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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 25 octobre 2007 à 16:17:06
N


Accoudé à la balustrade du pont, un jeune homme pâle contemple l’eau du fleuve. C’est un fleuve célèbre dans le monde entier, celui qui arrose la plus belle ville du monde. Mais pour lui ce n’est que de l’eau grise et froide comme ses pensées. Il se demande combien de temps il faudra. Cela sera sûrement très désagréable mais peut-être sera-t-il assommé par la chute et comme il ne sait pas nager...Il pense ne pas souffrir longtemps. Il se demande quand on retrouvera son corps, et dans quel état. Il imagine son propre visage déformé et bouffi, ses yeux glauques grands ouverts – surtout, penser à ne pas fermer les yeux, qu’elle le voie la regarder bêtement une dernière fois.
Tout à coup il sent une présence à sa droite, quelqu’un qu’il n’a pas entendu arriver. Mais les voitures qui passent toujours trop vite derrière lui ont pu masquer des bruits de pas. Cet intrus le dérange. Néanmoins malgré lui il lui jette un regard à la dérobée. L’homme, la quarantaine, est roux, d’un roux flamboyant qui détone dans la grisaille environnante ; on dirait même que ses yeux ont des reflets rouges, comme sur une mauvaise photo. De corpulence moyenne, il est vêtu d’un superbe costume de marque, d’un raffinement discret. La main posée près de la sienne sur la balustrade porte à l’index une grosse pierre rouge, logiquement un rubis, dont le clinquant contraste avec l’allure stylée du personnage. Il s’entend murmurer :
« Vous êtes...
- Non », répond l’autre à la question informulée. «Je suis avocat. Vous savez, plus personne ne croit aux démons, à notre époque. »
Le jeune homme hésite à s’étonner, mais il est déjà tellement loin...
« Vous savez », reprend l’homme étrange, «je pense qu’il y a d’autres solutions.
- Ah oui ? » , ricane le jeune homme. «Vous vendre mon âme pour que vous m’offriez la richesse et la gloire ?
- Tsk tsk tsk ! Si vous croyez que ce genre de commerce existe encore! Nous ne sommes plus au temps de Faust. D’ailleurs de nos jours la plupart des gens n’ont pas d’âme... Quant à la richesse et la gloire... La gloire je ne sais pas, mais la richesse je pense que vous en êtes capable. Vous n’avez plus rien à perdre, n’est-ce pas ? Alors, autant se mettre à gagner. »


Cette phrase interpelle le jeune homme qui se redresse un peu. Déjà son oeil est moins vide et son corps plus présent.
« Et vous prendrez quoi, en échange ?
- D’abord je n’ai pas dit que je vous offrirai tout sur un plateau. Mais je pense que je peux vous guider sur un chemin dont vous ne soupçonnez même pas l’existence. Ensuite il se peut que sur cette route vous trouviez de quoi assouvir... disons un certain... désir de revanche envers... je ne sais pas, moi... une certaine personne...Non ? »
Le jeune homme hocha la tête.
« Et ?
- Et vous savez », répond l’autre dans un soupir, «l’éternité... ça n’en finit pas ! Il y a si peu de choses distrayantes ! Il se pourrait que vous arriviez à m’occuper pendant quelques années, et ça, franchement, mon cher ami, ça n’a pas de prix ! Vous avez quoi, vingt-cinq ans ? Ca me prendra bien cinq ou six ans... Je ne vous en demande pas plus. Peut-être même que dans quelques années vous éprouverez spontanément envers moi quelques pensées reconnaissantes... Ma foi... Ca n’est pas pour me déplaire... »




« Voilà... je vous ouvre ! Messieurs ? Si c’est pour l’incendie des poubelles, j’ai rien vu... Maintenant ? A la Gendarmerie ? Ah non, là j’ai pas le temps, je dois... Mais lâchez-moi, espèce de brute ! Vous êtes taré ! ... Sûrement pas ! ... Je vous dis que... Tiens ! ... Aïe !... C’est toi qui es fou, espèce de salaud !... Non je me calme pas, non je... »


