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 WA - Participation exercice n°150 Voir la page du message Afficher le message parent
De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Jeudi 13 octobre 2016 à 22:36:47
Bon, donc voici la première partie de l'histoire. Je raconte. Enfin, j'essaie.

LA CONVICTION DU PECHEUR

Une Odyssée Hégélienne



La bande-son

PARTIE 1 - UN ALLER SIMPLE


Lew laissait les machines se charger des procédures de synchronisation qui alignaient la Conviction du Pêcheur sur la trajectoire d'insertion locale et réajustaient les référentiels. Les machines obtempéraient avec habileté et sécurité. Le cocktail tiré de la pharmacopée du bord n’agissait pas aussi vite qu’il l’avait espéré. Il vit, sur les écrans, la fermeture de la porte Capène d’où son vaisseau avait émergé après le dernier saut. Quand le vide stellaire se reforma, Lew ne put s’empêcher de pousser un long soupir de frustration. Ses idées noires l’assaillirent malgré le fix. Cette mission l'éloignait à jamais de l'endroit où il aspirait à être de toutes ses forces, là-bas, de l'autre côté des étoiles. Là où il aurait pu jouer le rôle pour lequel il s'était entraîné toute sa foutue vie et au nom duquel il avait tout sacrifié. Au lieu de ça, on l'avait sanctionné pour une broutille et traduit en cour martiale. Ce coup du sort l'avait écarté du chemin de la gloire espérée. On l'avait privé de l’avenir écrit pour lui en lettres d’or. A son réveil, après des siècles de solitude sans rêve passés dans l'étroit cocon de transit, la rancoeur débordait de son coeur et la bile amère remontait vers sa bouche. Malgré le conditionnement militaire qui le forçait à accomplir son devoir, geste après geste, il avait la certitude que rien ne pourrait jamais apaiser le sentiment d'injustice qui le rongeait.

La Conviction du Pêcheur était un cargo aux dimensions extraordinaires, assemblé au large de Jupiter où il avait mobilisé plus de ressources qu'aucun autre projet du Consortium Impérial des Transports Stellaires. Il dépassait en taille les Léviathans, les plus gros cuirassés de ligne de la Flotte, dont la puissance de feu d'une seule lance pouvait calciner tout un continent. Les plaques en matériau supraconducteur qui le recouvraient avaient modelé des formes douces et arrondies. La silhouette ventrue qui était née dans le halo solaire était vite devenue la cible des quolibets et des railleries des fringants officiers de la Navale rentrant des quadrants d'exercice. L'orgueil de Lew en avait été doublement blessé. D'abord parce que ces officiers, ses pairs et ses frères, l'avaient toujours admiré et respecté comme le meilleur d'entre eux, avant que la Cour Martiale ne mette un terme à ses ambitions. Ensuite, parce qu'il avait éprouvé une honte indicible à la vue de son futur bâtiment, lourd et pataud, disgracieux et pathétique. Depuis lors, quand il avait croisé ses anciens camarades, il avait baissé les yeux tandis que son front s'empourprait. Il sentait leurs regards moqueurs et il devinait ce qu'ils gloussaient quand ils se croyaient hors de sa portée:

"Tiens, le commandant du Tatou, une affectation d'avenir et une solde de roi pour un voyage de merde!"

Il n'avait pu les contredire. Eux se préparaient à affronter la pire menace depuis que l'Humanité voyageait entre les étoiles. Une bataille décisive s'annonçait, une bataille qui déciderait du futur. Ils arrivaient, avaient prophétisé les Veilleurs des Cieux, lorsqu'ils étaient apparus devant les Terrarques éberlués, lors d'un Haut Conseil, sous l'apparence de trois vieillards parcheminés, vêtus de longues chasubles immaculées. Un diadème d'or ceignait leur front altier et une sagesse infinie se lisait dans leurs yeux sans paupière. Ils ressemblaient à des messagers envoyés par quelque Dieu antique ou à ces prophètes, appuyés sur un grand bâton pour admonester les foules incrédules. Ils avertirent les Terrarques sur la nature de la menace mortelle qui s'approchait de l'Empire. C'était inéluctable. Avait-on jamais vu la course des étoiles revenir en arrière?

