Version HTML ?

Messages FaeriumForum
 Ajouter un message Retour au forum 
 Rechercher un message Statistiques 
 Derniers messages Login :  S'inscrire !Aide du forum 
 Afficher l'arborescence Mot de passe : Administration
Commentaires
    Se souvenir de moi
Admin Forum 
 Derniers commentaires Admin Commentaires 

 WA, exercice n°48 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 30 octobre 2008 à 17:25:20
Allez, un petit intermède ludique pour vous distraire... Vous allez écrire une histoire dont le personnage principal est une statue ; ce peut être une statue réelle ou imaginaire ; vous pouvez en faire un conte philosophique, une aventure trépidante, ou un grand délire... L’important est que vous décriviez parfaitement cette statue, même si elle est célèbre, - et je sais que vous adorez les descriptions... - et que, bien entendu, votre histoire soit cohérente.
Vous avez deux semaines, jusqu’au jeudi 13 novembre. Laissez libre cours à votre imagination !
Narwa Roquen, fan de Camille Claudel


  
Ce message a été lu 10819 fois

Smileys dans les messages :
 
Réponses à ce message :
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-11-09 17:40:50 

 WA - Participation exercice n°48 Détails
LA BOCCA DELLA VERITA


Il est cinq heures
Paris se lève
Il est cinq heures
Je n'ai pas sommeil


Avez-vous déjà remarqué la quiétude qui règne dans un jardin public aux premières lueurs de l’aube? Cette qualité cristalline de l’atmosphère qui avive magiquement le contraste de toute chose. Chacune semble distincte, détachée des autres, à la fois infiniment plus réelle et miraculeusement plus fragile, prête à se briser au moindre son. Un minuscule fragment de temps, un si court instant durant lequel l’éternité frôle de ses ailes délicates la morsure du jour qui escalade les toits comme un voleur. Tout semble possible entre rêve persistant et réveil récalcitrant. Ce moment singulier agace les dormeurs qui se retournent dans leurs lits et engourdit l’humeur des travailleurs du petit matin qui fixent, hébétés, leur café fumant tourner lentement dans la tasse. Cet interlude où la mécanique du jour paraît vulnérable, prête à se rétracter comme les pétales d’une fleur abusée par l’éclat d’un faux soleil. Oui, durant cet infime laps de temps, je me sens presque vivante, même si je sais que cela durera l’espace d’une respiration musicale aussi éphémère que vibrante. Je n’ai pas sommeil.

Et puis la benne à ordures s’avance lourdement entre les rangées de voitures stationnées le long du boulevard. Son gyrophare orange repeint les façades des immeubles haussmanniens à coups de reflets tournoyants. Le quotidien déboule sans ménagement. Les pigeons s’ébrouent sur les rebords des toits et les chats de gouttière rentrent silencieusement de leur chasse nocturne. Paris s’éveille par petites touches, chacune consolidant inexorablement la précédente. C’est la fin des rêves et se referme l’écheveau des possibles. La réalité reprend ses droits et je suis là, comme chaque jour, éternelle résidente de ce jardin.

J’en connais tous les secrets. Rien ne m’échappe.

Les employés municipaux, qui poussent avec leur balai les ordures le long du caniveau. Le bleu de leurs vareuses tranche avec l’ébène de leur peau. Leurs regards éteints et la fatigue qui courbe leurs épaules. Quand l’un d’eux me lance un regard, les perspectives quotidiennes s’estompent et j’aperçois fugitivement une plaine immense écrasée de soleil. J’éprouve ce sentiment de liberté d’un corps sans entrave, d’une course vers l’horizon grand ouvert. Une sensation de mouvement enivrant que je ne connaîtrai jamais. Puis les paupières clignent et sans transition, la lumière chaude et vibrante se ternit, virant au gris ordinaire du petit jour parisien. C’est comme un rideau qu’on tire brutalement pour cacher un paradis lumineux et inespéré.

Il y a en moi un élan primordial. Les vestiges d’une passion incarnée. Je ne rêve pas. Je ne rêve jamais. Mais là, au fond de ma poitrine de pierre, je conserve précieusement une l’étincelle, celle qui palpitait sourdement au sein du bloc de marbre originel.

Je suis au centre du monde. Un monde qui tourne autour de moi. Le soleil et la lune font la ronde dans le ciel par-dessus les toits. Les ombres naissent, s’allongent et disparaissent. Mon ombre immuable décrit un motif surréaliste sur le gravier à mes pieds. J’envie mon ombre. Elle parvient au moment le plus propice, à lécher les grandes grilles aux pointes d’or qui marquent la limite du jardin. Presque libre. Elle me nargue là où je ne pourrai jamais être. Mon destin est scellé à ce socle de granit et ma main reste prisonnière de cette bouche grimaçante.

