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 WA, exercice n°78 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 13 mai 2010 à 22:15:20
Après toutes ces choses compliquées, voici un exercice facile, et qui conviendra à tous ceux qui se plaignent de leur imagination. Je vous donne les trois personnages principaux:
- une femme très âgée, mais non dépourvue de ressources: c'est un Etre de Bien
- un homme dans la force de l'âge, mystérieux: c'est un Etre de Mal
- un Innocent ( ou une Innocente), jeune, bien sûr.
Peut-on faire plus classique? Vous pouvez en faire une histoire drôle ou dramatique, à votre guise, ajouter autant de personnages et de rebondissements qu'il vous plaira.
Vous avez trois semaines, jusqu'au jeudi 3 juin.
Laissez-vous aller, et surtout faites-vous plaisir!
Narwa Roquen,faire du neuf avec du vieux, un des défis permaents de l'écrivain...


  
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Réponses à ce message :
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-06-03 21:06:39 

  WA - Participation exercice n°78Détails
une histoire comme je les aime... saignante... et les innocents me fatiguent.

LES SIRENES DE PANDEMONIUM


PLAY

Elle regarde par la fenêtre. L’aube s’approche dans le ciel immense, au gris lourd et bleuté, cette couleur dont il se pare lorsqu’il hésite entre ombre et lumière. Dans l’entrée, la respiration paisible de la comtoise égrène doucement le temps qui passe. Il passe pour tous sauf pour elle car elle, elle attend. Depuis si longtemps maintenant. Elle a vu défiler d’innombrables saisons. Oh, elle n’est pas hors du temps. Hors du monde. Bien sûr que non. Elle aime, elle pleure, elle rêve aussi mais sans jamais cesser d’attendre. Son coeur est loin d’être vide, sec ou aride. Elle possède un amour infini et lorsqu’elle vous regarde droit dans les yeux, vous avez l’impression de plonger dans l’océan tant son regard est bleu et liquide. C’est une sorcière savez-vous? Une sorcière sans doute parce que nul n’ose imaginer qu’elle est une fée. Un de ces êtres fabuleux qui fascinent notre pauvre imagination. Car de nos jours, qui croit encore aux fées? Elle attend, ai-je dit. Elle attend son retour.

Elle vit dans une adorable maisonnette perchée tout au bord d’une vertigineuse falaise de craie qui surplombe l’océan atlantique. Le vieux chemin tout en lacets serrés qui mène à là-haut est en si mauvais état qu’aucun véhicule à moteur ne s’est jamais risqué à l’emprunter. Pas même les modernes tous-terrains rutilants et bruyants conduits par les riches Parisiens qui viennent flâner les week-ends de printemps en pays cauchois. Seule une minuscule carriole à hautes roues, tirée par un cheval jaune étonnamment fringuant, affronte sans grande difficulté les profondes ornières et les nids de poules qui jouent à cache-cache. Quand elle descend en ville, les enfants se retournent sur son passage et lui font de grands signes joyeux de bienvenue. La vieille dame qui tient les rênes leur sourit tendrement en retour et ils sont envahis d’une bouffée de bonheur inexplicable. Leurs chagrins et les soucis enfantins s’évanouissent jusqu’à ce que la carriole tourne au coin de la rue. Il ne leur reste alors qu’un souvenir agréable et évanescent, comme le goût fruité d’un sucre d’orge. La vie est belle et il fait bon vivre. Mais ce ne sont que des enfants alors ils s’en souviennent le temps d’une chanson. En ville, tous la connaissent mais nul n’en parle et surtout pas aux étrangers. Dès que la belle saison ramène les cohortes de touristes blafards, elle se fait encore plus discrète, plus transparente, presque invisible. Chose étonnante, elle n’apparaît sur aucune carte postale et aucun reportage ne lui a été consacré. Chose prodigieuse, aucune trace d’elle non plus sur les photos ou sur les films de vacances. Cela n’a jamais ému personne. Pour vous en convaincre, interrogez ceux de vos amis qui ont séjourné à Etretat. Aucun ne se souviendra l’avoir aperçue. Ils vous le jureront. Et pourtant, ils l’auront tous croisée un jour ou l’autre au hasard d’une promenade sur la plage de galets gris ou sur le chemin qui couronne les falaises. Ne vous ai-je pas dit que c’était une sorcière?

J’ai dit aussi que c’était une vieille dame. Oui, c’est vrai. Comptez les galets de la plage. Le résultat est encore de loin inférieur au nombre de ses années. Il faut s’approcher d’elle plus près, beaucoup plus près. Alors impossible de ne pas succomber à son charme délicieux, à son regard pétillant et à son sourire qui ferait fondre le plus dur des granits. Et puis, si vous poussiez l’audace jusqu’à vous approcher plus encore, pénétrer le cercle impalpable d’intimité qui flotte autour d’elle comme un anneau magique, alors oui, vous seriez véritablement en danger. Un danger pourtant aussi doux que l’aile nuageuse d’un ange. Ses lèvres dessineraient rien que pour vous une invitation sensuelle à la suivre sur des sentes suaves et parfumées où les choses triviales et brutales n’ont jamais existé. La ligne de sa nuque, qu’elle ploie comme le col d’un cygne, appelle furieusement le baiser et vous n’en seriez jamais rassasié. Les courbes de sa gorge inclinée vous poursuivraient jusque dans vos rêves les plus enfiévrés. Oui, si vous pouviez vraiment la voir telle qu’elle est réellement, sa flamme droite et pure vous aveuglerait à coup sûr et vous pourriez rester pétrifié mille ans comme ces trolls au fond de l’antique forêt. Il y a longtemps, elle a embrasé d’un seul regard le coeur d’un prince qui servait lui-même un tsar. Et l’âme romantique de ce slave s’est envolée vers une félicité sans égale. Ce prince-là se serait jeté sans hésiter de la falaise rien que pour un sourire de cette femme. De cette fée. Mais je m’égare. Elle attend son retour.

De sa fenêtre, elle surveille l’horizon. Comme chaque jour depuis la dernière fois. Cela remonte à... oh, tant que ça ? C’est un autre avantage de paraître très âgée. L’apparence physique devient intemporelle à partir d’une certaine limite. Les années qui se succèdent ensuite refusent de s’additionner aux précédentes. Personne n’a réellement pris conscience que cela fait beaucoup trop longtemps qu’elle se promène sur la plage à marée basse. Lorsque les prémisses de cette interrogation émergent des brumes vers la raison, elles en sont immédiatement chassées comme des fumerolles par grand vent. Et le moment passe, sans importance, aucune culpabilité ne subsiste. N’ a-t-on pas tout le temps devant nous pour se la reposer? Remettons ça à plus tard. Oui, cette question est toujours remise à plus tard. Les enfants grandissent et les adultes qu’ils deviennent oublient régulièrement qu’elle ne paraît pas plus âgée qu’il y a vingt ans, trente ans, quarante ans... Encore sont-ils bien loin de la vérité. Ce n’est qu’au crépuscule de leur vie, juste à l’instant de clore définitivement les paupières, qu’ils l’entreverront fugitivement Mais trop tard, la porte de lumière se sera déjà découpée sur les ténèbres du couloir des angoisses et ils ne veulent rebrousser chemin, emportant avec eux leur étonnement.

Il viendra de l’océan. Il vient toujours de l’océan. Comme lorsqu’il avait débarqué avec les barbares blonds descendus du Nord pour piller la côte il y a des siècles de cela. Il était fier et ténébreux, grand et fort, très différent de ses pâles compagnons qui semblaient le craindre. Elle était là puisque, entre eux, ce n’est qu’un perpétuel recommencement. Elle se baignait dans l’eau claire d’une fontaine, après avoir étendu sur l’herbe fraîche du pré, le linge qu’elle venait de lessiver. Ils avaient tenté de la soumettre à leur brutal désir mais il les en avait empêchés d’une voix puissante. Il leur avait montré un signe dans le ciel, un éclair froid entre les nuages amassés devant le soleil. Les barbares aux âmes simples et craintives renoncèrent alors à leur vil dessein. Avant qu’ils ne repartent porter le fer et le feu dans les villages des alentours, il lui avait souri. Un sourire de carnassier, aux lourds sous-entendus, le sourire d’un ennemi intime et éternel. Frémissante et droite, elle lui faisait face, nullement apeurée. Ce jour-là, elle n’avait pu contrarier ses plans. Il venait réclamer un autre tribut pour son Maître. Elle ne gagne malheureusement pas à chaque fois.

Alors, au coeur des nuits les plus profondes et les plus glaciales de l’hiver, lorsque le vent qui descend tout droit du septentrion tourbillonne en grondant derrière les volets clos, elle les entend parfois supplier et gémir. Des voix désincarnées et lointaines. Elle tente vainement de se boucher les oreilles. Mais les plaintes et les pleurs la taraudent sans relâche jusqu’au petit matin où seules les premières lueurs apaisent son âme tourmentée et chassent le démon.

A l’Est, le soleil débute prudemment son ascension vers le zénith. Elle est déjà vigilante, face à la fenêtre tournée vers l’ouest. Le fauteuil à bascule s’immobile soudain dans un dernier grincement. Son regard se fige et ses traits se creusent davantage, signes d’une extrême tension. Ses mains deviennent des serres qui se referment crochues sur les accoudoirs du fauteuil. On dirait que le temps l’a rattrapée d’un seul coup. Elle paraît si frêle et si fatiguée en cet instant précis. Il y a un point sur l’horizon, un tout petit point qui semble bien inoffensif à cette distance. Dans le ciel, les doigts de la Déesse n’ont pas encore fini de peigner les cheveux de jais de la nuit qui s’endort. C’est une bateau de pêcheur comme il en existe de nombreux le long de la côte. Sa vue porte loin. Là où tout homme ordinaire aurait besoin d’un puissant télescope, elle parvient à reconnaître les lignes du bateau, à estimer la hauteur du mât et à discerner la silhouette qui se tient dans la cabine du petit bolincheur. Sur la proue, au-dessus des bandes peintes en rouge et en blanc, elle distingue aisément les lettres et les chiffres qui indiquent son port d’attache. Elle connaît par coeur tous les bateaux de tous les ports qui bordent ces côtes. Celui-ci n’a jamais figuré sur les listes de la capitainerie de Fécamp.