Ils arrivaient. Ils avaient la férocité des loups et la puissance des lions. Ils arrivaient, cruels et carnassiers, impitoyables et destructeurs, chassant devant eux la Mort et le Chaos. Sur leur passage, les galaxies s'embrasaient et s'éteignaient comme des chandelles qu'on mouche entre deux doigts mouillés. Ils se baptisaient les Mange-Mondes. Tout ce qui tombait entre leurs griffes était perdu à jamais. Pour son malheur, l'Empire de Terra se trouvait sur leur chemin. Le temps était compté. Les hommes avaient à se préparer. Il fallait que l'étendard soit levé et que les armées soient alignées pour endiguer le brutal assaut. N'était-ce pas ce qu'avaient toujours fait les hommes depuis l'aube des temps?

Les Veilleurs des Cieux enseignèrent, durant près d'un demi-siècle, de nouvelles technologies, plus agressives et plus résistantes. Ils supervisèrent la construction de vaisseaux plus rapides et plus puissants, dotés d'armes létales tenant presque de la magie aux yeux des ingénieurs terriens. Ils suivirent de près la formation des équipage et des officiers qui devraient combattre un ennemi supérieur en nombre, insensible et paradoxal, selon des schémas déconcertants, mêlant rêve et réalité, intrication quantique et chevauchement dimensionnel. C'étaient là des domaines singuliers où les machines n'auraient qu'une efficacité limitée. Avant de repartir, les Veilleurs des Cieux prodiguèrent une dernière fois devant les plus hautes instances de L'impérium, leurs ultimes conseils et encouragements puis s'évanouirent dans l'air qui les avait enfantés. Ils laissèrent derrière eux les plans d'un dernier vaisseau. La Conviction du Pécheur.

Lew devint le commandant et le seul passager d'un immense cargo dont les soutes furent scellées après qu'une noria de navettes automatiques les eut remplies d'une infinité de caisses, certaines de taille monumentale. Lew n'avait pas été autorisé à consulter le manifeste de bord. Par la suite, malgré toutes les recherches qu'il entreprit durant les phases de transit, il ne put jamais trouver le moyen d'accéder aux soutes gargantuesques ou mettre la main sur un quelconque document décrivant sa précieuse cargaison.

Lew secoua la tête. Son rêve s'était enfui à jamais. Il ne s'était pas trouvé en première ligne, parmi ses pairs et ses frères d'armes, prêt à repousser les ennemis, dans la plus pure tradition militaire. La douleur familière irradiait sous son tee-shirt, à l'endroit où le bras s'attache à l'épaule, là où persistait le fantôme du tatouage rituel, "Vaincre ou périr, sans jamais reculer", bien que sa peau n'en gardait plus aucune trace. La grande bataille avait eu lieu, à mi-chemin entre un passé encore lointain et un futur déjà enfui. La question qu'il n'osait se poser lui brûlait les lèvres. Que trouverait-il à son retour? Souhaitait-il vraiment le savoir? De quelque façon dont il imaginait la suite des évènements, il serait au mieux un étranger accueilli en héros. Au pire, son dernier saut le précipiterait dans le néant ou au coeur d'un nova en expansion.

En fait, Lew ne craignait pas de mourir. Il était mort quand la sentence avait été prononcée par ses juges. Peut-être l'espérait-il au plus profond de son être, au-delà du dicible et de l'avouable. Que l'Univers efface jusqu'au dernier atome de ce qu'il était, puisque le sort s'était acharné sur lui jusqu'à le retrancher des siens alors que le péril était aux portes de l'Empire. A quoi avait-il servi, lui qui était né pour la gloire et la guerre? Cette barge manoeuvrait aussi bien sans lui. Elle aurait pu rejoindre le point de rendez-vous sans aucune intervention humaine. Pourquoi avait-il été choisi parmi tous? Quelle malédiction s'attachait à lui comme la merde aux semelles? Ses questions demeuraient sans réponse. Les couloirs de la Conviction du Pécheur, où il traînait son ennui de la cambuse à la salle d'entraînement et du dortoir à la passerelle, résonnaient d'un silence assourdissant. Après son réveil, il avait cru, à plusieurs reprises, distinguer une ombre s'enfuyant à l'angle d'une coursive. A chaque fois, ce n'était que le soleil local qui s’amusait à bon compte de sa folle crédulité.

