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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Jeudi 16 octobre 2008 à 14:19:48
Le sommeil des Tardigrades


Je suis pressé. C’est aujourd’hui le grand jour. Le plus grand depuis la dernière migration. La promesse d’un nouveau départ. La promesse d’une nouvelle existence. Peut-être simplement quelque chose qui nous rattachera à nouveau à la vie et aux étoiles, quelque chose qui fera scintiller brièvement notre gloire enfuie. Quand je me suis réveillé, il m’a semblé que je ne me réveillais pas d’une nuit courte et agitée, entortillé dans des draps fermés comme un suaire, respirant difficilement un air insipide à force d’être recyclé. J’ai eu l’impression que je sortais d’une longue torpeur qui aurait duré plusieurs siècles. Un sommeil de conte de fées. Mais les fées sont parties laissant le cercueil de verre à l’abandon. Jusqu’à aujourd’hui.

Quand j’émerge du boyau principal, je ne fais plus attention à la lumière pâle et jaunâtre du petit matin, comme si un voilage sale et impalpable était tendu dans le ciel vide. Un voilage pisseux. Cette lumière de perpétuel crépuscule nimbe ce bout de terre du matin au soir et du soir au matin; donne à toute chose une teinte particulière, décalée et étrange. Anachronique. Moi, je suis le Bibliothécaire. Le Gardien du Patrimoine. Formé par mon prédécesseur et choisi dès la couveuse pour mes prédispositions à cette fonction. J’aime le passé. Quand je regarde le futur, je ne vois que les ombres du passé. Elles me sourient tristement. Nous marchons vers elles, quoi que nous fassions. Inéluctablement. Elles nous y attendent depuis si longtemps.

Je suis un scribouillard. Chaque jour, je parcours les longues galeries de stockage. Je parle tout bas à mes gentils fantômes. Ils ne bougent plus. Ils ne me répondent jamais. Ce sont toutes ces machines inertes qui dorment sous un drap immaculé, au fond des salles silencieuses. Elles ont des touches et des poussoirs, des écrans et des becs holographiques. Je connais tous les termes qui les désignent mais beaucoup plus sommairement leur vraie signification. Ne suis-je pas le Gardien de la Mémoire? Le Bibliothécaire. Plus assez d’énergie, plus assez de savoir pour les faire fonctionner. Quelle frustration quand je songe à tous les trésors enfouis, inaccessibles, au coeur de ces entrailles métalliques. Je pleure quand je ramasse un drap étalé sur le sol. Celle quu'il recouvrait est partie, réquisitionnée pour que soit récupéré ce qui peut être réutilisé. La déchirure devient imperceptiblement plus profonde, plus indélébile. Une fraction de notre passé définitivement oblitérée. Mais comment puis-je m’opposer aux pillards qui portent le brassard rouge et blanc de la garde du Laboratoire. Le Laboratoire, c’est l’endroit où sont usinés les maigres produits manufacturés indispensables ; ceux-la mêmes qui nous permettent de ne pas nous enfoncer trop vite dans les ténèbres. Régression.

Mais je radote. Je ressasse. Je rabâche les mêmes mots. Les mêmes concepts surannés. Cette folie n’est pas une maladie, elle fait partie de ma fonction. Elle est même nécessaire. Quand je marche, je ne peux contenir le flot de pensées qui me submerge alors. Autrefois, les déserts qui nous encerclent étaient des immensités marines. Il y avait de l’eau, beaucoup d’eau. Sur la terre et dans le ciel. Cela fait longtemps que les nuages ont disparu. Il y avait de la glace aussi, cette forme d’eau pétrifiée qui recouvrait la Terre Verte, notre bout de terre, sur une épaisseur inimaginable. Maintenant, il ne reste que du sable grège à perte de vue.

