l’ennemi des yeux, sauf pour lancer un bref regard vers Sadri, en quête de ses ordres. Sadri souffre pour ses frères blessés, il redoute l’assaut, il hésite. C’est alors que la voix du Père du Solstice se fait entendre, redonnant l’espoir et la force aux combattants.
« C’est bien, mes amis. Nous sommes quatorze, ils sont trois. Quatre pour un, Nelk et Maroil, un jeune chacun. Pas de quartier. Les bébés sont toujours attendrissants et sans défense, mais ceux-là ne deviendront jamais des lapins blancs. C’est le Solstice du Chasseur, et le Solstice vous protège. VOUS NE MOURREZ PAS ! A mon signal... »
L’assaut est massif, précis, impitoyable. Nelk et Maroil n’ont pas tremblé ; c’est leur première mission, mais ils ont respect et confiance envers le Père. S’il a dit, c’est bien. Ils ont frappé sans état d’âme. Ils ont tué. Le Père a toujours raison.
Un corbeau, rassemblant ses dernières forces, s’est jeté du haut de la tour. Il est blessé à l’aile, mais ces diables d’oiseaux ont des capacités incroyables. S’il parvient à s’échapper...
« Tous en bas ! », crie Sadri.
Hors d’haleine, les Guerriers arrivent au pied de la tour. Dans le clair d’une lune amicale et complice, ils aperçoivent Berhal et sa troupe. Le dernier corbeau gît dans une mare de sang.
« On était passés à tout hasard », sourit Berhal. « On est arrivés un peu tard, mais pas tant que ça, finalement. »
Le Père hoche la tête de contentement.
« Allez en paix, vaillants Chasseurs. Le Solstice vous sera reconnaissant.
- Euh... », ajoute Berhal, « j’ai plein de loirs et de mulots, pour ceux qui auraient un petit creux. Les rats, je ne vous les propose pas, c’est vraiment trop mauvais...
- Ton offre est la bienvenue, Berhal. Mais d’abord, je vais soigner les blessés. »
Chacun sait que le Père a le pouvoir de guérison. Une par une, il lèche toutes les blessures infligées aux courageux Guerriers, et le sang se tarit, les tissus cicatrisent sans laisser de trace.
« A nous le festin, maintenant ! »
Les pattes agiles se pressent joyeusement. Ce soir les humains ne seront pas les seuls à festoyer.
« Sadri...
- Oui, Père, je sais, j’ai eu beaucoup de blessés, j’en ai laissé échapper un...
- Tu avais une mission dangereuse et difficile. Tu l’as réussie. Je n’aurais pas fait mieux. Je suis fier de toi. Tu n’as rien à te reprocher. C’est moi qui ai fait une erreur. Tes Guerriers étaient courageux, mais ils n’étaient pas les plus expérimentés. J’aurais dû déroger à la tradition et les désigner moi-même. Je me fais vieux, Sadri. Je vais bientôt laisser la place. Si tu l’acceptes, je souhaite que tu me remplaces. Tu es vaillant, tu es intelligent, et tu sais réfléchir dans l’intérêt de tous. Un autre aurait lancé ses troupes au mépris du danger, et certains seraient morts. Mais tu as hésité. Voilà ce qui fait ta vraie valeur. Souviens-toi de cette nuit. L’expérience des uns peut profiter aux autres, si nous ouvrons grand nos yeux et nos oreilles. »
Sadri est bouleversé. Il ne sait pas ce qui le touche le plus, la fatigue, le soulagement, ou l’admiration pour ce Père, tellement humble et tellement honnête. Il prie dans son coeur le Solstice que si un jour il reçoit l’immense charge, il puisse l’accomplir aussi bien que celui qui, devant lui, s’est montré à nu. Il s’ébroue et sourit.
« Demain est un autre jour, Père. Pour ce soir, on avait parlé de festin ? »