De toute façon, Lew aurait été impuissant à dévier d'un centimètre la course de la nef stellaire. Les directives d'assemblage n'avaient laissé aucune place à une quelconque incertitude. Le plan de vol, inscrit de façon intangible dans les boucles mémorielles du timonier principal, était inaccessible via les commandes externes et Lew n'avait ni l'équipement ni les aptitudes techniques pour modifier les routines implémentées. La Conviction du Pécheur avait accompli le trajet programmé, car telle avait été la volonté des Veilleurs des Cieux.

Quelle que soit la longueur d'un voyage stellaire, ce ne sont pas les distances paradoxales qui sont les plus longues, car elles passent par pertes et profits, les voyageurs n'en conservant aucun souvenir. Elles se logent dans leurs os en milliardièmes de nanosecondes qui alourdissent leur bilan génétique. Une bien maigre contribution pour des organismes cellulaires supérieurs enrichis par les prouesses des biotechnologies et pesant plusieurs dizaines de kilogrammes. Autant dire que les distances faramineuses sont indifférentes aux humains intubés et allongés sur les couches de transit. En revanche, les phases d'acheminement vers et depuis les portes de saut, s'exprimant quant à elles en poignées d'unités astronomiques, paraissent interminables. Selon les configurations topographiques et la classe des vaisseaux, ces transits inter-portes peuvent durer jusqu'à plusieurs semaines en temps terrestre universel, car les vitesses de transfert ne dépassent jamais quelques pourcents de la vitesse luminique.

La porte Capène avait été baptisée en hommage à la porte d'une ville disparue dans la poussière de l'Histoire. Le Terrarque érudit qui l'avait tirée de l'oubli avait aussi mentionné une curieuse épigramme attachée à cette porte qui, selon lui, convenait parfaitement à la mission dévolue à la Conviction du Pécheur : « À la porte Capène, à l’endroit où la route est humide des pleurs que distille la voûte». Consultés sur ce point, les Veilleurs des Cieux avaient acquiescé.

Lew s'ébroua quand les effets des psychotropes se dissipèrent. Un long moment s’était écoulé depuis la fermeture de la porte Capène. La planète envahissait à présent toute la surface des écrans. Lew l'aurait sans doute trouvée assez belle, en d'autres circonstances. Elle offrait une large palette de couleurs : les variétés de bleu des étendues liquides, la blancheur des calottes polaires, les somptueux verts, clairs ou profonds, des forêts et des plaines et l'or scintillant des vastes contrées désertiques qui couvraient les trois quarts des terres émergées. La planète ne comptait qu'un seul et imposant continent qui dérivait autour de l'équateur. Lew ressentit le léger frémissement qui se propagea le long des superstructures de son vaisseau quand le freinage final commença.

Lew observa passivement les corrections de trajectoire apportées par l'IA centrale. Il eut beau cherché du regard, il ne découvrit aucune station orbitale à laquelle la Conviction du Pécheur aurait pu s'arrimer. Il siffla entre ses dents, reconnaissant l'exploit que représentait l’atterrissage du gigantesque vaisseau à la surface d'une planète de taille standard dotée d'une atmosphère. Il dut se ranger à l'évidence et, presqu'à contrecoeur, réviser son jugement sur les capacités de cette barge disgracieuse aux flancs rebondis. Ses moteurs renfermaient une puissance insoupçonnée et ses structures possédaient une solidité impressionnante. Pourtant, il n'essaya même pas d'imaginer les contraintes qu'elle subirait lorsqu'elle tomberait du ciel comme une montagne. Il n'était qu'un insecte toléré à son bord, bien trop frêle pour supporter ne serait-ce qu'une infinitésimale partie des forces qui allaient s'opposer. Si les architectes et les ingénieurs humains avaient consciencieusement suivi les schémas et les directives des Veilleurs des Cieux, il n'avait plus qu'à leur faire confiance. Il ne pouvait pas faire grand chose d'autre.