« Je m’appelle Lucette Mortier, j’ai cinquante-sept ans, je suis domiciliée... Quoi, mon fils ? Luc Mortier, né le... Ben oui, il vit chez moi... Disparu ? Ce matin encore il m’a apporté mon petit déjeuner ! ... Depuis cinq ans ? Ah ah ah, elle est bien bonne ! Faudrait débuguer votre bécane, mon capitaine, ça pédale dans la choucroute ! ... Quoi son cadavre ? ... Dans la forêt de Sénart ? Et vous êtes sûr que c’est lui ? ... Sa carte d’identité... Ce n’est pas possible ! Et comment voulez-vous qu’il y aille, à Sénart, en tapis volant ou en hélico ? J’ai pas le permis et Luc non plus ! De toute manière je vous dis que je l’ai vu ce matin, je suis pas folle ! Appelez-le, il est à son travail, à la Poste, à Stains... Quoi ? Une fausse lettre de démission datée d’il y a cinq ans ? Mais vous délirez, j’ai vu ses fiches de paie ! Il a pas démissionné, il y est allé encore ce matin ! Non mais ça va pas, hein, tout le monde sait que ça picole dur chez les gendarmes, mais là... Oui, il s’était cassé le poignet, et la cheville, aussi... ou le genou, je sais plus. Quel côté, quel côté, est-ce que je sais, moi, gauche, peut-être... ou droit ? Hein ? Cette médaille ? Faites voir ? On dirait la sienne, tiens, c’est écrit derrière : Luc, deux novembre mille neuf cent... Vous l’avez trouvée où ? Il l’a perdue ça fait... oh... des années... Sur le cadavre ? Mais quel cadavre ? Assommé ? Qu’est-ce que vous dites ? Vous avez trouvé chez moi un rouleau à pâtisserie avec du sang dessus ? Mais mon pauvre, ça fait au moins dix ans que je m’en suis pas servie, alors ! Moi ? Luc ? Mais vous êtes grave, vous, complètement jeté, oui ! Puisque je vous dis que je l’ai vu ce matin ! Il faut que je vous le dise comment ? Et pis vous commencez à me courir, tous autant que vous êtes, à venir m’emmerder chez moi, et me faire perdre une journée de boulot avec vos conneries... Quoi ? En garde à vue ? Mais sûrement pas ! Il n’en est pas question ! Mon fils est vivant, vous m’entendez, vivant ! Mais lâchez-moi ! Bande de cons, sales fachos, trous du... »


« Oui docteur, j’ai pris mes médicaments. Oui docteur, je regrette d’avoir mordu ce gendarme... Ce n’était pas bien. Mais il voulait m’enfermer... Vous avez prévenu mon fils ? Mais non, il n’est pas mort, vous n’allez pas vous y mettre vous aussi... Je l’ai vu ce matin... Enfin non, pas ce matin... C’était hier, je crois, ou avant hier... Je sais plus, docteur, j’ai l’impression par moments que je perds la boule ... Quoi je serai reconnue irresponsable ? Mais de quoi ? J’ai toujours payé mes impôts, et les taxes, et la redevance... Pourquoi mon fils ne vient pas me voir ? Vous lui avez interdit, c’est ça ? Vous voulez me rendre folle ? C’est ce salaud de Bergougnou qui vous paie parce qu’il veut donner ma place à cette traînée de Valérie, c’est ça ? Entre cocos, ça fricote dur... C’est un complot, c’est ça, vous vous êtes tous mis d’accord contre moi, tous des pourris... Non, pas la piqûre, non, ça fait mal, ça fait... »