Il vient toujours de la mer. Elle repense aux vieilles bigotes qui chuchotent entre elles, les dimanches à l’heure de la messe, à l’ombre de Notre Dame de la Garde, la chapelle érigée au sommet de la falaise d’Amont. Quand elle les entend échanger à voix basse les ragots où elles vouent aux flammes éternelles les femmes volages et les maris infidèles, elle sourit. Car elle sait que l’enfer n’a jamais été sous leurs pieds. Dans le véritable Enfer aucune fournaise ardente, aucun damné empalé sur une broche cruelle que tournent des démons cornus et sautillants. Non. Ce ne sont que superstitions et billevesées. Si les vieilles chouettes l’interrogeaient, elle pourrait en dire beaucoup. Mais la vie n’est pas un banal jeu de devinettes.

Son rôle, sa mission est de veiller sur ce rempart de craie battu par les vents et le ressac. Elle et d’autres sont postées le long des rivages de ce monde. Ne vous êtes-vous pas aperçus que les eaux ne cessent de grignoter les plages, progressant inéluctablement vers l’intérieur des terres? Les glaciers reculent effrayés et les banquises disparaissent par pans entiers, emportées sous les flots querelleurs. Ne croyez pas que le réchauffement climatique en est le seul responsable. Non. C’est un complot ourdi par des forces titanesques et sous-marines, une conquête secrète et planifiée. Elle et ses soeurs sont impuissantes à contrebattre les assauts incessants des légions écumantes. Mais elles se dressent chaque fois qu’un émissaire du Maître des Profondeurs émerge du Royaume englouti. Le monde des hommes ne doit sa survie et sa liberté qu’à leur adresse à déjouer ses plans machiavéliques. Cela fait longtemps qu’elles luttent et la lutte est inégale.

Elle songe qu’il est paradoxal qu’un bateau de pêche doive rentrer au port pour emplir sa cale. Qu’un pêcheur jette ses filets une fois descendu à terre par l’échelle de coupée. Elle songe qui lui faudra trouver avant lui l’objet de sa quête. Le défendre à tout prix. Le combat sera harassant. Un pressentiment singulier s’empare d’elle. N’a-t-elle pas attendu trop longtemps? Ses instincts et ses réflexes ne se sont-ils pas émoussés? Saura-t-elle danser comme il faut? Un pas de travers et elle basculera au fond du volcan. Un pas mal maîtrisé et le rempart s’écroule. Les brèches se font plus nombreuses, les sentinelles plus rares. Elle est l’une des dernières. L’une des plus sages et des plus puissantes. L’aube naissante déploie ses ailes blanches et le sombre navire est encore loin du port. Elle se lève sans hâte pour se préparer. Elle doit descendre en ville où elle déchiffrera les signes secrets qui la guideront. Elle choisit avec soin les vêtements qu’elle portera. Puis elle se penche vers le miroir pour peindre délicatement avec un très fin pinceau, les motifs rituels de son ordre millénaire. Elle ne prête aucune attention aux rides qui fanent le merveilleux ovale de son visage. Elles sont ses amies, ses alliées, la preuve qu’elle fait bien partie du Jeu. Quand tout est parfait, elle quitte la maison. Elle attèle son fidèle compagnon qui lui souffle doucement dans le cou. Il ne l’a jamais abandonnée. Soudain un détail lui revient en mémoire. Un détail noté juste avant de refermer la porte. Il y avait ce silence. Un silence plus profond, inhabituel. La réponse s’impose d’elle-même. Le lourd balancier a suspendu sa course dans le ventre de l’horloge. Le temps s’est mis à couler différemment. Cela a commencé.

***



PLAY

Penses-tu à moi comme je pense à toi ? Les falaises se rapprochent et bientôt je mettrai le pied sur la terre des hommes. Aucune tempête ne me chassera vers le large. Aucun courant contraire ne m’emportera au loin. Aucun rocher affleurant ne déchirera le fragile bois de cette coque. Non. Les étoiles ne sont cachées mais je n’ai pas eu besoin de leur aide pour conserver le bon cap. La mer obéit à mes ordres. J’ai navigué toute la nuit porté par une vague muette et docile. Ne suis-je pas la voix de mon Maître ? Les grands oiseaux blancs dans le ciel escortent ma course depuis que le terre est en vue. Ils se contentent de me surveiller, impuissants. Est-ce toi qui les as envoyés?

J’ai encore au fond de la gorge le goût âcre et iodé des profondeurs d’où je viens mais j’aime être à l’air libre. Surtout quand j’exécute le commandement de mon Maître. Ce n’est pas la première fois. Peut-être la dernière. Je l’espère. Le tissu du vêtement que j’ai revêtu est désagréable et irrite ma peau nervurée. Le tissu des hommes est grossier, encombrant et disgracieux. Tu ne t’en es jamais plainte n’est ce pas?

Sais-tu que je te vois? Les membranes protectrices de mes yeux sont inutiles quand je respire librement et quand le soleil n’est pas trop haut dans le ciel. Tu me guettes derrière le carreau de cette fenêtre, tout en haut de la falaise. Tu n’as pas changé depuis notre dernière rencontre. Tu n’as jamais changé tout au long de nos rencontres. Tu m’as senti au plus profond toi. Je viens. L’excitation me gagne. J’apprécie cette tension qui libère dans mon sang des toxines saturées par cet afflux massif d’oxygène. Peux-tu lire dans mes yeux, belle sorcière? A cette distance, nous ne pouvons nous faire beaucoup de mal. Il nous faut patienter. Attendre d’être face à face, sur cette terre que mon Maître revendique et que tu refuses de lui concéder. J’ai goûté le sang tiède de quelques unes de tes soeurs. Je me suis agenouillé près d’elles. Quand j’ai posé mon moignon d’oreille sur leur poitrail blanc, j’ai senti leur coeur hoqueter puis cesser de battre. J’ai caressé lentement leur poitrail taché de rouge, leur si doux poitrail déchiqueté. Mais aucune n’a pu rivaliser avec toi. Entends-tu mes pensées en ce moment? J’ai été retenu tout ce temps au service de mon Maître bien-aimé, sous les montagnes liquides, à Pandémonium sa capitale. Bien trop longtemps sans doute. Aujourd’hui, je viens prendre possession de l’ultime joyau de sa couronne. Tu ne m’en empêcheras pas cette fois encore. Le cours des évènements est inéluctable pour moi comme pour toi. Nous avons trop souvent dansé ensemble pour ne pas reconnaître quand la musique s’achève. Son règne avance. Il y a, chaque jour qui se lève, un peu moins de terre sous le soleil que le jour précédent. Le Maître réclame son empire et je suis son plus fidèle capitaine. Je me tiendrai à sa droite quand il lèvera son sceptre et nous nous inclinerons devant lui, car nous portons sa marque, nous qui respirerons par des ouies. Les hommes qui respirent par leurs poumons se prosterneront ou mourront sur les autels des temples que nous reconstruirons. Les hommes sont lâches et faibles. Ils ramperont devant le Maître et adorerons les anciennes divinités oubliées. Mais pas toi, n’est-ce pas? Le nouvel Ordre sera cruel. Comme moi.

Le port se rapproche lentement mais j’ai tout mon temps. T’ai-je déjà parlé de Pandémonium? La capitale du royaume englouti? Ses longues avenues estompées et ses glorieux palais édifiés au bord d’abysses plus profondes que les plus hautes montagnes de ton monde? Quand l’eau s’est refermée sur nous et que nous fûmes emportés toujours plus bas, loin de la lumière du soleil, j’ai voulu crier. Mais ma gorge et mes poumons se sont emplis de cette humeur liquide et froide, verte et salée. J’ai cru mourir et mon agonie a duré une éternité. Puis, j’ai réappris les gestes depuis longtemps oubliés, les réflexes ancestraux. Je me suis assis dans le limon fertile d’une vallée sous-marine. L’eau qui m’entourait n’était plus une gêne. Le Maître nous attendait dans les ruines du temple éventré par la colère des Dieux. Il riait. Et nous avons ri avec lui, jurant qu’un jour, nous ferions flotter nos étendards dans le vent qui souffle sur la terre comme ceux qui ondoient sous la mer. Oui, nous avons souffert mais nous n’avons jamais mendié un pardon inutile. Nous sommes devenus puissants et nous avons attendu patiemment, nos rangs grossis par les noyés des naufrages et par les maudits que nous chérissons par-dessus tout.

J’étais un simple manant sur l’Île de l’Ouest, je devins un Prince au fond des mers. M’as-tu simplement jeté un regard la première fois où nous nous sommes croisés? Tu étais cachée derrière le rideau fermé du palanquin que portaient des esclaves nubiens capturés sur les côtes africaines. Je marchais sur les pierres plates de la chaussée pour ne pas m’enfoncer dans la boue du bas-côté. Tes gardes m’ont poussé sans ménagement avec leurs longs bâtons ferrés. Je suis tombé. Tu n’as rien remarqué n’est-ce pas? Que t’importait un pauvre diable allongé de tout son long dans une ornière? J’ai appris depuis que tu voulais convaincre le Grand Roi de renoncer à ses rêves de gloire. Tu as échouée comme les autres. Pourquoi notre destin aurait-il été de n’être que les pantins obéissants de dieux lointains? Je me suis engagé dans les armées du Roi. Plus tard, dans la grande salle du trône, je portais le casque de la garde personnelle du Roi et mon visage était caché par le métal brillant. Pourtant, je me tenais à un pas de la couche où tu devisais avec d’autres qui partageaient tes convictions. La nuit suivante, la colère aveugle des dieux sourds éventrait l’Île de l’Ouest et la submergeait à jamais. La nuit où le monde devint une sphère.

