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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Vendredi 25 septembre 2009 à 17:03:09
LE TRESOR DU ROY





Ah qu’il me tarde d’arriver à Beltor ! Kayel est insupportable. Une porte de prison est plus gaie ! Nous sommes censés être égaux, mais il se comporte comme s’il était mon père, et encore, mon père est plus aimable ! Hier, il m’a privé d’un joli combat contre une dizaine de Ménoriens qui avaient eu la mauvaise idée de nous suivre, trouvant le prétexte que cela nous retarderait ! Au lieu de les attendre et de me laisser triompher facilement de cette bande de paysans grossiers, il a pressé son cheval et nous a entraînés dans un dédale de ruisseaux marécageux où ils ont perdu notre piste, certes, mais où nous avons failli vingt fois nous noyer ! Et ensuite, il a accepté que nous mangions un morceau sur le pouce dans une auberge, le temps que nos chevaux s’abreuvent et se restaurent, mais il ne m’a pas laissé finir mon vin ! Evidemment, il ne boit pas. Mon père m’a toujours dit de me méfier des hommes trop sobres. C’est parmi eux que se trouvent les traîtres et les espions, tous ceux qui redoutent de trop parler sous l’effet de l’alcool. Oh je ne dis pas que Kayel soit un espion, mais il a probablement des choses à cacher. Je n’ai jamais eu de compagnon de route si peu loquace. Il parle plus à son cheval qu’à moi ! Il monte un de ces horribles petits chevaux des Marches, hirsute, trapu, un cheval de bât – ou de manant. Près de mon Soleil qui est issu du prestigieux élevage de Nanpan, on dirait une mule ! Heureusement il est vif et endurant, il ne me ralentit pas. Chose étrange, même après une journée de voyage, son poil est sec alors que Soleil est souvent blanc d’écume. Il doit vraiment être croisé avec un âne ! C’est sans doute tout ce que ses parents ont pu offrir à Kayel, et encore, ils ont dû vendre leur ferme pour ça, si on compte le prix d’un uniforme de Chevalier et celui d’une épée. Enfin, d’une épée ! Cette ridicule longue aiguille qu’il porte à son flanc gauche ne mérite guère le nom d’épée ! Ce pourrait, à la rigueur, être une arme de femme ! Mais il faut dire que Kayel lui-même n’est pas bien épais, il n’a pas dû manger à sa faim tous les jours, je le ferais tomber d’un coup d’épaule ! Pourtant Trisserk le Maître d’armes ne tarit pas d’éloges sur lui. Je l’ai vu une fois à l’entraînement, son style est loin d’être viril. Il est tout en feintes et en esquives, on dirait un saltimbanque, un danseur de corde ! Certes ce jour-là il a désarmé Trisserk, mais c’était un coup de chance, parfois le Maître est fatigué, il prend de l’âge.


Demain nous arriverons au château de Beltor, et la première partie de notre mission sera accomplie. Pour l’instant tout s’est bien passé. Hier nous avons été pris en chasse par une troupe de Ménoriens, mais nous avons réussi à les semer dans les marais de Nabou. Nous avons pu galoper là où d’autres risqueraient leur vie, je connais bien les passes. Rolf ne m’a pas écouté quand je lui ai dit de me suivre au plus près ; il est toujours impatient et imbu de sa personne. Mais les marais ne tolèrent aucune erreur, et après que son cheval ait failli s’enliser deux fois, il a été plus raisonnable et nous avons avancé plus vite. Le pauvre Soleil a failli rendre l’âme tant il était essoufflé, mais, la Lumière soit louée, il est jeune, il récupère vite. Je ne sais pas comment dire à Rolf qu’il épuise son cheval à lui tirer sur la bouche en permanence. Son orgueil démesuré lui ferait prendre la mouche. Rolf considère que la noblesse de sa famille lui confère un savoir inné et que seuls les rustres des Provinces doivent suer pour apprendre. Il rêve de combats acharnés pour en retirer gloire et honneur, lui qui s’est plus sali dans les intrigues de la Cour que dans la poussière des champs de bataille. Il ne sait pas encore que la guerre ne porte que sang, souffrance et deuil. Puisse la Lumière lui épargner de devoir jamais changer d’avis. Hélas ! Le Roy Sardos n’a jamais été pacifiste. Plutôt que de négocier avec les Ménoriens, à propos du passage sur le fleuve Gonett, il s’apprête à leur livrer une guerre sans merci, qui lui permettra d’annexer la Ménorie et ses mines de diamant. Les Ménoriens, braves mais naïfs, ont multiplié les incidents de frontière, et Sardos pourra déclarer au Conseil des Nations qu’il a agi en état de légitime défense. Ainsi en toute impunité pourra-t-il mettre à genoux un petit Etat jusque là indépendant.
Notre mission est de ramener de Beltor un trésor précieux dont le Roy lui-même nous a confié qu’il lui était indispensable pour gagner la guerre. Je ne me suis pas porté volontaire, contrairement à Rolf, mais Trisserk m’a chaudement recommandé. Qui sait, j’arriverai peut-être, comme je l’ai fait hier, à empêcher Rolf de trucider quelques Ménoriens pour le seul plaisir de tremper sa lourde épée incrustée de saphirs dans le sang d’hommes qui ne font comme nous que servir leur pays, et qui en d’autres temps pourraient être nos frères.



