| ||
De : Maedhros Date : Samedi 27 janvier 2018 à 11:26:30 | ||
WELTANSCHAUUNG La bande-son « Attention, tout le personnel doit rejoindre les navettes. Arrêt définitif de l’ensemble des fonctions primaires et secondaires dans H moins 20 minutes. Attention, tout le personnel doit rejoindre les navettes. Arrêt définitif de l’ensemble des fonctions primaires et secondaires dans H moins 20 minutes... » Tous les haut-parleurs de la station Ys-Fer égrenaient de la même voix monocorde cette courte litanie ad libitum. Les veilleuses intégrées aux longerons inférieurs des coursives de la station d’observation accompagnaient cet avertissement de courts mais intenses éclairs stroboscopiques. Lui n’en avait cure. Il n’ignorait pas que l’intelligence artificielle chargée de la gestion de la station saurait, en cas de nécessité, débrayer les automatismes qui avaient été activés par le protocole de Terminaison. En effet, rien ne menaçait l’intégrité structurelle de la station. Aucune brèche ne béait sur la paroi extérieure du petit satellite artificiel d’où s’échapperait irrémédiablement l’air respirable. Aucune bombe nucléaire, cachée par de sournois terroristes anti-impérialistes dans un recoin hors d’atteinte de ses entrailles, n’avait déclenché son compte-à-rebours catastrophique. Aucune créature extra-terrestre n’en parcourait les obscures coursives, prête à déchirer par surprise, de ses griffes ou de ses crocs, le malheureux passager passant à sa portée. Non, vraiment, tout était paisible dans la station spatiale qui fonctionnait tout à fait normalement. Celui qui n’était pas très pressé d’obéir à l’injonction de l’IA était un homme assez grand. Bien qu’il parût être dans la force de l’âge, quelque chose en lui trahissait une longue accumulation d’années. Les cures de jouvence prodiguées par le Service de l’Augmentation, dont il bénéficiait grâce à son statut de haut-fonctionnaire, n’avaient pas tout à fait réussi à effacer les ombres qui gravitaient autour de ses yeux, enténébrant son regard. Ses traits ravinés renforçaient cette impression et conféraient à son visage une sombre gravité. Il portait l’uniforme fuligineux des Auditeurs Impériaux, le corps de contrôle le plus redouté de l’Empire. Incorruptibles et détestés, ils étaient capables d’obtenir le bannissement, sur la foi de leurs rapports intransigeants, de n’importe quel Administrateur Régional, nommé par décret personnel de l’Empereur, sans espoir de grâce céleste ou de réduction de peine, quelle que soit la puissance ou la notoriété de la Maison Astréide l’ayant vu naître. Un observateur averti du fonctionnement administratif de l’Empire se serait étonné, à juste titre, de la présence, ici et maintenant, d’un Auditeur sur cette coque de noix spatiale qui allait être bientôt abandonnée au silence sur son orbite excentrée, au large d’une planète interdite. Un Auditeur y avait autant sa place qu’un tigre-sabre dans un jardin d’enfants. C’était... incongru ! Cet homme-là se tenait dans la salle d’observation principale désertée, près de l’immense baie qui s’ouvrait sur l’espace. Pour la dernière fois. Il avait éprouvé le besoin de dresser le bilan de ce qu’il avait vécu, durant toutes ces années, à bord de la station. C’était une forme d’hommage, une sorte d’ultime révérence. Il voulait faire ça bien, élégamment. C’était pour lui quelque chose d’important. Personne ne pouvait ressortir tout à fait indemne d’une telle expérience. Il avait changé, certes d’une façon subtile et intime, mais il avait indubitablement changé. Ce n’était pas dû uniquement à l’influence de cette planète qui emplissait la verrière de ses gigantesques proportions, faisant sourdre un sentiment inconfortable de vulnérabilité. Elle était belle pourtant, se parant de mille dégradés fantastiques sous l'ardeur conjuguée des soleils monozygotes. La Planète Noire, tel avait été le nom