J’entre dans le port enfin. Le trésor de mon Maître est là. Quelque part, ignorant son destin. Je le trouverai et le ramènerai à Pandémonium où seront célébrées ses noces avec le Maître. Il sera sien comme beaucoup avant lui. Il sera le plus beau joyau de sa couronne d’algues et de corail et il resplendira de mille feux. Alors tous les anges, enfin réunis comme le Livre noir le prescrit, commenceront de chanter, mêlant leurs voix à celles plus graves des conques marines géantes. Et leur terrible chant ébranlera les racines de ce monde. Ils chanteront pendant qu’il les aimera et ses myriades de bras les entoureront d’un amour sans cesse renouvelé. Ils chanteront sans relâche, maintenues en vie par les sortilèges et les drogues. Et le choeur des anges des profondeurs vibrera d’une telle puissance qu’il libèrera des forces plus anciennes que les dieux eux-mêmes. Car si le chant est la source du pouvoir qui a créé ce monde, il existe des sources cachées plus noires et plus redoutables encore. Quand les anges enfin se tairont, leur dessein sera achevé et toute vie les aura quittés. Pourtant ils ne dresseront longtemps, colonisés jusqu’à leur dernière cellule par le corail vivant, leur bouche encore grande ouverte sur leur dernier cri.

La cité est différente, à mes yeux plus plaisante. Je ne parle pas de l’architecture restaurée du grand casino ou de la nouvelle propreté du Perrey, cette longue digue piétonnière qui arrête la plage. Non. Je veux parler de cet inimitable puanteur que seules les créatures comme moi peuvent sentir grâce à leurs chémorécepteurs. Cette décomposition douceâtre des âmes qui flotte mollement au-dessus des habitants de la cité en longues nappes brumeuses. Elle réjouit mon coeur et flatte mes sens car elle signifie que notre labeur n’a pas été vain. Mon Maître a toujours raison. La corruption de toute chose fait son oeuvre.

Personne ne se retourne sur mon passage. Il y a tellement d’exubérance dans cette société moderne que mon apparence presque humaine me rend paradoxalement plus humain que nombre de ces êtres au sang chaud. Les petits détails incongrus de mon anatomie passent inaperçus. Dans une vitrine, qu’un faux jour transforme en miroir, je surprend mon reflet. Je vois un personnage de haute taille, vêtu d’un ample ciré jaune et chaussé de lourdes bottes ferrées. Aujourd’hui, je dois faire preuve d’une plus grande prudence car la magie et le merveilleux ont disparu. Les hommes ne croient plus aux fées et aux sorcières, aux anges et aux démons. Je conserve la capuche abaissée sur le front. Je garde prudemment mes mains palmées enfoncées dans les poches, leurs griffes acérées sont définitivement trop étrangères. J’ai un teint plutôt olivâtre et je porte une paire de lunettes au verre fumé pour cacher mes yeux sans paupière. Mon nez mutilé peut rappeler les séquelles d’une maladie rare et exotique. Néanmoins, il se dégage de ce reflet une sensation manifeste de grande force, soulignée par le vêtement qui peine à épouser le galbe de mes épaules musculeuses et le volume de ma poitrine surdimensionnée. Ne suis-je pas capable de résister aux gigantesques pressions des profondeurs?

Mes chémorécepteurs localisent bientôt la signature olfactive que je recherche. Guidé par mes sens hyper développés, je remonte une rue qui s’enfonce dans la ville. A cette heure matinale, le soleil est encore bas dans son cadran oriental. Je n’aime plus cet astre dont la lumière blesse mes yeux et la chaleur brûle ma peau. Je pourrais supporter de vivre hors de mon élément naturel mais prisonnier de l’ombre et de la nuit. Oui, je pourrais vivre loin de Pandémonium si ce qui me retenait ici était plus précieux que ce qui m’appelle là-bas. Je sursaute lorsque de lourds véhicules malodorants dévalent bruyamment la rue. Ils dégagent une puanteur fossile qui menace de masquer le délicat parfum de ma proie. Je ne peux ouvrir ma bouche car je découvrirais ma double rangée de dents effilées. Pas après pas, je m’approche du but. Des rires et des éclats de voix plus très éloignés. Le parfum s’alourdit, saturant l’atmosphère. Je me faufile dans les ombres qui se retirent peu à peu du trottoir, m’offrant un couvert relatif. Puis les façades des maisons des hommes cèdent la place à un haut mur de pierre que seules les cimes de quelques arbres dépassent. C’est derrière ce mur que naît la source du parfum. Je ne peux pas me tromper. Je n’ai plus vraiment le temps. Plus je tarde, plus je deviens étranger au décor. Et ce qui est étrange attire l’attention. Plus je tarde, plus le soleil m’accablera de ses rayons jusqu’à me plonger malgré moi dans la profonde léthargie de l’estivation.

Déjà je remarque le regard appuyé que me jettent quelques passants Le portail en fer s’est refermé, m’interdisant tout passage. Le trésor de mon Maître est à ma portée. Le mur n’est pas inexpugnable. Je le longe pour trouver le meilleur endroit afin de le franchir sans éveiller l’attention. La taille imposante d’un véhicule immobilisé le long du trottoir est une occasion rêvée. Personne en vue. J’escalade aisément la muraille en m’aidant de mes griffes qui sont plus dures que la pierre. Je saute dans une cour intérieure déserte. Ce que je suis venu chercher est dans le corps du bâtiment principal derrières les hautes fenêtres. L’enfant est là. Le dénouement approche. J’ouvre une porte vitrée et j’emprunte un escalier. Sur le premier palier, je marque un infime temps d’arrêt. Il n’est pas là.

« Que faites-vous ici monsieur , c’est interd... »

Un homme descend vers moi. En un bond, je suis sur lui et j’enfonce férocement mes griffes dans sa gorge et dans son coeur. Ses yeux se révulsent et un gargouillis s’échappe de sa gorge déchirée. Il glisse contre mur où il reste assis, la surprise crispée sur le visage. Une flaque de sang rouge s’élargit entre ses jambes écartées. Je continue de monter. Deuxième palier. Je renifle le bois de la porte, sur la droite. C’est là. Quand je fais irruption dans la pièce, mes sens ont déjà repéré ma proie. D’un bras, j’écarte violemment une femme qui veut s’interposer. Son corps paraît voler dans la salle et s’écrase contre une armoire métallique. J’entends des os craquer. Elle ne bouge plus. En face de moi, pétrifiés derrière leurs bureaux, une trentaine de visages me font face, une terreur sans nom au fond des yeux. Aucun cri. Je goûte ces divines effluves en ouvrant goulûment la bouche. Ce ne sont plus des enfants pas encore des adultes. L’ange est au dernier rang, près de la fenêtre. En un bond, je suis sur lui et une deuxième impulsion me propulse à travers la vitre dans un pluie de verre brisé. C’est alors que les cris et les hurlements se libèrent derrière moi. Trop tard.

* * *


PLAY

« Où crois-tu aller ? »

Elle est là, dressée dans la lumière de ce maudit jour. Je savais qu’elle m’attendait. Elle m’a toujours attendu.

« Annabeth, je désespérais de te rencontrer ! »
« Louise. On m’appelle Louise. Annabeth est un nom oublié qui ne signifie plus grand chose aujourd’hui! Alors, tu exécutes toujours les basses oeuvres de ton maître? »

Dans son dos, l’océan se roule sur la plage en crissant sur les galets retournés. Au frémissement que je ressens, le ressac est d’une ampleur inhabituelle. Je ne peux la contourner. Il me faudra l’affronter sur cette plage où la falaise enjambe la mer. Autour de nous, l’énergie se tord en noeuds bouillonnants, créant des ondes de force qui se diluent en rondes concentriques. Nos présences affolent le continuum local et nous avons disparu aux yeux de tous. Rupture dans le réel. Elle est puissante. Comme je le suis. Elle est là où je devais être, même si j’ai essayé de déjoué le cours des choses. Peine perdue. J’aurais aussi bien fait de lui donner rendez-vous. Je dépose mon fardeau inanimé à mes pieds.

« C’est donc lui. » fit-elle en le désignant.
« Oui, il sera le dernier ange de Pandémonium. Le joyau qui complètera la couronne du Roi. La dernière voix du choeur des profondeurs. Quand le chant s’élèvera, son motif se déploiera sans limite et les anciens Dieux se réveilleront pour changer la face du monde. »

« Crois-tu que je vais te permettre de rejoindre Atlantide pour que ton maître, dans sa folie, libère les anciennes forces du Chaos? »

« N’est-ce pas ce qui nous unit ma chère? Toi sur la terre, moi sous la mer. Tu as choisi il y a longtemps : tu as fui l‘Île de l’Ouest. Je lui suis resté fidèle. Nous avons souffert dans nos âmes et nos chairs mais nous n’avons jamais renoncé. Nous touchons au but. »

« Le destin de ce jeune homme t’est à ce point égal que tu le livres vivant à son bourreau ? »

« Bourreau, non, époux plutôt ! Les noces seront somptueuses et fastueuses. Au comble du ravissement, il attendra avec impatience l’instant où mon Maître viendra l’honorer. Après, il chantera et sa voix sera un enchantement pour ceux qui sauront écouter! »

« Je ne le permets pas ! »

La sorcière esquisse rapidement un signe devant elle, un signe de pouvoir, un signe de combat, un signe meurtrier. Elle me sourit, inclinant légèrement la tête sur le côté, comme si elle réfléchissait. Je sens soudain un poing de pierre s’enfoncer comme un piston entre mes cotes, essayant d’atteindre et de broyer mes fragiles organes internes. Je chancelle sous l’assaut. J’ai juste le temps de réorganiser ma chimie organique pour que des anneaux de chitine forment une carapace impénétrable protégeant mon abdomen. La pression se relâche. Je me redresse. Elle fait un pas en arrière, peut-être surprise, en posture défensive. Je pousse mon avantage. Je m’avance vivement. Je feinte une attaque sur la droite avant de plonger sous sa garde, mes griffes remontant vers sa gorge découverte. Le sang gicle quand elles déchirent son flanc qu’elle a préféré mettre en opposition. Elle hoquète de douleur. Je vois une autre brèche et je m’y engouffre impitoyablement. C’est vraiment trop facile. La douleur qui naît brouille alors mes perceptions. Que se passe-t-il ? Je cherche de l’air. Je m’étouffe. Je porte une main vers le cou. Quand je la retire, elle est maculée d’un sang froid et visqueux. Mon sang. Je tourne mes regards vers elle. Elle tient à la main un stylet d’argent. Un stylet qu’elle m’avait caché. Je tombe à genoux, privé de toute force. La plaie est profonde. La vie s’échappe de moi à gros bouillons. Les falaises se mettent à danser avec la mer. La mer...

