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 WA - exercice n°25 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 25 octobre 2007 à 16:18:59
Nous n’allons pas quitter tout de suite notre cher timide. Mais cette fois, vous allez écrire une histoire qui finit mal, en tout cas pour le héros. Comme vous commencez à bien le connaître, nous allons travailler un peu la technique. Vous allez reprendre les éléments figurant dans le n°23, mais en les insérant différemment dans le texte, pour que l’histoire commence à un autre moment. En effet, le choix du moment où commence le récit est capital, dans une nouvelle. Et un bon début n’est pas toujours facile à trouver, à tel point qu’il arrive qu’on le réécrive après avoir bouclé la fin... N’oubliez pas de changer de titre...
Pour ceux qui prendraient le train en marche, ils peuvent écrire une histoire de timide qui finit mal, mais sans commencer par le portrait du héros.
Vous avez deux semaines, jusqu’au jeudi 8 novembre. Bonne prise de tête !
Narwa Roquen, cent fois sur le métier...


  
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Réponses à ce message :

Pages suivantes : 1 - 2
Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-11-02 11:00:19 

 Euh... ?Détails
J'ai pô compris.
Je n'ai pas saisi ce que tu attendais qu'on fasse: changer l'ordre des événements, ou écrire ce qui se passait chronologiquement avant les n°23 et 24? Ou après? Ou doit-on reprendre la même histoire mais modifier notre fin pour que ça finisse mal??

Elemm', qui tremble de peur: ne comptez pas sur moi pour briser les ailes de mon bébé!!!! *sic, identification, bon bon ok, j'lui fous la paix... Mais quand-même...*

Ce message a été lu 6184 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2007-11-02 16:54:27 

 PrécisionsDétails
Je m’explique :
- le 23 était le portrait d’un timide ; l’action pouvait y être intriquée, mais pas nécessairement
- le 24 était la suite directe du 23, avec une histoire qui commençait à la fin du portrait ( ou faisait suite au début d’action du 23), et finissait bien
- le 25 est une histoire à elle toute seule, qui finit mal. Dans l’intrigue il faut reprendre les éléments du portrait décrit en 23, et faire commencer l’action à un autre moment que dans le 24. Par exemple dans mon 24, le timide est sur un pont prêt à se suicider. Dans le 25, l’histoire ne commencera pas sur un pont ; elle peut commencer avant (je rappelle que sur le pont il a 25 ans, et qu’au moment du monologue de la mère il en a 30), ou après, avec éventuellement un flash back, ou peut-être ce sera une histoire complètement différente, avec le même personnage et le même Monde, dans laquelle sera inclus le portrait, mais plus sous la même forme.

Ai-je éclairé ta lanterne ?
Narwa Roquen, à l'occasion allumeuse... de réverbères!

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-11-02 19:34:57 

 Oui!Détails
Là c'est très clair!
Merci beaucoup!

Elemm', qui va s'y mettre bientôt...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-11-05 17:45:52 

 WA - Participation exercice n°25 partie 1Détails
Bon, je me risque sur des sentes orientales au parfum de manga. Je n'ai gardé que le strict minimum des exercices de base.

------------------

LE JARDIN DE PIERRE



Dehors, la pluie s’éternise, danse sautillante sur la pelouse scintillante. Dehors, les grands arbres se penchent en révérence au-dessus du petit plan d’eau giflé par les rafales du vent d’automne. Dehors, les silhouettes grise et penchées se cachent sous leurs parapluies pour fuir ces lieux, pressées de rejoindre la sortie au bout de la longue allée de graviers et franchir les grilles gardées par la guérite. Là-bas, derrière les murailles où le soleil brille. Là-bas où seul mon fantôme hante désormais les échoppes des bouquinistes du Pont Marie. Là-bas où les vestiges de ce que fut ma vie disparaissent peu à peu...Là-bas...où je n’irai plus.

« Mon amour, je reviendrai demain et après-demain et le jour d’après... tant qu’il le faudra.»

Elle me murmure ces mots empreints d’un amour que je ne revendique pas. Que je revendique plus. Son parfum si familier m’enveloppe lorsqu’elle se penche vers moi et fait courir ses doigts légers sur ma nuque. Frissons électriques. Ses lèvres sont si proches de mon oreille que je sens le souffle chaud de sa respiration sur mon cou. Je laisse néanmoins mon regard vagabonder par-dessus les murailles grisâtres qui ferment mon horizon. Je ne la regarde pas. Nul besoin. Elle a cueilli le meilleur de moi et ensuite elle a laissé le reste en pâture à...aux... Ne pas se souvenir...

Je suis silencieux et immobile dans mon fauteuil, devant la fenêtre. Elle s’éloigne, sort de la pièce où s’engouffrent le vide et l’absence, qui bientôt m’absorberont à nouveau dans leur cocon duveteux. Elle me manque déjà. Je suis comme un vaisseau de ligne échoué sur un rivage inhospitalier, drossé par la tempête contre les rochers affleurants qui ont mordu son bois de leurs mâchoires de pierre. Régulièrement, la caresse d’écume de la marée montante le long des courbes de sa coque réveille en lui la nostalgie de sa liberté d’antan, l’appel du large, l’ivresse de la course. Toute sa structure frémit, cherchant à se libérer mais en vain. Au-dessus de ses gréements où pendent tristement ses ailes déchirées, les mouettes ricanent et se moquent de lui. Puis la mer, amante vaincue, se retire, le laissant en arrière, inutile et impuissant, entraînant avec elle un autre morceau de bois, une autre partie de lui. Dans le sable qui a envahi ses cales, il peut entendre les crabes qui, de retour, font claquer sinistrement leurs pinces.

Mes doigts se crispent sur les accoudoirs. Je voudrais me redresser et courir après elle, l’empêcher de partir, de me laisser seul avec la nuit qui vient. Mais mes membres débiles restent gourds et ne répondent pas. Ne répondent plus. Les murailles qui encerclent ma prison ne retiendront pas mes visiteurs nocturnes. Je hais le crépuscule et je redoute l’approche de la nuit.

Je n’aurais jamais dû ramasser les feuilles éparpillées sur le sol, étalées en corolle tout autour d’elle. Mais c’était pour moi une occasion inespérée. Je revois cette scène encore et encore...

* * *

Elle tient son carton à dessin tout contre elle, avec au fond des yeux un air désemparé qui la rend irrésistible. Instinctivement, je retiens mon pas et, passant outre ma gêne habituelle, je me baisse pour essayer, délicatement, de rassembler les grandes feuilles éparses sur lesquelles sont dessinées au fusain des formes que dans mon trouble je prends pour des objets contemporains.

« Merci monsieur ! Je crois que mon carton a fait son temps ! » dit-elle d’une voix chaude et musicale, vissant ses yeux dans les miens. Exactement la voix à laquelle je m’attendais. Une voix douce et féminine. Une voix enchanteresse. Deux mots et je pars lui décrocher la lune.

Cupidon, Cupidon, pourquoi as-tu décoché si vite ton trait ? Que ne l’as-tu laissé dans ton carquois !

Je me sens ridicule, agenouillé sur la moquette, empêtré dans mon costume sur mesure. Oui, ridicule mais à ses pieds, la place où j’ai rêvé d’être. Elle s’accroupit à son tour pour m’aider à récupérer ses dessins. Une flagrance de jasmin envahit mes narines, étourdissant mes sens. Magie Noire. Son parfum. Elle est là, son visage tout près du mien, ses yeux ne cillant pas tandis que je la contemple, éperdument amoureux. Un adolescent de seize ans moi qui en ai pas loin du triple. Un couple étrange sur la mer rouge sang de l’épaisse moquette.

Cela aurait dû m’alerter. Il était encore temps. Un battement de coeur après, il était trop tard.

« Comment vous remercier de votre amabilité ? » reprit-elle, rosissant très légèrement.

Je ne sais que dire. Comme d’habitude. Je me contente de la fixer en souriant bêtement. « Aide-moi...aide-moi ! » crie mon corps. « Aide-moi...aide-moi ! » crie mon coeur. ».

Que n’ai-je écouté la voix de ma raison : « fuis... fuis...le plus loin possible ! ».

« Une tasse de thé, cela vous tente ? » continue-t-elle alors, me délivrant charitablement de ma détresse verbale. « J’avais un très vieil ami japonais qui me répétait souvent que chaque rencontre doit être vécue comme un trésor, un moment unique qui jamais ne pourra se reproduire. Voulez-vous vous joindre à moi ? »

Je ne peux qu’acquiescer du regard, le ton de sa voix semblant écarter tout refus. Quelque chose dans son regard m’invite à plonger, à ne pas me retenir. Une lueur sinueuse et malicieuse brille au fond de ses prunelles indigo. J’adore le thé.

« Dans ce cas, c’est parfait. Disons à dix-sept heures. Ma porte se trouve tout en haut des escaliers, à gauche, la dernière au fond du couloir. »

Nous nous redressons. Elle me sourit toujours, ne détachant pas ses regards des miens. J’ai la tête qui me tourne un peu. A contrecoeur, je la quitte, parvenu devant ma porte, son parfum m’environnant encore tandis qu’elle s’éloigne dans l’escalier. Il me semble entendre un bref éclat de rire, un rire moqueur, un rire malin.

* * *


« Vous aimez le matcha ? » demande-t-elle alors que nous sommes tous les deux assis en seiza sur le tatami, de part et d’autre du tana.

« Bien sûr, même si je ne puis cacher une certaine préférence pour le Long Jing, le thé vert chinois. » répondis-je, étonné par ma propre éloquence. Le poids sur ma langue semble s’être évaporé subitement. Je me sens étonnamment à l’aise.

Une imperceptible odeur d’encens flotte dans la pièce. Non loin, sur une petite table basse, une exquise fontaine miniature fait entendre la musique apaisante de l’eau vive ruisselant sans fin sur de petits galets disposés au fond d’une vasque de schiste noir, dans la plus pure tradition Feng Shui.

Je la regarde mesurer, à l’aide de l’écope de bambou, la poudre de thé vert pour la déposer dans les bols à thé. Ensuite, tout en gestes suaves et gracieux, elle verse juste ce qu’il faut d’eau chaude dans les récipients. Se saisissant du fouet lui aussi en bambou, elle bat le thé pour provoquer l’émulsion céleste. Je respecte le silence de cet instant où se mêlent en une magie singulière la simplicité et la profondeur, le raffinement et l’imperfection, l’union de l’homme et de la nature.

Pourtant à y bien regarder, toute cette cérémonie n’est guère plus que faire et servir une tasse de thé. Cependant il faut des années de pratique pour transcender cette banalité afin que chaque geste soit effectué de la manière la plus parfaite, la plus polie, la plus gracieuse et la plus charmante possible.

Je porte le bol à ma bouche pour gouter le délicieux breuvage. Il est excellent, idéalement préparé. Ainsi qu’il se doit, je lui exprime ma gratitude :

« Ce thé est pour moi une divine surprise ! Vous avez un nouvel adepte, en tous cas dans cet immeuble !

- Je vous remercie. Je tente de suivre maladroitement les conseils de mon vieil ami japonais qui m’a initiée à son art lorsque nous marchions ensemble dans les jardins paysages du temple Daitoku-ji à Kyoto. Ici en Europe j'ai pris quelques libertés avec le rituel. La part du feu en quelque sorte. D’une part, il dure en réalité plus longtemps, beaucoup plus longtemps ! D’autre part, nous ne sommes pas habillés convenablement pour la circonstance.

