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De : Elemmirë  Ecrire à Elemmirë
Page web : http://lemondedelemm.canalblog.com
Date : Mardi 10 fevrier 2015 à 11:47:22
Et paf!, Elemm' le retour! ^_^

Mère.




Je n'aime plus les dimanches.
Dès le samedi matin, j'en ai la boule au ventre. Sur la route d'Uzès, j'angoisse. J'espère. Je doute. Je culpabilise. Des fois, je pleure à l'aller. Je pleure toujours au retour.

J'imagine comment ça se serait passé, si j'avais été plus forte, si j'avais eu un plus grand appartement, si je l'avais gardée chez moi, si je n'avais pas quitté Jean-Paul et sa grande maison, oui mais...
J'essaie d'imaginer dans quel état je vais la trouver... J'espère, pas comme ce dimanche de mars, seule dans la chambre au fond du couloir, la robe souillée d'urine, les yeux pleins de larmes, accrochés dans le vide, vide dehors, vide dedans, juste de la douleur et de la solitude immense, et pas une foutue infirmière pour entendre ses cris! À l'heure du goûter pour les valides, tout le monde se fout de ma mère, qui crie qu'elle a peur, dans la chambre 28.

Je gare ma voiture au bout du parking, il n'y a plus une place libre près du grillage. Comme moi d'autres enfants vont se racheter une conscience le dimanche...
J'ai le ventre lourd. Je voudrais être déjà partie... Pardon maman, tu n'y es pour rien. Toi la plupart du temps, tu souris quand tu me vois, même si je n'ai pas la moindre idée de pourquoi tu souris. Est-ce que tu sais qui je suis? Est-ce que tu aimes mon écharpe, ou est-ce que simplement tu es heureuse que quelqu'un enfin s'arrête à ta hauteur pour te parler?

3434B. Il faut un code pour te voir.
Je descends l'allée, personne dehors, pourtant il est joli ce jardin, avec ses rosiers et son gazon bien entretenus... Quel gâchis. Les portes vitrées se dérobent à mon approche, mes jambes aussi. Je tiens bon. Ils sont tous là, ces parents oubliés, qui eux-mêmes ont oublié qu'ils étaient parents, qu'ils étaient vivants, qu'ils étaient là... Ils ont été installés là, alignés, bêtement les uns à côté des autres, pour aucune raison. Ils ne se parlent pas. Ils ne se regardent pas. Des fois l'un se lève, fait quelques pas, se rassoit ailleurs. Des fois l'autre se lève, et une blouse blanche lui saute dessus : "Non non, Paulette, rasseyez-vous, vous allez tomber! On va devoir vous attacher Paulette si vous vous levez, c'est pour votre bien, hein? Alors soyez gentille, asseyez-vous. Là... À plus tard ma belle. Oui oui, je reviens tout à l'heure."

J'ai envie de m'enfuir. Je traverse cette salle insensée et j'atteins le couloir. La lumière ne s'allume pas tout de suite, il reste sombre ce couloir, un moment. J'imagine sa voix. Quand elle était plus jeune, j'adorais sa voix, elle chantait même plutôt bien aux veillées de Noël. Maintenant sa voix est un filet frêle, et ses mots, des oiseaux effrayés qui s'envolent en tous sens. Dimanche dernier, elle m'a dit :
"Ah? ... Madame?"
J'ai dit "Bonjour maman...". Ma voix tremblait autant que la sienne. Serre les vannes, ne pleure pas, c'est pas bon pour elle, elle sourit aujourd'hui...
"Bonjour mademoiselle, j'ai besoin d'aide s'il vous, c'est l'autre fil là, je sais plus comment... Ah... J'ai de la menthe qui danse vous savez... "
J'ai encaissé. Elle était en chemise de nuit, à 15 heures passées. Elle était assise en travers du lit, avec des miettes de biscuit sur le drap. Sa vieille main s'était levée, j'avais vu un poignet maigre et la peau si fine, jaune et bleutée, je n'ai pas reconnu la main qui m'a nourrie et choyée. Ses ongles étaient trop longs, alors qu'elle les a toujours gardé courts pour le travail de la maison. J'ai pensé qu'elle avait froid, je lui ai posé un gilet sur les épaules, elle n'y a prêté aucune attention.
"Ah oui. La bleue elle est facile ici, tu sais. Et toi tu, tu, tu es...? Pas demain...? Je suis pas belle ici..."
J'avais senti l'os de son omoplate sous ma main. Maman... Et puis son regard avait accroché le mien.

