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De : Maedhros Date : Mardi 13 fevrier 2007 à 22:29:20 | ||
Je suis assez pris ces temps-ci. Voici la première partie de la suite du récit uchronique. ----------- J’entends des pas dans la galerie des pas-perdus. Quelqu’un s’approche. Je virevolte et j’exécute une pirouette gracile qui fait tintinnabuler les grelots de mon tricorne. Les bioffons sont nés pour divertir les grands de ce monde et mon pro-g a été particulièrement élaboré pour servir fidèlement le Prince. Nulle perversion dans ma loyauté. Mes talents sont nombreux, un jour je vous en dirai plus ! Ce visiteur, c’est Arnaud. Arnaud de Castille. Non, je n’ai pas eu recours à mes dons de divination. Le réseau interne de sécurité m’avait prévenu dès qu’il avait franchi le seuil du Château. En fait, je connais la position exacte de chacun des puissants de ce monde. La géolocalisation n’a pas de secret pour un bioffon, il suffit de connaître les bons réseaux ! Comment dire. Arnaud de Castille a la densité d’une ombre chinoise. Voilà. L’image est parfaite. Arnaud est un jeu d’ombres complexes dans la lumière. La seule différence ici, c’est l’ombre qui modèle la lumière. Arnaud est loyal au Temple, le Château Pèlerin. C’est également le bras armé du Roi de Jérusalem, le pilier de la Foi et l’inexpugnable rempart contre l’hérésie économique, l’Héreco. Il est presque aussi grand que le Prince, son manteau de nuit soulignant la sveltesse de sa membrure. Ne vous y trompez pas. Il est d’une force redoutable. Ses pommettes sont hautes, son teint mat est recuit par le soleil d’Horeb. Il a dans le regard une flamme ardente qui lui permet de voir les choses derrière les choses. Il est avare de parole et la rareté de son verbe s’accorde avec la finesse de ses lèvres. D’aucunes courtisanes, murmurant derrière leur éventail, soupirent en rêvant sur leur ligne sensuelle. Son nez est planté comme une forteresse dans le désert, dégageant puissance et volonté. Une profonde capuche cache une chevelure blonde et souple tirée en un katogan impeccable. Voilà Arnaud tel qu’il est, le parfait produit d’une ascendance génétique sélectionnée et préservée. J’allais oublier, il dérobe ses mains dans les amples manches de son manteau. Des mauvaises langues glosent sur une légendaire maladie dégénérative, signe distinctif de la famille castillane. Il pénètre dans la salle des Honneurs, d’un pas égal. Arnaud ne se départit jamais d’un calme souverain, même en présence du Prince quand ce dernier est victime d’une crise de mélancolie particulièrement blessante pour son entourage. Le Grand Maître du Temple est le seul qui fait front et qui ne baisse pas les yeux. J’ai été témoin d’une scène édifiante au terme de laquelle, le Prince, qui était entré dans une fureur dévastatrice pour un motif véniel, avait fait fuir la Cour épouvantée. Il n’en resta qu’un. Arnaud de Castille, inébranlable dans sa foi. Moi, le gentil bioffon, je ne compte pour rien bien sûr ! Le Prince avait fini par présenter ses excuses, mortifié. Alors seulement, Arnaud avait daigné quitter la place, non sans courber petitement la tête devant son Prince. « Bioffon ! Je te trouve enfin ! » La voix d’Arnaud est mélodieuse et flatte l’oreille qui l’écoute. Il faut faire un réel effort pour ne pas succomber à son charme. Quant à moi, mon conditionnement est imperméable à ces tentatives d’aliénation psychologique. « Il nous faut parler ! - Hors la présence du Prince, Monseigneur ? Je ne suis qu’un bioffon ! - Le temps presse et tu es bien plus qu’un bouffon cybernétique. Et puis, si je te parle, je parle au Prince n’est-ce pas ? - C’est une flatterie astucieuse Monseigneur. Mais je crains ne pouvoir lui accorder beaucoup de crédit. - Brisons-là ! La situation est dangereuse. J’imagine que tes analyses arrivent à la même conclusion ? Dans l’affirmative, tu sais que l’échéance est toute proche. - Je n’ai pas mandat pour argumenter sur de tels sujets. Mettons, Monseigneur, que je prête une oreille insouciante à vos propos, qu’évidemment vous tenez pour vous-même. Une réflexion à voix haute, en quelque sorte ! Je suis là à jongler et à faire mes coutumières pitrerie. Je n’ai pas le pouvoir de vous faire taire, Monseigneur, ni d’ailleurs celui de me boucher les oreilles. » Je me tais brutalement. Je roule des yeux, tire la langue en effectuant une roulade arrière enchaînée qui m’entraîne juste sous le tableau représentant le Prince dans toute sa gloire. Je tire une lime de mes manches bouffantes et, à cloche-pied, un coude contre le mur, je commence à me récurer tranquillement les ongles en sifflotant doucement. Sur une fréquence sécurisée, j’en profite pour mettre en tension un réseau de surveillance adaptée. A partir de maintenant, nous serons filmés et sondés seconde après seconde. Le Grand Maître du Temple s’adosse lui aussi sur une moulure, à quelques mètres de là. Il n’a pas sourcillé à mes pitreries. « J’ai des rapports qui établissent un rapprochement des Maisons de Russie et d’Angleterre. L’équilibre fragile des maisons d’Occident pourrait être compromis. Les Francs sont laissés à l’écart. C’est évidemment subtil, juste quelques clauses commerciales qui m’apparaissent troublantes, des rédactions intelligentes et habilement dissimulées dans des développements juridiques complexes. En tous cas rien qui puisse être déféré devant un tribunal pour hérésie économique. - Que le Tout-puissant nous protège de cette hérésie ! Récitai-je benoîtement. - Ivanov cache un atout dans sa manche. Un atout blond aux yeux bleus. La Terminaison est inévitable et c’est toujours une période qui fait courir de grands risques à la maison princière. A suivre... M. Ce message a été lu 6778 fois | ||
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