- Vous êtes allée au Japon ?

- C’est une vieille histoire. Le Japon, pour moi, c’est le pays des jardins. Vous aimez les jardins ? Moi oui. Un surtout. Peut-être le plus beau qui m’ait été donné d’admirer. Celui qui m’a le plus touchée. Près du temple de Ryoanji. Le Jardin de Pierre. Il est consacré à l’eau, cet élément en perpétuel mouvement. Sauf qu’il n’y a pas d’eau dans ce jardin, non. Pas la moindre goutte. Que du gravier. Du simple gravier blanc mais ratissé de telle façon que le minéral semble doué de la fluidité du liquide. C’est là, près du Grand Océan, accompagnée de mon vieil ami, Sen no Rikyu, que j’ai parcouru un long chemin intérieur. Il est physiquement impossible de voir d’un seul coup d’oeil les quinze rochers disséminés sur le sable. Il en manque invariablement un dans le champ de vision quel que soit l’endroit où on se place. Symboliquement, cela signifie qu’il y a toujours un aspect de la réalité qui reste caché à nos yeux mais qui existe pourtant. D’autres peuvent l’apercevoir mais pas nous, non pas nous.

- Vous en parlez avec beaucoup de conviction. Malheureusement, mes connaissances en philosophie zen remontent bien trop loin, j’en ai peur.

- Cela n’est pas grave. Laissons cela de côté, voulez-vous bien ? Lorsque je parle du Japon et de sa culture, je suis intarissable et trop vite ennuyeuse. »

Le silence se reforme, le tana entre nous, les bols de thé vides à présent. Plus besoin de parler lorsque nos regards, après s’être cherchés se sont enfin trouvés. Je pourrais rester des heures comme ça, les mains sur les genoux, face à elle. Je me sens un peu mal à l’aise dans mes vêtements occidentaux. Elle est si attirante en cet instant. Il y a quelque chose de magique qui déploie ses ailes entre nous. Ma timidité s’est enfuie, je me sens bien. Si bien.

Trop bien...

Il ne faudrait pas que cet interlude s’éternise à devenir gênant. J’ai un choix à faire. M’avancer vers elle un peu plus ou détourner la conversation vers un autre sujet, remplir le temps d’une futilité de plus en plus douloureuse. Je me jette à l’eau :

« Alors comme ça vous dessinez ! »

En disant ces mots, j’ai la vision d’un croque-mort qui, à grandes pelletées joyeuses, comble la fosse où gisent tous mes espoirs. Et en rigolant comme un bossu par-dessus le marché ! Triple buse...Ca c’est de la répartie ! Trop tard. J’essaie cependant de garder contenance. J’ai réussi à ne pas bégayer. C’est déjà ça. Le hittite qui sommeille en moi ne s’est pas réveillé.

(à suivre...)

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2007-11-06 18:49:27 

 Wa n° 25, participationDétails
Mirage






« Boulevard Raspail, au 102, métro St Placide, tu ne peux pas te tromper, c’est près du Luxembourg... Et prends le pain en rentrant ! Et des yaourts aussi... à la vanille... et un cubi de rouge... et... »
Je suis déjà en bas des escaliers qu’elle gueule encore. La douleur dans ma mâchoire tape comme un marteau sur l’enclume, ça me résonne dans le crâne, ça me rend dingue. Je cligne des yeux dehors. Où dois-je aller ? Ah oui, le RER. C’est à gauche. Je le sais, je le prends tous les jours. Mais là c’est à peine si je me souviens de mon nom. Mortier, Luc. Ouais, c’est ça. J’ai trente ans. Je suis employé des Postes. Et ça m’emmerde. Mais qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ? Ma mère ne voulait pas que je fasse d’études, je ne suis pas habile de mes mains, pas assez musclé pour les travaux de force, j’ai horreur de parler au téléphone. En fait j’ai horreur de parler tout court, à des gens... que je ne connais pas, qui me regardent... qui me trouvent bête... Faire les course en rentrant, l’angoisse... J’espère qu’il y aura le vieux, à la supérette, lui il est cool, y cause pas... Mais si c’est sa fille... Une petite brune piquante, vive comme un écureuil... Elle va encore me faire rougir, c’est pénible...
J’ai mal... Mais une journée sans bosser, c’est bien. Maman a appelé mon chef, j’avais passé la nuit blanche. Elle m’a fait bouffer deux tonnes de comprimés, j’ai envie de vomir mais toujours aussi mal. Avec tous les dentistes qu’il y a, elle veut que j’aille à Paris. Elle n’a confiance qu’en lui, elle s’est battue au téléphone avec la secrétaire pour m’avoir un rendez-vous. Impossible d’aller ailleurs, elle me tuerait. J’ai mal.


Dans le wagon c’est encore pire. J’ai l’impression que le train me roule sur la tête. Je pose ma main glacée sur ma joue – un bref instant de répit. J’ai les yeux qui piquent, de longs frissons jouent au yo-yo dans mon dos. Je suis sûr que j’ai de la fièvre. Ca ne me plaît pas du tout.
Châtelet-les-Halles, changement, horribles couloirs où les gens me bousculent. Métro, direction porte d’Orléans, station St Placide. Tous ces mecs qui toussent vont encore me coller autre chose. Tant mieux. Je resterais bien au lit pendant quinze jours, dans un semi coma, et tout le monde me foutra la paix. Peut-être même qu’un matin je ne me réveillerai pas. Le pied. Je n’aurai plus jamais mal. Je ne verrai plus dans la glace ce visage blafard, stupide, ces yeux glauques derrière mes grosses lunettes, ce pif absurde et ce bouc ridicule qui fait plaisir à maman. Sans parler de la grande mèche blonde qui me tombe tout le temps sur les yeux et que la coiffeuse de maman s’obstine à me laisser parce que ça fait style. Qu’elle dit.
Tous ces gens me donnent le tournis. Qu’est-ce que je serais bien dans mon lit... Qu’est-ce qu’elle m’a dit ? A gauche ? Je marche, encore et encore. Rue de l’Abbé Grégoire, rue du Cherche-Midi... Boulevard Raspail... Zut, c’était à droite, il faut que je redescende.... J’aurais pu demander mon chemin. Mais à qui ? J’aurais pu. Mais pour qu’ils se foutent encore de ma gueule...
Ca y est, j’ai trouvé. Je me traîne dans l’escalier de cet immeuble cossu. Ca sent le produit pharmaceutique jusque dans le hall. A tous les coups il m’arrache la dent. Ca va encore faire mal. Il me manque trois marches et j’y suis. Je m’arrête. Sur le palier, elle sort de chez le dentiste avec un sourire à réveiller un mort. Merde, qu’elle est belle ! Son parfum la précède. C’est magique, c’est prenant, ça m’enivre. Elle remonte son sac sur son épaule avec un petit geste qui fait bouger la mèche blonde qui s’échappe de son chignon. Elle a l’oeil brillant et les joues roses. Il émane d’elle un pouvoir... C’est un ange. Une apparition divine. Je reste là, frappé de stupeur, comme un con certes, mais un con heureux. D’un coup je n’ai plus mal, je n’ai plus peur, elle m’illumine, elle me transporte, elle...



Elle passe à côté de moi avec un « pardon » rapide, sans un regard. Je suis sous effet. Mon corps se tourne pour la suivre comme un tournesol vers le soleil. Je me sens en train de redescendre l’escalier. Je ne peux pas la voir disparaître. Il faut que je la suive. Pourquoi, je ne sais pas. Il faut. Son parfum laisse un sillage comme un bateau dans la mer, et je suis le gentil dauphin qui suit le bateau. Tiens, voilà que je me mets à faire des phrases, elle me rend poète, c’est une divinité, j’en suis sûr. Elle va me prendre sous son aile d’ange et plus rien ne pourra m’arriver.
Dans la rue je la suis de loin ; je me fiche de savoir où elle va, de toute façon j’y vais aussi. Le boulevard. A droite, rue de Fleurus. A gauche, rue d’Assas. Elle s’arrête dans une épicerie, en ressort avec une bouteille de champagne dans un sac plastique. Je l’ai attendue sur le trottoir d’en face, devant la vitrine d’un libraire. Elle repart, d’un pas dansant que je suivrais jusqu’au bout du monde. On dirait qu’elle frôle à peine le sol. J’ai lu dans un journal que des gens croient aux anges gardiens. C’est elle, mon ange gardien. Il ne faut pas que je la perde. Je n’aurai qu’à me tenir devant elle et elle saura quoi faire et ça sera tout facile. Elle tourne à droite, rue du Cherche-Midi. C’est pour ça que mes pas m’ont mené là tout à l’heure, c’est son chemin. Elle est mon soleil, mon midi, ma Camargue... J’aurais voulu naître en Camargue, au pays des chevaux. J’aurais galopé pendant des heures et personne ne m’aurait jamais attrapé.
J’ai des paroles qui me viennent, j’ai dû entendre ça à la radio.
« Le temps s’est accéléré d’un coup et c’est tout mon futur qui bascule
Les envies, les projets, les souvenirs, dans ma tête y a trop de pensées qui se bousculent... »
Elle traverse, en dehors du passage piétons. Je la suis. De toute façon c’est elle qui me guide, il ne peut rien m’a...



Il y a une lumière intense et un chemin tout blanc devant moi, et je suis heureux, il y a de l’amour partout, c’est merveilleux... Au loin j’entends des voix qui murmurent.
« C’est quoi ce crétin ? Il n’aurait pas dû mourir aujourd’hui !
- La machine a bugué, patron, il nous a échappé...
- M’enfin, un suicide ! C’est interdit !
- Qu’est-ce qu’on en fait ?
- Collez-le au Purgatoire, ça lui apprendra. »
La lumière pâlit, devient crépusculaire. Un vent froid se lève.
Devant moi s’étend un désert parsemé de buissons d’épineux rabougris. Des ombres passent, marchant lentement, tête baissée, dans une errance infinie. Je m’arrête. Je me retourne. Il n’y a plus de chemin.
Narwa Roquen, pirate!

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-11-07 14:37:58 

 WA - Participation exercice n°25 - finDétails
Bonjour,

La suite. J'ai essayé de retrouver des ambiances de certains films d'horreur japonais (the ring, the grudge...). A vous de juger!

_________

« Oui, je suis revenue en France en septembre dernier. Je me suis inscrite en auditrice libre aux Beaux-Arts. Je veux approfondir certaines techniques graphiques particulières. Je pense que je resterai un an, deux au maximum. Puis je m’envolerai vers d’autres horizons. » Ouf, elle ne paraît pas s’être offusquée de la platitude de mes paroles.

« Vous étiez ainsi à l’étranger ?

- Oui, comme vous l’aviez compris au Japon. C’est un pays cher à mon coeur et je peux vous l’avouer, il y a un peu de moi qui est resté pour toujours sur cette terre où le soleil se lève!

- Ne dit-on pas que les voyages forment la jeunesse ! » Le croque-mort se tient les côtes, secoué par des quintes de rires irrépressibles. Il tasse bien proprement la terre fraîchement retournée en me faisant un clin d’oeil complice. Il semble attendre ma prochaine réplique d’anthologie pour planter la croix en bois qu’il a préparée. Je n’arrive pas à lire les inscriptions gravées dessus.