Le plus grand des deux, le blond, a failli s’étrangler quand le capitaine Dyan, Commandant du fort de Beltor, leur a révélé le contenu de leur mission.
« C’est Dame Everia qui est dépositaire du trésor du Roy Sardos. Vous l’escorterez donc jusqu’à Fenlock, en voyageant le plus vite possible. Au même moment, nous ferons partir de Beltor un convoi lourdement chargé de sable, et escorté de vingt soldats en uniforme d’apparat. Un groupe de trois Chevaliers partira dans une autre direction, et l’un d’entre eux sera déguisé en femme. Vous n’aurez ainsi qu’une chance sur trois d’être attaqués, et fasse la Lumière que cela ne vous incombe point ! »
L’autre, le brun, qui est plus âgé, plus mince et plus souple, n’a rien manifesté. Il s’est incliné respectueusement devant moi. C’est un homme fait, et le Don m’a fait entrevoir chez lui beaucoup de souffrances passées, une droiture sans faille et une intelligence peu commune. Pourquoi n’est-il encore que simple Chevalier ? Je le soupçonne de ne pas briguer les honneurs, et à la Cour du Roy, d’après ma pauvre mère, l’ambition et la complaisance pèsent plus que la bravoure.




Une femme ! Ils nous font escorter une femme ! J’ai eu peine à le croire ! Certes, elle est bien faite et je lui tiendrais volontiers la main si elle avait peur du noir... Mais si c’est la future épouse du Roy, il vaut mieux ne pas m’y risquer. En quoi cette belle pouliche peut-elle nous faire gagner la guerre ? Baste, si c’est la volonté du Roy...


J’aime mieux donner ma vie pour protéger une Dame que pour convoyer deux cents sacs d’or. Elle a les traits purs d’un haut lignage mais son regard vert n’est pas hautain. Elle nous a scrutés comme si elle voulait connaître chacune de nos pensées. Sans doute a-t-elle un Don. Je trouve bien légitime qu’elle ne confie pas sa vie sans méfiance à deux étrangers, fussent-ils Chevaliers du Roy. L’habit d’homme lui va bien. Elle semble souple et musclée, et c’est une excellente cavalière. Avec ses cheveux noirs relevés sous le feutre à plume des Chevaliers, on dirait un adolescent. A cheval, cela peut faire illusion, mais quand elle marche personne ne peut la prendre pour un homme. Il nous faudra éviter les auberges. J’ai fait remplir nos fontes de vivres et d’eau, au grand désespoir de Rolf à qui le vin va sûrement manquer. Mais nous ne sommes pas loin de la frontière, et comme tous les Etats de petite taille, la Ménorie compte plus d’espions que de guerriers. Il est probable que notre mission ne soit plus un secret pour eux, même s’ils ne peuvent pas en savoir plus que Rolf et moi, donc finalement pas grand chose.
Dame Everia monte un entier noir, une boule de muscles au poil brillant comme la soie, qu’elle mène avec une grande délicatesse et qui semble dressé à la perfection. Avant de partir, j’ai frotté la robe splendide avec la poussière de la cour du château.
« Votre cheval a l’air un peu trop noble pour celui d’un simple Chevalier, ma Dame. Je crains qu’il n’attire l’attention de nos ennemis. »
Son regard vert s’est allumé, et elle a souri avec reconnaissance.
« Vous avez parfaitement raison, Chevalier Kayel. Je n’ai guère l’habitude des ruses et des dissimulations, et je vous sais gré du soin que vous prenez à garantir ma sécurité. »
Si j’avais encore un coeur, elle l’aurait troublé.