Libo est entré dans l’auberge. Silencieux et presque invisible (le poil noir est un avantage), il inspecte les lieux, mesure du regard, décline des hypothèses, réfléchit aux possibles. Les chambres sont à l’étage. L’escalier est raide et droit, sans rampe. Le feu, trop long. Le poison, difficile. L’accident... Il faut épargner la serveuse, et plus ardu encore, ne pas l’impliquer. L’homme doit mourir, et lui, Libo, ne doit pas être vu. Il n’a qu’une nuit, mais il a toute une nuit. Alors, il regarde.
L’homme boit. Mais il a été soldat, et Libo sent chez lui la folie meurtrière. Il est capable de s’arrêter avant d’être ivre. Il pince la croupe de la jeune serveuse, lui débite un compliment stupide, mais elle, pauvre oie blanche, est flattée qu’un homme de pouvoir s’intéresse à elle. Elle minaude, elle le boit des yeux. Petite folle ! Il va faire semblant de t’offrir un bijou de reine, il va se repaître de ta fleur innocente, et puis au matin il t’arrachera du cou le collier magnifique et partira pour porter la mort ailleurs... Et si tu cries ou si tu protestes... Il porte toujours sur lui, outre sa lourde épée, un petit poignard effilé dont il ne sait que trop bien faire usage...
L’escalier. A droite le mur, à gauche le vide. Il montera forcément à sa chambre. Un pilier de bois soutient en son milieu une grande poutre horizontale. Ils ont surélevé la maison. Libo les a vus, il y a longtemps, mais il n’oublie rien, jamais. La poutre finit sous l’escalier, presque sous le plancher de l’étage. On peut y courir, prendre son élan. Ensuite il faut percuter tout en prenant appel, faire demi-tour en l’air, revenir sur la poutre... C’est de la voltige. Si on manque l’atterrissage, c’est une chute de trois mètres, pas assez pour se rééquilibrer et retomber sur ses pattes. Quand il monte ? Ou alors quand il redescend, plus facile. Mais ce sera juste avant l’aube, au dernier moment... Non. Quand il monte. S’il avait un peu trop bu...
La serveuse traîne en salle, le patron est allé chercher du vin à la cave. Les assiettes sont sur la grande table de la cuisine. Quelle est celle de l’homme ? C’est évident. La plus pleine. L’aubergiste a peur de lui, et non sans raison, il veut le contenter à tout prix. Puiser dans la cruche à sel, encore et encore. Un peu de poivre par-dessus, pour masquer le goût... Tu n’as pas fini de boire, homme maudit. C’est Libo qui te le dit, et Libo a ses raisons que le Solstice approuve.
Quand il montera, il demandera une lampe. La serveuse montera derrière lui. Trop dangereux pour elle. Il faut qu’il monte seul.
« Holà, aubergiste ! Du vin ! Ton civet est excellent, mais tu as forcé sur le poivre ! Cela réveille mes ardeurs viriles, et je vois là une jeunette qui ne s’en plaindra pas, mais j’ai la gorge en feu ! A boire ! »
La serveuse sourit d’un air béat. Une grosse perle noire orne son cou, et la chaîne en or qui la porte nourrirait une famille pendant un an.
La cruche à eau, se remplir la gueule, filer à la première lampe, cracher. La cruche à eau, la deuxième lampe... Libo est silencieux et méthodique. L’auberge est bruyante et lumineuse. Qui distinguerait une ombre noire dans l’obscurité ?
« J’ai sommeil. Allez, mignonne, va me chercher une lampe et suis-moi. Ce collier vaut bien une nuit. »
La jeune fille s’escrime sur la mèche ; puis passe à la seconde lampe, à la troisième...
Rougissante, bredouillante, désemparée, elle confesse :
« Je suis désolée, Monseigneur, les lampes ne s’allument pas... Je vais remettre de l’huile...
- Ah bah, je ne vais pas t’attendre toute la nuit. Je sais encore marcher droit, même dans le noir. Presse–toi donc de me rejoindre, ou gare à ton joli minois. »
A la vue de tous, il grimpe l’escalier, titubant, soufflant et grognant. Et puis, et ils sont quinze en bas à finir leur dernière chope en échangeant plaisanteries graveleuses et ragots indécents, ils aperçoivent en un éclair un corps qui dégringole, tourneboule et pirouette avant de s’écraser, comme une crêpe ratée, sur le dallage dur. Le fracas de la chute a masqué le crissement des griffes de Libo sur la poutre. Il s’est rétabli d’un coup de rein, mais il s’en est fallu de peu qu’il ne se vautre, lui aussi, sur le sol impitoyable. Il prend une grande inspiration. Ses coussinets, mouillés de sueur, laissent quelques traces passagères sur la poutre, mais il est fort improbable que quelqu’un vienne les y chercher. L’homme avait bu, tous les convives peuvent en témoigner. Ce n’est qu’un accident, certes regrettable, mais quand on ne tient pas l’alcool, mieux vaut s’en abstenir...
Libo se faufile à l’extérieur. Sa mission est accomplie. La nuit froide le fouette de sa bise glacée, mais il la préfère à la touffeur de l’auberge et à l’odeur malsaine des humains avinés. Il s’ébroue. Il est libre, il est vivant.
« Libo... Tu as fini ?
- J’ai.
- Moi aussi. J’ai eu de la chance, cette année. C’était facile, et c’était agréable. Thal était un homme généreux, nous le savons tous. Il est parti le sourire aux lèvres. Et pour toi ?
- Je n’aime pas tuer. Mais cet homme-là n’était pas bon, ni pour nous, ni pour les autres hommes. Je l’ai fait. Tu...
- Oui.
- D’accord. »
Entre eux, les paroles sont inutiles. Ils se connaissent bien. La nuit n’est pas finie, et de gros flocons commencent à tourbillonner autour d’eux. Libo a besoin de courir, et Macha le sait. Elle est à ses côtés, ensemble ils vont traquer leur proie et se faire un festin de chair chaude émoustillée de neige. Ensemble ils trouveront un nid douillet dans le coin d’une étable. Ensemble ils dormiront dans la même chaleur. , Mais enfin, qu’allez-vous chercher ? Ce ne sont pas des humains ! Ils n’ont pas besoin de serment, ils n’ont pas besoin de contrat. Ils ont confiance l’un dans l’autre, et ne sont jaloux que de leur propre liberté. C’est la nuit du Solstice, et ils ont fait leur devoir, pour l’honneur du Clan. Allez, soyez discrets, laissez-les donc tranquilles. Ce qu’ils feront ensemble est de l’ordre du privé et de l’intime. D’ailleurs il est tard, vous n’avez pas sommeil ?
Narwa Roquen, qui vient de battre son propre record de retard...