Chaque fois qu'elle me regarde, son émotion brutale me transperce le coeur. Elle dit n'importe quoi, elle ne sait plus rien faire, mais son regard est toujours noyé dans une humanité évidente, qui dit tout, qui en dit trop. Si elle est heureuse, elle pleurera de joie, rien que pour une main sur la sienne. "Oh, Madame, que c'est bouton cette petite... ah... c'est gentil de me voir...".
Si elle est inquiète, elle sera terrorisée, son regard vous assomme de toute l'horreur du monde, sa bouche ouverte crie sans rien trouver à dire.
Si elle est contrariée, elle sera folle de rage, avec des mots dans sa bouche qu'elle n'aurait jamais même pensé avant. Il y a quelques semaines :
"Ca pue la merde ici! Pas toi mon bouchon, c'est l'autre vieille pute là-bas! Elle est salope, salope!"... Je mets des jours à m'en remettre quand elle est comme ça. Elle me fait mal. J'en pars les bras griffés de ses ongles, le désespoir de son regard soudé à la peau, et toujours envahie de colère moi aussi.

C'est comme ça qu'elle est, maintenant, ma mère. Ma mère. Qui vit dans une maison de retraite. Toute de rides vêtue, assise comme on attend un train, mais sans train, au milieu du ballet des blouses blanches, qui passent affairées et qui n'écoutent jamais... Qui voudraient bien, mais qui manquent de temps... Les premiers temps, comme la Directrice m'avait dit que je pouvais compter sur l'équipe, j'ai cherché de l'aide.

L'infirmière : "Oui le médecin est au courant qu'elle est déprimée, il va passer. Mais bon c'est compliqué de toute façon, elle crache les médicaments, alors..."

Le médecin ne passe jamais. Il paraît qu'il vient à 7h du matin, il fait des ordonnances, et après? Au téléphone, ses mots lointains : "Ah ben votre mère, elle a des troubles du comportement, oui, mais ça fait partie des signes de la maladie. C'est pour ça que vous l'avez placée, n'est-ce pas? Je vais lui mettre du Risperdal, si vous voulez. Mais ça fera pas de miracle, les Alzheimer sont souvent agressifs vous savez."

L'aide-soignante : "Ah, vous êtes sa fille? Ben... on a pas pu la laver ce matin, elle a insulté ma collègue, elle était très très en forme! On essaie de forcer mais là c'était pas possible, elle était super agitée, on a dû appeler l'infirmière. Désolée mais bon, on est pas payées pour se faire frapper hein. Oh, non mais allez... Ne pleurez pas, c'est pas grave... C'est comme ça... Vous voulez pas voir la psychologue?"

La psychologue, qui n'a jamais rencontré ma mère. Le lundi de 16h à 18h. Deux heures par semaine pour 52 "résidents", une réunion d'équipe et l'impuissance pour l'heure qu'il reste. Elle a mis plus de trois mois à me recevoir. Elle a l'air désolée.
"Je comprends Madame... C'est difficile, nous essayons d'adapter notre accompagnement aux difficultés de votre maman, mais elle sollicite beaucoup les soignants, elle a besoin de réassurance, et cela prend du temps de l'apaiser. Vous savez, les soignants font de leur mieux mais... J'essaierai d'aller la voir. Ca va, vous? Vous avez du soutien autour de vous?"