Il avait été décidé que le faux convoi prendrait la route directe pour Fenlock, tandis que nous longerions le fleuve Gonett, qui servait de frontière avec la Ménorie, avant d’obliquer vers le sud. Dame Everia avait elle-même concocté ce plan astucieux, prouvant par là qu’une femme peut être à la fois belle et intelligente, ce qui m’a d’ailleurs toujours paru suspect. Quant à moi, ce n’est guère le genre de qualité que je recherche chez une donzelle, mais si cela plaît au Roy, charbonnier est maître chez lui. Je reconnais cependant que c’était sûrement l’endroit où les Ménoriens nous chercheraient le moins, car comment auraient-ils pu imaginer que nous irions de notre plein gré nous jeter dans la gueule du loup ?
Nous chevauchions de front depuis deux bonnes heures quand à l’orée d’un bois que traversait la route, Dame Everia nous fit signe de nous arrêter.
« Ils sont là, devant nous. C’est un piège.
- Mais... »
Elle me foudroya du regard, ses yeux clairs étincelant d’un feu qui me fit froid dans le dos. Si en plus elle était sorcière, ce n’était vraiment pas une femme pour moi.
« Je le sais, c’est tout. Nous avons été trahis. Nous allons contourner le bois par le champ de blé, au pas. J’atténuerai le son par un sortilège. Dès que nous aurons rejoint la route, triple galop ! »
Je n’osai point en demander davantage. Et Kayel restait silencieux comme à son habitude.
C’était vraiment étrange de traverser ce champ dans le plus grand silence. On aurait dit que nous marchions sur un épais tapis qui absorbait tous les bruits... Dame Everia semblait très concentrée et ses lèvres muettes mimaient les paroles d’une incantation que je me serais bien gardé d’interrompre...


Dame Everia m’a surpris par son courage et sa détermination. Je me doutais qu’elle possédait le Don. Cette profondeur de regard, ce front haut, cette voix claire et pourtant frémissante comme un souffle de vent dans les trembles m’ont rappelé ma tante Senara, qui pouvait voir l’avenir. Everia me semble être beaucoup plus puissante. Quel dommage qu’elle ait accepté d’aider Sardos contre les Ménoriens ! Mais il ne m’appartient pas de la juger, seulement de la protéger.
Son stratagème a été efficace. Nous avons lancé nos chevaux au galop et le vent d’est nous a porté les cris de dépit de nos ennemis déçus.
Malheureusement, moins d’une lieue plus loin, - était-elle fatiguée, avait-elle baissé sa garde ? - au détour d’une courbe, nous les avons vus, descendant d’un petit tertre arboré, se précipiter sur nous sabre au clair. Ils étaient cinq. J’ai demandé à Dame Everia de rester derrière nous, et avant qu’ils ne nous rejoignent, une flèche de mon arc en avait foudroyé un. J’ai sauté à terre pour épargner Veda, et parce que mon fleuret, s’il est plus agile que leurs lourdes épées, ne peut pas encaisser un affrontement direct. J’ai fait tomber le premier cavalier et en regardant alentour pour jauger la situation, j’ai vu Rolf entraîner deux Ménoriens loin de notre Dame, et le quatrième s’effondrer, un stylet fiché en pleine gorge. Par la Lumière, elle savait se battre ! Mon adversaire était descendu de cheval pour m’affronter, car sa monture refusait de marcher sur moi, probablement ensorcelée. L’homme qui me faisait face était puissant, et en esquivant ses coups mortels je cherchais la faille où enfoncer ma lame, quand je le vis se figer, pâlir, et s’effondrer sans que je l’aie touché.
« Allez aider Rolf, messire Kayel. J’ai besoin de converser avec notre prisonnier. »
Elle était lumineuse comme une aurore d’été, et son visage grave m’évoquait celui d’Adris, la déesse de la Justice et de la Compassion. Alors je sus que rien en elle ne pourrait me décevoir, et que ma pauvre vie avait à nouveau un sens.