Je me tiens immobile au milieu du manège sans fin des saisons. J’aime avant tout l’automne, cette forme d’attente nostalgique et crépusculaire. Cette langueur trouble qui affaiblit la sève. Cette douce et lente chute vers le froid, auréolée d’une luminosité vacillante qui décroît chaque jour un peu plus. Oui. J’aime l’automne. Sa palette de couleurs qui court du fauve au roux et de l’ocre au rouge. Ses tourbillons de feuilles balayées par le vent, qui s’enroulent autour des arbres dénudés. Ses parfums lourds et tenaces où se mêle intimement le doux-amer de l’inéluctable pourriture.

J’aime ensuite le printemps, ce jaillissement libérateur, cette sensation de renouveau vierge de tout regret. Le printemps est la saison de l’oubli des choses mortes. Le pépiement des moineaux dans les arbres au-dessus des poussettes près du jardin d’enfant qui résonne de rires juvéniles. Le reverdissement des chevelures végétales qui libèrent leurs parfums vifs et frais. Les amoureux qui se donnent rendez-vous juste devant moi. Leurs visages pâles ou empourprés qui s’illuminent quand ils se reconnaissent et leurs étreintes qui n’en finissent pas. Pourtant peu s’aventurent à glisser leur main près de la mienne, à l’ombre fraîche de cette bouche. Ne veulent-ils pas savoir que les amours de printemps ne chantent guère au-delà de la Dormition? Je ne cesse de sourire, offrant ma main pure et innocente au masque grimaçant. Jamais il ne refermera sa bouche sur mes doigts. Comment le pourrait-il ?

Le long de mes jambes de pierre monte un fourmillement agréable, une irrésistible envie de m’arracher de cette ancre de granit pour fouler les pelouses verdoyantes, caresser l’eau du bassin, assise sur la margelle et regarder les bateaux miniatures fendre l’onde claire. Mais ce rêve passe bien vite...

Je suis née d’un désir de pierre. Mes souvenirs remontent si loin à présent. Je dormais profondément dans le bloc de marbre, ma matrice originelle. Je n’étais qu’une étincelle, à peine le souffle raréfié d’un mouvement suspendu. Puis, dans la main de mon créateur, les instruments de fer m’ont ramenée à la surface, m’ont fait émerger de la gangue minérale. Lentement, massette et burin, gouge et ciseau m’ont délivrée et ont révélé le mouvement qui sommeillait au coeur de la pierre. J’ai vu la lumière ruisseler d’une verrière qui ouvrait l’atelier du sculpteur sur le ciel de Paris. Le monde était si différent, plus jeune. Je n’étais encore qu’une ébauche mais j’ai absorbé toutes les émotions de mon créateur.

J’ai frémi de désir quand ses doigts ont souligné délicatement l’arrondi de ma joue ou la courbe de ma hanche. J’ai su que je lui appartenais, que j’étais sa création, sa créature. Je me suis sentie belle dans son regard. J’attendais le matin quand il retirait le drap qui me cachait durant la nuit. J’avais l’impression qu’il me déshabillait et, pantelante, je m’offrais toute à lui. Il s’approchait tout près, passant et repassant sa main sur mes formes, mes pleins et mes déliés. J’ai souvent espéré que les anciens dieux, prenant pitié de moi comme dans les vieilles légendes, feraient fondre ma prison de pierre et me donner chair et vie pour que j’apparaisse nue devant lui... Mais les dieux dorment et n’écoutent plus. Ni les hommes, ni les statues. Cependant, j’ai pu lire dans son regard, la passion qui l’animait en retour. Moi.

Le temps passe différemment et je suis encore belle sous le ciel tandis qu’il repose à présent au fond d’un caveau obscur et humide. Tous l’ont oublié, sauf moi. Pourtant mes yeux sont restés secs quand j’ai senti le corbeau noir se poser sur mon épaule d’albâtre. Mon sourire ne s’est pas effacé. L’immortalité est à ce prix.

Il y a aussi mes visiteurs familiers, ne cessant inlassablement chaque jour de rejouer la même scène au geste près. Nul ne semble les remarquer, ils évoluent en marge du réel, présences invisibles qu’un enchantement singulier retient prisonnières en ce lieu.