J'ai hâte de partir. J'atteins sa porte. Ils ont mis une grande photo de jonquilles sur sa porte, pour l'aider à se repérer. C'était il y a longtemps, maintenant elle s'en fiche des jonquilles, elle s'en fiche, de toute façon elle n'aime pas sa chambre, pourquoi voudrait-elle la retrouver?
Je pousse la porte et j'espère. J'angoisse. Je doute. Je culpabilise.



* * *




"Non Mr Bourdin, je crois qu’il faut distinguer deux choses, l'état de la Sécurité Sociale aujourd'hui, qui est issu de toutes les politiques passées, et je vous rappelle que la gauche au pouvoir, ces dix dernières années, n'a pas oeuvré en ce sens, et ce qui...
- Vous voulez dire que ce n'est pas votre faute ?
- Bien évidemment nous assumons nos responsabilités, mais il faut voir d'où nous partons, avec un déficit significatif qu'il est difficile... de faire disparaître actuellement, car vous connaissez la conjoncture de crise, mais nous ferons...
- Est-ce que c'est à cause de ce déficit, Madame la Ministre, qu'aujourd'hui 127 médicaments sont en passe de ne plus être remboursés? Des médicaments qui ne sont pas sans intérêt, pourtant! Pour le diabète, l'hypertension, est-ce que la santé des français d'aujourd'hui doit pâtir des mauvaises politiques de la gauche d'hier?
- Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, Monsieur Bourdin. La question du déremboursement est étudiée avec attention par ...
- Attendez, c'est quand même votre gouvernement qui négocie aujourd'hui ces déremboursements! Je ne comprends pas ce manque de transparence, vous dites...
- Non non, Monsieur Bourdin, ne...
- ... que c'est la gauche qui a agrandi le trou de la Sécu, et j'entends bien que vous ne voulez plus privilégier les chômeurs, mais les malades, Madame la Ministre, les malades n'y sont pour rien!
- Ce n’est pas un manque de transparence, c'est un des plus grands débats de notre société française actuelle, que de savoir dans quelle mesure nous devons rembourser des traitements dont l'efficacité... n'est pas toujours euh, démontrée de façon, suffisamment probante. Les discussions sont en cours, je souhaite qu’elles puissent aboutir. Il faut surtout que nous continuions à travailler en ce sens, pour que les Français puissent, tous, bénéficier de ce droit au soin qui fait partie des acquis de notre chère République. (Le jingle monte et la lourdeur dans mon estomac, se desserre.)
- Madame la Ministre, merci.
- Merci à vous, Monsieur Bourdin.
- Et tout de suite, nous retrouvons..."

Bon! Voilà une bonne chose de faite! Je m'en suis pas si mal sortie. C'est vrai que sur la question des retraites, j'aurais pu garder un peu plus mon calme, mais c'est que c'est un coriace, le Bourdin!
"Sans rancune, Madame la Ministre!", me sourit-il joyeusement. Ce sale gosse n'arrivera pas à pourrir ma matinée. "Sans rancune, Monsieur Bourdin. Mais faites attention à vos affirmations...
- Ah... C'est le jeu, vous savez bien!"

Je quitte le plateau et l'assistante me tend mon téléphone : "Vous êtes attendue au Ministère, réunion avant l'entretien avec le Président du CTIP à 10h45. Petit déjeuner dans la voiture?
- Merci Monique. Double café si possible. Oui Gérald?
- Pardon de vous déranger, c'est que la remise du Rapport CESP au Président est avancée à demain, mercredi il sera en Touraine à cause des événements...
- Eh merde. Faites-le poser sur mon bureau, j'y jetterai un oeil ce soir."
Voiture. Café double insuffisant, croissants froids. Ministère.