dont les poètes et les mystiques avaient affublé ce monde réfractaire à toute tentative de colonisation humaine. Car il possédait une nature mortellement dangereuse. Il réprouvait la vie, toute forme de vie. Aucune créature halophile n'était tapie sous ses étendues infinies de sable, pas même à une échelle subatomique. C'était un monstre fait monde, unique dans les annales galactiques. Il était vindicatif, jaloux de sa pureté et effroyable dans sa cruauté. Chaque centimètre carré de sa surface pouvait dissimuler un piège mortel. Les hommes l'apprirent à leurs dépens. Les nécropoles élevées aux abords des sites d’atterrissage en attestaient la triste réalité. Les longs et bas ossuaires alignés renfermaient des dizaines de milliers d'os immaculés, seuls vestiges régurgités avec parcimonie par la planète. Des bataillons entiers de Technomarines augmentés furent anéantis, leurs armes oblitératrices s’avérant impuissantes et dérisoires. Des multitudes d’esclaves-nés disparurent en tentant de jeter les fondations des unités de terra-formation. Les scientifiques les plus éminents, aidés par des clusters pléthoriques d’intelligences artificielles, s’échinèrent en vain à vouloir percer les secrets de la planète. Elle se refusait à eux et à leurs batteries d’instruments sophistiqués. Aucune loi physique, quantique ou non, n’expliquait les phénomènes qui s’y développaient. La planète était un non-sens astrophysique, une anomalie dans la trame de l’univers. Un joyau brut qui brûlait jusqu’à l’os la main qui voulait s’en saisir. Hérésie géologique supplémentaire, sa surface était émaillée de pics isolés s’élevant, tels de gigantesques monolithes, jusqu’à une altitude qui aurait dû provoquer leur effondrement. Leur répartition procédait d’un ordre abscons, totalement hermétique à la sagacité humaine. A leurs pieds, de tous côtés, le désert étendait ses paysages figés où se répétaient des motifs dunaires à la beauté hypnotique et incompréhensible. Plus extraordinaire encore, profondément enfoui sous chacun de ces piliers qui soutenaient un ciel ivoirin, dormait un monopôle magnétique, une masse portant une charge magnétique ponctuelle. Cette singularité physique avait été prédite théoriquement et observée de façon expérimentale en physique des particules. Mais aucun modèle n’avait intégré la possibilité d’une présence multiple à une échelle planétaire. Les courants magnétiques qu’ils induisaient, intraduisibles par les équations classiques de l’électromagnétisme, pouvaient entrer en résonance de façon simultanée, quand plusieurs coeurs s’éveillaient au même instant, ou successive, quand ils s’allumaient les uns après les autres selon une séquence hallucinée et imprévisible. Dans tous les cas, leurs effets électrodynamiques se renforçaient, comme dans la mécanique des ondes, pour enfanter de super-cataclysmes météorologiques et sismiques particulièrement virulents et destructeurs. Cependant, au hasard d’une expérience à moitié ratée, une équipe de chercheurs mit en évidence de stupéfiantes propriétés dues aux caractéristiques intrinsèques de la planète, favorisées par sa révolution inharmonique autour des soleils jumeaux nés de la même protoétoile et par la situation du système tout entier par rapport au plan équatorial de l'univers. Des courbes asynchroniques, qui fluctuaient au rythme saccadé des doubles flux solaires, balayaient selon un schéma régulier, la planète désertique. Une mystérieuse attraction rétrograde focalisait les trames d'ondes qui s’enroulaient autour des Monts Amplificateurs où, quand les coeurs s’éveillaient dans les profondeurs, elles acquéraient d’autres propriétés encore plus fascinantes. Des prototypes d’instruments de mesure à l’extrême sensibilité enregistrèrent des données déroutantes qui rendirent compte d'un paradigme étranger à toutes les matrices habituelles. Au sein d’un espace local et