« Laisse-moi regagner l’Océan ! » ma voix est brisée. Je peine à respirer. « Tu as gagné pour cette fois. Le Maître devra attendre. Laisse la mer prendre soin de mon corps ! Je t’en supplie, Annabeth.!»

L’ombre emplit le ciel qui tourne, tourne avant que les galets gris ne deviennent mon seul horizon. Je meurs. La mort d’un poisson est douloureuse. Pourtant, elle se penche vers moi, sa main se pose sur mon front. Elle se penche encore plus et j’entends, non, je crois entendre avant que les ténèbres ne m’emportent :

« Tu as toujours été celui que j’ai préféré ! »

* * *


Une clarté vacille à nouveau. Je ne suis finalement pas mort ? Je suis à l’intérieur d’une maison humaine. J’entends un grincement régulier qui provient d’une autre pièce. Je ne peux bouger. Ma vision s’éclaircit, les détails devenant de plus en plus nets. J’aperçois un bureau, quelques chaises, une table basse. Mais mon angle de vision est curieusement fixe. Le grincement cesse soudain, une ombre se découpe devant moi. Je ne peux tourner la tête mais je reconnais sa présence. C’est elle. Je suis chez elle. Un immense chagrin m’étreint quand les souvenirs me reviennent en mémoire. J’ai perdu. Elle a gagné. Pourquoi ne suis-je pas mort ?

Elle se tient devant moi. Elle me sourit. Elle tend ses mains vers moi et ses mains me soulèvent sans effort. Je suis toujours paralysé, incapable de faire le moindre mouvement. Quel sort m’a-t-elle jeté ? Qu’a-t-elle fait de moi? C’est une sorcière de l’Ouest. J’essaie désespérément de faire appel à mes pouvoirs engourdis. Je bande ma volonté farouchement, sentant qu’ils se réchauffent, se réveillent peu à peu. Il faut que j’arrive à tenter quelque chose. La sorcière quitte la pièce, longe un couloir et pénètre dans une autre salle. Dans mon maigre champ de vision, apparaît une table nue où trône un socle de bois assez large au centre duquel se dresse une aiguille de métal brillant. A côté de ce socle est posée une cloche de verre assez haute. Dans un dernier effort, j’essaie de mobiliser toutes mes ressources mais quelque chose me déchire de haut en bas comme une lame brûlante enfoncée jusqu’à la garde. Mes pouvoirs, ils ont disparu ! Ses mains se saisissent de la cloche de verre et je vois la paroi transparente descendre devant moi. La sorcière penche son visage à ma hauteur. Ses yeux pétillent d’une gaieté insondable.

Elle me place sur une grande étagère qui fait face à un immense miroir. Avec horreur, j'aperçois de nombreuses cloches de verre renfermant chacune une tête coupée, une tête de triton. Toutes ces têtes me contemplent tristement. Je manque devenir fou quand je vois la mienne au centre de toutes les autres. La sorcière m’adresse alors un léger baiser en me lançant :

« Tu seras la plus belle de mes sirènes ! Mes sirènes de Pandémonium ! »

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-06-06 22:57:28 

 WA,exercice n°78, participationDétails
LE CHAT A TOUJOURS RAISON



Le père Anselme était fort comme un Turc. Jusqu’à cinquante ans, il soulevait sans peine un veau d’un quintal. Le docteur Sentenac, il l’avait vu deux fois. La première, c’était pour le certificat avant le mariage. La deuxième, c’était en accompagnant la Fanny quand elle attendait les jumeaux. Après, un coup de gnôle et les microbes s’en allaient voir ailleurs.
Il était assis dans le fauteuil de mère Jeanne, grelottant de froid, recroquevillé comme un escargot en hiver, et suant à grosses gouttes sur son front barré de trois plis douloureux.
« Putain con ce trou à l’entrée du potager, c’est les chiens, encore ! Je l’ai pas vu, et ça a fait crac. Si c’est cassé, bonne mère, si c’est cassé... »
La vieille femme vêtue de noir était assise sur un tabouret bas. Ses doigts maigres se posaient sur la cheville tuméfiée et bleue avec la joie tranquille des papillons.
« Mais non, mon bon Anselme, mais non... Ce n’est pas si grave... Reste là. Tu veux une couverture ? Je vais te donner un peu de tisane. Aurore ! Viens, ma toute belle, sois gentille, amène une couverture à notre ami, et prépare-lui un bon tilleul, avec le miel de lavande, tu sais, celui que je garde dans le haut du bahut. Ah et puis, sans vouloir te commander, si tu pouvais remettre une bûche au feu... »
Aurore traversa la pièce, jeune, belle, blonde, pâle, une fée dansant sur ses sabots de bois, une nymphe légère au sourire enchanteur, l’innocence des enfants dans le corps presque mûr d’une toute jeune fille.
« Oh nom de... Mère Jeanne, qu’elle s’est faite belle, la gaffette ! Et tu la maries, bientôt ? Je te jure que si j’avais vingt ans de moins... Aïe !
- Tiens-toi tranquille, vieux coquinou. Elle n’a pas quinze ans, qu’est-ce que tu veux marier ? Laisse-la grandir encore un peu, elle a bien le temps de se trouver du tracas ! »
Le Chat ronronnait sur la table, le feu crépitait dans la cheminée. Les mains de Jeanne continuaient de courir sur la cheville d’Anselme, et celui-ci, réchauffé, réconforté, se laissait gagner doucement par une torpeur délicieuse.
« Ca va aller, mon gars. Demain tu restes au lit. Et après-demain tu peux recommencer à rentrer ton foin. Il ne va pas pleuvoir, de toute façon. Et cesse de chercher noise à la Fanny. C’est pas sa faute si le renard a mangé les poules. T’avais qu’à refaire la clôture, derrière le laurier »
L’homme rougit, pâlit, s’étrangla.
« Et comment tu le sais ? »
Elle leva sur lui ses yeux plus clairs que l’azur sur la neige, et avec ce regard dont elle n’abusait pas car il vous marquait pour la vie elle murmura :
« Allez, Anselme. Tu sais bien comment. »


« On a tué le cochon, Mamie Jeanne. Oncle Anselme m’a dit de te porter les saucisses. Tu verras, elles sont bonnes, j’ai aidé à les faire !
- Tu es un brave petit, Toine. Mais si ton oncle veut remercier, qu’il le fasse lui-même ! »
Le petit se renfrogna.
« Et dis-lui que s’il te gronde, il aura affaire à moi. Tiens, viens chercher des oreillettes, elles sont toutes chaudes encore. Elles sont pour toi, hein, ça reste entre nous !
- Merci Mamie Jeanne ! Je t’aime beaucoup, tu sais ! »
Le visage de l’enfant se blottit un instant dans le tablier noir, et une larme perla au coin de l’oeil de l’aïeule.
« Moi aussi je t’aime beaucoup, petit ange ; va, maintenant, va... »


Le père Anselme tenait son chapeau dans une main et les saucisses de l’autre. Il dansait comme un ours, d’un pied sur l’autre.
« Je suis bien contente de te voir, Anselme. Et cette entorse ?
- Je n’ai plus rien, mère Jeanne, plus rien. Tu as encore fait un miracle !
- Ce n’est pas moi qui fais les miracles, mon pauvre. Mais je te remercie pour ces saucisses.
- Je... Je n’ai pas voulu être malpoli, tu sais...
- Mais quoi ? Je te fais peur. C’est seulement quand tu as mal que tu retrouves ton courage ? »
L’homme confus baissait le nez. Elle tendit la main, se haussa sur la pointe des pieds pour lui ébouriffer les cheveux comme s’il avait cinq ans.
« Allez, petitou ! Je sais bien que tu es brave ! »
Emergeant de cent vingt kilos de muscles, une petite âme d’enfant se trouva tout émue et tout émerveillée de l’être.


Elle chantait quand elle trayait les chèvres, elle chantait quand elle cueillait la prêle, l’ortie et la valériane, elle chantait quand elle nourrissait les poules, quand elle battait le linge au lavoir ou quand elle préparait la soupe. Rossignol tendre aux accents diaphanes, sa vie n’était qu’un chant ininterrompu. Dans la neige assassine ou sous le soleil accablant, elle chantait.
Jeanne l’avait recueillie, oisillon abandonné sous le porche d’une église dans une couverture bleue. Cinq fois un couple en peine, souvent venu de loin, l’avait suppliée de lui confier l’enfant, cinq fois elle avait renvoyé tous ces braves gens. Et tous avaient eu un petit dans l’année. Les signes étaient formels, Aurore était Innocente. Si elle passait la Tentation, elle pourrait remplacer Jeanne, et la vieille femme en soupirait d’envie. Dormir, enfin, d’un repos éternel, le coeur léger du devoir accompli, ne plus jamais se battre, ne plus jamais s’inquiéter.
Michel, le Chat, était plus réticent, mais il était dans sa nature d’être méfiant.
« Et si elle ne passe pas ?
- Allons, Michel, c’est une bonne petite...
- Et si elle se laisse tenter ? »
Jeanne haussait les épaules.
« Je ne sais pas, pauvre. Peut-être que je m’arrêterai là.
- Sans personne après toi ?
- Ne me mets pas encore la rate au court-bouillon, va. Viens plutôt par ici. Il me reste un peu de saucisse, je ne vais pas te la regretter... »


Le cheval blanc marchait la tête haute au milieu de la route. C’était une bête magnifique, altière et musclée, aux allures relevées. Pas une goutte de sueur ne venait troubler sa robe immaculée, et sa longue crinière soyeuse dansait jusqu’à son épaule. Son cavalier était vêtu de blanc. Il était, à vrai dire, habillé comme un prince, mais qui serait venu d’un horizon lointain. Ses vêtements amples, juste serrés à la taille par une ceinture dorée, étaient tissés de la soie la plus fine. Un lourd collier d’or ornait sa poitrine, et ses mains étaient recouvertes de bagues serties des pierres les plus précieuses. Il se déplaçait dans une aura de parfum aux notes épicées de musc, d’ambre et de cuir. Ses longs cheveux blonds, délicatement bouclés, effleuraient ses épaules. Son regard bleu myosotis était placide et sûr de lui, et le demi-sourire de ses lèvres fines annonçait plus l’arrogance que la compassion, et plus la ruse que la probité.