Je cours. Pas avec mes jambes, on ne court pas dans les Ministères, on a l'air pressé mais on garde le sourire, on se salue poliment. Mon équipe de fourmis en costards s'affaire et baisse les yeux à mon passage. Dans le grand bureau cosy, qu'on me prête jusqu'à ce que le fauteuil de Ministre devienne un siège éjectable, je m'affale. Sur le bois de merisier vernis, Monique a déposé quatre dossiers. Conférence de presse jeudi 12. Réunion gouvernement mardi 10. Chiffres retraite 2ème trimestre. Ordre du jour ministériel, vendredi 13. Merde, vendredi 13. Pfff... Et le cinquième, Rapport CESP, mercredi 11 mardi 10. Le téléphone sonne.
"Oui Gérald?
- On vous attend pour la réunion, Madame.
- J'arrive."
Je jetterais bien tous ces dossiers à la poubelle. Ils sont tous tirés à 4 épingles, la mine triste et les traits fatigués. Gérald a la tête du mec qui a passé la nuit à son bureau, pour me pondre un rapport inutile que je ne saurai pas défendre à l'Assemblée. Qu'est ce qu'on se marre dans les Ministères... On m'expose les attentes des Prévoyances et leurs arguments pour se faire plaindre. Les chiffres. Les ripostes. J'emmagasine.
Il est en avance, ce con! Il attendra. 3ème café double, j'arbore mon plus beau sourire avant de m'avancer vers lui :
"André, ravie de vous revoir! Entrez, je vous en prie."

Je rêverais d'être Monique à cette heure-ci. De l'autre côté de la lourde porte, elle doit souffler enfin. Il ne vaut pas le journaliste de ce matin, mais dans la famille Coriace, il vaut quand même son pesant d'or.
Au terme d'une bataille acharnée de 45 minutes, j'obtiens qu'il patiente jusqu'à septembre, élaboration du prochain Plan Retraite. Je l'ai un poil agacé, mais il l'a bien cherché. Je sors du ring avec mon splendide sourire plaqué. J'attends qu'il ait traversé le hall pour redevenir moi-même.
"Monique, pitié, plus rien jusqu'à 14 heures.
- Bien, Madame le Ministre. Enfin, vous déjeunez avec...
- Oh! C'est vrai, je l'avais oubliée celle-là..."

Je passe le déjeuner à faire des ronds de jambe à la Présidente du GroFASS (Groupement Féministe contre les Agressions Sexuelles et Sexistes), parce que c'est le bouledogue vicieux de la petite association qui monte, et qu'en tant que femme, je me méfie du pouvoir de ces extrémistes du string et de la liberté de jouir. Ma secrétaire d'Etat la couvre de miel, la salade ne passe pas.

13h50, elle nous lâche enfin. Je n'ai pas beaucoup d'affinités avec Ghislaine Deltour, mais elle a le mérite d'être douée en léchage de bottes. Je la remercie mollement et pour une fois, je suis contente que mon mari m'appelle, ce qui me donne une bonne excuse pour éviter les digressions de Ghislaine.
"Le collège a téléphoné pour Marie-Carole, qui ne s'y est pas rendue de la matinée. Elle est à la maison et elle est bourrée. Je rappelle le Dr Wattelle?
- Fait chier. Fais ce que tu veux, je m'en fous.
- Je te la passe?
- Certainement pas! Démerde-toi, cette gosse m'emmerde!"
Je pense à cette connasse de féministe qui prône la liberté d'avortement, d'abandon, de faire noyer les gamins trop chiants, et pour une seconde je rejoindrais sa cause.