fluctuant, circonscrit entre les Monts Amplificateurs dont les monopôles activés entraient en résonance selon un schéma bien précis, les murailles de la physique rationnelle volaient en éclats. Les prototypes furent modifiés pour s’accorder aux phénomènes qui naissaient dans la région triangulée. Un technicien intrépide brancha une connexion neuronale sur une entrée haptique du pool de machines semi-conscientes qui bourdonnait sans relâche pour tenter de décrypter les tétragigas d’informations affluant des capteurs positionnés à la surface de la planète, au plus près des manifestations électromagnétiques inhabituelles. Lorsque les transcodeurs établirent une liaison assez stable entre les signaux qui montaient de la planète et son cortex cérébral, le visage de l’homme marqua d’abord une immense stupéfaction qui se transforma aussitôt en une expression d’émerveillement qui tutoya la béatitude. La synchronisation ne dura qu’une poignée de minutes. Mais rien ne put éteindre ce qui illuminait les yeux du technicien. Celui-ci expliqua qu’il lui semblait s’éveiller d’un rêve particulièrement enivrant et réaliste. Mais un rêve étrange dont il pouvait agir sur le cours, comme si c’était lui qui en écrivait le scénario au fur et à mesure. Ce fut ainsi que naquirent les premiers dispositifs «WeltAnschauung», expression tirée d’une très ancienne langue terrane qui exprimait la manière de concevoir le monde. Les adeptes de ces nouvelles techniques furent appelés les Mimétiques, en référence à la Mimèsis, notion démocritéenne de représentation du monde. Devenir un Mimétique ne requérait aucun cursus particulier. Il fallait juste avoir les moyens de rejoindre la Rivière de Perles et posséder une tournure d’esprit compatible avec la technologie WeltAnschauung, plus couramment dénommée TekWA. Les élus ne furent jamais nombreux, ce qui expliqua le désintérêt condescendant que lui manifestèrent les 3G, les Géantes Globales Galactiques, les firmes qui dominaient l’économie de l’Empire. D’où il se tenait, l’Auditeur distinguait presque les lieux où son esprit avait vagabondé. Il pouvait suivre du regard les sillons scintillants qui s’étageaient régulièrement sur les flancs évasés des Monts Amplificateurs. A cette distance, les effets de marée n’étaient pas perceptibles mais il n’eut aucun mal à se remémorer l’excitation qui s’emparait de lui quand il enfichait la tresse de conducteurs neuronaux dans la prise greffée au creux de sa nuque. Il ressentit cette impatience qui le gagnait dans l’attente de l’apparition des symptômes familiers annonçant le changement de paradigme. Cela commençait par des fourmillements électriques qui descendaient le long de son épine dorsale, mettant tout son système sympathique en tension. Ensuite, il assistait à l’éclosion d’une multitude de papillons lumineux dont les ailes battaient devant ses yeux, l’obligeant à cligner des paupières. Puis sa bouche s’emplissait de notes métalliques qui lui piquaient la langue et engourdissaient son palais. Enfin, survenait la fulgurance du halo blanc qui l’enveloppait tout entier. Il était enfin appairé au transmetteur TekWA largué par un drone suborbital au centre du foyer des manifestations EM-P générées par les interférences des courants hétéro-magnétiques. A présent, tout cela allait prendre fin. Les crédits s’étaient taris. La Fondation qui finançait le projet avait réorienté ses priorités. Qui pouvait la blâmer ? La station n’attirait plus vraiment de nouveaux Mimétiques et sa production avait cruellement diminué. L’entropie était une loi universelle jamais démentie. Il plaqua une main contre la baie. Il voulut croire que ce n’était pas un geste de frustration. « Attention, tout le personnel doit rejoindre les navettes. Arrêt définitif de l’ensemble des fonctions primaires et secondaires dans H moins 15 minutes. Attention, tout le personnel doit rejoindre