Les écrans s'assombrirent dès que le vaisseau pénétra les premières couches atmosphériques, sa vitesse décroissant rapidement. Lew entendit les lointains gémissements du métal porté au rouge et le léger frémissement des parois qui absorbaient l'énergie cinétique. La chute dura de longues minutes qui s'achevèrent dans un dernier tremblement qui fit vaciller tous les équipements de la passerelle. La Conviction du Pécheur s’était posée.

La voix de l'IA principale s'éleva alors, faisant sursauter à nouveau Lew :

"Commandant, la mission est réussie. La dernière séquence du plan de vol va être enclenchée. Après la réinitialisation du réseau des IA, tous les systèmes actifs embarqués, navigation, propulsion et informatique, seront éteints. Au terme de la séquence, seuls les systèmes nécessaires au maintien en parfait état de fonctionnement de vos quartiers resteront opérationnels."

Lew manqua de s'étrangler :

"Qu'est-ce que tu me chantes là, s'exclama-t-il. Je t'ordonne de suspendre immédiatement l'exécution de cet ordre! Je livre la cargaison et je rentre à la maison!"

Il se jeta sur le manuel de bord mais le répertoire était vide. Puis l'obscurité étendit ses ailes. Tous les écrans et tous les voyants qui constellaient les panneaux de la passerelle s'éteignirent à l'unisson. Quelques veilleuses, au ras du plancher, distribuaient encore une maigre lumière spectrale qui réveilla les ombres assoupies et avec elles, les terreurs nocturnes qui avaient assiégé le sommeil de Lew.

"Es-tu là? C'est le commandant qui parle. Réponds-moi, c'est un ordre. Un ordre du commandant, priorité absolue." Les aigus dans sa voix trahissaient la nervosité qui grandissait.

Mais l'IA ne répondit pas. Le silence finit de déstabiliser le jeune commandant. D'un seul coup, il manqua d'air pendant que les ombres se rapprochaient de lui, le pressant de trop près. Une angoisse irrépressible monta en lui qu’il ne parvint pas à juguler. Il était à nouveau un garçonnet terrifié par la nuit noire. Il gémit doucement, serrant ses poings. Que lui arrivait-il? Des bouffées délirantes l'assaillaient et il avait envie de prendre ses jambes à son cou pour fuir cet endroit où les monstres allaient bientôt surgir des ombres. Une toute petite voix essayait pourtant de reprendre le contrôle de son esprit désemparé. Mais la pulsion était trop puissante. Venue du plus profond de son cortex, elle brisa toute tentative de résistance et le submergea. A la fin, Lew, tout entier en proie à une incoercible frayeur, ne tint plus. Il sprinta comme un dératé vers ses quartiers, sentant dans son dos les ténèbres se lancer à sa poursuite et engloutir un à un les points de lumière. Son coeur battait la chamade et une douleur aiguë vrillait sa tempe. Il emprunta à toute vitesse de longues coursives qui grognaient sourdement à son passage. Ses cheveux se dressèrent sur sa tête quand il entendit derrière lui le sinistre claquement des mâchoires de métal qui tentaient de le happer. Il n'osa se retourner afin d'éviter le faux pas qui le jetterait sous leurs crocs monstrueux. Les sas hermétiques se refermaient, lui interdisant tout retour en arrière. La Conviction de Pécheur devenait un tombeau et Lew n'en savait rien.