14h30, de retour au Ministère. J'ai 15 minutes avant de partir pour le Sénat. Je jette un oeil rapide aux dossiers sur mon bureau. Demain mes collègues ne manqueront pas de m'intégrer dans leur paranoïa terroriste, et il faudra statuer sur la gestion des cellules de crise pour les victimes d'attentats. Pour le dépôt du rapport au Président, je fais confiance à mes collaborateurs, plus par nécessité que par réelle conviction. Et la Conférence de presse... Je rêve d'un kidnapping. Que ces jihadistes se rendent utiles, qu'ils m'emmènent en Syrie, personne ne paiera la rançon mais ça me ferait des vacances!
Ces salauds de journalistes vont passer une heure à m'exposer avec sérieux et véhémence tous les problèmes de la France que j'ai pas les moyens de résoudre. PMA, IVG, euthanasie, Ebola et H1N6, vaccination, honoraires des médecins, T2A, don du sang, remboursement des psychothérapies, emploi et handicap, CMU, violences faites aux femmes, protection de l'enfance, déserts médicaux et inégalité d'accès au soin... Quoi, j'ai l'air d'une magicienne?? Tout le monde s'en fout de la santé, de toute façon on va tous mourir sous le feu des terroristes, à quoi bon soigner les cancéreux...
"Désolé, encore un appel.
Il entre sans frapper, en plus.
- Dites leur d'aller se faire foutre.
- J'espère qu'elle est assez sourde pour ne pas vous avoir entendue. C'est la chargée d'Etat aux personnes âgées, elle sollicite une entrevue. Pour l'état des maisons de retraites.
- Reportez à avril, Gérald, c'est vraiment pas la priorité.
- Avril? Mais nous sommes en juin!
- Oui, très bien. Merci Gérald."


  
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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2015-03-21 20:50:05 

 Lignes parallèles.Détails
Deux histoires, deux univers, deux mères, deux femmes... qui entrent en résonnance de façon troublante.

D’abord la narration, à la première personne, qui favorise une vision forcément subjective et très empathogène (néologisme revendiqué). Le ton est juste et le style percutant. Tu décris fort bien les points de vue des deux protagonistes et les sentiments qui les animent. Mention spéciale pour la première partie qui se déroule dans l’un de ces établissements médico-sociaux où la société, de plus en plus jeune et joyeuse, tente d’apporter une réponse adaptée aux naufragés des fins de vie. Les réflexions de cette fille envers sa mère nous tendent le miroir de notre impuissance et de nos peurs. La première phrase est choc à souhait. A la limite, il vaudrait mieux aller au cimetière, non ?

Ensuite, les univers apparemment éloignés sont en fait les 2 reflets d’une même réalité. Celle du milieu hospitalier, écartelé entre les idéaux généreux de la sécurité sociale et du serment d’Hippocrate et les contingences triviales à la fois sociétales et budgétaires. Les deux faces d’une même pièce. La première histoire nous confronte sans fard à la détresse et à la misère pudiquement cachée du lundi au vendredi, les bonnes semaines ! Ces endroits où ceux qui étaient forts et vivants hier, ne sont plus que des corps débiles hantés par des volontés chancelantes. Je crois que le plus insupportable est cette régression sociétale que subissent tous ces êtres, déchus et impuissants, quelquefois prisonniers de leur propre corps, de leur propre déchéance, devenant en quelque sorte des meubles encombrants qu’on pousse pour faire le ménage. L’autre univers est plus glacé et glaçant. Quand on regarde les choses de trop loin, on perd beaucoup en acuité et les détails importants se perdent dans le flou des grands ensembles. Au sommet de l’Etat, les décisions sont forcément globalisantes. Les ajustements se feront d’eux-mêmes. Il faut décider, c’est le propre des dirigeants. Et qu’importe si, quelque part en chemin, on en vient à perdre quelque chose d’essentiel. Bien vu.

Enfin, les mères. L’une est absente de sa propre existence qui ne reconnait plus sa fille et qui se débat avec ses démons intérieurs. L’autre est également absente de sa propre vie, car elle a choisi de fouler les salons lambrissés des hôtels ministériels. Toutes deux ont oublié leur propre fille, pour des raisons bien sût fort différentes. Je ne sais pas si c’est volontaire mais, dans la première histoire, la mère n’existe en fait que dans les réflexions de la fille qui vient la visiter, tandis que dans la seconde, c’est au tour de la fille de n’exister qu’à travers les réflexions de la mère.