Dans une suite luxueuse du Hilton Concorde, un jeune homme blond boucle sa valise Hermès. Un homme roux, la quarantaine flamboyante, pose sur la table un élégant porte-document.
« Voilà. Ton billet pour New York en classe affaires, ton passeport, les clefs de ton appartement à Manhattan... Comment vous sentez-vous, monsieur Luke Mortiner ?
- Very well, very well », répond l’intéressé sans la moindre trace d’accent.
L’homme roux se détourne un instant, appuie sur une touche de son portable.
« Maître Henne. C’est vous, Planchot ? Mon petit Planchot... Dites donc, quatorze heures, ça ne me va pas du tout. Vous allez repousser le Conseil d’Administration à quinze heures trente. Quoi, c’est trop tard ? Ils commencent à arriver ? Eh bien offrez leur le café, Planchot, racontez-leur vos vacances, je sais pas, moi... Pour quoi je vous paie ? A tout à l’heure, Planchot. »
Il se lève.
« Tu veux un scotch ? »
Il remplit deux verres. Dans le geste, la manche de sa veste se relève un peu, laissant entrevoir un bouton de manchette en or massif où est gravé un N majuscule.
Bien calé dans le confortable fauteuil près de la petite table, l’homme roux soupire de bonheur.
« Eh bien, je suis assez content de nous. Tu as été un excellent élève. Tu as appris l’anglais à une vitesse remarquable, tu t’es coulé dans ta nouvelle identité avec une facilité déconcertante... Les dons dont je t’ai pourvu ont fait merveille, je me suis surpassé... Luke Mortiner, né en France de parents américains décédés dans un accident de voiture, élevé par des cousins français morts eux aussi dans l’incendie de leur maison – pas de chance avec ta famille, hein ? Golfeur, bridgeur, tennisman classé... Heureusement que ta mère s’est entichée du camping de Palavas-les-Flots, ça nous a donné du temps... Te voilà avec un diplôme de HEC, un master de Communication et un autre de Droit Commercial... Toi qui savais à peine lire et écrire... Non, j’exagère... Il ne restait plus qu’à te faire gagner un peu en Bourse, te présenter à deux ou trois pourris... et là tu t’est vraiment débrouillé comme un chef, mon garçon ! Tu as racheté la Sodépa et GRPS pour la moitié d’une bouchée de pain...
J’espère que tu as admiré mes talents de faussaire ! Je me suis rarement autant amusé ! Fausse déclaration de naissance, faux certificats de décès de ta fausse famille, doublement fausse lettre de démission à la Poste, où j’ai imité l’écriture de ta mère imitant la tienne ! Du grand art ! Et ce cadavre, ce merveilleux cadavre retrouvé où il fallait quand il fallait, avec d’anciennes fractures semblables aux tiennes ( ah j’en ai épluché des dossiers médicaux !), et le coup de la médaille de baptême ! Somptueux ! Et le rouleau à pâtisserie, avec ton sang dessus ! Génial !
Et te voilà, un nouvel homme, bien musclé, bien coiffé, avec des verres de contact et une garde-robe à la mesure de tes revenus, prêt à conquérir l’Amérique ! Tu es splendide, mon gars... Tu vas en faire des ravages , outre Atlantique ! Non, ça ne te dit rien ? Remarque, tu as le temps . Mais la jeune héritière d’une grande famille de Boston, ça ferait bien sur ton CV...
Allez, c’est l’heure. Ton taxi doit t’attendre. Je te rejoindrai dans quelque temps. Je préfère rester un peu pour surveiller tes arrières, neutraliser un éventuel enquêteur trop zélé ou un médecin trop compatissant... Non non, ne me remercie pas, je me suis vraiment bien amusé. Allez, à plus, fiston, je suis vraiment fier de toi... »
Narwa Roquen, diaboliquement vôtre...


  
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Réponses à ce message :
z653z  Ecrire à z653z

2007-10-26 16:46:25 

 Qui est Maitre Henne ?Détails
C'est la personnification de la haine que le timide éprouve pour sa mère ?
a-t-il un rapport avec son père disparu ?