Il atteignit enfin ses modestes quartiers, une cabine assez vaste mais spartiatement aménagée, plongée dans le noir, car ses hublots étaient toujours obturés. Il verrouilla la porte et se jeta sur sa couchette, essoufflé et transpirant. Les battements de son coeur s'apaisèrent peu à peu et Lew recouvra sa lucidité. Il ne se reconnut pas dans ce comportement irrationnel et paniqué. Durant sa formation, il avait mené des opérations bien plus dangereuses, dont il n'était pas toujours sorti indemne. Et, aussi loin que remontaient ses souvenirs, il n'avait jamais eu peur du noir. Alors, ce qui s'était produit sur la passerelle lui parut soudain peu naturel. Il soupçonna les effets de neurotoxines libérées dans le système d’aération. Cette conclusion aboutissait à une autre question plus gênante, qui ébranla ses certitudes. Si une organisation avait réussi à pénétrer les mesures de sécurité qui avaient entouré la construction de la barge stellaire, où s'arrêterait son entreprise terroriste? Etait-elle responsable de l'arrêt de tous les systèmes du vaisseau et du reset des IA, le vouant, lui Lew, à une misérable fin loin de son foyer?

Sur ces conjectures peu optimistes, il se rappela qu'il avait une mission à terminer.

"Volets" dit-il à haute voix.

Quand ceux-ci s'ouvrirent, les flots d'une douce lumière naturelle envahirent la cabine. Lew s'approcha. La barge reposait sur une vaste plaine sablonneuse qui s'étendait jusqu'à perte de vue. Il faisait encore jour. Dans un ciel opalin et transparent, le soleil local jetait une lumière déjà faiblissante, non loin d'un moutonnement de nuages crayeux qui courait au-dessus de l'horizon. Celui-ci décrivait une courbe prononcée, la cabine de Lew se situant à plusieurs centaines de mètres de hauteur, au-dessus des soutes insondables de la Conviction du Pécheur. La plaine qu'il embrassait du regard était désertique. Il n'y avait nul signe d'activité ni aucune construction identifiable. Très loin, il aperçut soudain un bolide de feu fondre du haut du ciel vers la surface, laissant derrière lui un long sillage brillant. Lew le suivit jusqu'à ce qu'il disparaisse de l'autre côté du monde. Cela le rasséréna. Il y avait peut-être là-bas un astroport où il pourrait trouver de l'aide. Il essaya de croire en cet espoir et décida d'aller vérifier si son atterrissage avait rameuté un comité d'accueil. Les Veilleurs des Cieux avaient mentionné son existence, au détour de l'une des réunions ennuyeuses auxquelles on l'avait enjoint d'assister. Il s'engouffra dans l'ascenseur dont disposait la cabine et rejoignit la plage d'embarquement sur le premier pont.

L'atmosphère était irrespirable. Cela tenait à un équilibre différent dans les proportions des gaz qui le composaient. Trop peu d'oxygène et une teneur en ozone, notamment, trop élevée. L'ozone était nocif pour le cerveau, les poumons et les reins humains. L'air véhiculait aussi des micro-organismes parasitaires susceptibles, selon les analyseurs, de déclencher des réactions anarchiques au niveau infra-cellulaire. En revanche, la gravité était assez comparable à celle qui régnait sur Terra. Il pressa un bouton sur la manche de sa tenue, libérant une myriade de nanotisserands. Les biomachines microscopiques tissèrent en quelques secondes sur son épiderme une invisible enveloppe totalement imperméable, dynamiquement résistante et capable de recycler, durant plusieurs jours, l'air que ses poumons contenaient, par échange moléculaire complexe. Ensuite il commanda l'ouverture de l'écoutille. Alors que la masse prodigieuse de la barge le dominait de toute sa taille, il resta interdit en découvrant ce qui patientait au dehors.

Devant un impeccable alignement d'engins de transbordement 0-gravité aux plateformes surdimensionnées, se tenait l'un des trois Veilleurs des Cieux qui avaient averti l'Empire des Hommes. Il ne semblait pas avoir vieilli d'une seule seconde supplémentaire. Hormis les serviteurs mécaniques patientant dans les habitacles des lourds véhicules, il était seul. Lew avança vers lui, ses pieds s'enfonçant mollement dans le sable qui avait une consistance spongieuse. Un voile d'ambre clair descendit sur ses yeux. Les nanoT avaient modifié leur structure devant ses pupilles pour que Lew ne fût pas ébloui par le soleil qui se posait peu à peu sur l'horizon, en face de lui.