J’ai trouvé le style et les descriptions également remarquables, surtout dans la 1ère partie. Il a des expressions saisissantes (« Je n'aime plus les dimanches », « de rides vêtue, assise comme on attend un train », « les yeux pleins de larmes, accrochés dans le vide »...) qui font mouche. Tu fais ressentir sans effet spectaculaire les émotions de cette fille qui tente de maintenir un lien, aussi ténu soit-il, avec celle qui fut sa mère mais qui s’éloigne d’elle de plus en plus, à cause de cette maladie insidieuse. On a l’impression que tu es à l’aise dans cet univers ! L’interview avec JJ Bourdin est également bien vu et est criant de réalisme. Comme le côté froid et détaché de cette ministre, qui gère ses dossiers comme son agenda, ou vice-versa. Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, non ?

Au total, une histoire vraiment prenante et la consigne est fort bien respectée. Ces femmes-là ne se croiseront jamais.

Au rayon des bricoles :
« J'avais senti l'os..... Et puis son regard avait accroché le mien... » : j’ai senti l’os... et son regard a accroché le mien...
« Elle a l'air désolée : l’air désolé

M

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2015-03-22 17:22:25 

 Merci pour ta lecture !Détails
Et pour ton commentaire et ton regard aiguisés.

Oui, le choix de faire parler la fille dans l'une, la mère dans l'autre, est délibéré. Parce que le thème central c'est effectivement la question médico-sociale, si j'avais fait parler les deux filles, cette thématique aurait disparu au profit de la relation.
Je me suis demandé un instant si l'un des protagonistes devait être un homme, par souci de parité, tout ça, mais... j'ai pas trouvé de place masculine dans mon histoire. Alors voilà :-)

En tout cas je suis soulagée de tes remarques, j'avais peur que ce soit mauvais, surtout la seconde partie. Je suis comme un poisson dans l'eau des EHPAD, et pour cause. En revanche, les ministères... Je n'y ai jamais posé un orteil !!

Bref, merci :-)

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2015-03-24 23:25:04 

 Commentaire Elemmirë, exercice n°138Détails
C’est un texte puissant, rageur, douloureux, intelligent. On n’en sort pas indemne. La première partie est suffocante, la deuxième écoeurante, la conjonction des deux nous fait mal au ventre. Je dirais que tu joues à merveille sur le registre des émotions si ton texte ne ressemblait pas tant à un grand cri du coeur, un hurlement désespéré maquillé par une consigne de WA. Le talent est une chose, et le tien est indéniable. Mais qu’on ne me dise pas que la littérature n’est qu’une affaire de mots. C’est avant tout une histoire de tripes.
J’aime bien « les portes vitrées se dérobent à mon approche, mes jambes aussi », « des oiseaux effrayés qui s’envolent en tous sens », « toute de rides vêtue », « assise comme on attend un train », et puis « ma secrétaire d’Etat la couvre de miel, la salade ne passe pas ».
Ah l’interview de JJB, un vrai moment de bonheur ! J’adore ce type. Il bosse dur, et il a l’air intègre. Félicitations pour la langue de bois, plus vraie que nature. Un vrai discours politique, drapé de bonnes intentions apparentes, creux et redondant, rejetant la faute sur les autres et s’enorgueillissant de vaines promesses... Mais un petit détail cependant : JJB n’interpelle jamais ses invités par leur titre. Il les appelle par leur nom. Même notre Président élu a été nommé « François Hollande » et jamais « Monsieur le Président ». C’est une liberté de langage qui peut en choquer certains, mais c’est sa marque de fabrique.
Les deux parties sont aussi antagonistes que complémentaires. Dans la première, l’émotion pure, la souffrance, la révolte, le désespoir ; dans la seconde, l’arrivisme, l’indifférence, la froideur intellectuelle. C’est d’ailleurs un morceau de bravoure dont je n’aurais pas été capable. Tu décris très bien l’infinie distance qui sépare les gens de pouvoir de la réalité du quotidien. Ils manipulent les mots et les chiffres à mille lieues de la douleur des gens d’en bas. Tout est codifié : les sourires, les phrases, les colères, les caresses dans le dos... et tout est déshumanisé. Est-ce que ces puissants se demandent parfois pourquoi ils travaillent ? A part pour être réélu ou re-nommé... Comment cette femme pourrait-elle être sensible aux malheurs de ses concitoyens quand elle ne peut même pas entendre la souffrance de sa propre fille ?