La première sera bientôt là. Une jeune femme essoufflée d’avoir couru. Elle viendra s’effondrer à mes pieds. Elle aura une lettre serrée sur son coeur, une lettre qu’elle n’aura pas encore ouverte. Elle me lancera un long regard interrogateur mais je ne pourrai que sourire, encore et encore. Ses vêtements ne seront pas de saison, ne seront pas au goût du jour. Son chignon, ses bas de laine, ses mauvaises chaussures, son tailleur élimé dateront d’un autre temps, d’un temps révolu. Sans les voir, j’entendrai dans le ciel le grondement des lourds bombardiers qui ne finiront jamais de passer au-dessus de Paris. Ses lèvres s’ouvriront mais les mots se sont depuis trop longtemps envolés. Elle m’adressera comme chaque jour la même prière avant de déchirer l’enveloppe. Elle saisira la feuille quelques secondes pour lire ce que son âme pressentait. Elle se pâmera, laissant s'échapper cette feuille froide et administrative, griffonnée de quelques lignes qui auront dévasté sa vie plus sûrement que les bombardements alliés. Elle reprendra tant bien que mal contenance et s’enfuira, son image tremblotante s’évanouissant dans la lumière oblique. Demain Paris sera libéré mais son amour ne sera plus. Fusillé.

Mais mon visiteur le plus envoûtant est cet homme à la stature imposante qui marchera droit vers moi. Je redoute sa venue aussi intensément que je l’attends. Ce que je retiens de lui, c’est ce que je ressens chaque fois qu'il apparaît. Il est mouvement et énergie. Il est fort et déterminé. Il est d’une beauté froide et distante, surnaturelle. Un être qui ressemble aux hommes mais qui a en lui une forme de minéralité qui l’en éloigne sans retour. Il appartient à ce monde plus intimement que moi.

Un visage blafard encadré de longs cheveux noirs flottant librement sur ses épaules. Un visage blafard mangé par deux puits obscurs et sans fond. Des yeux intenses et insondables qui s’attacheront aux miens. Un regard auquel je ne pourrai me soustraire. Son bras droit caché dans le dos, il placera sa main gauche sur la mienne dans l’ombre de la bouche de vérité. Il ne cessera pas de sourire. Une main monstrueusement déformée par le feu qui l’a brûlée. Il la maintiendra quelques secondes et rien ne se passera. Il secouera la tête, déçu que les dieux ne manifestent pas leur puissance.

Alors, il retirera sa main et laissera ses doigts longs et fins, glisser le long de ma gorge, entre mes seins puis descendre plus bas, toujours plus bas... Ce contact me révulse et pourtant je le désire chaque jour davantage. Sa main caressera le galbe de mon ventre, hésitera et s’immobilisera. Elle touchera légèrement le miroir de pierre qui orne la colonne soutenant le masque grimaçant. Puis accentuera sa pression.

Bientôt, la surface du miroir se creusera sous l’effet d’une étrange houle au sein de laquelle une image se formera peu à peu. Un joyau insolite brillant au sein d’un fleuve de feu. Un joyau d’une insoutenable et inhumaine beauté irradiant une lumière inconnue de ce monde. Un joyau qui subjugue et affole la raison. Je sens que l’inconnu pourrait tuer quiconque voudrait posséder ce joyau. Son joyau. Il s’écartera pour me présenter son bras droit. Un bras qui se termine en moignon. Il éclatera de rire, un rire amer, avant de s’éloigner lentement d’une démarche aérienne dont la fluidité n’a rien d’humaine.

Mais en ce froid matin gris qui annonce déjà l’hiver, sur le banc de l’autre côté de l’allée, il y a une silhouette allongée. Il a passé une nouvelle nuit ici. Il dort encore. Je le connais bien lui aussi. Un homme bourru et dépenaillé, un homme qui n’a plus la force de suivre les autres. Il est resté en arrière, seul et abandonné. Plus personne ne se retourne sur sa misère et sa solitude sauf quelques fois, des hommes en bleu qui lui parlent doucement. Mais lui ne veut rien entendre, ne veut plus rien entendre. Il est si fatigué. Si fatigué d’avoir lutté et perdu. Il perd pied. Il coule loin de la plage et du soleil, des châteaux de sable et des glaces à l’eau. Il coule et nul ne s’intéresse à lui. Quand il tend la main, tous s’écartent sans lui porter la moindre attention.

Il ne se réveille toujours pas. Les gardiens vont encore le surprendre et le raccompagner sans ménagement hors du jardin. Si, enfin, il se redresse et s’étire. Il paraît en meilleure forme ce matin. Une vigueur nouvelle. Son visage est calme et reposé. Il semble avoir déposé son fardeau. Il me sourit. C’est la première fois. Il se lève et s’approche de moi.

Il se tient droit et sa démarche est souple et déliée. Il me sourit toujours en se campant devant moi. Je le reconnais à peine. Son visage irradie une merveilleuse grâce et ses vêtements semblent briller d’une vive lumière intérieure. Il me fait un dernier signe de la main et se dirige vers la haute grille qui ferme encore l’entrée du jardin. Les barreaux de fer ne le retiennent pourtant pas. Je vois confusément sa silhouette remonter le boulevard au-delà puis je le perds de vue.