C’est quand ses yeux se sont posés sur moi que j’ai su ce que je devais faire. Personne ne m’avait jamais regardée ainsi, avec tant de confiance, avec tant de don ; ni ma mère, absente près de moi pendant toutes ces années d’exil volontaire où la mélancolie lui tenait lieu d’amant ; ni mon père, vague souvenir de barbe rêche et de voix tonitruante, toujours trop occupé par ses affaires d’Etat. Je ne sais pas pourquoi j’ai accepté de revenir à Fenlock. Ma mère avait enfin trouvé son éternel repos et Beltor m’offrait une vie paisible, consacrée à la prière et à l’Aide. Qu’espérais-je ? Qu’à me montrer bonne fille je recevrais tout ce qui m’avait manqué, quelqu’un qui m’aime comme je suis ? Mais Sardos n’a pas changé. Ce qui l’intéresse, c’est mon pouvoir, et je n’aime ni la guerre ni la mort des innocents. Le pouvoir de faire le bien est ma seule raison d’exister. J’ai bien senti que Kayel n’approuvait pas ce choix. Et malgré tout il m’a respectée, il m’a regardée comme si je pouvais sauver le monde, et sans le savoir il m’a donné de nouvelles forces. Par la Lumière, tel est mon serment, cette guerre n’aura pas lieu.


Je ne comprends rien à cette affaire. Voilà que Dame Everia, après avoir longuement discuté avec le Ménorien qu’elle a épargné, m’envoie à Fenlock annoncer au Roy Sardos qu’elle est prisonnière, que les Ménoriens réclament une rançon de vingt mille pièces d’or, qu’il doit venir seul aux guides du chariot, que sa vie en dépend. Comme j’ouvrais des yeux hébétés et que j’hésitais, elle a posé sa main sur mon bras.
« C’est pour le bien du Royaume, messire Rolf. Vous serez l’artisan de la paix, et dans les chaumières à la veillée, des milliers d’hommes et de femmes prononceront votre nom avec respect et reconnaissance. »
La Lumière m’est témoin que je redoute les sorcières, mais j’ai été envahi d’une douce chaleur, d’un sentiment de plénitude et de joie au regard duquel mes meilleures nuits d’amour ne sont que fadeur et platitude. Bienheureuse Everia ! Cette femme est l’incarnation d’une déesse, et je donnerais ma vie pour sa bénédiction.



« Je vous sens mal à l’aise, messire Kayel. Est-ce mon mensonge qui vous dérange ? Vous savez que je ne veux que la paix.
- Ma Dame... Je suis Chevalier du Roy. Je suis censé le servir et l’honorer en toute chose. Néanmoins...
- Néanmoins vous pensez que non seulement il ne sortira pas un sol de ses caisses royales, mais qu’il viendra suivi de ses troupes les plus farouches, non point pour me défendre mais pour guerroyer de la manière la plus brutale et la plus sanguinaire, quel que soit le sort qui puisse m’échoir ?
- Ma Dame... vous m’êtes trop précieuse pour que je puisse vous mentir. »
Un pâle sourire a frôlé ses lèvres délicates.
« Je sais tout cela, Chevalier. Je l’ai Vu. »
Sa main s’appuya fortement sur mon épaule, comme si malgré tous ses pouvoirs elle cherchait un peu de réconfort.
« Merci, Kayel. Une rude partie nous attend, et ton aide me sera précieuse. »