Tu commences à faire comme Maedhros avec des nouvelles dont on doit chercher les clés ;)

a+

Ce message a été lu 6894 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2007-10-26 19:38:28 

 Clés...Détails
N, Henne, haine... Il en manquait, mon timide, il n'osait même pas haïr cette mère trop forte pour lui, il était presque mort... et puis surgit un bon vieux diable qui cherche à s'amuser... et qui se prend d'affection pour lui. Le père biologique a disparu pour de bon. Mais le hasard peut nous offrir un père de remplacement, pas forcément très moral, mais tellement jubilatoire...
Narwa Roquen, un peu cynique il est vrai

Ce message a été lu 6818 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-10-26 21:28:58 

 L'accent sur la haine!Détails
En lisant le texte, j'ai compris ce qui t'avait fait sourire.

Lorsque tu as décrit le deus ex machina qui va bouleverser le destin du timide Luc, j'ai immédiatement pensé à John Milton , l'avocat infernal du célèbre film. Et cette image ne m'a plus quitté.

Bon, au début Luc cadrait assez mal avec Kevin Lomax mais je trouve que sa métamorphose le rapproche de Keanu Reeves. J'apprécie le diable quand il soulage l'âme humaine. Finalement, il est beaucoup plus proche de l'homme que Dieu, et c'est toujours plus marrant!

La façon de dépeindre la perdition de la mère est assez jubilatoire dans le style règlement de compte. En outre, son "pétage de plombs" correespond bien à la réaction de ce type de profil psychologique qui est tyrannique lorsqu'il est en situation de force, et désemparé lorsque les choses lui échappent.

M

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-11-02 10:49:24 

 Eh ben...Détails
Eh ben je suis partagée. Non, quand-même, il y a des pasages jubilatoires, comme ces mots de la mère qui proteste, s'insurge, craque, je trouve ça génial et parfaitement crédible, on l'imagine très exactement comme ça.

Mais il y a quand-même quelque chose qui me gêne, c'est que la vengeance n'est pas celle de Luc, il ne maîtrise rien, il ne choisit rien, on lui offre une haine sur un plateau, on lui commande d'apprendre, de faire, de dire, d'être, et il apprend, fait, dit, est. Et moi ça me laisse un goût de tristesse, quand-même, ce bonhomme qui va interpréter un rôle toute sa vie sans jamais être lui-même. Alors, bon, d'accord, c'est bien fait pour la mère, mais est-il vraiment heureux?

Elemm', qui a adoré le style, mais n'adhère pas à la morale! Mais ça, c'est parce que je suis une puriste du happy end! ;)

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-01-23 12:36:18 

 Exercice 24 : Narwa => CommentaireDétails
Le paragraphe introspectif est la suite logique du portrait. Bien vu, « penser à ne pas fermer les yeux ». Tiens, le Diable ! Venu proposer un pacte à une âme égarée ? Chouette alors ! J’ai trouvé curieux que le timide le reconnaisse au premier coup d’oeil, faisant fi du caractère irrationnel de la rencontre. C’est le détachement de la réalité qui précède le suicide ? L’autre n’aurait-il pas du au minimum le toucher avec son pouvoir pour se faire reconnaître ? Bref, cette évidence et cette banalité, « tiens, un démon, de si bon matin ? », m’ont choquée.
« Vous n’avez plus rien à perdre, n’est-ce pas ? Alors, autant se mettre à gagner. » c’est joli, ça. J’aime bien les dialogues du Diable, poli, évasif tout en étant clair. Son côté désintéressé me paraît louche mais après tout, le malin est trompeur par nature.
J’aurais aimé que le personnage soit un peu plus inquiétant, qu’on peine à lui faire confiance mais qu’on ne puisse pas résister à son charisme. Enfin, c’est comme ça que je vois les démons. Pour sa tenue vestimentaire, par contre, rien à redire.
La réduction de l’arrestation de la mère et des scènes suivantes à son seul dialogue est astucieuse et parfaitement efficace. Par contre, vu comment elle cause aux gendarmes, ça devrait être « outrage à agent » direct.
Le résumé que fait le démon de la réussite de Luc paraît un peu téléphoné. On avait déjà deviné que c’était lui qui avait orchestré cadavre, rouleau à pâtisserie... J’aurais bien aimé une chute aussi. Mais bon, je suis exigeante, je sais. Très sympathique, cette histoire de démon en tous les cas.

Est', en pleine lecture.

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