Mais sur le banc, un monceau de chiffons et de cartons dissimule toujours un corps désormais froid et inerte.

Je ne suis qu’une statue dans un jardin public mais ce que je vois, jamais ne le verrez!

Encore un jour sans amour
Encore un jour de ma vie
Le Luxembourg a vieilli
Est-ce que c'est lui?
Est-ce que c'est moi?
Je ne sais pas

Toute une vie pour ta vie
L'éternité pour un jour
Je donne tout pour un rien
Pour te revoir faire un détour
Par le jardin du Luxembourg




Si vous voulez me voir, je suis toujours ici.

M

Ce message a été lu 7491 fois
z653z  Ecrire à z653z

2008-11-10 14:45:14 

 Superbe descriptionDétails
... Au début (jusqu'à "Je suis née d’un désir de pierre", je n'ai vu aucun indice permettant de savoir ce qu'était la statue. C'est troublant :)

Evidemment, sur la statue, il y a un miroir !

PS : "C’est une jeune femme essoufflée d’avoir couru" -- "son tailleur élimé datent d’un autre temps" -- Ce présent me trouble au milieu d'une description au futur.

Ce message a été lu 6980 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-11-10 18:34:23 

 J'ai essuyé le miroir!Détails
C'est vrai que l'accord des temps est dans le contexte délicat. La statue parle d'un évènement qui va se produire mais qui en fait se répète.

J'ai donc essayé de reformuler les 2 phrases et j'en ai profité pour d'une part aérer quelques parties "massives" et d'autre part, apporter quelques petites corrections.

M

Ce message a été lu 6582 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-11-13 16:03:13 

 WA, exercice n°48, participationDétails
La main du Bouddha





Rewodechen avait toujours été son monastère préféré. Il n’avait pas la taille imposante de Drepung ni l’originalité de Ganden, construit tout en hauteur, mais sa silhouette sobre et massive avait toujours fait battre son coeur un peu plus fort. Et pourtant ce jour-là, alors qu’il avait déjà parcouru tout le chemin depuis le village et qu’il se réjouissait de revoir les moines qui au fil des années étaient devenus ses amis, il réalisa qu’il n’avait pas envie d’y entrer. C’était une belle journée, l’air était frais et pur, il se sentait bien. Certes il était encore vexé d’avoir dû rebrousser chemin bien avant le col de la Dromla, tandis que des dizaines de pèlerins, incontestablement plus âgés que lui, trottaient comme des lapins, déterminés à parcourir au moins une fois la khora... Cinquante-quatre kilomètres autour du mont Kailash, et le point le plus bas était à plus de 4500 mètres... Il avait déjà dû le faire une bonne dizaine de fois, et la dernière remontait à probablement cinq ans, guère plus. Mais les nausées, le vertige, la migraine et l’essoufflement lui avaient rappelé que pour un habitant de Chicago âgé de soixante-six ans et plutôt sédentaire (à l’exception de ces deux mois d’été passés à parcourir le Tibet, chaque année depuis quarante-six ans), l’altitude pouvait devenir un obstacle insurmontable. La montagne sacrée, au sommet inviolé, dôme isolé reposant sur une base parfaitement carrée, rocher impressionnant et nu à peine strié de neige, tutoyait de légers nuages duveteux entachant à peine le bleu implacable de son écrin infini. On la surnommait « l’axe du monde ». Et du haut de son immuabilité divine elle lui signifiait, sans passion et sans pitié, qu’il avait vieilli.
Il était redescendu lentement, comme un vieil homme, en cherchant son souffle, jusqu’à Darchen. Puis, comme on rend visite à un bon ami, il s’était accordé une pause de trois jours au bord du lac Yamdroktsho, qui n’était qu’à 4000 mètres ... Le lac-âme, aux eaux profondément turquoise, s’étirait entre des crêtes presque lunaires ; dans ce dépouillement vertigineux il avait un peu oublié son dépit. Il était sûr en repartant que revoir Rewodechen finirait de lui rendre son optimisme inébranlable.