« Mamie, je suis à la rivière », chantonna Aurore.
- « Et les chèvres ?
- C’est fait ! Et j’ai nourri les poules, et rentré le linge.
- Hem », commenta Jeanne avec un froncement de sourcil. « Tu as un galant ?
- Oh non ! Enfin... pas encore », ajouta la jeune fille en rougissant.
- « Sois prudente, mon enfant.
- Bien sûr ! Mais aucun mal ne peut venir de lui... »
Jeanne hocha la tête. Michel dressa les oreilles.


« Il est là, c’est Lui, je le sais, je L’ai vu ! »
Le Chat était dans tous ses états. Il arpentait la longue table où Jeanne écossait les petits pois, la moustache frémissante, le poil hérissé, la queue battante.
« Calme-toi, Michel. Ce qui doit se faire se fera, et nous ne devons pas...
- Bien sûr », cracha le Chat, « et tu trouves ça juste de la laisser seule devant cet immonde... ce féroce... ce maléfique... Fffffff ! Nom d’un rat boiteux ! Je lui arracherais les yeux avec plaisir !
- C’est le choix d’Aurore qui importe, mon ami... Pas ce que nous désirons.
- Depuis combien de temps est-elle partie ?
- A peine une heure. Fais-lui confiance.
- Elle est trop jeune ! Elle est trop naïve, elle est trop...
- Paix ! Tu me fatigues. »
Le Chat lui jeta un regard furieux et sauta sur le haut du vaisselier où il entreprit une toilette enragée.




« Dans mon pays », racontait l’homme vêtu de blanc, « les femmes portent des robes incrustées de diamants, qui brillent comme le soleil, si bien qu’il y a autant de soleils que de femmes. Des créatures magiques les servent, et elles n’ont pour seul souci que de choisir leur toilette et leurs bijoux pour le grand bal du soir.
- Tous les soirs ?
- Tous les soirs ! Nous dansons et nous chantons, autour de grandes tables où sont dressés les mets les plus fins et les boissons les plus exquises. »
Aurore ouvrait des yeux émerveillés.
« Pas de corvées ?
- Pas la moindre.
- Des bijoux, des robes... des chapeaux ?
- D’immenses chapeaux ornés de dentelles, de rubans, de plumes multicolores...
- Je n’ai jamais eu de chapeau », murmura la jeune fille dans un soupir.
- « Je te donnerai un chapeau différent pour tous les jours de l’année. »
Aurore éclata de rire.
« Est-ce que ce n’est pas un peu... inutile ?
- Au contraire, c’est très utile, un chapeau ! Ca garde la coiffure bien en place quand on danse, et ça met en valeur la beauté du visage. »
La jeune fille se rembrunit.
« Mamie Jeanne dit que les artifices sont superflus et que le superflu gâte le coeur des hommes.
- Mais quand tu cueilles des fleurs, ne les disposes-tu pas en bouquet pour mieux les mettre en valeur ? La beauté n’est-elle pas le reflet de l’oeuvre divine ? La beauté nous réjouit le coeur et nous rend meilleurs, qu’elle émane d’une fleur ou d’un visage ! Les bijoux et les parures rendent les femmes encore plus belles. Et ce sont des preuves d’amour... Les plus belles femmes que j’ai rencontrées, aux quatre coins du monde, étaient celles qui se savaient aimées... Me suivras-tu ? »
Aurore eut un mouvement de recul inquiet et regarda le ciel.
« Il est tard, je dois rentrer. Au revoir !
- Je t’attendrai ici, je t’en supplie, reviens-moi vite... »
Sa voix résonnait aux oreilles d’Aurore tandis que sa course légère la ramenait à la chaumine.


« Il est tard », gronda le Chat.
- « C’est juste l’heure de dîner », tempéra Jeanne.
- « Désolée, je... je suis là. »
Aurore avait les joues rosies mais le regard clair. Jeanne haussa les épaules à l’intention du Chat, l’air de dire « tu t’es inquiété pour rien ».
Michel se coucha au bout de la table, les yeux grand ouverts, signifiant clairement qu’il n’avait pas dit son dernier mot.
« Alors, ce prétendant ?
- Oh, je ne sais pas, Mamie. Il fait de belles promesses, mais tous les hommes le font, n’est-ce pas ? C’est ce que m’a dit Emilie, au lavoir.... Je le reverrai demain... peut-être... »
C’était le lundi.


Le mardi soir, Aurore rentra plus tôt et prépara la soupe d’un air songeur. Jeanne était partie aider la femme de Bertrand qui était en couches, et qui ne voulait plus voir le docteur depuis qu’il lui avait interdit de manger du miel pendant sa grossesse. C’était une bonne chose, car Bertrand avait le mensonge un peu trop facile et un goût immodéré pour la bouteille. En le faisant naître, Jeanne pouvait aider l’enfant à ne pas suivre l’exemple de son père. Et puis il y avait la source des Deux-Chênes qui menaçait de tarir... et la vache de Georges qui donnait moins de lait...
« Ton galant est toujours aimable ?
- Toi, le Chat, tu t’y connais en galants ?
- Je sais beaucoup de choses.
- Il veut m’emmener avec lui. Mais qui se souciera de Jeanne ?
- Jeanne n’a besoin de personne. Et pour l’instant c’est elle qui se soucie de toi. Jeanne mourra un jour, comme nous tous. »
La jeune fille interrompit sa tâche pour le regarder. Elle semblait bouleversée.
« Comment peux-tu...
- Il y a bien pire que la mort », décréta le Chat. « Si le don de Jeanne venait à se perdre...
- J’ai appris bien des remèdes !
- Crois-tu ? Quelques recettes d’onguents et d’élixirs... Mais le véritable don de guérison, Jeanne le transmettra avant de mourir, comme il lui a été offert. »
Aurore réfléchit un moment.
« Est-ce que... tu sais... comment ?
- J’y étais », déclara le Chat en se léchant négligemment une patte. « Elle s’appelait Ernestine, et elle tenait son don de son grand-père Fernand. Jeanne avait juste treize ans. Ernestine est venue la trouver, dans le pré où elle gardait les moutons. Et le lendemain, elle était morte.
- Et tu crois que Jeanne me choisirait ?
- Pourquoi ne lui poses-tu pas la question ? Si elle te dit non, tu auras de la peine. Mais que feras-tu si elle te dit oui ? »
Aurore pâlit.


Le mercredi, Aurore ne quitta pas Jeanne de tout le jour. Ce n’est que vers le soir que la vieille femme demanda :
« Eh bien ? Pas de soupirant, aujourd’hui ?
- J’ai peur de te déplaire, Mamie Jeanne.
- Tu n’as pas à me plaire, mon enfant. Tu es libre de tes choix et responsable de tes actes devant ta seule conscience.
- Mais est-ce que c’est mal d’être amoureux ?
- Tout dépend de ta sincérité, et de la sienne. Tout dépend des projets que vous faites pour l’avenir, et des valeurs que vous partagez. J’ai été mariée, autrefois, et j’ai eu trois enfants. Il n’y avait pas de mal à ça.
- Tu ne m’en avais jamais parlé...
- Le temps a fait son oeuvre. Certaines douleurs seraient trop vives si on les gardait toujours en mémoire. Allons, le passé est mort. Et le dîner va refroidir. »


Aurore s’éclipsa dans l’après-midi et ne revint qu’à la nuit tombée, dansant et virevoltant sur le chemin, entre deux éclats de rire ;
« Mamie, mamie ! J’ai appris à danser la valse, et la polka... et la mazurka... Regarde ! Un, et deux, et trois... Oh, je n’en peux plus, je vais me coucher... »
Jeanne se retrouva seule devant son bol de soupe et sa tranche de pain bis.
« Il va nous l’enlever », soupira le Chat.
- « Peut-être pas. J’ai bien résisté, moi, et je n’avais pas son âge.
- Sans vouloir t’offenser, ton séducteur était vêtu de rouge ; Il est bien plus redoutable quand Il s’habille en blanc... »
Jeanne hocha la tête.
« Nous verrons bien demain. Demain, c’est vendredi. »


Le jour se leva, gris et pâle. Au loin l’orage grondait, sans se décider à éclater encore. Le vent menaçant sifflait dans les branches des arbres malmenés, et les oiseaux avaient fait silence, tapis dans une attente crispée.
« La terre s’inquiète », murmura le Chat. « C’est mauvais signe.
- Inquiétude n’est pas défaite. Nous devons attendre.
- Mais la petite est partie avant l’aube. La passion est mauvaise conseillère.
- Souvent. Sauf si c’est la passion du Bien.
- Humpf ! Si tu me laissais faire...
- Nous ne sommes pas le Mal, Michel. Nous n’usons pas de ses armes.
- Et s’Il nous attaque ?
- Nous saurons nous défendre. »