les navettes. Arrêt définitif de l’ensemble des fonctions primaires et secondaires dans H moins 15 minutes... ». Il secoua tristement la tête. La voix désincarnée de l’IA le rappelait à la réalité. C’était la fin des illusions. Sous ses doigts, ce n’était pas du verre, simplement un écran haute-définition qui recomposait panoramiquement la vue extérieure. Il y avait, entre l’espace et lui, dix bons centimètres de plastacier renforcé. Il était seul dans un cercueil de métal accroché à une orbite géostationnaire. Ses pensées s’attardèrent alors sur les autres fantômes qui se délitaient peu à peu dans le silence et les ombres qui grandissaient dans la station. Ils appartenaient à ses compagnons de voyage durant tant d’années. Chaque centimètre carré de cette boîte de ferraille était toujours imprégné de leur présence. Il se souvint des conversations animées qui suivaient leurs incursions mentales dans les zones TekWA. Il se rappela avec émotion les échanges passionnés qui les avaient rapprochés. Convoqués par ses souvenirs, les fantômes familiers se détachèrent des ombres pour reprendre une consistance brumeuse qui emplit l’Auditeur d’une douce mélancolie. Ils étaient partis avant lui mais ils étaient toujours là en quelque sorte. Il sortit de la salle d’observation et lentement, il refit à l’envers le chemin qui l’avait amené jusque là. Il s’attarda dans le Hall of Fame, surnom ironique donné par les premiers Mimétiques au sas exigu qui distribuait les principales coursives menant aux divers compartiments de la station. Des alias étaient griffonnés au feutre indélébile sur toutes les surfaces planes qu’offraient les parois envahies par les tableaux de commandes et les écrans de surveillance. C’était une règle chez les Mimétiques. Ne jamais dévoiler ni véritable identité ni statut social pour éviter toute perturbation des algorithmes TekWA. Il ne connaissait aucun de ces pionniers mais leurs productions oniriques resplendissaient toujours dans les boucles mémorielles du forum TekWA. Ils avaient ouvert la voie et avaient accueilli leurs successeurs à bras ouverts, partageant avec eux l’émerveillement des sens que procurait l’Immersion. Cette indicible excitation d’être l’égal d’un Dieu pendant les quelques dizaines de minutes que durait l’effervescence des courants magnétiques divergents. Il avait vu de ses propres yeux... Oh, il avait vu de ses propres yeux ce que son esprit était capable d’imaginer grâce aux dispositifs TekWA. Cela libérait en lui, à chaque fois, une incomparable charge sensuelle, presque extatique. Il avait appris, au contact des autres, à diversifier ses approches et développer des processus de création dont il ne se croyait pas capable. Dans l’équipe des Mimétiques qui l’avait accueilli en son sein régnait une saine émulation. Toutes les productions oniriques étaient mises en commun et chacun était libre de les commenter au bénéfice du projet global. « Attention, tout le personnel doit rejoindre les navettes. Arrêt définitif de l’ensemble des fonctions primaires et secondaires dans H moins 10 minutes. Attention, tout le personnel doit rejoindre les navettes. Arrêt définitif de l’ensemble des fonctions primaires et secondaires dans H moins 10 minutes... ». Une note cristalline, un frêle accord de corde pincée, le ramena une fois encore à la réalité. Il ne sut pas vraiment si c’était réel mais ses pensées se tournèrent vers tous les univers mentaux développés par les Mimétiques. Il se rappela les paysages bleus, nimbés d’aurores boréales miroitant au-dessus de flots ensorcelés qui charriaient vers la terre les parfums du large. Il avait croisé sur des landes foudroyées des créatures étranges, hybrides, dont la grâce et la fluidité ne masquaient pas totalement une cruauté virginale à fleur de peau, des créatures qui avaient quelquefois l’apparence des loups pré-Hégire. Par la magie de