Elle paraît soudain rêveuse, comme habitée par un souvenir trop prégnant :

«Au sud-est de Hondo se trouve Hagi, une ville-château, le berceau de la poterie japonaise. Voyez, ces bols à thé viennent d’ailleurs de cette ville. Leur céramique, secret des maîtres potiers coréens, laisse le thé s’infiltrer superficiellement, entraînant de subtiles variations de teintes, elles-mêmes évoluant avec le temps. Ainsi, chaque bol vit une vie propre et précieuse. Là-bas, au nord de Hagi, il est une forêt longtemps interdite, une forêt doucement alanguie au bord de la mer du Japon. Oh bien sûr, j’en ai vu de plus grandes et de plus profondes mais aucune comme celle là. »

Je n’avais pas encore remarqué. La pénombre s’est installée imperceptiblement autour de nous. Je n’ose consulter ma montre mais il ne peut être déjà si tard. Sa main...sa main repose sur la mienne, la pressant tendrement contre le tana. Une douce sensation m’envahit tandis que de légers picotements courent le long de mon épiderme. Je lis dans son regard une attente muette. On dit que les yeux sont les miroirs de l’âme. Au fond des siens, je contemple l’azur et une infinie sérénité. La douceur de feuilles mordorées bercées dans un vent automnal. La lumière bleutée et translucide qui oblique du Mont Fuji en éclaboussures d’écume. Dieu qu’il fait sombre soudain. Un orage doit se préparer au-dessus de Paris. Je n’aime pas le mois de Novembre. Le mois des morts et de la fin des belles choses. Elle ne fait pas mine d’allumer une lampe ou la chandelle que je vois posée près de la fontaine qui pépie toujours gaiement. Cette semi obscurité me rapproche d’elle, espace intime et secret.

« Pourquoi cette forêt en particulier ? » Ma voix se fait murmure, ne voulant pas rompre la magie du moment. Personne ne m’attend ailleurs. Personne ne m’a parlé comme elle aujourd’hui.

« C’est une forêt composée uniquement de camélias. Lorsqu’ils sont en fleurs, entre octobre et novembre, la forêt revêt son manteau pourpre. Même la lumière du jour, en plein midi, semble prendre une teinte écarlate, comme si le ciel pleurait des larmes de sang. C’est là, au plus profond des ombres vermillon des tsubaki, que je me suis sentie revivre, rappelée à la vie. Je suis sortie de cette forêt magique et j’ai respiré à pleins poumons un air neuf et frais. J’étais chez moi, de retour. Enfin, cela m’a donné cette impression, comprenez-vous ? C’était grisant et troublant à la fois. J’ai regardé mes mains et j’ai touché mon visage. Il m’a fallu un peu de temps pour que les choses rentrent dans l’ordre.

- Votre description me donne envie de me précipiter dans la plus proche agence de voyage pour acheter un voyage au Japon ! » répondis-je. Une lueur dans son regard m’incite à poursuivre : « Et si vous le permettiez, je vous inviterais à partager ce voyage ! ». Le croque-mort est à genoux, mains jointes, me suppliant de l’épargner. A côté de lui, la tombe est rouverte et mes espoirs, grandissant à vue d’oeil, s’apprêtent à le dévorer ! La revanche du timide.

La pénombre est la complice obligeante des amants de fortune. Sans attendre, elle étend sur nous son chaste voile d’obscurité tandis que j’enlace maladroitement ma princesse, essayant de ne pas renverser le tana et les bols à thé des maîtres coréens. Elle n’oppose aucune résistance, ses lèvres cherchant les miennes et ses mains m’écartent et me pressent en un même et avide mouvement... son corps épouse enfin le mien. C’est alors que les murs du monde tanguent devant mes yeux éblouis...

Je ne me suis même pas demandé pourquoi tout était si facile!

* * *


Il fait noir. J’émerge lentement de ce qui ressemble au sommeil mais qui n’est que l’épuisement du corps après l’amour. Une parenthèse de repos après les tumultes et les soupirs. Je suis dans un lit mais ce n’est pas le mien. Ma main traîne sur une sorte de moquette rêche. Je me raccorde au réel. Je suis dans son lit, un futon japonais, un lit trop bas et trop ferme pour mon dos occidental. Toutes les images et les sensations de ce qui vient de se passer me reviennent d’un coup en mémoire...c’était trop bon...non, plus que ça, c’était tout simplement merveilleux...je me sens enfin heureux et complet...oui, j’éprouve un sentiment de plénitude euphorisant.

Mes yeux peinent avant de s’accommoder à l’obscurité qui règne dans la pièce. La fenêtre découvre une nuit d’encre. Je referme les paupières et m’étire entre les draps de soie, étendant mes bras au-dessus de l’oreiller. Des draps de soie rouge bien évidemment. Le jour est encore loin. Cela veut dire qu’il reste encore beaucoup de temps pour découvrir tous les secrets de son corps. Je me tourne et elle est là, silencieuse, juste de l’autre côté de l’oreiller.

Je tends la main pour lui caresser, comme un frôleur de rêve, son épaule dénudée. C’est étonnant, ses cheveux semblent beaucoup plus longs que dans mon souvenir. Ils forment une masse impressionnante et désordonnée où des mèches rebelles boulochent en tous sens. Des cheveux bien plus pâles que la blondeur dont je me rappelle. Elle semble toujours assoupie, le drap remonté très haut. Je m’approche tout doucement. Mes habits s’étalent tout autour du lit. Un délicieux frisson m’étreint quand je frôle son corps. Tiens, elle s’est rhabillée. Il ne fait pourtant pas si froid...

...J’ai soudain l’impression de m’enfoncer au coeur d’une forêt sombre et humide. Des notes vertes et boisées, des odeurs de sous-bois et de feuilles mortes, d’humus et de terre désorientent mes sens. Cela doit être un diffuseur de parfum d’ambiance, un autre gadget Feng Shui sans doute.

« Chérie... ? »

Elle se tourne enfin vers moi.

La dernière chose dont je me rappelle, avant de perdre miséricordieusement connaissance, c’est la vision effroyable de ce visage de vieille femme qui grimace en me souriant. Deux yeux incandescents qui brillent dans le noir. De longs cheveux blancs en bataille qui fouettent l’air comme des milliers de serpents albinos. Mais par-dessus tout cette bouche, cette immense bouche qui s’étire d’une oreille à l’autre. Cette bouche monstrueusement grande ouverte qui s’approche de moi, plus près... encore plus près...

Je ne suis qu’un cri quand elle courbe son cou. La dernière chose que j’entend, c’est cet affreux déchirement de chair quelque part sur mon corps....et la douleur...

* * *


Je ne sais pas comment je suis arrivé là, dans ce fauteuil, prisonnier de ce corps qui ne répond plus. Tout ce que je sais par contre, c’est qu’elle vient me rendre visite chaque jour. Elle est si ponctuelle. Malheureusement, elle ne m’a pas dévoré comme elle le fait d’ordinaire.

Elle me l’a murmuré la première fois où j’ai repris pied dans la réalité. Elle m’a raconté l’histoire de cette Yama-Uba, une créature ancienne, aussi vieille que les forêts des montagnes du Japon, qui s’effaçait doucement au coeur de la forêt pourpre de Hagi. Un jour de novembre, elle fut attirée par la lumière dorée d’une jeune et blonde européenne tombée sous le charme des camélias en fleurs. Mobilisant ses dernières forces, elle parvint à se faufiler dans ce corps jeune et fort. Elle n’y fut longtemps qu’une ombre, à peine plus que l’écho d’un souvenir affaibli. Puis, peu à peu, elle repris force et pouvoir. Les deux entités composèrent. La Yama-Uba s’éveillait ainsi les nuits sans lune, cherchant à se nourrir, en attirant les voyageurs imprudents comme elle le faisait dans les bois du Japon.

Elle ne m’a pas dévoré comme les autres, empêchée par le sentiment amoureux animant sincèrement son hôtesse. Elle m’a mordu cependant, prélevant son tribut ancestral. Je ne serai plus jamais ce que je fus avant. Je ne parle plus, prisonnier de ce corps mutilé.

Elles ne me font plus peur à présent. Là où je suis, elles ne peuvent plus m’atteindre. Non, ce n’est pas à cause d’elles que, chaque nuit, je hurle sans bruit lorsque le bâtiment est désert et que les cloches d’une église sonnent deux heures...comme maintenant...

Il arrive, apparition spectrale flottant au-dessus de l’allée, vers la fenêtre de ma chambre. Une forme blanche, vêtue d’un long kimono blanc descendant bien au-dessous des pieds invisibles. Un visage blafard et éteint où se détachent la plaie rougeâtre de la bouche et les gouffres sombres des yeux qui me cherchent déjà. Le visage crayeux est encadré par de très longs cheveux, noirs et échevelés. Le spectre serre ses bras tout contre son corps mais ses mains, ses horribles mains griffues, s’agitent en tous sens.

A l’aide....à l’aide...mais seul le silence répond à mon silence. Le démon franchit la fenêtre fermée sans difficulté. Il s’avance vers moi, lentement, la tête légèrement baissée, aussi immobile qu’une statue. Seuls les mouvements saccadés de ses mains trahissent son avidité. Pitié, aidez moi...que quelqu’un m’aide...Il se penche au-dessus de moi, son visage tout près du mien. Il ouvre une bouche rouge où des dents pointues brillent comme des couteaux. Ses yeux blancs se révulsent quand il mord cruellement mon cou pour boire mon sang...comme chaque nuit...et pour longtemps encore....la mort sera longue et douloureuse.

M

PS: si vous souhaitez en savoir un peu plus sur le fameux jardin de pierre du temple Ryoan-ji, suivez le lien ci-dessous :

Le jardin de Pierre

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-11-08 08:44:57 

 What a crossover!Détails
J'ai crû reconnaître des éléments familiers dans cette histoire : un dentiste, un immeuble bourgeois, le métro, la belle blonde fatale...

Malheureusement, elle était tout sauf un ange gardien. l'histoire dévide avec soin les péripéties de Luc Mortier...Mortier... Au carrefour de son destin, il a choisi la mauvaise direction, fasciné par une blonde tentatrice, déjouant par là même ce qui était écrit pour lui, à tel point qu'il devra passer par la case purgatoire.

La fin (et non la chute finale) est poétique et fait contre-point avec ce qui précède. C'est un paysage quasi biblique!

Et la Camargue...la Camargue et ses chevaux, la Camargue et ses Taureaux. Un parc magnifique que je connais bien! Il faut avoir contemplé l'envol des derniers flamands roses par un beau matin calme, au-dessus des étangs...

Et puis Luc Mortier...Luc Mortier...
En fait, Luc Tier...Mort... non?

M

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z653z  Ecrire à z653z

2007-11-08 15:45:04 

 joli texteDétails
J'aime bien le croque-mort et les pensées de la raison.
J'ai aussi eu l'impression la Yama-Uba parlait à travers la jeune femme quand elle raconte la visite de la forêt de camélias.

Merci :)

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z653z  Ecrire à z653z

2007-11-08 15:53:52 

 Luc ? T'y es mort :pDétails
Vu que Maedhros a déjà parlé des détails importants...

