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 WA - Participation exercice n°22 - H1 début Voir la page du message Afficher le message parent
De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Dimanche 16 septembre 2007 à 17:24:32
Bon, cette histoire a pris une dimension particulière. Je respecte la consigne au-delà des plus folles espérances de Narwa. Bien malin qui pourra deviner la chute finale. Et même moi, la connaissant et c'est heureux, je me demande dans quelle galère je me suis encore embarqué...tout seul...

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La vie a fui cet endroit si vite qu’une sorte de palpitation suinte encore des objets familiers qui n’ont pas fini de raconter leur histoire. Comme si le disparu allait franchir ce seuil, fatigué mais vivant, dissipant cette suffocante odeur, mélange abominable de pourriture charnelle et de fluides organiques. Aucune trace visible de lutte ou de désordre, rien que ce gant qui traîne à terre. Il fait décidément trop chaud cet après-midi. Une chaleur infernale. Pas le moindre souffle d’air. Un doigt de latex désigne bizarrement un lourd chandelier à sept branches qui trône dans un coin de la pièce.

C’était un survivant saviez-vous ? Un revenant du monde des morts. Il n’avait pas vingt ans. Un âge exaltant. Pour les autres, oui. Mais pas pour lui. Pas pour lui. Oh, c’était un jeune homme brillant, un esprit supérieur et d’une rare intelligence, qui aurait pu devenir un phare pour sa génération. Mais l’histoire en a décidé autrement. Un vent pestilentiel s’est mis à souffler, apportant une ignoble infection au coeur d’une Europe malade, aux repères altérés. Lui, tous ses espoirs furent emportés au loin quand, un matin de juillet 42, ils ont frappé à la porte de l’appartement familial. Il était six heures. Ils les ont poussés sans ménagement dans un fourgon déjà à moitié plein. Il n’a jamais réussi à comprendre pourquoi.

Depuis, il avait la phobie des stades. Pour lui, le moindre vent printanier était une souffrance amère, une douleur qui serrait si fort son coeur. Il avait laissé là-bas tellement de lui. Là-bas, sur une plaine polonaise près de Cracovie. C’est là, aux portes de l'Enfer, qu’il vit pour la dernière fois les visages aimés de sa mère et de ses soeurs, Anna et Elsa, les jumelles. Elles lui firent un pauvre petit sourire triste avant de disparaître dans le sinistre Lager. Ne pas pleurer encore en revoyant le corps de son père s’écrouler dans la neige recouvrant le ballast comme un pantin désarticulé, quand ils ont ouvert le wagon. Les flocons, aussi doux que du coton, descendaient comme des anges d’un ciel noir et troué par l’aveuglante lumière des projecteurs. Il neigeait des âmes. Oui, il l’a su peu après, mais il neigeait vraiment des âmes. Celles qui s’élevaient d'abord en fumée vers le ciel, comme autant d'étoiles jaunes et brillantes. Mais le ciel restait sourd et fermé. Alors, il se mettait à neiger, à neiger ou à pleuvoir...pour qu’elles puissent enfin retourner sous la terre, leur dernière demeure.

Il revint pourtant de cet enfer, comme un nouveau né dans un nouveau monde. Il avait tellement laissé derrière lui qu’il ne fut plus jamais le même. Deux ans seulement avaient passé mais il se sentait vieux, si vieux. Il n’est pas sans risque de regarder la mort aussi longtemps. C’était un survivant. Personne ne l’attendait à la gare quand il posa le pied sur le quai. Il n’espérait personne non plus. Il ne reprit pas sa vie là où il l’avait laissée car à cet endroit, il n’y avait plus rien.

Pourtant, tout au fond du néant, il découvrit un amour inespéré et lumineux. Il s’y raccrocha comme on se raccroche à une bouée dans la tempête, à une bouteille d’oxygène au fond de la mer, à bout de souffle, à une vie rêvée qui passe à portée de coeur, à une aile divine qui tire droit vers l’azur. Il aima cette femme comme jamais plus il ne pensait pouvoir aimer. Il n’avait pas trente ans. Il protégea cet amour de la dernière chance. Il vécut si discrètement depuis, une vie soigneusement rangée, au fond de l’impasse, dans ce petit appartement où il cacha son bonheur.

L’histoire bégaie trop souvent. C’est ce qu’il disait régulièrement en lisant les journaux, les titres en gros caractères, ceux qui s’étalent sur la première page. Il chaussait ses loupes, comme il disait, pour lire attentivement les articles. Il y traquait la folie des hommes et la renaissance des loups. Oh, il n’a pas eu beaucoup à attendre. Les rivières de sang, toujours la même histoire, ont recommencé à couler sous les ponts de l’indifférence. A chaque fois, il pleurait en silence, comme il le faisait là-bas en Pologne. Les hommes n’apprendront-ils jamais ?

C’est cette histoire que vous découvrez en promenant les regards sur les étagères poussiéreuses, en ouvrant les tiroirs fermés d’une commode, en feuilletant le gros album où il collait les coupures de presse qu’il sélectionnait consciencieusement. Avec un peu plus d’attention, vous pourriez sentir un souffle glacial, un souffle démoniaque, l’haleine d’un monstre froid dont il n’a jamais parlé. Même dans ses cauchemars les plus terribles. Même dans les confidences entremêlées de larmes faites à son épouse. Il y a une terrible présence qui rôde en filigrane, un monstre qui s’est repu de chair humaine là-bas. C’est le souffle de l’ange de la mort, cet ange qui s’intéressait particulièrement aux jumeaux.

M


  
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3 ... - Clémence (Dim 16 sep 2007 à 17:37)


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