la TekWA, il avait foulé des contrées oniriques qui paraissaient tellement réelles qu’il ressentait à chaque fois une douce mélancolie quand il réintégrait la petite pièce nue et froide abritant la grappe des nacelles d’appariement. Il avait fait la connaissance de tant de personnages attachants, habités d’une âme délicate ou monstrueuse, au gré de la volonté de leurs créateurs. Il se rappela comment tout avait commencé pour lui. Son service au sein du Corps des Auditeurs Impériaux avait pris un tournant imprévu après une mission particulièrement délicate. Il avait maintenu son rapport, ce qui avait fortement déplu à une puissante Maison Astréide qui avait estimé son honneur injustement flétri. L’histoire aurait pu en rester là si ces récriminations n’avaient pas suivi l’Empereur jusque dans l’intimité de sa couche. Alors, pour le soustraire à la vendetta qui se profilait, le Conseil de l’Audit Interstellaire lui avait assigné une mission d’inspection de la Rivière de Perles, ces satellites artificiels qui orbitaient autour de la Planète Noire. On subodorait des détournements des deniers impériaux et des montages financiers éludant des recettes imposables. C’était un motif bidon mais la Planète Noire était hors de portée des intrigues de la Cour Impériale et des séides de la Maison Astréide. Il avait donc commencé sa tournée d’inspection avec une sorte de détachement compassé. Il avait peu à peu espacé l’envoi de ses rapports sans s’attirer les foudres des relecteurs centraux pourtant très stricts sur le respect des normes. Alors, il avait abaissé sa garde, se laissant gagner par une certaine empathie avec ces aventuriers un peu fous qui passaient leur temps sanglés dans des berceaux d’appariement. Quand il pénétra dans la station Ys-Fer, son scepticisme initial avait cédé la place à une curiosité bienveillante. Il avait rencontré des Mimétiques qui lui expliquèrent leur projet dans des termes qui séduisirent sur le champ la part en lui aspirant à quelque chose de différent, de plus exaltant. Il s’entendit demander à essayer un berceau d’appariement. On accéda sans difficulté à sa requête. Après avoir passé haut la main les tests de qualification, c’est sans aucune appréhension qu’il grimpa dans la nacelle pour la première fois. Quand il reprit pied avec la réalité, il signa un engagement longue durée avec l’Ys-Fer. Il en devint un résident permanent et sa production n’eut bientôt plus rien à envier à celles des plus expérimentés. Bien que sa nature d’Auditeur inclinât vers l’individualisme et la méfiance des autres – les misanthropes étant l’aristocratie de l’Audit - il noua d’étroites relations avec les autres membres de l’équipe de la station. Mais rien n’est immuable et ce principe rattrape tous ceux qui croient en la permanence éternelle. Ma très chère entropie. Les destins se croisent, restent proches quelques instants puis bifurquent vers d’autres destinations. Tel est l’ordre des choses. Les conversations se firent moins nombreuses et moins soutenues dans le carré de la station. Le cercle des résidents se restreignit, plusieurs berceaux demeurèrent ouverts et vides. Il voulut croire que ce n’était que passager. C’était déjà arrivé. L’Ys-Fer avait connu des périodes de disette, de marée basse. Il voulut croire que c’était une sorte de jachère, une respiration nécessaire. Il continua de s’allonger dans la nacelle pour faire vivre, là-bas en bas, à la surface de la Planète Noire, les univers qu’il imaginait. Mais quand il se réveillait, il marchait seul désormais dans les coursives de la station. Il sentit bien qu’il était, lui aussi, tiraillé par des forces centrifuges qui accaparaient son attention quand les ombres se faisaient plus pressantes. Il se rappelait alors la lumière qui baignait les étoiles centrales, l’activité fébrile qui unissait les mondes gravitant autour. Il se rappelait la