Superbe autre fin :)

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2007-11-08 19:08:19 

 Eh oui...Détails
... il n'aura jamais été très vivant, ce pauvre garçon...
J'espère que tu ne me gardes pas rigueur de mon intrusion... Je ne l'avais jamais fait, mais là ça me démangeait trop...
Narwa Roquen,visiteuse d'histoires

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2007-11-08 19:27:52 

 Sûrement pas...Détails
en outre, miam-miam...le concept peut se révéler intéressant!

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2007-11-08 19:34:51 

 Commentaire Maedhros, ex n°25Détails
Impressionnant! Je reste bouche bée. Il est sûr que tu es plus à l'aise dans les histoires qui finissent mal... Mais quelle inspiration prodigieuse! Ce texte respire, distille une atmosphère où le clair obscur est magnifié par des senteurs magiques, la réalité se limitant au chant d'une fontaine ou à la sinistre cloche d'une église... Cette horreur-là est tellement subtile qu'on reste hypnotisé et sans défense, sans le moindre sursaut de peur ou de rejet salutaire. C'est inéluctable, comme une fugue de Bach. Ca ne pouvait pas être écrit autrement.
Je voulais un joli début, tu nous l'a donné, à mille lieues de l'histoire précédente, avec un tel mystère qu'on a besoin de le relire après la fin pour être sûr de n'en avoir rien manqué. Tu devrais le publier dans les "Participations libres", peut-être en remaniant un peu la rencontre dans le hall; maintenant que tu n'es plus lié par les impératifs de la WA, c'est vrai que ce paragraphe est un peu long et casse le rythme. Ceci dit, j'envie presque ceux qui n'ont pas encore lu ce texte...
Narwa Roquen,clap clap clap!

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Clémence  Ecrire à Clémence

2007-11-09 17:55:11 

 !!!!!!!!!!!!Détails
Que rajouter de plus??? Oo
J'ai adoré!! :)
Je n'ai pas les capacités pour analyser, critiquer, argumenter, ..., seulement j'aime et c'tout. :)

GroOos *Pouk*

Clémence...émerveillée.^^

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-11-11 23:22:33 

 WA n°25, participation (en retard, normal quoi ^^)Détails
« Tu te rappelles de ce jour-là, Faustin? »
Allongé sur le lit, Faustin ne trouvait pas le sommeil. Il fit la moue devant l'image mentale que je lui envoyais. « Et comment! ... Mais je n'y tiens pas, tu sais... C'est... c'est un moment...
- Justement. C'est parfois bon de voir le chemin parcouru, tu ne crois pas? »
Faustin soupira. Il ferma les yeux et les images, surplombées de sa voix-off, défilèrent dans mon imaginaire.

« Maman était dans son fauteuil, les jambes surélevées par la pile de coussins que je lui avais installé en début d'après-midi, comme chaque jour. La télévision criait et crachait sa lumière, mais Maman somnolait. Elle m'avait entendu rentrer, bien-sûr, mais elle faisait semblant de rien. Pour que j'angoisse un peu. Quand je ne venais pas l'embrasser, elle quittait son immobilité pour s'offusquer: ''Eh bien! Je pourrais être morte que mon fils ne s'en rendrait même pas compte! Tu n'es donc même pas inquiet? Seigneur, j'ai bien failli y passer aujourd'hui. Relève-moi que je te raconte...''. Et quand je venais l'embrasser dès mon arrivée, je devenais le sans-coeur qui la tirait sans vergogne d'un sommeil enfin un peu réparateur: ''...Mh, poussin, ta vieille mère est épuisée... Tu aurais pu me laisser dormir un peu, tu n'as donc pas conscience de la difficulté que j'ai à trouver un peu le repos?''
Ce jour-là, la culpabilité du mal que je m'apprêtais à lui faire m'avait fait prendre toutes les précautions. Je refermai la porte sans bruit, m'approchai sur la pointe des pieds, et déposai sur son front un baiser du bout des lèvres. Elle fit un bond exagérément brusque, envoyant valser l'un des coussins du fauteuil. ''Mon Dieu! Faustin! Tu veux me tuer!! J'ai le coeur fragile, et toi tu entres comme un voleur!'' Je ramassai le coussin et le replaçai derrière son dos, me gardant bien de lui répondre que les voleurs n'embrassaient pas leurs victimes endormies sur le front.
''Maman, je, j'ai...
- Alors mon chéri, ça s'est bien passé ta journée?
- Oui, j'ai été au...
- Tu as posté ma lettre?
- Oui Maman, et j'ai regardé les..
- Oui les annonces, et il faudra bien que tu trouves un vrai travail, c'est pas avec cette misère... Ah... Et mon dos qui me fait souffrir... Heureusement que tu es là, mon poussin, parce qu'il n'y a personne pour s'occuper de ta pauvre mère...''
J'avais baissé les yeux et je me souviens que j'ai failli abandonner à ce moment-là. Renoncer, juste me taire, ne plus y croire. Maman poursuivait sa longue plainte, et j'aurais voulu être sourd pour ne pas sentir le grappin qu'elle plantait au fond de moi à chaque soupir, la glu dans laquelle elle m'embourbait à chaque gémissement. Je pris mon inspiration, et juste quand j'allais parler, comme si elle l'avait senti, elle avait pris ma main dans les siennes et l'avait posée sur sa joue. ''Ah, mon fils...''
Je retirai ma main comme brûlée, et je lus la surprise dans ses yeux, puis l'accusation. Je ne la laissai pas reprendre, il fallait que je parle avant elle, avant qu'elle ne m'étouffe encore. ''Maman, j'ai trouvé un appartement.'' Et puis, j'ai bafouillé : ''Je, j'ai...''. Toute l'assurance de ma première phrase s'était évanouie, et je me sentais comme un fou qui avait prononcé une insanité devant une assemblée figée. Le regard de ma mère... s'ancra en moi avec une violence... J'essayai bien de détourner le mien, mais je l'avais vu, le temps d'un éclair, et ça avait anéanti mes désirs. La... la suite, c'est confus... C'est trop difficile.
- Essaie, s'il te plaît. Continue. » Je lui envoyai une énergie rassurante, et il reprit:
« Je crois lui avoir dit... que mon petit salaire suffisait, que l'appartement était modeste, que je viendrais la voir souvent... C 'est embrouillé, c'est... Son regard, surtout. Je me noyais dans mes explications, elle restait là à me regarder et je sentais le poids de son regard sur mon dos, j'étais accroupi près de son fauteuil, les yeux à terre, recroquevillé, coupable... Et puis, elle m'a jeté ce mot. »
Faustin se tourna sur le flanc, et ramena ses genoux sous son menton. Je l'apaisai mentalement. « C'est du passé, tu sais...
- ''Traître.'', dit-il très vite. Voilà ce qu'elle m'a dit. ''Traître'', comme un bloc de glace brutalement largué sur moi. ''Maman...
- Tais-toi. Comment peux tu... Ta mère mourante... M'abandonner!
- Maman, tu, tu n'es pas du tout...
- Tais-toi! Vas-t-en, vas-t-en, imbécile! Moins que rien! Laisse-moi, va dans ta chambre!!''
Elle hurlait et je me suis enfui, presque soulagé d'échapper à son désespoir rageur. J'entendis encore ces mots: ''Tu ne partiras pas, tu m'entends! Tu es mon fils! Mon fils!!''.
Une fois dans la chambre, la culpabilité m'écrasa comme une vague trop lourde, broyant mes os, asphyxiant mon cerveau. Je suis resté prostré là jusqu'à ce que le sommeil me prenne. Le lendemain matin, elle m'apportait mon petit déjeuner, avec le même sourire tendre, la même attention que d'habitude. Comme si rien ne s'était passé. »

Faustin rouvrit les yeux, et fixa le mur face à lui avec une expression bizarre. « À quoi tu penses?
- Tu le sais bien, me sourit-il intérieurement. Après ça... Tu m'as donné Camille.
- C'est toi qui l'a trouvée. Elle t'attendait et tu l'attendais. Regarde-la dormir... »

Faustin se retourna et le visage détendu de Camille radoucit ses pensées. Il la regarda un instant, puis ferma les yeux et s'endormit sans peine.


Elemm', qui prens soin de ses ailes, quand-même... On peut pas tuer des bisounours tous les jours!

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z653z  Ecrire à z653z

2007-11-12 15:49:59 

 ça finit mal ? :)Détails
Je ne vois pas bien où... :p

Sinon c'est très bien rédigé ;)

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-11-12 17:52:56 

 Ben, euh...Détails
Ben, la fin du souvenir évoqué n'est pas heureuse, mais je tenais à rappeler que maintenant, il a des ailes... Oui, bon, d'accord!! Mais comme je l'ai dit, je peux pas tuer des bisounours tous les jours, moi!!! :p

Elemm', trop gentille ^^

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2007-11-13 17:36:35 

 Commentaire Elemmirë, exercice n°25Détails
Triples félicitations ! Pour ta persévérance, ta capacité à écrire un scénario, et en prime, un dialogue ! Ca y est, le virage est pris, tu viens de doubler le cap de Bonne Espérance !
Ca existe les anges psychanalystes ? Ah mais c’est vrai, c’est de la fantasy...
Plaisanterie à part, ton texte est excellent. Tu as très bien décrit cette mère abusive, qui joue toute la gamme de l’emprise : la double contrainte, le chantage affectif, la culpabilisation, l’infantilisation (« va dans ta chambre »), jusqu’à cette étiquette qui cingle comme un coup de fouet : « traître ! ».
Tu as vraiment gagné en maturité littéraire, puisque malgré ta grande sensibilité tu as réussi à prendre assez de distance vis-à-vis d’un personnage que tu aimes pour pouvoir le malmener.
Le jour se lève, youpi !
Narwa Roquen,clap clap clap!

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2007-11-13 20:41:19 

 Malmené...Détails
... mais happy endé quand-même :)
Ouf! J'ai toujours peur que ça soit banal et/ou que ça ne plaise pas, ce que j'écris. C'est vrai, y a un p'tit bout de scénar', y a quelques dialogues... J'm'en étais même pas rendue compte, tiens! Pourvou que ça doure, comme on dit!