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2014-01-26 20:21:17 

 Commentaire Maedhros, exercice n°126Détails
Quelle histoire horrible pour un conte de Noël ! Ton nouvel Arsène Lupin, Archie, nous était devenu bien sympathique et voilà que tu le fais dévorer par un monstre tout droit sorti de Lovecraft !
La construction de ton récit est néanmoins sans reproche. On commence au présent, on finit au présent, tout le reste est au passé. Nous suivons ton héros dans sa quête, logique et cohérence sont au rendez-vous. Mention spéciale pour le chapitre 7 qui est vraiment excellent. Mais le 9 n’est pas mal non plus... De même qu’après avoir lu « Ca » on ne passe pas devant une bouche d’égout sans y repenser, je crois que quand nous croiserons une résidence sécurisée ( et il y en a de plus en plus), nous n’aurons guère envie d’y pénétrer ! On ne se méfie jamais assez des riches...


Bricoles :
- Il ne doutait pas être : d’être
- Archie n’avait pas réussi à déterminer en quoi consistaient exactement leurs activités : « leurs » renvoie aux habitants, ou peut-être aux maîtres du golf ; mais les deux sont fort éloignés en amont, même si en aval tu dis « ils »
- De quelque côté qu’il retournait le problème : retournât
- Il ne s’agit pas d’un Dallas : s’agissait
- ...aux cheveux noirs et raides retombaient : retombant
- Et son nez légèrement camus au-dessus de lèvres fines et exsangues qui tenait plus de l’entaille que de la bouche : on comprend bien le sens, mais outre la faute d’accord, la formulation, à vouloir être concise, rame un peu.
- Il avait saisi la première occasion qui s’offrit : qui s’offrait
- Ses traits étaient ceux d’une jeune femme qui ne portaient pas encore l’empreinte : tu accordes le verbe avec « traits » ; mais la proximité de « jeune femme » gêne un peu.
- De nombreux s invités un cortège de traiteurs : de nombreux invités et un cortège
- Tous ces longs mois sous couverture n’auront pas été vains : n’auraient (futur du passé)
- Chaque partie s’intégrait avec harmonieusement : faute de frappe
- Camouflés dans les endroits plus originaux : les plus
- Ils contenaient des de liasses : faute de frappe
- Des maisons de poupées grandeur nature : de poupée
- Qu’il craqua avant de jeter dans le gouffre : de le jeter
- Soudain, alors son pied prenait : alors que
- Il essaya de mettre de se recroqueviller : faute de frappe
- A ses pieds, d’Archie, le sol... : je pense que « d’Archie » est une faute de frappe
- Il voulut s’adresser à ses illuminés : ces
- Elle s’insinua dans l’esprit de Charlie : faute de frappe
- Le jeune agent du FBI demanda : demande ( le chapitre est au présent)


La fin fait un petit clin d’oeil à X-Files ; on se prend à rêver que peut-être, s’il était arrivé plus tôt...Mais non, c’est une histoire horrible, et le crime restera impuni... Comme pour Hector, les Dieux aveuglent toujours ceux qu’ils veulent perdre... Dommage, ce garçon me plaisait bien, il aurait pu avoir d’autres aventures...
Narwa Roquen, à jour! (pour l'instant!)

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