Notre prisonnier s’appelait Devan. Il était capitaine de la Garde Ménorienne, et c’était un honnête homme. Nous parlâmes d’égal à égale, et je fus rapidement persuadée de sa bonne foi. Quand je lui exposai mon plan pour négocier avec Sardos, il éclata d’un rire franc.
« Sauf votre respect, ma Dame, vous êtes une rouée ! Je ne sais quel Dieu m’a mis sur votre route, mais par la Lumière, je ne donnerais ma place pour rien au monde. Et sachez que, quoique le sort nous réserve, je risquerai ma vie pour que vous restiez saine et sauve. »
C’était un homme honnête et d’une efficacité remarquable. Trois heures après qu’il nous ait quittés, il amenait avec lui les trois Prélats de Ménorie, inquiets et méfiants malgré leur escorte de cinquante cavaliers, mais que j’eus vite fait de convaincre de la probité de mes intentions.
Ils montèrent quelques tentes au bord du fleuve, et nous attendîmes ensemble, autour d’un repas chaud qui je l’avoue effaça un peu la fatigue du jour. Kayel, debout derrière moi, s’alimenta à peine. Je sentais son regard scruter les alentours, guettant une improbable attaque, et revenir enfin se poser sur ma chevelure, chaude aura de protection et d’amour, source vibrante où je puisais mes sourires, ma sérénité et mes pouvoirs renouvelés.


Nous avions au moins cinq jours d’attente, si Sardos se hâtait, mais un chariot ne peut rouler aussi vite que ne se déplace un cavalier. Everia discutait beaucoup avec les Ménoriens, elle gagnait leur confiance de manière chaleureuse et loyale, et je les entendais rire souvent, comme de bons compagnons. Je n’ai jamais été doué pour la parole. Le silence et l’action me conviennent mieux. Aussi étais-je toujours à quelques mètres d’elle, la protégeant d’un éventuel danger, tout en sachant pertinemment qu’elle avait assez de pouvoir et de sang-froid pour se défendre seule. La nuit, je montais la garde devant sa tente. Le jour, je me postais derrière elle, heureux d’être l’ombre de sa lumière. Chaque soir, avant de dormir, elle passait un moment avec moi, ne manquant jamais de me remercier pour le soin que je prenais d’elle, m’incitant toujours à dormir un peu puisque les Ménoriens gardaient le camp et qu’elle leur était devenue précieuse.
Le cinquième soir de notre attente, je la sentis un peu tendue.
« Vous êtes fatiguée, ma Dame. Allez vous reposer. Si Sardos arrive demain, il vous faudra être fraîche et dispose.
- Sardos arrive, mon bon Kayel. Et demain sera un jour mémorable à plus d’un titre. Puis-je compter sur ton soutien ?
- Vous qui Voyez, vous le savez bien.
- Accepteras-tu tout ce que je te demanderai, même si cela te coûte ?
- Ma vie vous appartient. Je n’ai d’autre ambition que de vous servir.
- Alors tu devrais dormir un peu, car demain sera riche en surprises... »