Quant à la voix qui lui parle, ça pourrait être un ange psychanalste, oui... J'étais allée chercher moins loin. Tout près, en fait, même :)

Elemm', qui coocoone ses créations

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-01-24 17:48:37 

 Exercice 25 : Elemmirë => CommentaireDétails
Tiens, lui aussi a une mère castratrice !? Le dialogue où elle le coupe systématiquement résume bien leurs relations. Décidément, vous devez penser qu’un homme ne devient timide que par la faute d’une mère étouffante. J’aurais un contre-exemple tout trouvé à vous mettre sous le microscope. La confusion du héros est bien rendue. Je n’ai pas compris la fin. A qui parle-t-il ? En quoi cela finit-il mal ? C'est tout mignon en tous cas, comme toi :o)

Est', en pleine lecture.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-01-24 17:53:34 

 Exercice 25 : Maedhros => CommentaireDétails
N’empêche, vous n’avez pas l’impression qu’il souffle encore un léger vent de romantisme, suite au sujet 20 ? Ce n’est pas pour me déplaire. Enfin, de romantisme pervers dans ton cas, cher ami.
J’ai trouvé la métaphore filée sur le bateau échoué un peu longue.
Tu reprends donc ton récit au moment fatidique où elle fait tomber son carton à dessin. Que représentent-ils en réalité les dessins au fusain ? Les premières répliques de la jeune femme sonnent curieusement comme des discours préparés à l’avance. Mais pourquoi pas puisqu’il s’agit d’un piège mûri de longue date ?
L’accumulation de mots japonais dans certaines phrases paraît un peu artificielle et nuit à la compréhension pour qui ne les connaît pas. De même, quelle coïncidence que le timide soit lui aussi fan de culture japonaise et au fait de cérémonie du thé et de feng shui...
J’ai trouvé curieux qu’elle lui raconte spontanément toute sa vie et l’entretienne de philosophie zen. Ce n’est pas amené très naturellement, je trouve.
La timidité du héros apparaît nettement dans ses tentatives maladroites pour faire la conversation. Pas mal, le croque-mort. Originale et parlante, cette image. Le hittite aussi c’est rigolo.
L’explication sur Hagi, les bols et la forêt fait également un peu cheveu sur la soupe, quart d’heure touristique. Mais peut-être est-ce moi qui vois le mal partout. Les explications de la jeune femme sur ses sensations dans la forêt sont un peu confuses mais on les comprend mieux en ayant lu la fin.
Tiens un petit passage à la Ring... Je trouve que tu aurais pu la jouer à l’envers sur la description du kami japonais. C’est à dire, qu’il découvre progressivement des détails dérangeants de son corps en l’observant. Puis, il voit son visage et est horrifié. Et seulement là, il perd connaissance. Il aurait pu essayer de se sauver, reculer en rampant, s’empêtrer dans les draps aussi. Cela t’aurait laissé plus de temps pour décrire le kami. J’ai fait des recherches sur Yama uba mais je n’ai pas trouvé quel est ce tribut dont tu parles, cette mutilation infligée au héros.
La description du second fantôme, avec ses bras serrés et ses griffes qui s’agitent est particulièrement réussie et évocatrice. A ne pas lire tard le soir ! Cela dit, j’avoue ne pas voir le rapport avec yama uba... Pourquoi le second fantôme vient-il hanter le héros ?
J'ai du mal moi, parfois.

Est', en pleine lecture.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-01-24 17:56:27 

 Exercice 25 : Narwa => CommentaireDétails
Les pensées du héros sont particulièrement bien vues, avec le fait notamment qu’il apprécie les gens qui ne lui parlent pas. Tiens, un autre dentiste. Ca ne peut pas être celui de Maedhros, il s’est fait bouffer... Mais si, on dirait... Excellent ! C’est drôle comment vos récits se répondent quand on les lit à la suite. « comme un con certes, mais un con heureux » c’est mignon, ça... Il a un sacré complexe d’infériorité ce petit et tu le fais bien ressentir. Et puis, il cause un peu comme un gamin ; ça lui donne de la personnalité. Un suicide ? Il n’a juste pas vu le camion, tandis qu’il regardait la fille, non ? Pauvre petit, il aura souffert jusqu'au bout...

Est', en pleine lecture.

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2008-01-24 23:06:01 

 ÉclairagesDétails
Ce qui finit mal, c'est le souvenir seulement. Je n'ai pas réusii à laisser mon héros, auquel je me suis attachée, sur une fin désagréable!

Quand à la personne à qui il s'adresse, c'est celui qui dit "je" dans l'exercice précédent, quelqu'un qui lit dans les pensées de Faustin, fait survenir des éléments dans sa vie et le regarde avec tendresse... Et qui le force à se souvenir de choses désagréables et à les raconter, pour l'exercice.

Alors d'après toi, qui cela peut-il être? ;)


Elemm', jamais bien loin de ses personnages...

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-09-27 14:42:42 

 Timide : Participation archi en retardDétails
Un texte commencé il y a bien longtemps et finalement terminé. Désolée, Elemm' (^_^')



Natacha





Sa mère l’avait nommée Monique. Un prénom qu’on oublie quelques instants après l’avoir entendu. Un prénom sans aucun intérêt. Pour une vie sans aucun intérêt. Souvent, Monique se disait que sa mère n’avait pas du chercher bien longtemps un tel prénom, que le premier aperçu dans le calendrier du facteur avait du faire l’affaire. Cinq minutes de réflexion pour le nom d’une vie entière. Un prénom tellement banal. Porté par des millions de femmes quelconques, d’une déprimante uniformité, alignées dans les rues comme des conserves de soupe dans un rayonnage de supermarché..
Monique était un nom qui vous prédestinait à être moche, grosse et mal habillée pensait-elle souvent avec rancoeur. Qui vous promettait une vie d’un ennui mortel. Un nom qui vous vieillissait avant l’âge. Elle avait petite été l’objet de railleries sans nombre par ses camarades d’école. A l’époque, elle eut donné n’importe quoi pour une nouvelle identité. Rêvant le soir devant la fenêtre magique de la télévision, elle se répétait les noms des étoiles de cinéma. Marylin... Ava... Gina... Des noms qui chantaient et dansaient, qui évoquaient robes fourreaux, longs gants de satin rouge, boucles platines et flûtes de champagne.
Et on pouvait bien se répéter que notre nom n’était qu’une étiquette comme une autre pour nous désigner, que nous étions tout autre chose qu’un simple mot. Mais il nous désignait partout, sur le papier, dans la bouche des autres, dans leur esprit même. On finissait toujours par devenir son nom. Il devenait notre identité. Quelque soit sa résistance, Monique finirait par épouser la forme du moule, par devenir une Monique, comme toutes les autres.
Et c’est bien ce qu’elle était devenue. Elle vivait dans un studio meublé impersonnel au centre d’une cité grise et triste. Son univers se résumait à des murs recouverts d’un papier peint passé des années soixante, à une moquette élimée, à quelques plantes agonisantes, posées sur des armoires en formica d’un style tellement commun qu’elles en devenaient invisibles. Quand elle regardait par la fenêtre, elle ne voyait que du béton, sale et uniforme, des réverbères brisés, des rues jonchées de papiers gras, hantées par des chômeurs tentant de noyer leur ennui au fond d’une bouteille de mauvais vin.
La vie de Monique se résumait à cette grisaille insipide, rythmée par le travail, les transports, les corvées ménagères, les soirées solitaires à ingurgiter les stupidités du prime time en mangeant un surgelé. Elle n’avait pas de loisir, ne trouvant d’intérêt à rien. Le matin, elle enfilait son tailleur beige et son gilet de laine. Elle nouait ses cheveux d’un brun terne en chignon puis allait prendre le train de banlieue. Une heure durant, elle affrontait la cohue, les bousculades, le bruit, les insultes parfois, les odeurs corporelles des usagers. Elle se tendait vers la fenêtre, essayant de glaner un rayon de lumière à travers la vitre souillée ou une bouffée d’oxygène revigorante.
Une fois dans les locaux de la Société, la journée suivait une routine implacable : matinée occupée à répondre au téléphone et à taper des courriers, à essuyer les brimades du chef de service tyrannique, à regarder cent fois sa montre en se disant que les heures ne passaient guère. Repas de midi avec Nicole, la secrétaire du service voisin, une grande bringue aux cheveux décolorés. Les deux femmes mangeaient un sandwich, assises sur un banc du square voisin, sous un ciel couvert. Nicole n'avait que trois sujets de conversation qui revenaient en boucle, la morosité de sa vie conjugale, asphyxiée par les habitudes, les potins de la Société et la météo. Monique l'écoutait d'une oreille distraite, comme on écoute le bruit monotone et néanmoins apaisant du ressac sur la plage. Parfois, Nicole s'arrêtait de parler pour attendre un assentiment que Monique lui donnait bien volontiers, qu'elle aie ou non entendu de quoi il était question.
Ces repas étaient ennuyeux mais toujours moins que la solitude. Car Nicole était quasiment la seule connaissance qu'elle eût et ce qui s'approchât le plus d'une amie. Elle avait abordé Monique avec un culot dont elle-même eût été absolument incapable. C'était Nicole aussi qui avait institué leur rituel du sandwich dans le parc, disant qu'on avait bien besoin de prendre l'air quand on passait sa vie à respirer la poussière des dossiers. A plusieurs reprises, elle avait invité Monique à venir chez elle mais celle-ci avait toujours refusé. D'une timidité maladive, elle ne se sentait pas capable de pénétrer dans la vie des autres, même sur leur invitation. Son existence était un désert social. Ses inhibitions l'empêchaient d'aborder quiconque, et spécialement les hommes. Ses bras demeuraient vides et ses nuits glacées.
Chaque après-midi se passait à trier des papiers et à faire des photocopies. Le caractère inintéressant et répétitif de ce travail frôlait la lobotomie mais Monique n'avait pu en trouver un autre. Parfois, Félicien passait la voir. Il lui apportait un thé à la bergamote et lui présentait ses hommages. Rougissant, il lui répétait qu’elle était belle. Elle ne le croyait pas. Il ajoutait toujours qu’ils devraient aller dîner un de ces soirs. Elle prétextait qu’elle avait du travail. Elle le trouvait gentil mais collant. Il passait de moins en moins souvent.
Le soir, elle reprenait le train de banlieue et regagnait son appartement. Elle donnait à manger à son poisson rouge et le regardait tourner dans son bocal. Elle lui faisait part de ses rêves et de ses frustrations. Puis, elle réchauffait un de ces plats fades pour célibataires. Souvent, sa mère l'appelait. Elle l'écoutait, muette et consternée, détailler son bulletin de santé, invariablement pessimiste. Quand sa mère lui demandait de ses nouvelles, elle répondait sempiternellement qu'il n'y en avait pas. Quelles nouvelles en effet dans cette vie d'une mesquinerie infinie ?
Les semaines passaient, les mois, les années... et Monique restait enlisée dans la routine. Elle rêvait d'une vie excitante, passionnante, pleine de couleurs et de rires mais un poids terrible la retenait au sol. Et elle était impuissante à trancher les cordes pour s'élever.

