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 Petite histoire sans prétention Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 18 juin 2020 à 21:36:27
Si vous êtes tristounets, dépressifs, désemparés, attendez un peu pour lire cette histoire. Elle n'est pas vraiment triste.... mais à la condition d'être en paix avec soi-même...



La Reine en son château abandonnée



Elle avait commencé à arracher les mauvaises herbes autour des quatre rosiers qui avaient survécu à trop d'années de négligence. Et puis le vent s'était levé et la pluie avait commencé à tomber, fine d'abord, rafraîchissante, puis de plus en plus drue, jusqu'à marteler durement ses épaules engourdies de rhumatismes.
Elle avait éternué sur le pas de la porte, avait cherché en vain un vieux mouchoir dans la poche de sa jupe autrefois bleue, s'était essuyé le nez d'un revers de main – puisque de toute façon personne n'était là pour le voir. La pluie gouttait régulièrement dans les seaux déposés à l'aplomb des gouttières, dans la grande salle qui avait connu tant de festins et de splendeurs. Elle frissonna, se couvrit du châle abandonné sur l'unique fauteuil dont l'assise fût encore acceptable. S'agenouilla devant l'immense cheminée pour y loger les quelques brindilles qu'elle avait glanées dans le parc, branches mortes dont le vent avait dépouillé les arbres recouverts de ronces et de lierre. Elle soupira. Si l'hiver était rude, elle aurait froid. Depuis que le petit Aël avait été employé par ses parents à la ville chez un riche marchand, plus personne ne lui coupait de bois. Et elle se sentait trop lasse pour descendre au village demander de l'aide. Elle sourit. Demander de l'aide ? A qui ?
Les brindilles s'enflammèrent et elle mit de l'eau à chauffer. Le coffret de thé était vide, il restait quelques feuilles de tilleul et quelques traces de miel au fond d'un pot. Va pour le tilleul. Elle s'installa dans son fauteuil, recouvrit ses jambes d'une couverture. L'eau était à peine tiède, mais le feu s'était éteint. De toute façon, il ferait bientôt nuit, et dans son sommeil elle ne ressentirait ni le froid ni la soif. Lentement elle fredonna un air qu'un ménestrel lui avait chanté autrefois, quand elle était jeune et belle, quand elle était Reine de Dohr, l'épouse rayonnante d'un Roi riche et courageux. Ah que la vie était belle alors ! Merkan l'aimait. Il n'était pas toujours facile à vivre, il s'emportait parfois dans de sombres colères qui faisaient trembler les murs du château, mais il la comblait de présents précieux et d'attentions exquises, il veillait à ce que les domestiques filent doux et à ce que les sujets payent l'impôt...Il aimait trop le vin, la chasse et la guerre... les femmes, aussi. Mais il n'était pas lâche, il reconnaissait toujours ses bâtards et leur assurait une rente, ainsi qu'à leur mère. La reine s'attristait de ces pratiques, mais on lui avait appris depuis son plus jeune âge que c'était ainsi que se comportaient les hommes et que les femmes n'avaient rien à en redire. Et puis, il revenait toujours à elle avec un bijou ou une belle pièce de soie, et lui jurait un amour éternel... Elle lui pardonnait vite, il était son mari, et elle était tellement fière de le voir si beau, si fort et si vaillant....
Combien de fêtes, dans cette grande salle, combien de banquets somptueux ! Les mets les plus fins, les vins les plus raffinés... Le Roi des Elfes venait, la Reine des Lutins, les Nains des montagnes, les Géants des plaines, les rois de Nabil, de Messia, de Luxan, de Sahiba... Tous faisaient ripaille, cassaient les verres et la vaisselle, chantaient jusqu'au lever du jour des chansons à boire, des chansons de guerriers... Et il y avait les jongleurs, les montreurs d'ours, les acrobates, les danseurs, les ménestrels, les poètes, les conteurs, les magiciens...
Elle laissa échapper un petit rire clair. La tête lui tournait rien qu'à l'évocation de ces joyeux moments.
Et puis Merkan était mort à la guerre d'une flèche en plein coeur. Il avait fallu signer la défaite, accepter les conditions du Roi d'Esne, qui amputait le royaume de sa moitié la plus fertile... Mais ses deux fils, Alorn et Bren, étaient encore trop jeunes pour aller au combat...
Elle avait vendu ses bijoux, réduit son train de vie, n'avait pas augmenté l'impôt. Mais il y eût encore de belles fêtes, avec le Roi des Elfes, la Reine des Lutins, et des Rois...