J’avais pu me joindre aux soldats que menait le Roy Sardos. Pour tout dire, comme je connaissais le chemin, c’est moi qui conduisais le chariot de la rançon, et trois mille hommes en armes me suivaient. Moi si impulsif, un étrange calme m’habitait. Je n’avais pas cillé en apprenant que le coffre en bois précieux ne renfermait que des pierres au lieu des vingt mille pièces d’or. Rien manifesté non plus quand je vis une armée se préparer au départ, alors que le Roy devait venir seul. Ce souverain que j’avais admiré, à qui j’avais juré fidélité et obéissance, me semblait tout à coup un être corrompu et méprisable. La vie d’une femme était en jeu, et quelle femme ! Et lui ne se préoccupait que de sauvegarder son or et de tendre un piège aux Ménoriens, dût-elle en mourir.
A trois lieues de l’endroit du rendez-vous, le Roy prit ma place sur le chariot, et l’armée resta en retrait. J’avais eu tout le temps de réfléchir pendant ces trois jours de voyage, aussi indiquai-je au Roy le chemin le plus long. Et ayant retrouvé Soleil, il me fut facile de m’esquiver par un raccourci et de rejoindre notre destination une bonne heure avant les autres.
Dame Everia, me voyant arriver seul, m’accueillit avec un large sourire. Mais j’étais en alarme et à peine avais-je sauté à terre que je m’écriai :
« Fuyez ! Le Roy arrive avec trois mille hommes ! Il ne charrie que des pierres au lieu de la rançon ! Par pitié, fu...
- Rolf, mon cher Rolf... Vous êtes un jeune homme intrépide et vaillant, et vous vous êtes acquitté de votre mission au-delà de toutes mes espérances. Je Sais tout cela. J’avais espéré, je l’avoue, que le Roy Sardos changerait avec l’âge... Allez vous restaurer, mon ami, et revenez près de moi. Avant la fin du jour, votre loyauté à mon égard sera récompensée. »
A mon premier verre de vin, je me disais que j’avais prouvé que j’étais un honnête homme, que la reconnaissance de Dame Everia m’était douce comme le miel et que je pouvais être fier de moi.
A mon deuxième verre, je me dis que je n’étais qu’un fou, que le Roy allait tous nous massacrer et que j’étais stupide d’avoir compromis ma vie et ma carrière pour une femme que je ne toucherais jamais.
A mon troisième verre, je me prenais à rêver d’un monde où la guerre ne sévirait plus, ou seulement pour de justes causes, où le sourire de Dame Everia illuminerait chaque matin, où il n’y aurait plus de basses intrigues ni de compromis douteux...