Un matin comme tous les autres, elle se rendait à son travail en longeant le mur de pierre beige d'une usine quand son regard tomba sur un lierre. La plante grimpait le long de la paroi, ses feuilles comme de petites étoiles vertes s'élançant à l'assaut des cieux. Au dessus, s'étalait une affiche montrant une blonde aux yeux de biche avec le slogan "Un fantasme ? Un rêve ? Natacha". Fascinée, Monique fixait les lettres roses. Natacha. Comme sa vie aurait été différente si elle s'était nommée ainsi. Avec ce prénom, on ne pouvait être que sûre de soi, volontaire... sexy.
Monique avait souvent réfléchi à cette notion. Le nom n’eût-il pas du être le reflet de l’âme de son propriétaire ? L’image de sa personnalité ? Un mot dynamique pour un sportif, élégant pour un dandy, gracieux pour une danseuse... A la réflexion, n’aurait-on pas du choisir soi-même son nom une fois sa sensibilité formée, ses valeurs établies ? Ainsi, il vous aurait parfaitement convenu. Chacun aurait pu s’identifier au sien, s’y reconnaître pleinement. Choisir son nom eût été révéler au monde son essence, sa nature. Choisir son nom eût aussi été choisir ce que l’on voulait être, se modeler soi-même, décider de l’image à donner aux autres.
Monique était persuadée que c’était là la solution la plus logique. Alors que le fait que les parents nomment l’enfant avant même de faire sa connaissance lui semblait aberrant. Les géniteurs projetaient leurs fantasmes par ce biais, imposaient leurs désirs, enfermaient la personnalité à venir dans un carcan. Monique se demandait avec perplexité ce que sa mère avait voulu faire d’elle en l’appelant ainsi. Sans doute n’avait-elle pas même réfléchi aux implications pour sa fille. Cette indifférence était peut-être pire que le reste.
Natacha... Elle tournait et retournait le nom dans sa bouche comme un bonbon exquis. Si seulement, elle pouvait être Natacha, ne serait-ce qu'une heure ! Mais après tout, qu'est-ce qui l'en empêchait ? Ne pouvait-elle faire semblant ? Jouer un moment à être une autre, rien qu’une heure ? L’idée lui trotta dans la tête toute la journée. Il lui tardait d’être de retour chez elle pour mettre son projet à exécution.
Sitôt le seuil de son appartement franchi, elle se précipita dans sa chambre et se campa devant la glace. Elle se détailla d’un oeil critique. Une femme s’appelant Natacha ne porterait pas ce tailleur de laine triste, ce gilet informe. Ses cheveux ne seraient pas serrés de façon stricte. Elle devait être plus... glamour. Monique laissa tomber ses vêtements sur le sol et entreprit de vider sa garde-robe. Elle finit par trouver dans un carton une robe courte d’un rouge sombre qu’elle n’avait plus portée depuis son adolescence. Cela ferait l’affaire. Quand elle émergea de la salle de bain une heure plus tard, elle portait sa robe, des bas et des talons dans lesquels elle n’était pas très à l’aise. Elle avait dénoué et brossé ses boucles et s’était parfumée. Elle avait également essayé de se maquiller avec des produits que sa mère lui avait offerts et qu’elle n’avait jamais déballés jusqu’alors.
Monique tourna sur elle-même devant le miroir. La transformation était radicale. Elle se fit brutalement l’effet d’une autre. Elle se rapprocha et s’observa avec avidité. Félicien n’avait peut-être pas tort, tous comptes faits. Elle ne se trouvait pas vilaine. Elle se trouvait même... jolie. Elle se sourit puis s’essaya à prendre des attitudes, se déhanchant, rejetant ses cheveux en arrière, arpentant la chambre d’une démarche qu’elle espérait féline. Elle se sentait déjà plus à l’aise dans ses escarpins neufs. Elle souriait largement à présent.
Que dirait sa mère si elle la voyait ? Penserait-elle que sa fille était belle ? En serait-elle fière ? Cette robe n’était-elle pas un peu courte ? Et ce rouge à lèvre un peu trop voyant ? Monique se figea. Sa mère ne la trouverait-elle pas trop provocante ? Sa fille, vêtue ainsi... comme une traînée. Non ! Il n’y avait aucun mal à être élégante. A afficher sa féminité. Il lui fallait être courageuse et assumer sa nouvelle apparence. Elle décida de se mettre immédiatement à l’épreuve. Elle irait dans un lieu public et se montrerait à tous les regards. Cette idée lui donna des sueurs froides mais sa résolution était prise. Ce soir, Monique, la timide secrétaire sans aucun intérêt n’existait plus. Place à Natacha, une femme dynamique et sûre d’elle !
Elle rassembla quelques affaires et se mit en route. Au moment de prendre le train, elle se ravisa. Natacha ne prenait pas les transports comme le commun. Elle ne se mélangeait pas à la foule suante et grondante. Elle héla un taxi.
Quelques heures plus tard, elle regagna son appartement et s’affala sur son lit, épuisée mais ravie. Elle avait mangé un excellent dîner dans un restaurant chic. Cela lui avait coûté fort cher mais cette soirée était exceptionnelle. Elle avait eu l’impression que tous les regards étaient braqués sur elle, que les gens la désapprouvaient muettement, fustigeaient sa tenue indécente, ses cheveux sans discipline... La tentation de s’enfuir était forte mais elle avait décidé de tenir le coup. Rougissante et mal à l’aise, elle avait terminé son repas.
Puis, elle s’était rendu dans un bar où elle avait commandé un bloody mary. Elle n’en avait jamais goûté mais il lui avait semblé que c’était ce que Natacha devait boire. L’alcool lui était immédiatement monté à la tête et elle s’était sentie mieux. La peur qui lui nouait l’estomac s’était estompée. Les regards lui importaient peu, à présent. Elle profitait de l’instant, de ce lieu inconnu, de ces sensations nouvelles. Un homme élégant s’était approché d’elle et lui avait offert un verre. Elle avait eu peur tout d’abord, regardant autour d’elle comme un animal pris au piège. Mais l’homme lui avait parlé avec douceur. Elle s’était présentée en tant que Natacha. Quelle étrange liberté que de ne pas être soi ! Ils avaient commencé à parler. C’était la première fois qu’on l’abordait ainsi. Elle avait réalisé avec stupéfaction que l’homme cherchait à lui plaire, qu’il la mangeait des yeux. Ce succès l’avait grisée. Elle avait ri à ses plaisanteries. L’alcool brisait ses inhibitions et elle se sentait bien, détendue, pleine de vie.
Tout était si facile quand on était Natacha ! Elle regrettait de ne pas l’avoir fait plus tôt. L’homme lui avait donné ses coordonnées et avait proposé de la raccompagner mais elle avait refusé. Elle avait encore suffisamment ses esprits pour ne pas vouloir aller trop vite. Elle avait repris un taxi et était rentrée à son appartement. Dans l’ascenseur, elle chantait un air à la mode. Quelle merveilleuse soirée ! Quelle victoire énorme ! Elle avait triomphé de sa timidité, de la malchance. Une femme nouvelle avait éclos ce soir. Un univers de possibilités s’ouvrait devant elle. Elle s’endormit, flottant dans un bonheur tout neuf.
Le lendemain, Monique reprit son tailleur terne et le chemin de la Société. Elle avait légèrement mal à la tête, sans doute à cause des bloody mary. Toute la matinée, elle se repassa en esprit ses succès de la soirée, l’élégance du restaurant, la silhouette séduisante de l’homme qu’elle avait rencontré. Ses tâches quotidiennes lui parurent moins lourdes et elle les fit en sifflotant. Le midi, elle déjeuna comme à l’accoutumée avec Nicole. Monique était d’une humeur excellente et parlait plus que d’habitude. Nicole s’en étonna et lui demanda ce qu’elle avait fait la veille. Elle mentit sans réfléchir à propos d’un téléfilm. Plus tard, elle réfléchît à l’opportunité de lui en parler. Après tout, Nicole était son amie, sa seule amie. Mais quelque chose en elle s’y refusa. Natacha était un joyau qui devait rester caché. L’exposer au grand jour serait le ternir. Cela resterait son secret.
L’après-midi passa plus lentement. L’excitation retombait déjà et Monique replongeait dans sa routine monotone. Tournant et retournant une mèche échappée de son chignon, elle réfléchissait. Il lui tardait de se glisser de nouveau dans la peau de Natacha. Pourquoi pas dès ce soir ? Mais non, elle ne pourrait pas le faire tous les jours. Ses moyens modestes n’y suffiraient pas. Une fois par semaine peut-être...

Les mois s’écoulèrent et Monique profita de cette fenêtre dans la grisaille de sa vie. Quand elle était l’autre, elle était plus belle, plus attirante, plus sûre d’elle. Tout lui semblait facile. Ses victoires successives renforçaient son assurance. La ville même en était changée. Le jour, alignement de bureaux gris et froids, comme autant de catafalques. La nuit, forêt de néons multicolores, peuplée d’êtres bigarrés.
Natacha s’était fait des amies, qu’elle retrouvait chaque samedi dans des bars branchés pour boire des cocktails aux teintes chatoyantes. Elle s’était acheté quelques jolis vêtements, aux couleurs vives et aux coupes près du corps. Elle finissait la nuit dans un hôtel chic, aux bras de son amant, un jeune et brillant cadre. Le temps était trop court pour tout ce qu’elle aurait voulu faire lors de cette unique soirée de la semaine. Elle se découvrait des passions, pour les galeries de peinture, le cinéma, la mode... Mais elle craignait de se montrer dès l’après-midi dans la lumière du jour. Que dirait-elle à ses collègues si elle les rencontrait dans cette tenue excentrique ?
Le reste de la semaine, elle redevenait Monique, femme inhibée et quelconque, prisonnière d’une vie sans intérêt, passant ses soirées seules devant la télévision. Imperceptiblement, sa nouvelle identité empiétait sur sa vie. Dans sa boite à lettres autrefois vide, des mails des amies de Natacha, sur son téléphone portable autrefois muet, des messages de son amant. Et Monique se levait chaque dimanche avec une gueule de bois qui ne lui appartenait pas. Au travail, il lui arrivait de se demander ce que Natacha aurait dit dans une situation donnée, ce qu'elle ferait. Il lui semblait parfois l'entendre lui chuchoter à l'oreille :
"Envoie valser ces stupides dossiers; nous valons mieux que ça." ou "Quelle idiote, cette Nicole ! Elle devrait divorcer."
Toute la semaine se passait à attendre le samedi. Six jours d'ennui et de labeur ingrat pour une soirée de fête et de rires. Six jours de plus en plus pénibles, de plus en plus longs, interminables... L'idée de devenir Natacha à plein temps fit son chemin dans son esprit. Elle prit sa décision et posa un mois de congés. Une course contre la montre s'engagea mais sa résolution était inébranlable : elle allait changer de vie.
Elle prit rendez-vous chez un coach et élabora son nouveau projet professionnel. Puis, elle envoya des candidatures dans les sociétés les plus dynamiques, les mieux en vues. Les contacts de Natacha lui furent extrêmement utiles. Elle comptait parmi ses amants un avocat et un commercial qui la présentèrent dans de grosses entreprises. Son assurance toute neuve fit merveille et elle ne tarda pas à décrocher un emploi administratif dans une grande agence de publicité. Un premier pas vers une nouvelle carrière. Elle présenta sa démission dans la Société et réalisa qu'elle venait de franchir une étape capitale. Son existence commençait enfin.
Elle se présenta à son nouveau travail en tant que Natacha et fut immédiatement le centre de toutes les attentions. Elle autrefois inhibée aimait à présent attirer les regards. Plus encore, elle détestait que quiconque l'éclipsât. Elle s'ingéniait à être la plus drôle, la plus belle, la plus extravertie. Plaire était sa nouvelle drogue. Le soir, elle se jetait sur des ouvrages de développement personnel et des magazines de mode. Elle se coupa et se colora les cheveux en blond. Elle ne craignait plus désormais de croiser ses anciennes connaissances : ils ne la reconnaîtraient pas. Son salaire disparaissait en maquillage, parfums, bijoux, robes décolletées, escarpins à talons vertigineux. Tous ses rêves devenaient réalité. Elle était sexy, appréciée, entourée. Son travail était excitant, avec le tourbillon des projets, des collègues pressés, le tournage des publicités, les célébrités qui traversaient les bureaux. Souvent, elle déjeunait dans des restaurants avec ses collègues, des gens stylés et dynamiques. Ils échangeaient les potins et des remarques sarcastiques sur les absents. Ses week-ends se passaient en boîte de nuit ou à des vernissages chics. La vie était belle : pleine de gaieté et de couleurs.
Très vite, elle monta en grade grâce à son franc parler et à son charme. Elle prit des responsabilités et son salaire doubla. Elle décida aussitôt de déménager et s'installa dans un loft acheté à crédit. Elle refit la décoration dans des teintes éclatantes : murs pourpres, canapé design orange. Natacha existait pleinement à présent. Elle avait son travail, ses connaissances, son foyer. Peu de choses la reliaient encore à son ancienne vie et elle décida de les détruire. Elle changea de numéro de portable et d'adresse mail. De toutes façons, elle ne répondait plus aux messages que lui adressaient Nicole ou Félicien. Ils ne lui avaient jamais rien apporté en fin de compte. Et pire, ils lui rappelaient sa médiocrité passée. Elle devait les écarter, les oublier. Elle avait de nouveaux amis à présent, des dizaines !
Enfin, méthodiquement, elle brûla tous les documents qui comportaient son ancien nom. Adieu mélancolie et banalité ! Elle était désormais une jeune femme volontaire et indépendante, promise à tous les succès, à tous les bonheurs. Pour fêter cela, elle ouvrit une bouteille de champagne et but à la mort de Monique. Le lendemain, elle acheta un superbe aquarium de mille litres pour son poisson rouge. Lui aussi aurait droit à ce qu'il y avait de mieux. Quand elle lâcha le petit animal dans le bac, il lui sembla un peu désemparé. Ce nouvel espace était immense et joliment garni de plantes mais si vide...