« C’est une louable intention, que de vouloir guérir les autres. Dans mon pays, nous n’avons plus de maladie ni de souffrance depuis bien longtemps.
- Mais... Vous mourez un jour, tout de même... »
L’homme en blanc éclata de rire.
« Bien sûr que non ! C’est un pays fort peu accessible, mais tous ceux qui y parviennent deviennent éternels, et éternellement heureux.
- Et je pourrais emmener Mamie Jeanne ?
- Evidemment ! Si elle le souhaite...
- Je vais lui demander ! Viens avec moi, il faut que je te présente !
- J’en serai ravi ! Mais je ne voudrais pas la déranger... Il est encore tôt... Cours devant, préviens-la, je te suis... »
Aurore avait déjà la main sur la barrière quand un oiseau noir s’abattit à ses pieds, comme foudroyé par un éclair invisible.
« Oh, le pauvre ! »
La jeune fille s’agenouilla près du corbeau. Sa main fine et délicate se posa sur la poitrine pantelante.
« Il est encore vivant. Viens, pauvre petit, Mamie Jeanne va te soigner, tu vas guérir, je ne veux pas que tu meures. Mamie ! Mamie ! Mais que fais-tu, Michel, vilain chat ! Non, inutile de sauter, je ne te laisserai pas y toucher, il est blessé, le pauvre. Mamie ! »
Jeanne sortit sur le perron en s’essuyant les mains sur le tablier noir. Elle vit le Chat en colère, les voiles blancs dansant au vent derrière la barrière ouverte, le sourire triomphant de l’Ennemi, et Aurore qui tenait dans ses mains...
« Aurore ! Arrête ! Jette-le au loin, vite !
- Mais Mamie, regarde, il est blessé !
- Je t’ai dit... »
Déjà la vieille femme se précipitait, la main tendue paume en avant vers l’animal, récitant à voix basse une litanie rapide et interminable. Il sembla à Aurore que la main de Jeanne devenait bleue, d’un bleu clair intense insoutenable. Mais ceci ne dura qu’une fraction de seconde, et avant que le rayonnement n’atteigne sa cible, le corps de l’oiseau fut projeté dans les airs par une force invisible qui le fit exploser en un tourbillon de plumes noires. Et les plumes, une à une, retombaient vers la maison et le jardin, tandis que l’homme en blanc était pris d’un fou rire tonitruant...
« Non ! », hurla Jeanne en tendant les bras au ciel. Aurore porta la main à sa bouche pour étouffer un cri de surprise. Elle cligna des yeux, se demandant si elle rêvait. Michel le Chat n’était plus qu’une immense silhouette de lumière, tenant à la main une épée flamboyante dont il balayait le ciel à grands coups furieux. Et à la place de chaque plume noire s’allumait un bouquet d’étincelles qui se dissolvait dans l’éther.
« Eh bien ? », rugit Jeanne, « de quel nom dois-je t’appeler aujourd’hui ? Freiluc ? Cleufir ? Phémotis, Libead ? Ou... Staan ?
- Staan ! », hurla la jeune fille en se précipitant vers l’homme en blanc, qui avait mis un genou à terre et se tenait la tête à deux mains.
- « Tu vas bien ? Qu’est-ce qui t’arrive ? »
Sa voix ne chantait plus.
Les yeux de l’homme étaient embués de larmes tandis qu’il tendait vers elle une main suppliante.
« Aime-moi ! » implora-t-il.
Aurore prit la main tremblante pour l’aider à se relever, mais ce fut lui qui l’attira. D’un geste vif il passa le lourd collier d’or au cou de la jeune fille et lui vola un baiser fougueux, qu’il interrompit sauvagement pour crier :
« Cette fille est à moi ! Tu as perdu, la vieille ! »
Une main d’acier se referma sur le poignet d’Aurore alors qu’elle lançait un regard apeuré vers la chaumière de son enfance. Sans la lâcher l’homme sauta sur son cheval et la souleva pour l’asseoir derrière lui. Le destrier s’élança aussitôt dans un galop effréné, et ses sabots lançaient des étincelles.


Mamie Jeanne ferma les volets et s’assit dans son vieux fauteuil, les pieds sur le tabouret bas. Elle joignit les mains sur sa poitrine et ferma les yeux.
Le Chat se coucha en boule sur le tablier.
« Tu es sûre ?
- Je n’en peux plus. Tu sais combien d’Innocents nous avons perdus ?
- Huit.
- Exactement. Nous ne jouons pas à armes égales, Il a tous les droits, alors que nous... Eh bien, ça suffit. Je m’en vais.
- Ca ne sera peut-être pas possible », objecta le Chat.
- « J’ai fait mon temps, basta », insista la vieille.
Dans la nuit l’orage éclata, faisant trembler les murs de la petite maison. Jeanne s’éveilla, étonnée d’être encore là. Soudain elle entendit clairement dans sa tête le cri d’un nouveau-né. C’était un cri vigoureux, clair, plein d’énergie et d’élan.
« Tu as entendu ? », demanda le Chat.
- « Oui. Mais je Te préviens », ajouta-t-elle en regardant vers le haut, « c’est la dernière fois !
- Celui-là, c’est un guerrier !
- Il semblerait. Il faudra lui enseigner la patience... »


Jeanne se leva, se recouvrit la tête et les épaules de son grand châle de laine et sortit dans la nuit. La pluie avait cessé, et l’étoile du Berger lui montrait le chemin.
« La dernière fois », grommela l’aïeule en hâtant le pas sur la route mouillée.
Narwa Roquen, de plus en plus en retard, et Mélamine qui s'agite dans son placard!

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-06-07 23:17:18 

 Commentaire Maedhros, exercice n°78Détails
Effectivement les innocents ne font qu’une brève apparition, juste pour respecter la consigne... Mais comment t’en vouloir quand tu nous livres avec souffle et brio un petit bijou exporté directement de Maedhrosie !
As-tu récemment été à Etretat ? J’ai retrouvé dans ce texte le parfum des embruns libres et sauvages, la ténacité immuable des rochers, la douceur de l’herbe drue sur le haut des falaises, tels qu’en mon souvenir...
C’est bien écrit, bien construit, bien mené. L’intrigue est simple mais la fin surprenante et savoureuse. La progression se fait tout en finesse, mais dans une délicatesse inéluctable. La bande son que tu as choisie accentue encore le côté tendrement âpre... C’est un cocktail où tous les sens sont à la fête...
Tes héros sont tous deux intéressants et attachants. L’ombre et la lumière, la terre et l’eau, complémentaires et indissociables, passionnément unis au-delà de leurs différences, et plus semblables qu’ils ne le voudraient. Le lien subtil qui les unit est fait de désir et de patience, de souvenirs et d’espoir – ce n’est pas le même espoir, ce ne sont pas les mêmes souvenirs, et cette discordance de mémoire est vraiment un point fort, déstabilisant pour le lecteur mais qui renforce ce parti pris de distorsion de la réalité où tu excelles. Mention spéciale pour cette alternative au réchauffement climatique ! Sans oublier cette description de la fée, où tu manies le sophisme comme personne !
Le texte est d’une cohérence extrême, et c’est pour cela que le lecteur te suit aveuglément quand bien même il sent que sa raison dérape... Nous sommes manipulés, nous le savons... et que c’est agréable !


Bricoles :
- le vieux chemin... qui mène à là-haut : qui mène là-haut
- les modernes tous-terrains : tout-terrains
- les nids de poules : de poule
- aucun ne se souviendra l’avoir aperçue : de l’avoir
- Et ils ne veulent rebrousser chemin : oubli de « pas »
- Les barbares... renoncèrent : avaient renoncé : tout le paragraphe est à l’imparfait, ou au plus-que-parfait
- C’est une bateau de pêcheur : faute de frappe
- Elle songe qui lui faudra : qu’il lui
- Tu m’as senti au plus profond toi : , ou de toi
- Nous qui respirerons : respirons
- Ils ramperont ... et adorerons : adoreront
- Tu as échouée : échoué
- Pourquoi notre destin aurait-il été de n’être : c’est un peu lourd, deux fois le verbe être si près
- Ils chanteront... maintenues : maintenus
- Ils ne dresseront : se
- Je surprend mon reflet : surprends
- Le corps du bâtiment principal derrières : derrière
- Il glisse contre mur : oubli d’article
- Dans un pluie de verre brisé
- J’ai essayé de déjoué : déjouer
- « c’est donc lui », fit-elle : le paragraphe est au présent
- Mes cotes : côtes
- Tu as toujours été celui que j’ai préféré : que je préférais, ou mieux : mon préféré


Ca me donne bien envie de vacances, tout ça... Voir le soleil s’enfoncer doucement dans la mer en écoutant une belle histoire dans la tiédeur du soir... Merci pour ce moment merveilleux...
Narwa Roquen, toujours aussi fan!

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Onirian  Ecrire à Onirian

2010-06-24 17:45:15 

 WA-Exercice 78 - Le Bien, le Mal et l'InnocentDétails
Ici, pas de prise de tête. Des gentils, des méchants, des neutres, et c'est parti.
Une bière ?

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Le Sceptre de Bulzateraz le Maléfique.


Il est des héros ayant une grande destinée, dont la vie est contée maintes et maintes fois dans mille et une prophéties. Il est des êtres plus doués que les autres, des gens bénis des dieux ou maudits par les démons des enfers, des personnages si grands que l'évocation seule de leur nom fait chavirer les coeurs, trembler les rois et gronder les cités oppressées.
Et puis il y a moi.
Moi, je m'appelle Rufiant, et je suis, enfin, j'étais, apprenti-forgeron. J'aimerai pouvoir vous dire que j'avais un talent particulier, que les armes forgés par mes mains étaient plus résistantes, plus belles, plus tranchantes, mais à dire vrai, je n'ai jamais forgé d'arme. Mon truc, c'était plutôt les clous. Je sais faire de grands clous, capables de maintenir soudées deux poutres pour soutenir une charpente, ou des petits clous, parfaits pour ferrer un cheval, mais, n'en déplaise au destin, c'est à peu près tout.
L'histoire commence vers la fin de l'hiver, aux premières journées presque chaudes qui prédisent le retour du printemps sans l'annoncer vraiment.
J'étais parti pourfendre une compagnie d'orcs en forêt à la recherche d'un trésor perdu (comprendre : je devais aller chercher des fagots de Malhorn parce que, parait-il, ils brûlent mieux), et pour rentre l'opération palpitante (disons... légèrement moins rébarbative) je m'inventais des histoires. Mais cette fois là, je n'eus pas besoin d'inventer longtemps, parce que soudain, au détour d'un chemin peu fréquenté, j'aperçu une vieille dame qui, loin d'être mal en point, assoiffée ou bossue comme dans les contes, m'apostropha de la sorte :
- Eh bien, ce n'est pas trop tôt ! Cela fait deux jours que je t'attends !
Je restais coi devant tant de violence. A ma décharge, n'oublions pas le fait que je ne savais pas ce qui se passait à Vaira Kruz.