Et puis les fils étaient partis, trop à l'étroit dans ce royaume qu'ils jugeaient, à juste titre, dépourvu d'avenir. Elle n'avait rien fait pour les retenir. Elle avait toujours respecté la liberté des autres, c'était une question de respect, et d'amour aussi. Son propre intérêt passait loin derrière. Et quelle mère serait assez cruelle pour couper les ailes de ses enfants ? Les enfants devaient partir, c'était leur destin. Leur départ prouvait que leurs parents leur avaient transmis assez d'assurance et de force pour le faire, et leur absence était avant tout une fierté du travail accompli.
Ils s'étaient mariés tous les deux avec de belles princesses et avaient chacun hérité du royaume de leur beau-père. C'est une satisfaction pour une mère que de savoir que ses fils se sont couverts de gloire et que leurs sujets les acclament quand ils paraissent aux remparts de leur château. Les savoir heureux et prospères, pères à leur tour de merveilleux enfants qui pourront leur succéder... Combien, déjà ? Quatre pour Alorn, et pour Bren cinq... ou six ? Elle avait perdu le compte, aurait été bien en peine de se remémorer tous les prénoms... La dernière fois qu'elle avait vu ses petits-enfants, Gueltran, l'intendant, était encore de ce monde. Seule, elle n'aurait jamais pu tout organiser... C'était il y a longtemps... Mais c'était magnifique, tous ces petits princes et ces petites princesses qui criaient d'un bout à l'autre du château et se disputaient pour savoir qui monterait le poney blanc, qui mangerait la dernière tourte...
Une larme joyeuse roula sur sa joue.
" Mes petits, mes tout petits... vous devez être grands, maintenant, peut-être déjà mariés, je ne sais plus, le temps passe, je ne me rends plus compte..."
Tant que Gueltran était en vie, les choses allaient, tant bien que mal. Efficace et dévoué, il veillait à ce que l'impôt fût payé (à peu près), et à ce que le personnel (réduit d'année en année) accomplisse ses tâches.
Et puis il était mort. Les servantes étaient parties, les écuries s'étaient vidées, et les sujets oublièrent un impôt qu'on ne leur réclamait plus. Elle resta seule dans la grande demeure, seule mais encore vaillante. Elle pouvait encore soulever la terre, entretenir un potager et élever quelques poules. Quelques vieux amis passaient encore de temps en temps lui porter de l'eau de vie, du thé, du miel, de la farine... Elle avait appris au fil du temps à vivre simplement, à se réjouir du chant d'un oiseau et du parfum d'une rose.
Et puis, d'année en année...
La nuit tombait peu à peu. Elle se sentait trop lasse pour monter jusqu'à sa chambre. Elle remonta la couverture sur elle et ferma les yeux. Ce n'était pas très digne de dormir dans un fauteuil, mais personne ne le saurait. Elle avait eu une belle vie, dont le bonheur, même passé, l'accompagnait encore.
La pluie avait cessé. Les seaux n'étaient pas pleins. Tout était pour le mieux.
Elle aurait bien aimé revoir ses petits-enfants une dernière fois. Galoper une dernière fois sur le dos d'Yllan, son bel étalon noir de jais, tellement fier, tellement rétif et rebelle pour le reste du monde, mais tellement respectueux et joyeux avec elle ! Elle était la seule à pouvoir le monter, même sans bride, et avec elle il n'était que douceur et confiance, il l'avait toujours protégée et portée en toute sécurité ; aucun des palefreniers ne comprenait comment cela était possible !
Elle entendit le petit murmure qu'il lui adressait quand elle entrait dans l'écurie.
"Yllan, c'est toi, mon tout beau ? Ma beauté, ma merveille, c'est toi ? tu es venu me chercher... J'arrive ! Nous chevaucherons ensemble pour l'éternité ! Oh je suis si heureuse de te revoir, je t'aime tant, mon Yllan, je t'aime tant..."
Ce fut juste le temps d'un soupir, émis à travers un sourire émerveillé. Puis le silence retomba, opaque et éternel, sur le château abandonné.




Narwa Roquen
Narwa Roquen, en verve ces temps-ci


  
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Réponses à ce message :
2 Une reine au bois dormant… - Maedhros (Mer 1 jul 2020 à 09:19)
2 Merci... - z653z (Dim 28 jun 2020 à 09:18)
       3 Ne signe pas... - Narwa Roquen (Dim 28 jun 2020 à 21:49)


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