Bricoles :
- Ils ont été installés là, alignés, bêtement les uns à côté... : j’enlèverais la virgule après alignés
- Pour aucune raison : sans aucune raison
- Dans le paragraphe « J’ai encaissé... » , c’est vrai que tu passes du passé composé au plus-que-parfait et réciproquement. Mais il me semble que cela reflète l’émotion extrême de la narratrice, sans doute aussi contaminée par la confusion mentale de sa mère. C’est un peu chaotique, mais ça peut passer pour un effet de style et personnellement ça ne me gêne pas. J’ai essayé de le réécrire, et je trouve que ça perd de sa force.
- Elle les a toujours gardé courts : gardés
- Elle a l’air désolée : désolé ou désolée, les deux se dient ou se disent. J’y mettrais même une nuance. Celle qui a l’air désolée est probablement plus sincère que celle qui n’a que l’air désolé.
- Mon équipe de fourmis en costards : costard



Ce n’est pas ton texte qui est cruel, c’est la vie qui l’est. Du moins celle que notre société nous propose. Nous en sommes tous responsables. L’écrivain peut aussi être un lanceur d’alerte, et c’est tout à son honneur. Victor Hugo, Emile Zola, l’ont fait avant toi. Il a fallu des milliers et des milliers de pages, mais la France a supprimé le bagne, puis la peine de mort et a lancé après la guerre de 45 une politique sociale... qui est en pleine régression...
Je souhaite que d’autres que toi apportent leur pierre à l’édifice pour que notre société retrouve le sens du respect de l’Autre.
Merci pour ce texte terrifiant et salutaire.
Narwa Roquen, désolée pour l'attente!

Ce message a été lu 6032 fois
Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2015-03-25 12:03:49 

 Merci :-)Détails
Woaow, Zola et Hugo, rien que ça? Quand même...

À vrai dire, j'ai longtemps hésité sur la 2nde partie, j'avais deux options. Une plus émotionnelle, mais à portée plus petite. L'option de la mère-ministre me semblait à la fois plus évidente, et plus intéressante. Et puis, oui, c'est clair que c'est un combat personnel...
Avec le recul, je me dis que j'aurais dû insister sur la bonne volonté des soignants, quand je relis je me dis que je ne donne pas assez d'éléments dans leur attitude pour contrer le discours de colère de la fille à leur égard. Il aurait été mieux que j'exprime qu'ils faisaient vraiment de leur mieux, mais débordés par l'inadéquation besoins/temps alloué.

Merci pour la précision sur JJB, ça ne m'étonne pas de lui, mais je n'avais pas remarqué cette particularité!
Là aussi, j'aurais voulu faire plus réaliste sur la journée d'un ministre, mais euh, à moins d'un stage dans leurs locaux, je ne vois pas...

Il est clair que sur le sujet de l'état des EHPAD, j'aurais des milliers de pages à écrire...

Mais il reste des WA... :-)