* Interlude, ce qu'il se passait à Vaira Kruz *

- Mais comment ça une grève des transports ? Ce n'est pas possible ! Je suis le Héros, vous m'entendez ? Le Héros !
- Ben oué, mais moi, j'suis charretier, et notre bon seigneur vient de lever une taxe sur les routes, et si on le laisse faire, il finira par ôter le blé de la bouche de nos marmots, alors non, on ne dégagera pas la route.
- C'est inadmissible ! Ma vie a été contée maintes et maintes fois dans mille et une prophéties, je suis béni des dieux, et je fais chavirer les coeurs !
- Ben oué, mais mois, j'suis charretier, et notre bon seigneur vient de lever une taxe sur les routes, et si on le laisse faire, il finira par voler le lait maternel de la bouche de nos marmots, alors non, on ne dégagera pas la route.

* Fin de l'interlude *


- Alors, repris la vieille, tu ne sais pas qui je suis ? Je suis la gentille Dame Blanche, un Être de Bien et je dois te charger d'une mission périlleuse, avec l'honneur pour unique récompense. Seul ton triomphe pourra protéger le monde des hordes infernales.
Assurément, elle était vieille. Ses rides semblaient tracer une toile d'araignée sur sa peau et, je ne peux pas le nier non plus, elle était vêtue d'une grande tunique blanche, sans fioriture. Bref, une authentique vieille Dame Blanche, hélas pour elle, j'avais décroché à l'évocation des hordes infernales. Ces gens-là ne sont pas fréquentables, ils pillent, tuent, violent, et ne disent jamais merci. D'ailleurs, je lui en fis aussitôt la remarque.
- Les hordes infernales ? Je ne côtoie point ces gens-là. Ils ne sont pas fréquentables, ils pillent, tuent, violent, et ne disent jamais merci.
Ce fut à son tour de rester coite. L'ayant ainsi mouché, pas peu fier de moi, je continuais ma route. Oh bien sûr, j'ai entendu quelques grognements, voire quelques grommellements suggérant que de nos jours, les héros n'étaient plus ce qu'ils étaient jadis. Il m'a même semblé distinguer un ou deux jurons, mais les trucs de héros, justement, c'est pas mon truc.

Quelques lieues plus avant, je fis une autre rencontre, tout aussi insolite. Un homme, dans la force de l'âge, tout vêtu de noir, il riait d'un rire que je devinais sombre et maléfique.
- Ha ha ! Oh, toi, tu tombes bien. Tu es probablement l'agent du mal que j'attends.
- euh... Bonjour, lui répondis-je, sans grande conviction.
- Tu as l'air étonné, c'est probablement à cause de mon rire sombre et maléfique. Je viens d'apprendre grâce à mon scarabée espion (ce sont toujours les méchants qui ont les gadgets les plus rigolos), que mon ennemie de toujours, la vieille mais non dénuée de ressource Dame Blanche, a mal choisi son héros, celui-ci s'est débiné ! Ha ha ! J'en rie encore maléfiquement !
- En effet, et j'ajouterai même sombrement, si vous me le permettez.
- Oh oh, un cynique ! Parfait, ce sont les meilleurs. Et ce déguisement, un apprenti forgeron mal dégrossi, même pas une épée au coté. Très fort, je sens la ruse en toi. Bien, va dans la grotte situé un peu plus en contrebas, et affronte les quinze épreuves, de courage, force, ténacité, virilité, puissance, connaissance, intelligence, agilité, ruse, coquinerie, plongée en apnée, combat, tetris, et courage à nouveau. Alors et alors seulement, tu auras ta récompense ! Mais sois sans crainte, sans Agent du Bien pour se dresser devant toi, cela sera un véritable jeu d'enfant.
Allez savoir pourquoi, je suis descendu dans la direction indiquée, sans doute que le destin avait quand même besoin de quelqu'un. C'est que je ne savais toujours pas ce qu'il se passait à Vaira Kruz.

* Interlude, ce qu'il se passait à Vaira Kruz *

- Si vous continuez je vais vous égorger !
- Et vous irez en prison.
- Mais non, je suis le Méchant, celui dont la vie est contée maintes et maintes fois dans mille et une prophéties. J'ai été maudit par les démons des enfers, et l'évocation seule de mon nom fait trembler les rois.
- Ben oué, mais mois, j'suis charretier, et notre bon seigneur vient de lever une taxe sur les routes, et si on le laisse faire, il finira par voler le gruau au miel de la bouche de nos marmots, alors non, on ne dégagera pas la route.
Et il mourut (en vrai, il n'était pas très gentil ce charretier là, alors ce n'est pas si grave).
Ainsi que sa mule (qui était très méchante aussi).
Et la route ne se dégagea pas.

* Fin de l'interlude *


J'entrai donc dans la grotte. Me demandant bien ce que pourrait être ma récompense si je réussissais toutes les épreuves. Je vis une petite créature, à peine plus grande qu'un gobelin, toute verte, un peu comme une grenouille géante.
- Bienvenue, tu es venu passer les épreuves, je le sais. Non, ne dis rien, les prophéties ont parlé pour toi. D'ailleurs, les prophéties, qui ne se trompent jamais, ont dit que tu les réussirais toutes.
- C'est plutôt une bonne nouvelle, non ?
- Une bonne nouvelle ? Une bonne nouvelle !? Et quand les rochers tombent, qui doit les remettre en place pour le clampin suivant ? C’est bibi ! Et quand les dix milles flèches empoissonnées ont été tirées, qui doit réarmer tous les mécanismes ? Retailler toutes les flèches qui ont été cassées ? Retremper toutes les pointes dans une marmite pleine de poison ? Et qui a du la préparer cette marmite ? C'est encore et toujours bibi ! Alors non, moi quand je vois un héros se pointer, j'ai envie de lui mettre mon pied où je pense et lui dire d'aller se faire voir. En plus, si c'est le gentil, il est sage et n'utilise pas le pouvoir suprême des hordes démoniaques et quand c'est le méchant, il se fait tuer par le gentil juste avant d'utiliser le pouvoir suprême des hordes démoniaques. Boulot de chiotte.
- Humm, j'ai une idée. Et si je ne passais les quinze épreuves ? De toute manière, je vais les réussir, alors autant s'épargner des soucis.
La créature, mélange de bleu et de jaune (verte quoi), me regarda, interloquée. Je vis l'idée traverser son esprit, se faire maltraiter par des millénaires de traditions, lutter pour survivre, passer une bonne quinzaine d'épreuves (de courage, de ... enfin, vous savez quoi), et finalement, un éclair de fainéantise aigüe vint détruire le reste de conscience professionnelle de Bob (nom dont je venais de l'affubler de manière parfaitement arbitraire).
C'est ainsi que je repartis avec le Sceptre de Bulzateraz le Maléfique. A vrai dire, il ressemblait à... un sceptre en or, avec des pierres précieuses et tout ce qui transforme un vulgaire bout de métal en arme puissante capable d'invoquer les hordes infernales (les fameuses).
En repartant vers la clairière où se trouvait le vieux bonhomme en noir, quelque chose me dérangeait pourtant. Ce sceptre me semblait... comment dire... étrange. Au début, je me dis que c'était normal, qu'il était magique, mais... non, quelque chose ne collait pas. Puis j'eus l'idée.

* Interlude, ce qu'il se passait à Vaira Kruz *

- J'en ai marre d'attendre.
- Moi aussi.
- Vous voulez allez où ?
- Dans la forêt magique et enchantée.
- Oh, quelle heureuse coïncidence, moi aussi !
- Quel est votre nom ?
- Uriel, Agent du Bien et vous ?
- Mechiel, Agent du Mal.
- Mais alors, je dois vous tuer non ?
- J'imagine, mais je dois vous avouer que cette perspective ne m'enchante guère. Et puis, c'est toujours les gentils qui gagnent.
- A vrai dire, la semaine dernière, j'étais moi aussi Agent du Mal, c'était aux Sources de Kerdon la Maléfique, un endroit charmant, j'ai tout de même réussi à empécher que l'Agent du Bien local détruise de façon définitive mon maître du moment.
- C'est une performance tout à fait honorable.
- Oui, c'est ce qui ma valu ma promotion.
- Au fait, vous savez pourquoi ces gens manifestent ?
- C'est parti d'un seigneur qui enlevait les pommes de terre de la bouche des marmots, mais une contre grève à propos de l'insécurité a été déclenchée par un meurtre sournois.
- Désolé.

* Fin de l'interlude *


Tandis que, rusé, je m'approchais à pas de loup de la clairière, je vis la vieille Dame et le vieux bonhomme entrain de s'insulter copieusement. Visiblement, pleine de ressources, l'élue du Bien avait décidé d'affronter elle même tous les dangers pour sauver le monde, tandis que le maléfique Tom (Oui, Tom, et pourquoi pas d'abord !) tentait de contrer ses plans.
- Eh, Tom ! Et vous aussi... euh... Scylla, comment allez vous ?
- Tom ? C'est moi que vous appelez Tom ?
- Je trouve Scylla plutôt joli en fait...
- Tom, ça ne fait pas peur ! Comment vais-je pouvoir devenir maitre du monde avec un nom pareil ?
- Taisez-vous, j'ai le sceptre !
Et là, royal, tandis que je brandissais le sceptre, le silence fut assourdissant.
Tom souriait, persuadé que j'allais lui rendre, mais quand il comprit qu'il n'en serait rien, son visage se teinta d'une absence parfaite de couleur.
- Depuis combien de temps vous battez vous ? Allez, ne soyez pas modeste.
- Je ne dirais rien, vous êtes un traitre ! Rugit Tom.
- Cinq mille ans, dis la prêtresse (j'avais conclu, sans doute un peu hâtivement, mais qu'importe, que sa longue robe blanche était celle d'une prêtresse. Une mage aurait été plus voyante, une voleuse plus sexy, et une guerrière plus musclée).
- Cinq mille ans ? CINQ MILLE ANS ?
- Oui, nous sommes immortels. Et crois moi, j'irai cracher sur ta tombe, vil traitre !
- En attendant, c'est moi qui aie le sceptre (nananère, n'ajoutais-je pas).
Et effectivement, c'est bien moi qui avait le sceptre. Je connaissais bien peu de chose sur les luttes ancestrales, mis à part une chose. Aucun camp ne pourra jamais prendre le dessus. Ceci étant, il y a plusieurs manières d'établir un statu quo.
- Je suis près à vous donner le sceptre, mais pas à n'importe quelles conditions.
- Parle, dit Tom, Parle, je te promets tout ce que tu veux !
- Ne l'écoute pas ! Donne le moi ! Je le remettrai en sécurité !
- Dame, dites-moi, existe-il une promesse inviolable, ou quelque chose du genre ?
- Oui... nous pouvons promettre sur notre âme. Ce serment-là ne pourra être bafoué, sous peine de mourir.
- Alors... Je donnerai ce sceptre à celui qui m'en fait la demande, mais à une condition. Il ne devra se battre contre l'Autre, qu’à l'aide ce celui-ci, à l'exclusion de toutes autres armes !
Evidement, Scylla hésita, pour l'Elue du Bien, se battre à coups de hordes démoniaques, cela fait un peu contre-emploi. En revanche, Tom, jubilant, fit sa promesse sans même réfléchir.
- Sur mon âme, je Promets !
- Alors il est à toi !
Et je lui lançais.