splendeur du palais impérial qui enjambait le vide séparant deux planètes jumelles liées par la science des Hommes. C’était plus fort que lui. C’est ce qui avait éloigné les autres Mimétiques de l’Ys-Fer. Des aspirations qui divergeaient vers d’autres centres d’intérêt. C’était banal et humain. Il en convenait humblement. Il était fait de chair et de sang et la vie s’écoulait de la même façon. Alors, quand l’isolement devint un véritable fardeau, il prit sa décision. Il décida de rejoindre le centre et de reprendre le cours de sa vie. Le temps avait fait son oeuvre sur lui aussi sans qu’il s’en aperçoive. Il avait rédigé le protocole d’arrêt du fonctionnement de la station et programmé l’IA en conséquence. Il vérifia une dernière fois la check-list sur son écran d’avant-bras. Il se dirigea vers le sas qui accédait à la navette automatique. Il avait largement le temps. Il s’emparait de son baluchon quand son regard accrocha la photo-poster sur la paroi. Il vit un visage, une chevelure de feu et un mascaret remonta sa mémoire. Elle était là, celle qui l’avait accueilli entre tous. Il l’avait toujours admirée pour la richesse et la qualité de ces oeuvres. Il était émerveillé par ses univers poétiques, doux et enchantés qui évoquaient des âges d’or et d’acier où de belles personnes affrontaient de cruels destins. Il y avait de la féérie dans les paysages qu’elle concevait et de la beauté dans les personnages qu’elle animait. Quelque chose de plus les unissait, elle et lui, quelque chose de sous-jacent et pourtant si prégnant. Une proximité d’âme qui imprégnait leurs créations. Celles-ci s’interpellaient à distance, se réfléchissaient quelquefois l’une dans l’autre et jetaient des ponts entre leurs personnalités. Cela le laissait souvent rêveur. Bien sûr, les Mimétiques évoluaient sur un plan purement émotionnel et créatif. Les histoires d’amour n’étaient jamais aussi belles que lorsqu’elles se déployaient dans l’effervescence de la TekWA, libres de s’épanouir au-delà des contingences humaines et des règles de vie restrictives régnant à bord d’une station spatiale perdue au fin fond de l’univers connu. Bien sûr, il s’était demandé si en d’autres temps, en d’autres lieux... S’il avait toujours laissé cette question en suspens, le simple fait de la poser rendait superflu d’y répondre. Ce fut une belle rencontre et il avait appris beaucoup de sa rigueur bienveillante. Il savait qu’il ne pourrait jamais l’oublier. Il jeta le baluchon sur son épaule et en quelques enjambées, s’éloigna du carré. « Attention, tout le personnel doit rejoindre les navettes. Arrêt définitif de l’ensemble des fonctions primaires et secondaires dans H moins 5 minutes. Attention, tout le personnel doit rejoindre les navettes. Arrêt définitif de l’ensemble des fonctions primaires et secondaires dans H moins 5 minutes... ». Le temps filait. Les lumières du bord s’atténuaient progressivement. Un jour spectral envahissait les coursives. Les Dieux s’endormaient les uns après les autres dans leur crépuscule habituel, pensa-t-il. Il déverrouilla le sas qui s’écarta en un soupir pneumatique. Il pénétra dans l’étroit habitacle de la navette et regarda une dernière fois l’obscurité qui avançait vers lui. Il pressa un bouton et le sas se referma lentement, lui serrant doucement le coeur. Il se dit qu’il ne reviendrait sans doute jamais plus. La parenthèse se refermait, il lui fallait passer à autre chose. C’était dans son caractère de ne jamais regarder en arrière. Il composa le code de désarrimage et lança la séquence de navigation automatique. A travers le minuscule hublot, il vit l’Ys-Fer s’éloigner dans l’espace, ses feux de signalement pour seul signe d’activité. Il lui adressa un adieu silencieux pendant qu’elle disparaissait dans le lointain. Se mentait-il ? Il ne souhaita pas répondre à cette question non plus. M Ce message a été lu 5521 fois |