Désemparé, il redescendit le chemin caillouteux jusqu’à Chongye, errant dans les rues du village sans intention et sans but. Devant une pauvre bicoque en bois il tomba en arrêt devant une statue de Bouddha, posée au soleil sur un banc. Le bois avait été sculpté finement et poli avec délicatesse, mais sans la moindre peinture. De la taille d’un homme plutôt petit et mince, le Bouddha était assis, dans la posture du lotus, les jambes croisées et les pieds nus reposant sur les cuisses. Il ne portait qu’un pagne, et la coiffe traditionnelle pointue, constituée non pas de perles comme le pensent les touristes américains – et Abner Woodraven avait été du nombre, des années auparavant -, mais d’une ribambelle d’escargots qui, selon la légende, avaient profité de l’immobilité prolongée de l’Eveillé pour élire domicile sur sa tête. Du visage, lisse et intemporel, se dégageait une impression de profonde sérénité ; les yeux, surmontés de longs sourcils obliques et fins, étaient clos. La bouche aux lèvres minces esquissait une ébauche de sourire, étrange, mystérieux même, évoquant à la fois l’innocence de l’enfant, la compassion de l’homme mûr et la bienveillance du vieillard. Bouddha méditait, et sa méditation l’emportait sur les ailes bleues de la paix.
Abner Woodraven se figea. La main droite était posée sur la cuisse, paume vers le ciel, le pouce parallèle aux autres doigts. La main gauche aurait dû soutenir la droite, les deux pouces opposés s’effleurant à peine, dans la position de dhyana-mudra. Au lieu de ça, le bras était légèrement écarté du corps, le coude fléchi, l’avant-bras parallèle à la cuisse gauche, le poignet un peu relevé, la paume tournée vers le sol, le pouce un peu plus bas que les autres doigts. Les doigts étaient presque tendus mais sans effort, comme posés sur l’air à trente centimètres du sol.
La statue était magnifique, d’une simplicité émouvante, d’une perfection technique absolue. Mais cette position de main gauche, cette mudra... n’existait pas, ne pouvait pas exister ! Abner les connaissait toutes, pouvait les reproduire, les dessiner, les appeler par leur nom et en donner la signification et le pouvoir présumé. Cette mudra n’existait pas ! Ou bien se pouvait-il...
Déconcerté, troublé, ému, excité, piqué au vif, il chercha autour de lui quelqu’un qui pourrait répondre à la question qui lui brûlait la gorge et lui taraudait le coeur. Dans la ruelle, un jeune garçon s’avançait, tirant un yak au bout d’une corde.
« Sais-tu qui habite ici ? »
Signe de tête.
« C’est ta maison ?
- La maison de grand-père. Tu es américain ? Grand-père dit que les américains sont amusants.
- Il est là, ton grand-père ? »
Signe de tête.
« Je peux le voir ? »
Signe de tête. Le garçon attacha le yak à un piquet et poussa la porte. Abner le suivit dans la pénombre claire jusqu’à une pièce où un homme âgé, assis à même le sol, méditait les yeux fermés. Il recula de quelques pas et demanda à voix basse :
« Il... va méditer longtemps ? »
Haussement d’épaules.
« Sais-tu où il a trouvé cette statue ? »
Signe de tête. Abner prit sur lui pour garder son calme.
« Qui a sculpté cette statue ?
- C’est grand-père.
- Il faut que je lui parle. Je peux attendre qu’il ait fini ? »
Le garçon montra la pièce d’un geste de la main. Abner Woodraven, professeur d’Histoire de l’Art à l’Université de Chicago, s’assit par terre, le dos contre un mur, à deux mètres du méditant. Il avait toujours été patient.


Ah le Tibet ! Cette passion absurde, envahissante, tenace, qui l’avait pris à vingt ans, en 1962 ; les évènements de 1959 avaient profondément touché sa naïveté d’adolescent. Sa première excursion, il la devait à une bourse d’études. Et depuis, chaque année sans un manque, il avait passé l’été à parcourir ce pays magique, le plus souvent à pied, le sac sur le dos comme un éternel étudiant. Il avait appris la langue, par respect pour ses habitants. Puis, par commodité et sans doute aussi par prudence, il avait appris le chinois. Il avait même fait inclure dans son contrat de mariage une clause spéciale stipulant que sa femme acceptait de le laisser partir chaque été ! A Chicago, sa bibliothèque croulait sous le poids des ouvrages consacrés à cette terre, à ses coutumes et à sa religion. Pourquoi ? Il n’en savait rien. Il était scientifiquement agnostique, mais il avait souvent remarqué que le hasard n’était que l’alibi des esprits bornés. La Vie faisait des signes, proposait des chemins, imposait des leçons. Parfois elle se moquait, testait le courage et la résistance. Parfois elle offrait des cadeaux somptueux, indépendamment de tout mérite. Cette attirance inconditionnelle trouverait sûrement un sens un jour ou l’autre. Il tenait de son père Henry, fermier dans l’Ohio, un bons sens terrien qui lui permettait d’apprécier chaque minute de ses séjours au Tibet sans y chercher un but. Comme à vingt ans, il allait toujours le nez au vent, n’écoutant que son instinct pour choisir ses itinéraires.