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2015-06-05 10:37:07 

 WA 138 Elemm : commentaire Détails
J'étais venue lire ce texte il y a quelques temps mais il m'avait tellement traumatisée que je ne l'avais pas commenté !
Du coup, il va falloir que je le relise, arg ! Entendons-nous bien, ce texte est excellent, tellement fort qu'il faudrait un nouveau mot, tellement réaliste que j'avais envie de m'enfuir en courant comme quand j'allais voir mon grand-père à la maison médicalisée...
Devoir relire ce texte me fait un peu le même effet que si je devais revoir Le tombeau des lucioles... Mais je ne me vois pas le commenter sans le relire alors on y va !
Déjà, j'aime bien le titre concis.
Le premier paragraphe est extrêmement bien trouvé, il suggère d'emblée le drame familial.
Le deuxième, on pense immédiatement à une maman en maison de retraite.
On sent bien à la lecture que tu livres un texte très personnel.
"Les portes vitrées se dérobent à mon approche, mes jambes aussi." jolie la façon dont l'environnement semble répondre à l'état émotionnel de la narratrice.
Je te trouve extrêmement dure avec le personnel soignant. Cela dit, dans mon expérience, j'ai pu constater que la plupart ont oublié qu'ils ont affaire à des êtres humains. Peut-être est-ce une sécurité contre la folie.
"des oiseaux effrayés qui s'envolent en tous sens" c'est beau ça aussi.
La description de la mère et ses dialogues sont terrifiants de réalisme. Ça me renvoie à cette femme que j'ai connue qui a eu l’Alzheimer. Rien que de penser que ça peut arriver à une nouvelle personne proche de moi ou même à moi, une boule glaciale se forme dans mon ventre.
"Toute de rides vêtue" : magnifique.
Les soignants paraissent parfaitement indifférents dans ton texte. Blasés, limite déconnectés du réel.
Ton discours politique est vachement réaliste, aussi. Il louvoie, tourne autour du pot et, finalement, ne dit rien.
On sent bien l'hypocrisie dans les sourires et les poignées de main. J'imagine que c'est vraiment comme ça.
Son opinion sur les féministes est horrifiante.
Le choix du prénom de sa fille indique avec élégance le niveau de snobisme de la famille.
Sa réaction face aux problèmes de sa fille est horrible aussi.
La fin est juste ignoble. On sent bien qu'elle est dépassée est impuissante mais, vue son attitude, on a envie de la tabasser et pas de la plaindre.
Un texte terrifiant, vraiment. Surtout quand on sait à quel point toute cette horreur est vraie.

Est', mais si je vous jure, je vais poster !

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2015-06-17 07:33:07 

 Les soignants...Détails
Merci pour ta courageuse re-lecture ! Et tes commentaires.
Oui, je voulais ce texte fort parce que militant, c'est vrai.

Mais je dois aussi t'avouer que dans la réalité vraie, depuis 5 ans que je travaille avec eux au quotidien, je découvre aussi de merveilleux aides soignants, et la beauté de ce métier incroyable.
Il y a ces aides soignants qui s'épuisent à trouver le petit plus, qui fera de la toilette d'une personne en fin de vie autre chose qu'un moment douloureux; il y a ceux qui recouvrent de pétales de rose le lit d'hôpital où vont se retrouver de jeunes mariés de 65 ans. Il y a celle qui, avec douceur et attention, ajusté le rasage de la moustache de cet homme décédé pour qu'il soit beau, pour sa famille. Il y a celle qui reste après le travail pour faire dessiner une dame qui a Alzheimer. Il y a celui qui attache ensemble les deux lits médicalisés d'un couple, pour qu'on arrête de leur opposer que "on peut pas vous rapprocher, c'est dangereux, si les lits s'écartent vous tomberez au milieu", celui qui change la station de la radio selon les horaires pour trouver les émissions d'accordéon, celles qui chantent pendant les soins les chansons d'antan pour les faire sourire, et les infirmières qui font les bains de bouche au Coca cola (meilleur goût et tout aussi efficace que les produits dégueulasses, et en plus ça limite les fausses routes), celles qui mettent l'alprazolam que le médecin n'ose pas mettre à la personne qui gémit de douleur, et tous, qui font 15, 30, 80 minutes d'heures sup gratuites chaque jour parce qu'ils savent qu'ils ont des êtres humains en responsabilité.
Ça n'empêche pas que parfois, on va trop vite, on se met en mode routine, et on oublie d'être humains. Mais ce que je dénonce, ce n'est pas tant le soignant, que les conditions d'épuisement qu'on lui offre... Sils étaient plus nombreux, sils avaient le temps, je suis certaine que la grande majorité le passeraient à prendre le temps de vivre avec les patients.
En tout cas, moi j'y crois... :-)

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