Le Veilleur des Cieux était vêtu de la même tenue messianique et il s'appuyait sur un bâton noueux. Il sourit aimablement à Lew :

"Bienvenue sur Helliconia, Commandant. Vous avez effectué un très long voyage depuis votre monde. Soyez-en loué à jamais. Je suis certain que vous vous posez de nombreuses questions. Nul ne franchit de telles immensités sans que naisse, au plus profond de lui, le doute. Mais l'endroit ne se prête pas à ce genre de conversation, ne trouvez-vous pas? Laissons les machines accomplir leur office. Tel est leur but dans l'existence. Elles sont efficaces et diligentes. Laissons-les travailler, elles savent quoi faire. Nous serions inutiles et nous gâcherions de précieux moments. Voulez-vous me suivre et accepter mon hospitalité?"

La voix du Veilleur était musicale et aérienne. Lew sentit refluer les mille questions qui gonflaient sa gorge. Bientôt il fut même incapable de s'en rappeler. Les mots avaient glissé en lui comme la pluie de printemps éloigne un orage menaçant. Lew reconnut alors l'ambassadeur céleste qui l'accueillait C'était Théokéno, celui qui avait enseigné aux hommes les douze piliers de la Foi sur lesquels ils purent élever des fondations solides et aguerrir leurs âmes pour repousser l'assaut dévastateur des Mange-Mondes. C’était Théokéno qui leur avait enseigné les trois langues secrètes, celles qui assujettissent les rêves aux arts de la guerre, pour en faire des armes terrifiantes, jetant l'épouvante et la mort aussi sûrement que les bombes les plus meurtrières. C’était Théokéno l'indomptable qui aimait tant lire de la poésie archaïque au bord du bassin aux nénuphars géants, bercé par le babil liquide d'une fontaine moussue. Celui-là même qui avait, plus que tout autre, accompagné le jeune commandant sur la route amère de la disgrâce. C’était Théokéno et Lew fut content.

"Ce fut en effet un très long voyage, Théokéno, répondit-il. J'accepte avec plaisir votre invitation."

Sur un signe de Théokéno, il vint à son côté. Le Veilleur inclina son bâton et ils disparurent dans un poudroiement scintillant.

M


  
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Réponses à ce message :
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2016-10-30 20:36:28 

 Commentaire Maedhros, exercice n°150Détails
Te voilà revenu dans ton genre de prédilection, la SF pure et dure version space opera, et moi de m'extasier encore sur ton aisance et ton vocabulaire ( trajectoire d'insertion locale, intrication quantique, chevauchement dimensionnel, boucles mémorielles...) , qui me laissent muette d'admiration.
C'est l'histoire d'un homme blessé, désespéré. Fragilisé mentalement, il pense effectuer une mission de routine quand il est soudain piégé sur un monde inconnu. Chance! Il rencontre un Sage. Le suspense est total! Va-t-il être affecté à une nouvelle mission? Va-t-il recevoir des réponses aux questions qu'il ne s'était pas posées? Sa déchéance n'était-elle qu'une manoeuvre perverse pour l'entraîner sur un projet impossible? Vous le saurez, chers lecteurs, en suivant l'épisode 2...


Bricoles:
- la silhouette ventrue qui été née: était
- bien que sa peau n'en gardait aucune trace: n'en gardât
- il eut beau cherché du regard: chercher
- nul ne franchit de telles immensités sans que naisse, au plus profond de lui, le doute : le rythme me dérange. "le doute", mot-clé, après une virgule et pour finir la phrase, c'est frustrant. Qualifie le doute, ou ajoute-lui quelque chose. Tel quel, c'est douloureux.

Un vague signal d'alarme s'est allumé dans ma tête en lisant le titre emphatique ( et par ailleurs tellement décalé qu'il en est éblouissant), et il s'est amplifié quand j'ai lu "partie 1". Mais si tu continues sur le style "montrer", donc sans réécrire la partie 1, c'est de la triche, certes, mais au moins cette histoire-là, tu la finiras. Et c'est sûrement le plus important.
Narwa Roquen, la suite, la suite!

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