Sardos arriva seul, aux guides d’un chariot découvert tiré par deux chevaux bais, et portant un coffre en bois précieux. Quand il eut tiré sur les rênes pour s’arrêter, il descendit à terre péniblement, comme un vieil homme harassé par un long voyage. Dame Everia avait revêtu une longue robe blanche, un diadème d’or retenait ses cheveux de jais, et à son cou brillait un unique diamant de la plus belle eau, offert par les Prélats ; dame Everia radieuse, immense, éblouissante, se dirigea vers lui et l’harangua d’une voix forte.
« Ah, mon père ! Que je suis heureuse de vous voir ! Que je vous suis reconnaissante d’avoir sacrifié votre fortune et donné de votre personne pour sauver la vie d’une fille que vous avez si peu connue ! Quoique ma mère vous ait abandonné alors que je n’étais qu’une enfant en bas âge, vous avez gardé intact et fort tout l’amour que vous me portiez ! Que la Lumière vous bénisse, mon père, pour votre bonté et votre courage ! »
Tandis qu’elle parlait, Sardos regardait fréquemment par dessus son épaule, et nous vîmes apparaître, au sortir de la forêt, les premiers soldats de son immense armée. Mais chose curieuse, à peine les avions-nous vus que les chevaux se cabrèrent, refusant d’avancer davantage, comme en proie à une terreur intense, malgré les coups d’éperons répétés de leurs cavaliers. Si bien qu’en désespoir de cause, ceux-ci s’immobilisèrent et attendirent, les yeux braqués sur nous.
Sardos s’avança vers sa fille, un sourire benoît aux lèvres, les bras ouverts. Espérait-il encore qu’elle serait dupe ?
Le sourire disparut du visage de ma Dame et elle parla alors aux soldats figés sur place.
« Hommes de Fenlock, guerriers d’Arganz, voyez ! Votre Roy, mon père, veut combattre la Ménorie pour prendre possession de ses mines de diamant. J’ai menti, je l’avoue : je n’ai jamais été prisonnière. Je voulais amener le Roy à négocier une paix honorable avec les Ménoriens, pour épargner leur sang et le vôtre. Et je voulais savoir s’il m’aimait, ou s’il ne m’avait appelée à Fenlock que dans son seul intérêt, pour que mes Dons l’aident à vaincre plus facilement. Vous connaissez tous la réponse ! Avez-vous envie de mourir pour un homme qui est prêt à sacrifier sa propre fille pour accroître sa richesse ? La plupart d’entre vous ont charge de famille. Pourriez-vous laisser tuer l’un de vos enfants si on vous promettait une fortune en échange ? Non, n'est-ce pas ? Alors pourquoi serviriez-vous un homme sans amour et sans honneur ? Vous méritez mieux qu’un Roy vénal et méprisable ! Soldats d’Arganz, ai-je raison de m’opposer à ce monstre ? »
Les cris qui fusèrent derrière Sardos ne laissaient pas de place au doute.
« Oui !
- Vive la Dame Blanche !
- A bas Sardos le tyran !
- A mort ! »
D’un geste de la main elle obtint le silence.
« Il n’y aura pas de mise à mort. Sardos sera enfermé à Beltor, sous la garde de Dyan qui a tout fait pour que les Ménoriens, parmi lesquels il a de bons amis, ne soient pas massacrés. Son sort néanmoins est loin d’être à plaindre. Je lui laisse le montant de la rançon qu’il avait amenée pour moi. Quel homme serait malheureux avec vingt mille pièces d’or ? »
Un immense éclat de rire retentit dans la forêt, faisant écho sur les proches collines, comme si toute la terre d’Arganz partageait la gaîté de la troupe.
« Valeureux guerriers ! Vous ne vous battrez désormais que pour protéger la veuve et l’orphelin, pour faire régner l’ordre et la justice ! Votre chef ne peut être qu’un homme loyal et courageux, et ce sera messire Rolf, dont j’ai pu apprécier les précieuses qualités au cours de ce voyage. »
Je regardai Rolf, comme nous tous. Je crus qu’il allait exploser de fierté et d’orgueil, mais à ma grande surprise il prit un air sérieux et modeste pour s’incliner dignement. Avait-elle aussi le pouvoir de changer les âmes ?
« Mais il vous faut un Roy, soldats d’Arganz », reprit-elle. Un Roy juste, un Roy honnête, un Roy qui ait assez souffert dans sa vie d’homme pour comprendre la souffrance et montrer de la compassion envers les malheureux. Il sera peut-être moins bavard, moins enclin aux festins dispendieux et aux promotions arbitraires. Mais il aura le coeur ouvert et l’oreille attentive aux besoins de chacun de ses sujets. Certains d’entre vous le connaissent. Les autres le découvriront sans qu’il les déçoive. Pour ma part je me tiendrai à ses côtés pour l’aider dans sa lourde tâche avec tous les moyens que la Lumière voudra bien m’accorder. Soldats d’Arganz, honorez et respectez votre Roy, car il sera à votre service autant que vous le servirez. »
Alors elle se tourna vers moi et me tendit la main. Je la pris d’instinct, sans comprendre. Mais les soldats, libérés de l’enchantement, mirent pied à terre, me soulevèrent, me portèrent en triomphe en scandant mon nom.
« Kayel ! Kayel ! Vive le Roy Kayel ! »
Abasourdi, bouleversé, je la cherchai des yeux, entre l’incompréhension et le désespoir. Ils m’éloignaient d’Elle ! Mais Elle me souriait...
Enfin ils me posèrent à terre et firent cercle autour de nous.
« Kayel ! Kayel ! Everia ! Everia ! »
Rolf me donna un coup d’épaule qui faillit me jeter à terre.
« Allez, mon vieux, dis quelque chose ! Elle attend ! »
Je regardai cette femme si belle, si puissante, qui venait de m’offrir un royaume dont je ne savais que faire, et son regard vert si brillant et si tendre semblait me supplier d’une incroyable requête...
La tête me tournait. Le ciel allait me foudroyer pour mon audace... eh bien soit !
Ma voix terne et hésitante devint claire et flamboyante comme un soleil d’été.
« Soldats d’Arganz, jurez comme moi fidélité et dévotion à votre nouvelle Reine ! »
Une larme pure coula sur sa joue si pâle. Avec un infini respect je l’attirai lentement dans mes bras. Je n’entendais plus rien des cris de joie, des vivats et des voeux autour de nous, seulement son coeur près du mien qui battait la même chamade effrénée. Je fermai mes yeux brûlants, en souhaitant ne pas mourir de joie.
Narwa Roquen, épuisée, exilée, qui a juste voulu se faire plaisir


  
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3 Exercice 67 : Narwa => Commentaire - Estellanara (Mar 1 dec 2009 à 13:47)


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