Le vieil homme méditait toujours, immobile comme sa statue. Abner soupira. Il connaissait la théorie par coeur. Il pouvait soutenir une joute oratoire avec les moines les plus érudits, sans céder un pouce de terrain. Le bouddhisme tibétain n’avait plus de secret pour lui. Il connaissait toutes les pratiques, tous les rituels, il n’ignorait aucune des subtilités des mantras, mudras et autres mandalas. Il pouvait discourir sur la méditation pendant des heures, sur sa signification, ses bienfaits, son influence sur le corps physique, le corps subtil, la circulation des énergies... Il n’avait jamais pratiqué. N’en avait jamais ressenti le besoin. Tout ceci, bien qu’éminemment respectable, était beaucoup trop irréel, dévolu à un monde étranger dont il savait ne pas faire partie.
La nuit tombait lentement au dehors. Le jeune garçon vint allumer une lampe dans la pièce sombre, et l’odeur âcre du beurre de yak l’envahit rapidement. Cherchant une position plus confortable, il s’assit en tailleur, le dos toujours contre le mur. Ses mains se posèrent sur ses genoux. La journée avait été longue. Il ferma les yeux. De vagues pensées l’effleurèrent. Changer d’autres dollars, pour qui sait ? acheter la statue... Téléphoner à sa fille, qui aurait trente ans dans deux jours, mais où trouver un téléphone ? Le Kailash, cruel et pourtant splendide, divinité de pierre protectrice et bienfaisante... La tolérance... La loi du moindre effort, liée au deuxième chakra... Etre sans défense...
Une lumière bleue intense, le ciel autour du Kailash, non, mieux encore... Un bleu tellement beau, tellement aimant... et une petite boule d’or, vivante, vibrante, une énergie pure, joyeuse, libre... Il n’avait plus de corps, il n’était plus que cette joie, et cette lumière... Un miaulement doux le fit sursauter, brisant net la vision merveilleuse. Un chat blanc et roux se glissa dans la pièce, marcha d’un pas assuré vers le vieil homme, sans un regard pour Abner. Il frotta sa tête contre la cuisse gauche du méditant. Et alors, étrangement, la main se leva, et se posa lentement sur le dos de l’animal. Le bras écarté du corps, le coude fléchi, l’avant-bras parallèle à la cuisse, le poignet un peu relevé, la paume vers le sol et les doigts presque tendus... Abner étouffa un cri. Au même moment, le vieil homme ouvrit les yeux et lui sourit.
« Bienvenue chez moi, voyageur. En quoi puis-je t’être utile ? »
Abner aurait voulu répondre, il le devait, il avait toujours été poli, et son langage facile et pertinent était sa force et sa richesse. Et voilà qu’il ne pouvait même pas articuler un son, il gardait les yeux écarquillés comme le plus incapable des idiots, et un sourire niais s’affichait sur son visage...
« Samdhong », prononça le vieil homme d’une voix claire, « apporte-nous à manger et à boire. Le voyageur reste chez nous. Cela fait bien longtemps que je n’ai pas eu d’élève », reprit-il pour Abner, « et je pense que tu seras le dernier. Je t’ai attendu longtemps, je suis content que tu aies enfin trouvé le chemin. »
Rester. Pas des vacances, autre chose. Un autre chemin. Une autre voie. Impérative, urgente, indispensable. Abner se mit à rire. C’était tellement évident. Tellement simple.
Narwa Roquen, qui a beaucoup voyagé... sur la toile...

Ce message a été lu 6657 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-11-14 17:13:53 

 Commentaire Maedhros, exercice n°48Détails
Bien sûr on pourrait te reprocher de t’être laissé inspirer par la statue de Blanchard plus que de l’avoir décrite stricto sensu. Mais devant une telle inspiration poétique, ce serait franchement mal venu. Tu planes, en ce moment. Tu survoles les WA tel un aigle royal, pour notre plus grand bonheur. Ce texte est tout simplement magnifique. On y retrouve l’innocence joyeuse de la jeune fille qui défie la bouche magique avec une insolence mutine, et l’éternel débat, grave et tragique, autour de l’immortalité – et donc du temps qui passe.
La progression du texte est intéressante, du réel au réel en passant par les souvenirs plus lointains et plus proches, et bien sûr, la petite touche Maedhrosienne autour du miroir... Le passage sur les fantômes est tout à fait bien trouvé. Les chansons qui encadrent le texte sont très évocatrices, du néoréalisme grinçant de Dutronc à la douce nostalgie de Dassin (toute ma jeunesse...).
Chaque nouveau paragraphe amène une touche complémentaire, un regard différent sur l’être de marbre qui, figée dans sa posture éternellement jeune, reste néanmoins sensible au monde qui l’entoure, et vibre au malheur des hommes avec une empathie surhumaine. Tu ne décris pas la statue de l’extérieur, mais plutôt de l’intérieur, et ce texte lui ressemble de façon troublante : doux, gracieux, tendre, sensuel, détaché et pourtant frémissant... La vie et la mort se croisent autour d’elle dans un ballet sans fin, l’une et l’autre se répondant dans un jeu de miroirs où l’on ne sait plus qui est le reflet de l’autre...