Une année passa. Une année de réussites et de fêtes. Natacha était à présent responsable d’une équipe de publicitaires et elle avait sa propre secrétaire. Elle portait les toilettes les plus élégantes, robes rouges ou vert anis, chaussures de couturiers. Son agenda était plein à craquer de rendez-vous importants et de déjeuners d’affaire. Elle recevait mille invitations à des soirées chez ses innombrables amis, certains riches et influents. Elle sortait avec un banquier dont le charisme et l’éloquence la faisaient fondre. Il la couvrait de cadeaux somptueux : bijoux précieux, robes de soie et de taffetas, gerbes de roses écarlates... Ils se rendaient ensemble à des bals où Natacha rencontrait la grande société. Elle se gorgeait de champagne millésimé et picorait du foie gras avec des couverts d’argent. Parfois, son amant lui faisait la surprise d’une semaine de vacances aux Bahamas ou aux Bermudes.
Quand elle n’était pas avec lui, elle passait ses loisirs avec ses amies. Elles avaient ensemble maintes occupations passionnantes. Elles se rendaient dans des centres de spa ou dans des clubs de gymnastique, au cinéma ou dans des salons de thé ; elles faisaient du shopping. Le week-end, elles écumaient les bars branchés, dansaient sous les spots multicolores et couraient les amours d’un soir. Natacha était parfaitement adaptée à cette vie trépidante. Epanouie, elle jouissait de tous les bonheurs sans se soucier du lendemain. Elle était avide de tous les plaisirs, de toutes les découvertes. Il lui fallait tout : le sac à main aperçu au bras d’une actrice sur un tapis rouge, le dernier ordinateur de poche, une jolie voiture décapotable... Il lui fallait être le centre de toutes les conversations, la confidente de chacun, celle à qui l’on demande conseil pour tout. Elle était connue par son nom dans de nombreuses boutiques de luxe où elle dépensait des sommes considérables et où elle était accueillie comme une reine. Natacha se grisait de sa propre popularité. Mais elle savait aussi se montrer distante et hautaine quand elle jugeait que son interlocuteur ne méritait pas son intérêt.
Ses souvenirs de sa vie d'avant s'étaient estompés et elle peinait à présent à se rappeler son ancien nom. Seuls les messages de sa mère la reliaient encore à ce qu'elle avait été. Mais elle ne les écoutait même pas. Le temps passait dans une frénésie de soirées, de paillettes dorées, de feux d’artifice bigarrés, de cocktails et d'excès. Natacha dépensait de plus en plus d'argent pour mener un train de vie éblouissant. Elle achetait les derniers gadgets technologiques avant tout le monde, portait des vêtements plus chers que toutes ses amies. Il lui fallait tout cela pour en mettre plein la vue à son entourage. Il n'y avait plus que cela qui comptât à ses yeux : paraître. Elle s'était mise à emprunter des sommes de plus en plus importantes à diverses banques. Elle ne s'en inquiétait guère : elle les rembourserait quand elle en aurait envie. Elle se sentait invincible, intouchable.
Ayant essayé tout ce que la vie pouvait offrir de plaisirs, elle se mit à rechercher des expériences nouvelles. Des connaissances lui firent goûter à toutes sortes de drogues et elle expérimenta sans retenue les jouissances illicites des psychotropes. Elle flottait dans des brumes colorées et riait de tout et de rien. Un soir que Natacha rentrait chez elle, à peine consciente du taxi où elle se trouvait, flottant dans les brumes d'un puissant hallucinogène, un malaise la prit. Son estomac se crispa violemment et des lumières vives explosèrent devant ses yeux. Le monde chavira autour d'elle et elle s'effondra, évanouie.
Natacha s'éveilla dans un lit inconnu, aux draps glacés. Elle ouvrit les yeux et les referma aussitôt en gémissant. La lumière du plafonnier l'agressait. Elle murmura une question et une voix grave lui apprit qu'elle se trouvait aux urgences, après une syncope due à la drogue. La voix ajouta qu'elle pouvait appeler un ami pour qu'il vienne la chercher et, après une pause, qu'elle ferait bien d'arrêter ces saletés avant d'en mourir. Natacha demeura silencieuse. Elle se sentait affreusement mal, nauséeuse avec une forte migraine. Elle eut honte de cet état de faiblesse, de cette vulnérabilité. Cette chambre était sordide, ce lieu indigne. Il fallait qu'elle s'en aille mais elle était si faible.
Elle prit le téléphone. Une demi-heure plus tard, elle avait appelé une vingtaine de connaissances. Certains n'avaient pas répondu et les autres lui avaient tous présenté un refus poli. Chacun avait trouvé une excellente raison de ne pas venir l'aider. Trop occupé, ma chérie, mais on se voit plus tard. Son carnet d'adresses avait beau être plein, elle ne pouvait compter sur personne. Tous prêts pour faire la fête mais pas un pour lui tendre la main. Elle demeura à l'hôpital tout le week-end puis reprit un taxi.
La semaine suivante, Natacha regarda d'un autre oeil ceux qu'elle avait appelé ses amis. Aux déjeuners, elle parla peu et ses collègues s'étonnèrent de sa mine renfrognée. Elle passa des soirées chez elle et s'interrogea sur la superficialité de son mode de vie. A privilégier l'exaltation et les plaisirs éperdus, n'avait-elle pas perdu quelque chose d'essentiel ? Une sorte de vide se creusait en elle mais elle ne parvenait pas à saisir ce qui lui manquait.
Un soir, elle trouva sur son répondeur un message s'adressant à une certaine Monique, demandant de ses nouvelles et disant que Nicole et Félicien s'inquiétaient pour elle. Monique... ce nom lui était familier mais elle ne parvenait pas à se rappeler où elle l'avait entendu. En tous cas, cette femme avait bien de la chance d'avoir des amis fidèles. Pour oublier ses doutes, Natacha se plongea dans son travail et les mois succédèrent aux mois. Elle avait recommencé de sortir et elle s'étourdissait de luxe, d'alcool et de pilules pour éviter de penser. Sa santé en pâtissait et ses dettes s'accroissaient rapidement. Elle n'était plus heureuse mais elle faisait semblant.

Un matin comme tant d'autres, elle se rendait à son travail quand son regard tomba sur une publicité montrant une femme et dessous, en grosses lettres roses « Un fantasme ? Un rêve ? Natacha ». Elle resta longtemps à regarder l'affiche et, plus elle l'observait, plus elle sentait croître une incoercible angoisse. Natacha. Ce nom appartenait à cette affiche. Ce n'était pas le sien. Une terrible certitude. Elle n'était pas Natacha. Mais alors qui ? Qui était-elle ??! Impossible de s'en souvenir. Affolée, elle rebroussa chemin et rentra chez elle. Sitôt à son appartement, elle entreprit de fouiller ses affaires. Fébrile, elle retourna les armoires et vida les tiroirs, cherchant elle ne savait quoi. Luttant contre la panique, elle consulta ses papiers. Aucune trace. Elle prit plusieurs calmants et appela son travail pour dire qu'elle était malade. Puis, elle reprit ses recherches.
Quel était son véritable nom ? Cette question l'obsédait. Mais il n'y avait aucun indice. Elle passa plusieurs nuits sans dormir, en proie à la plus grande agitation. Le médecin lui prescrivit des narcotiques. Elle retourna travailler mais son angoisse était telle qu'elle éclatait en sanglots à la moindre anicroche. On la renvoya chez elle et le médecin lui donna des anxiolytiques.
Elle sombra dans la dépression. La conviction d'avoir perdu son identité, de vivre dans un gigantesque mensonge la minait. Elle était incapable d’évoquer le moindre souvenir de son enfance, de sa famille. Sous l'emprise des psychotropes, elle devenait de moins en moins lucide. Aucune de ses connaissances ne prit de ses nouvelles et elle souffrit de cette solitude à laquelle elle n'était pas habituée. Elle tenta d'appeler une amie pour lui confier son désarroi mais celle-ci lui rétorqua sèchement qu'elle n'avait pas envie d'entendre parler de choses tristes. Elle s'enlisa de plus en plus dans son mal-être, passant les heures à tourner et retourner de sombres pensées et des questions sans réponse. Elle ne sortait plus et mangeait à peine. Son amant lui adressa un SMS pour lui dire qu'il la quittait et qu'il passerait pour lui rendre sa clé et reprendre les cadeaux qu'il lui avait offerts.
Avec sa gaieté et son énergie s'était envolé l'intérêt qu'avait les gens à son égard. Aucun ne s'était vraiment soucié d'elle. Ils vivaient dans un monde de strass et d'apparences. Elle aurait volontiers échangé tous ses contacts pour un seul véritable ami ! En avait-elle dans sa vie d'avant ? Cette vie dont elle ne conservait aucune trace ? Tout devenait confus dans son esprit. Elle errait comme une âme en peine, amaigrie et rongée par la souffrance, la mine livide, le cheveu terne, vêtue seulement d'un pyjama gris.
Comme elle aurait voulu revenir en arrière ! Mais c'était trop tard. Elle s'était perdue. Sa vie passée était détruite irrémédiablement. Pourquoi l'avait-elle abandonnée ? N'eût-elle pas pu simplement l'améliorer ? Ces qualités qui lui avaient valu tant de succès, tant de joies, ne les possédait-elle pas auparavant ? Les loisirs, le confort, les beaux vêtements... Tout cela valait-il ce qu'elle avait sacrifié ? Le saurait-elle un jour ? La peur lui nouait les entrailles. Elle n'était plus elle-même. Natacha était virtuelle. Elle n'avait jamais existé. Elle ne savait pas qui elle était. Sa détresse ne connaissait plus de répit.
Une nuit, elle jeta un gilet noir sur son pyjama et mit son poisson rouge dans un sac avec un peu d'eau. Elle descendit dans la rue et contempla un instant les bâtiments noirs, les rues bises et les flaques de lumière pâle des lampadaires. Vacillante, elle se rendit au parc et libéra son poisson dans un vaste étang. Elle le regarda un instant tourner dans l'eau au milieu des siens et son coeur se serra. Elle s'adossa à un arbre et se laissa glisser au sol. Plongeant la main dans sa poche, elle en sortit un flacon de pilules.