Mais aujourd’hui...je me hâte vers le Palais, le siège de l’Administration, un bâtiment boursoufflé qui s’enroule sur lui-même comme un gigantesque coquillage dominant Godthab, la capitale. Malgré son nom, elle ne nourrit aucune espérance. La planète est moribonde. J’emprunte l’avenue principale bordée de baraques d’adobes plus ou moins bien alignées, rarement hautes de plus de deux étages. A cette heure matinale, il y a beaucoup de monde qui se dirige comme moi vers le Palais. Quand le soleil mangera le plus gros du ciel, plus personne ne sera à l’extérieur. Depuis que les derniers générateurs continentaux sont tombés en panne, les radiations ne sont plus filtrées par les écrans exosphériques et les tenues de protection sont bien trop lourdes. Là-haut tournent aussi de grands cercueils vides, les stations orbitales rouillées et désertées, pitoyables anges aux ailes immenses qui se désagrègent peu à peu.

Je passe devant la Couveuse et son dôme translucide qui coiffe un profond puits central d’où rayonne une multitude de galeries. Là sont confinés les berceaux autonomes. La plupart sont hors service : il y a de moins en moins de naissances. Les Adeptes de la Spirale se font rares également. Quelques vieillards irascibles aux mains tremblantes qui se courbent encore au-dessus de la piscine remplie de la soupe primordiale. Malgré les perfusions interdites qu’ils s’administrent, ils déclinent lentement. L’éclat qui brillait au fond de leurs yeux se ternit irrémédiablement. C’est avec eux que travaille Daphné qui rosit quand je m’approche et qui pâlit quand je m’éloigne. Cela ressemble fort à un réflexe archaïque. Elle ne prononce jamais un mot, se contentant de me fixer de son regard délavé comme le ciel. J’éprouve une curieuse sensation le long de la colonne vertébrale, enfin une amorce de sensation, comme si quelque chose d’atavique essayait de se frayer un chemin à travers des strates calcaires ; une sorte d’ondulation agréable qui vrille de haut en bas. Il faudrait que je cherche des informations là-dessus.

Je frissonne malgré moi quand je traverse la passerelle qui enjambe la faille. Je maudis le jour où le Grand Anthroposophe a décidé qu’il fallait construire la fosse aux damnés ici, au coeur de la ville : au plus près de chacun d’entre nous. Sous mes pieds, sous les planches, bien plus bas, vivent les monstres. Nos frères. Nos soeurs. Ceux qui ont subi une mutation foudroyante. Une altération physique et mentale consécutive au dérèglement inopiné des nanos. Effet domino. Des jets de chairs incontrôlés, des résurgences glauques et vitreuses, des membres surnuméraires au développement anarchique, des perceptions excédant les capacités cognitives... Cela peut arriver à tout moment à chacun d’entre nous. Nul n'est à l'abri. Ils sont nombreux à être précipités du haut de la passerelle. Ils tournoient un instant puis sont avalés par le néant. Le fond est si lointain qu’il semble qu’ils ne finissent jamais de tomber. Mais la mort n’a pas de prise sur eux. Où qu’ils soient, quel que soit leur état, ils ont survécu. Les microscopiques merveilles qui nagent dans nos artères peuvent devenir folles mais ignorent toute défaillance.

Je retrouve mon calme quand je parviens à l’autre bout. Les gardes en uniformes rouge et blanc me dévisagent nerveusement. Ils sont alignés sur le périmètre du parvis du Palais, tenant fermement leur hallebarde. Une petite foule se presse déjà aux portillons d’entrée, essayant de faire partie des privilégiés admis à prendre place dans la grande salle capitulaire.. J’aperçois des représentants des communautés éloignées : de Tasiilaq, reconnaissables à leurs bonnets multicolores, de Scoresbysund avec leur haute et maigre stature et de Qaanaaq dont le symbole ailé scintille sur le surcot jaune ou bleu. Le message des étoiles a été reçu par tous. Je présente à un guichet isolé mon insigne, deux courbes qui partent du même point, se croisent et se fuient. Le symbole du poisson, cet être légendaire qui représente la sagesse, la connaissance et l’immortalité. Quel meilleur symbole pour ma mission ?