Trois petites broutilles à corriger pour ne pas ternir l’éclat de ce bijou :
- « les travailleurs... qui fixent... leur café fumant tourner... » : le sens est clair, mais la concision froisse la syntaxe.
- « que les anciens dieux... feraient fondre ma prison de pierre et me donner... » : « me donneraient », je suppose.
- « Mais mon visiteur... », « Mais en ce froid matin... », « Mais sur le banc... » : je ne laisserais que le premier. Les autres ne sont pas indispensables.


Ah que de talent ! Et que de cordes à ton arc... Et que d’acuité dans tes traits... La nature elfique, sans doute...
Narwa Roquen, clap clap clap clap....

Ce message a été lu 6654 fois
z653z  Ecrire à z653z

2008-11-14 22:36:37 

 petite penséeDétails
"Narwa Roquen, qui a beaucoup voyagé... sur la toile..."
Une voyageuse immobile en somme.

Je suis quand même surpris qu'après avoir autant et si longtemps étudié, il n'ait jamais pratiqué la méditation.

Un texte qui coule comme une petite rivière avec un petit courant entrainant :)

Ce message a été lu 7215 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-11-16 18:24:34 

 Le lac des esprits...Détails
Une démarche initiatique qui s’enroule sur elle-même comme la Khora autour du mont sacré. De façon tout à fait béotienne, n’étant pas rompu aux secrets de l’enseignement bouddhique, je resterai sur cette impression de complétude qui se dégage de cette histoire simple et profonde.

D’abord, la lente et majestueuse description des lieux, qui sont empreints d’une forme de magie ancienne. Des paysages exigeants où rien ne détourne l’esprit de son élévation, de son illumination, de son éveil. Tout est bien plus bas, bien plus loin derrière et même respirer demande une accoutumance douloureuse pour les habitants des niveaux inférieurs.

Le vieil américain a déjà parcouru autour du quadrilatère presque suffisamment de kilomètres pour s’assurer un karma favorable pour les vies qui l’attendent encore. Il a une vie derrière lui une vie bourgeoise à laquelle visiblement rien ne le rattache, ni femme ni enfant, encore moins les valeurs. Tu le présentes comme un libre penseur mais son nom résonne des exploits du légendaire David dont il fut le général. Il y a chez lui une force qui le pousse à revenir chaque année, un peu comme ces poissons qui reviennent là où ils ont été conçus. Il est attiré par ces hauts plateaux peut-être à cause d'une idée romantique de son adolescence mais sans aucun doute par autre chose, de plus intime, de moins évident. Cette fascination académique pour cette culture et cette religion repose sur un pilier plus profond, plus vertical. Et venant d’un monde situé aux antipodes, à tous les sens du terme, son pèlerinage fut long et incertain. Tant de choses à abandonner sur les flancs de la montagne qu’il lui a fallu de nombreuses années avant d’être prêt à accueillir le dernier message. Celui du sage qui a sculpté ce Bouddha bleu. Ce Bouddha qui fait un geste intempestif, ce geste qui a suffisamment surpris le vieil américain pour qu’il tente d’en savoir plus. Et là, il découvre la pratique de shiné, durant laquelle il se détache de toutes les émotions qui l’assaillent sans arrêt, les laissant s’écouler librement. Il y a aussi ce chat, ce chat qui semble avoir été pardonné par le Bouddha Bleu, pardonné d’avoir croqué le rat...

Comme l’a dit z635z, une histoire qui cascade clairement comme un torrent tibétain, une jolie histoire aux belles qualités. On a envie de s’asseoir aussi à côté du vieux sage pour écouter les paroles apaisantes tisser une mélodie intérieure insoupçonnée et remettre un peu de sens dans le monde qui tangue dangereusement! J’irai planter mes drapeaux de prières où seront inscrits les mantras d’un elfe qui n’a pas trouvé la route qui le ramènera chez lui...

M

Ce message a été lu 7106 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-12-15 16:12:01 

 Exercice 48 : Narwa => CommentaireDétails
Une histoire courte et calme qui nous emmène nous promener dans la montagne.
Manqueraient des parfums, peut-être ou des chants d’oiseaux, ou de la mousse toute douce sur les pierres, des indications sensorielles pour rendre compte pleinement de la beauté, de l’ambiance de tes paysages.
Les détails culturels sont pittoresque, notamment le passage sur les escargots.
L’introduction du personnage est assez longue, son identité arrivant tard, et cela m’a un peu perturbée. J’ai trouvé qu’il y avait aussi par moments un peu trop d’adjectifs dans les descriptions.
Les pensées du vieil homme sont bien rendues, qui errent tandis qu’il attend. On devine qu’il va apprendre à méditer et trouver sa voie suite à ce signe du destin que constitue la statue. Le vieux sage m’a l’air bien sympathique.
Un texte frais, une jolie petite parenthèse dans l’agitation occidentale. Un joli titre aussi.