Quelques heures plus tard, elle était assise sur une chaise en plastique, vêtue d’une blouse pastelle, dans une chambre blanche. Par la fenêtre, on apercevait des silhouettes vagues, errant au hasard dans les allées d’un jardin. Elle ne bougeait pas. Son regard était perdu dans le vague, sa tête légèrement penchée sur son épaule. Une infirmière l’observait par une petite vitre dans la porte et lisait un dossier : « femme dans la trentaine, pas d'identité... »

Est', qui remonte un à un les cadavres des eaux sombres de son inconscient.

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2008-09-27 22:33:53 

 Commentaire sur la timide d'Est'Détails
Excellent texte que celui-ci. J'aurais bien voulu savoir dans quel état elle termine à l'hôpital: hôpital psychiatrique? handicap? ...
Plus que timide, elle est complètement transparente, dépressive. Le seul texte que j'ai réussi à lire d'une traite depuis bien longtemps, tiens. Preuve qu'il est bon! Ou qu'il me touche beaucoup. Bravo en tout cas.

Elemm'

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-09-28 12:01:35 

 Merci !!Détails
Je craignais que sa "glauquitude" ne te choquât. Promis, je remange un bisounours avant d'écrire le prochain !

Est', qui s'est enfin remise à écrire.

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z653z  Ecrire à z653z

2008-09-29 13:55:57 

 ça se lit d'une traite...Détails
... mais j'ai lutté pour le finir.

Quelques détails :

"Seuls les messages de sa mère la reliaient encore à ce qu'elle avait été." Elle ne l'appelle plus non plus sa mère quand elle recherche son identité ? Ou peut-être est-elle morte ?

"Un soir, elle trouva sur son répondeur un message s'adressant à une certaine Monique, demandant de ses nouvelles et disant que Nicole et Félicien s'inquiétaient pour elle." Comment l'ont-ils retrouvée ? Et si, au fond, elle ne voulait pas retrouver son identité ?

Sinon, il est un peu difficile d'échapper à son identité (passeport, carte vitale, permis de conduire, etc etc), quoique tu ne précises pas le pays où se déroule l'histoire, ni les moyens utilisés pour créer sa nouvelle identité (faux papiers).

200 litres pour un poisson rouge, ça n'est pas si démesuré (sachant qu'un aquarium de minimum 100 litres est conseillé).

Beau travail :)

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-09-29 17:07:18 

 Explications et spoilersDétails
En effet, sa mère est morte à ce moment. J'avais précisé au début qu'elle était très malade.

Nicole et Félicien ont peut-être enquêté à son ancienne adresse. Ou contacté sa mère... Ils ont des solutions.
Absolument, Monique est devenue folle en divisant/reniant sa personnalité. L'occultation totale qu'elle a fait de son ancienne identité en seulement quelques années en est la preuve. C'est sa folie qui l'empêche de retrouver son nom et son identité passée. Et pas des raisons réelles.
Elle a en effet divers moyens de retrouver son nom. Elle ne peut avoir changé cela partout. Mais sa folie provoque sans doute des hallucinations, en plus d'une paranoïa.

J'avoue que je n'avais aucune idée des volumes d'aquarium, hihi ! Faut que je mette combien ? Je vais corriger. Je veux vraiment que ce soit grand, une prison de luxe.

Est', lecteurs, je vous aime !

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2008-09-29 18:26:21 

 AquariumDétails
Le mien, de taille "normale" pour un petit budget, faisait 120 litres. Je pense que tu peux taper dans les 1000 ou 2000 litres, ces aquariums géants qui séparent deux pièces dans les maisons de luxe, qui font tout un pan de mur. Oauis, moi aussi quand j'serai grande j'aurai ça. Avec eau de mer et plein de petits poissons et de coraux colorés. Mais bon mon mari sera super riche et mes gamins entretiendront l'aquarium :D
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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-09-30 17:44:32 

 Je blogue, tu blogues...Détails
Aujourd'hui, j'avais un moment et j'ai décidé à l'impromptu de me promener sur ton blog (^_^)
Je le prends à rebours et voici mes impressions dans l'ordre.
C'est sympa ici ! Tout rose avec des dessins zolis !

Ce blog mériterait une bannière plus élaborée, avec une police au néon rose, tiens ou des bulles de savon...
Moi qui te parle, je viens de passer un bon nombre d'heures à refaire la déco de mon site et à le reprogrammer de fond en comble.

Superbes les robes de GN ! Tu es drôlement belle dans la première; une vraie blonde, quoi de mieux pour une elfe !
Cela n'a pas du être facile de coudre celle du chaperon rouge !

Pourquoi familial, Faeries ? Tu as des membres de ta famille sur le faerium ??? Chuis curieuse... Cela dit, moi, avec Zogrot et Scytale... Eh, si tu veux pas le dire sur le forum, tu me le dis en MP ?? Allez, steuplait, je le répèterai pas !

Tu as quoi comme palette graphique ?? C'est bien ? J'aimerais bien m'en acheter une aussi. Je pense que ça me changerait la vie pour 'toshop.

Super sympa le dessin grivois ! Très jolies couleurs, et le style naïf est très réussi. J'adore !

Moi aussi, je suis fan de Maliki. En plus, il/elle habite dans ma ville, alors je me retrouve beaucoup dans ce qu'il/elle écrit sur la météo ou les mutants de Roubaix...

Concernant la grosse vague, je rejoins le rapprochement que tu fais entre mer et mère. Au contraire, une telle photo me donne envie d'aller me baigner ! Je ne me sens jamais aussi détendue qu'au bord de la mer, à explorer les récifs à la recherche de petits animaux rigolos, ou mieux encore, étendue sur l'eau, flottant. Je me sens dans l'eau comme dans une matrice, en sécurité, débarassée de mon poids et de mes soucis... Spa pour rien qu'Estellanara a une piscine !

Mais où as-tu appris à dessiner ???!!! Parce que je veux apprendre aussi ! Très beau, ton vitrail. Et l'effet de transparence et de luminosité est nickel. Vraiment, j'adore ce que tu dessines !

Je connais aussi Café salé, auquel tu fais référence. Quand j'ai envie de me dégoûter un bon coup, je vais voir ce qu'ils font. Ils sont monstrueusement bons sur le topic de Wow ou encore le speed monstre. Mon graphiste préféré sur ce site est Lomkikour (www.lomki.com). Il fait de petits monstres choupis.

Pour la robe "Minimout des villes", je vote pour le col rond ! C'est une passion, la couture ?! J'aime bien moi aussi réaliser des costumes pour les soirées enquêtes mais je suis moins douée que toi. Je me suis notamment fait une toge romaine et un gilet d'indien. Je couds des ours en peluche aussi, à mes moments perdus. J'adorerais faire du GN mais je manque de temps et d'occasions. Je ne sais même pas s'il y en a dans ma région.

Vindjous !! Il fait peur le dessin colorisé avec le bambi !!! Overdose de bisounours !

Trop classes, Evmeralda et AlRobbin ! Très jolis costumes. Cela dit, j'aurais mieux vu la princesse en bleu, assortie à son prince. Je voudrais une photo plus grande plus mieux voir les broderies !

J'ai bien rigolé en lisant le post sur l'aquarium et l'aspiration à la bouche. Bizarre, la disparition du poisson. Tu as pensé que l'autre avait pu le gober ? j'ai eu une limnée suicidaire. Un jour, elle est sorti de l'aquarium et est morte desséchée. Trop laid...

Excellent l'opération déco ! C'est complètement mieux après. Je rajouterais effectivement des rideaux mais je les mettrais vert. Pis je mettrais un grand cadre dans des tons verts et bruns dans le coin salon et un jeu de petits cadre côté salle à manger. Ca me donne envie de refaire la déco chez moi, tiens ! Parce que depuis que j'ai emménagé, ça ressemble à rien.

Houla, dernier post, mais qué passa ?? Je n'ai pas tout compris mais ça n'avait pas l'air gai... Ca va mieux ??? *inquiète*

Est', bavarde, curieuse et qui fiche rien au bureau...

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2008-10-02 17:10:40 

 Tout ça!Détails
Alors euh, dans l'ordre:
Pour la bannière, j'y pense dès que j'ai le temps (c'est sur la Todo list, qui ne fait que s'allonger sans cesse!)

Merci pour les robes de GN :D Celle du chaperon rouge a été bien compliquée en effet, mais j'étais assistée d'une meilleure couturière que moi qui m'a conseillée, et j'avais beaucoup de motivation! Mais je n'en referai pas tous les jours des comme ça :)
Faeries, un site familial? Ben, oui, on s'y sent comme à la maison, non? J'ai parfois cette impression là :)

Ma palette graphique est une, euh, wacom je crois? (elle est dans les cartons là), format A5 ce qui est amplement suffisant, et si tu n'en as pas encore je te le conseille vivement, ça change la vie!! Le crayon est sensible à la pression (le trait est plus fin quand tu appuies peu), c'est excellent et je me demande bien comment j'ai pu travailler sur photoshop sans ça avant :) L'essayer, c'est l'adopter! Mais je ne peux pas te renseigner sur les prix, c'est un cadeau :)
Le dessin grivois a failli partir à la poubelle il y a peu, s'il y a des intéressés je donne ^^

Tiens, roubaix, bah quand je lirai Maliki je penserai à toi maintenant :)

Comment tu peux avoir envie de te baigner dans cette vague? Enfin chacun ses peurs et ses plaisirs, hein :)

J'ai appris à dessiner ben, beaucoup toute seule quand j'étais petite, ensuite j'ai suivi des cours chez une dame appelée Sardlis près de Toulouse, et puis j'ai fait un an et demi en Deug arts plastiques. Mais le dessin, c'est comme tout le reste, avec ou sans don au départ il faut bosser bosser bosser. Et moi je bosse pas assez :p

Je ne connais pas Lomkikour, j'irai jeter un oeil un de ces quatre.

La robe minimout aura finalement un col officier avec boutons sur un côté sur le devant, je posterai un croquis un de ces quatre, quand j'arriverai à réunir dans la même pièce scanner, palette graphique, ordi et internet.

Moi j'aime bien mon bambi...

La robe Evmeralda c'est un prêt d'une copine, donc j'ai pas choisi la couleur, par contre le costume AlRobbin c'est moi qui l'ai fait, et je voulais des couleurs flashy pour lui car le bleu pâle assorti à la robe ne l'aurait pas mis en valeur.

Je finis par croire que Jean-Claude s'est fait bouffer en effet. Paix à son âme. Moi aussi j'ai un poisson qui s'est suicidé. C'est qu'ils ne doivent pas savoir qu'il y a un monde sec là dehors.

L'opération déco je me suis bien amusée, j'étais contente d epréparer un petit nid d'amour tout beau tout propre. Mais bon voilà...

Et donc, dernier post, ben je sais qu'il y a des gens qui meurent de faim et de soif et dans des attentats et tués par des serial killers et qu'il y a plein de trucs horribles sur la terre, moi j'ai juste perdu en 4 mois mes espoirs, mes illusions d'amour, mes projets, ma meilleure amie, deux super copines, mon logement, l'homme que j'aime, et aujourd'hui mes projets d'étude. A part ça, ça baigne. Donc ça va pas trop mieux pour l'instant, mais bon je suis vivante et en bonne santé, comme on dit... youpi.
Mais merci quand-même de s'inquiéter, c'est choupinou de votre part.

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