Les sentinelles me cèdent le passage. J’emprunte un chemin dérobé pour gagner ma place. Sous le regard blanc et impassible des hautes statues installées sur la corniche qui épouse sa circonférence, la salle est déjà bien remplie : des pleureurs qui se serrent les uns contre les autres et des fermiers aux longues chasubles blanches qui cachent leurs yeux derrière une visière dépolie ; des magiciens aux chapeaux pointus qui tournent comiquement leur baguette de plastique et des rêveurs aux longs cheveux blancs qui protègent leur peau d’albinos sous une épaisse couche de crème ; des insomniaques sinistrogyres qui vitupèrent en oscillant dangereusement et des chasseurs de monstres qui se poussent du coude, fiers et menaçants. Des nageurs des sables et des marchands de corps. Ils sont tous là, hommes, femmes, enfants... attendant qu’il apparaisse.

Des murmures accompagnent le Grand Anthroposophe quand il pénètre à son tour dans l’hémicycle. Malgré les gradins et les coursives, il parvient à dominer naturellement l’assistance du haut de ses trois mètres. Il est nu et gras. Ses bourrelets de graisse forment d’interminables plis sur son ventre. Ses bras et ses jambes ont des proportions hors normes, aux veines apparentes qui forment un réseau bleu et rouge. Il paraît que cet étrange motif cacherait la route empruntée par les fuyards. Mais aucun Scrutateur des Cieux n’a jusqu’à ce jour percé son secret. Il contemple ses sujets avec un air de mépris souverain. Il est laid et sale mais son esprit est vif et brillant. Sous un front dégarni, un regard rouge et inquisiteur fouille les coeurs et les reins bien plus efficacement que les sièges infernaux de la Cohorte, la sinistre police secrète aux méthodes expéditives. Dans son sillage suivent, également nus, quatre hauts dignitaires de la secte religieuse dominante. Celle des Illuminés. Ils sont tatoués de la tête aux pieds de glyphes ésotériques multicolores qui forment la spirale galactique originelle dont le motif se referme sur leur pubis.

Tout cet équipage prend place dans la tribune qui fait face aux gradins. Une puissante trompe retentit, interrompant le brouhaha général. Chacun se tait pendant que les gardes referment les portes. L’hémicycle est scellé. Alors, la voix forte du Grand Anthroposophe s’élève. Moi, je vois son image qui tremblote sur le seul écran géant qui daigne encore fonctionner.

« Mes enfants, je ne ferai aucun discours. Les étoiles se sont souvenues de nous et leur messager est là. Sa venue était paraît-il, écrite en lettres de feu dans le ciel. Ecoutons-le !» Il se tourne vers les Illuminés qui ferment doucement les yeux tout en souriant.

Je le vois surgir d’une porte latérale. Seul. C’est un homme élancé, à la fois semblable et différent. Il est vêtu d’un étrange vêtement aux reflets d’argent qui déconcerte les regards. Une sorte de tunique ajustée qui souligne sa haute taille et le port altier de ses épaules. Ses yeux sont gris et pénétrants. Il marche sans crainte jusqu’au centre de la salle capitulaire. Il se dégage de sa personne une puissance apaisée et une intelligence bienveillante. Il marque une légère pause pour mieux captiver l’attention. Sa voix est fluide et musicale, douce et harmonieuse. J’entends chanter un rossignol sur les plus hautes branches d’un arbre légendaire. Il prononce quelques mots mais je reconnais cette voix. Nous la reconnaissons tous. Inconsciemment. C’est la voix du passé qui nous ouvre la voie de notre avenir :

« Mon nom est Oromë ! »

M


  
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Réponses à ce message :
3 Exercice 46 : Maedhros => Commentaire - Estellanara (Ven 12 dec 2008 à 17:02)
3 Ambiance. - Onirian (Ven 24 oct 2008 à 11:13)
3 Commentaire Maedhros, exercice n°46 - Narwa Roquen (Mer 22 oct 2008 à 17:39)
3 tardigrades - z653z (Mar 21 oct 2008 à 12:55)
       4 J'ai enfin vu de la lumière... - Maedhros (Mer 22 oct 2008 à 22:04)


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