Est', en pleine lecture.

Ce message a été lu 6699 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-12-15 16:43:40 

 Exercice 48 : Maedhros => CommentaireDétails
Joli titre, qui attire l’attention. Et pour une fois, je comprends ce que ça veut dire, même si je ne saisis pas la référence (j’ai cherché ensuite et mon ami Google m’a donné une image romaine).
Les métaphores sont un tantinet trop baroques à mon goût au début mais la suite est parfaite.
Le passage sur l’ombre de la statue est poétique. Très beau aussi le passage sur la sculpture avec l’évocation amoureuse du sculpteur. Les images, belles et mélancoliques, se succèdent dans ton texte, avec la jeune femme pendant la guerre, la surréaliste apparition de l’homme brûlé (qui est-ce ?), le passage sur le SDF, dont on devine qu’il est mort avant que tu ne le dises.
Il manque, à mon avis, une description plus précise de la statue car quand tu mentionnes pour la première fois le miroir, on ne se représente pas bien l’ensemble.
La fin m’a laissé un goût de trop peu ! Tout cela était si joli et reposant, si bien écrit, et en même temps original.
J’aime vraiment ce texte.

Est', en pleine lecture.

Ce message a été lu 7224 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-12-15 19:56:49 

 Miroir... mon beau miroir!Détails
Je pensais au contraire que l'évocation du personnage à la main brûlée aurait été parlante.

Alors, Est', si je te dis que cet énigmatique personnage est un Elfe, un seigneur Elfe... un grand seigneur Elfe... un Noldor? Cela te met sur la voie?

Si je rajoute qu'à la suite de son serment, quand tout fut fini, il s'est brûlé en voulant tenir une des trois gemmes façonnées par son père, après l'avoir dérobée une ultime fois...

et que fou de douleur, il se précipita avec la pierre dans un fleuve de lave...

C'est... c'est...

Maedhros bien sûr!

Ah, miroir, quand tu nous tiens!

M

Ce message a été lu 6585 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-12-16 13:23:34 

 Mais j'ai pas lu le Silmarilion !!! Bouh snif !Détails
Il m'est tombé des mains à deux reprises, une fois à la page 11 et une fois à la 15. Alors, bon, je connais vaguement l'histoire mais de là à reconnaitre les allusions... Complètement sorry.
Enfin, merci pour ces éclairages.

Est', oups !

Ce message a été lu 6970 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2008-12-16 15:58:29 

 SilmarillionDétails
Merci à toi surtout pour lire avec attention et régularité toutes mes élucubrations!

Je pense que j'appartiens à la secte des lecteurs irréductibles du Silmarillion que je prise bien plus que le SDA, c'est dire!

Depuis que je l'ai dévoré pour la 1ère fois (il y a longtemps), je crois n'avoir jamais bouclé une année sans en avoir parcouru des parties + ou - longues.

Sans oublier les autres livres des contes perdus!


M

Ce message a été lu 6896 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-12-18 19:22:13 

 Mais c'est moi...Détails
... qui te remercie de me donner à lire tant d'histoires intéressantes et de qualité. C'est toujours un réel plaisir et j'aimerais pouvoir consacrer plus de temps à écrire des critiques plus détaillées.

Oh mais je le retenterai le Silmarilion car j'aime beaucoup Bilbo et le SDA. Et je suis curieuse des origines des elfes, de la nature des istari, de la généalogie d'Elrond...

Est', bientôt en vacances.

Ce message a été lu 6820 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-12-18 23:23:36 

 ... un trésor est caché dedans!Détails
Il est sûrement moins facile à lire que le SDA, tant il est condensé, tant il fourmille de personnages... Mais il donne le vertige, quand on réalise que le SDA n'est qu'une toute petite partie de l'oeuvre de Tolkien, et qu'il avait sous le coude des centaines d'histoires, toutes structurées, toutes reliées entre elles, et dont on a un aperçu dans le Silmarillion. Ah s'il avait eu le temps d'en développer quelques unes de plus! Pour ma part, je le relis régulièrement ( par passages), quand je cherche de la doc pour Narwa Roquen. C'est une mine inépuisable! Mais souvent on ne connaît pas tout de la vie des personnages, et on reste sur notre faim... Ceci dit, moi ça m'arrange, je peux broder autour...
Narwa Roquen,brodeuse d'histoires...

Ce message a été lu 6971 fois


Forum basé sur le Dalai Forum v1.03. Modifié et adapté par Fladnag


Page générée en 599 ms - 359 connectés dont 2 robots
2000-2024 © Cercledefaeries