Ceci étant fait, plutôt fier de moi, je repartis à la recherche de mon petits bois de malhorn pour le feu, craignant déjà pour les remontrances qu'allait occasionner mon retard.

Oh, vous voulez savoir si le monde sombra, en proie aux flammes des enfers, piétiné par des hordes démoniaques ? En fait, non.
Le truc, c'est le poids. Tous les métaux ont un poids, et l'or n'y fait pas exception. Or, ce sceptre était bien trop léger. Je suis donc revenu voir la grenouille pour lui tirer les vers du nez. Effectivement, lors d'une des quêtes passée du temps jadis (enfin, avant quoi), le véritable sceptre avait été détruit. Craignant pour son emploi, il en avait fabriqué un autre, plaqué or évidement, parce qu'il n'était pas très riche, et avec des diamants de pacotille. Ceci étant, Tom, tout maléfique qu'il était, avait promis de ne se battre qu'avec ce vieux bout de métal inutile. Et voici comment disparurent les guerres qui ravageaient nos contrées.

The end.

* Dernier interlude, Vaira Kruz mon amour *


-=Neutral Inc. Agents toutes missions=-

- Ca claque non ?
- Oui, et au moins, on ne sera plus soumis à ces règles d'honneurs stupides.
- Bof, en tant qu'agent du mal je n'y étais pas soumis de toute manière.
- D'un autre coté, tu étais obligé de perdre.
- C'est pas faux.
- Une bière ?
- C'est parti.

* The real end. *


--
Onirian, léger.

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shaana  Ecrire à shaana

2010-06-30 14:13:26 

 Sur l'air d'un conte Détails
Après réflexion, je ne suis pas certaine d'avoir suivi la consigne ... A vous de voir
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DEUX ENFANTS ET TROIS SECRETS

Il était une fois une gentille petite fille du nom d’Emma. Emma avait douze ans et habitait dans le Lyon de 1943. Elle était élevée par son oncle depuis que ses parents avaient péri dans un tragique accident de voiture il y avait presque cinq ans.

Emma disait peu les choses, le souvenir des tôles entrechoquées la hantait encore et vivre avec son oncle, un hombre sombre et mystérieux, ne facilitait guère l’épanouissement de l’enfant. Emma se sentait malaimée.

Emma allait à l’école de son quartier où elle suivait les cours du certificat d’étude avec difficulté : les lettres et les chiffres se mélangeaient dans sa tête. La petite fille se sentait idiote : les zéros pointés qu’elle récoltait à foison avait fait d’elle la risée de sa classe et une source de dédain supplémentaire pour son oncle. Elle restait donc, à longueur de récréations, à dessiner car Emma, digne fille d’artistes-peintres, savaient transformer ses rêves sur le papier et sa vie morne, en vie de princesse.

Mais un jour, l’institutrice indique la chaise voisine à celle d’Emma, celle qu’aucun élève de la classe ne voulait occuper, à un nouveau venu. Le petit garçon s’appelait Jean Marchand et venait d’arriver de Besançon. Emma l’observa à la dérobée. Plutôt menu, il semblait l’élève sérieux par excellence : de fins cheveux blonds coupés au carré, des crayons de bois taillés au plus fin, des pantalons courts aux plis impeccables, Jean semblait être l’archétype de l’élève modèle. Emma se doutait bien que le blondinet allait se presser, comme les autres élèves, vers la sortie de la classe pour aller en récréation.

Mais il n’en fut rien. Jean, à la grande surprise d’Emma, fit tout juste comme elle : ouvrir un cahier à spirales. Si dans celui d’Emma volaient des oiseaux multicolores et couraient des animaux fantastiques, celui de Jean était couvert de mots, de phrases, d’aventures.

Leurs yeux se croisèrent simplement, leur amitié naquit à la lumière d’un sourire complice.

Emma dessinait, Jean écrivait. Puis l’un des oiseaux d’Emma vint taquiner le point d’un i. Ce fut le début de chevauchées communes, portées par la magie d’une créativité grandissante. Parfois, un des dragons s’échappait de la page et venait ranimer le charbon du poêle de son souffle. Parfois encore, des lutins facétieux remplissaient les cahiers de commentaires fantaisistes, tels que “devrait s’arrêter de s’habiller comme le roi Dagobert” ou “Attention, danger! A la dentition d’un crocodile!” Heureusement, les phrases, comme ces êtres d’imagination, s’évanouissaient lorsque l’institutrice faisait rentrer les élèves en classe. Jean et Emma avaient tout juste le temps de ranger leurs cahiers à spirales dans leurs cartables noirs, en essayant de ne pas pouffer de rire.

Jean et Emma étaient heureux, heureux alors que la guerre et sa stupidité faisait rage autour d’eux. Mais Emma avait quand même un doute et elle se devait de demander quelque chose à Jean.
-- “Jean, es-tu mon ami ?”
Jean la regarda, surpris.
-- “Oui, Emma, je suis ton ami. Et pour te le prouver, je vais te dire quelque chose qu’il ne faudra surtout pas répéter à qui que ce soit. Je ne m’appelle pas Jean. Mon nom, c’est Samuel, Samuel Rosenberg. C’est mon secret.”

Le petit garçon expliqua tout à une Emma si absorbée par le récit de son ami qu’elle ne remarqua pas que sa meilleure ennemie, Rose, avait tout entendu de sa place trop proche.

Emma rentra chez elle pour découvrir que Rose avait piqué la curiosité de son oncle à vif : elle tomba, en effet, sur son minois tout frais alors que cette dernière sortait du bureau de son oncle. Emma se rappela que les roses appartenaient à la même famille que les ronces lorsqu’elle aperçut le regard vicieux de Rose posé sur elle.

Son instinct lui disait que la mort rodait et qu’elle frapperait bientôt. Elle se pencha pour regarder par le trou de la serrure et elle vit son oncle au téléphone.
-- “Oui, c’est ça, Herr colone, ya ... Ro-sen-berg.” Il raccrocha, alluma une cigarette. Puis, Emma le vit prendre un verre de vin italien, puis deux, puis trois. Il commençait à tanguer, se balançant d’un pied sur l’autre, au rythme de “Mein Berlin, oh, Mein Berlin”.

Emma ne comprenait pas. Elle le vit sortir un cadre qu’elle connaissait bien du tiroir de son bureau : la photo de ses parents, le jour de leur mariage. La première fois qu’Emma avait vu la photo dans le tiroir, elle fit une chose incroyable, poussée par un besoin irrépressible de savoir : elle avait osé demander à son oncle pourquoi il la mettait là. Il lui avait froidement répondu, comme il en avait l’habitude, que cela lui faisait trop mal de la voir.

Son oncle regarda longuement la photo, puis se mit à la lécher et dit : “Ca a pas de goût les bolchéviks.” Il jeta ensuite le cadre à terre, défit son pantalon et urina dessus en hurlant : “Putain! Ca me fait presque autant de bien quand je vous ai fait buter!”

Emma recula, pleine d’horreur : c’était là son secret.

Emma courait à perdre haleine sur les pavés, Emma devait sauver Jean, Samuel, tous les Rosenberg, les oiseaux, les dragons et les cahiers à spirales. Elle connaissait tous les raccourcis, les ruelles et les ruisseaux qui mouillaient les chaussettes mais qui permettaient de ne pas arriver trop en retard à l’école. Ces chemins de traverse, les voitures de police ne pouvaient pas les prendre. Elle trouva les Rosenberg, le père, la mère et Samuel en train de diner. Elle n’avait jamais eu les idées aussi claires et savait déjà où les emmener.

Elle s’appelait Morgane et tenait la librairie du quartier. Emma l’avait rencontrée un jour où une pluie diluvienne l’avait obligée à se réfugier sous le premier porche venu. Le porche juxtaposait une vitrine où s’étalaient des livres d’art. Emma en avait oublié la pluie et n’avait pas vu le soleil renaître derrière les nuages : elle avait fui dans ce paysage anglais, puis s’était perdue dans les cubes de cette autre peinture.

Morgane l’avait invitée dans sa boutique en lui offrant une tasse de chocolat chaud, un miracle par ces temps de restriction. Sans devenir vraiment amies, la femme mûre et élégante qu’était Morgane semblait comprendre la petite.

Morgane dénichait toujours de nouveaux trésors pour Emma qui lui rendait souvent visite : des estampes japonaises, des affiches publicitaires pour la compagnie de chemin de fer ou des reproductions de peintures rupestres. Elles se souriaient, se faisaient confiance et cela suffisait.

Pourtant, Emma ne lui avait jamais autant parlé que cette après-midi-là lorsqu’elle lui présenta Jean et sa famille. Tandis qu’elle lui révélait l’horreur de ses découvertes, Morgane observait tour à tour ces innocents qu’on lui amenait. Son examen achevé, son regard tomba sur le cahier à spirales que Jean tenait à bout de bras, le seul objet qu’il ait eu le temps d’emporter dans sa fuite.

“Puis-je voir ?” Son doigt manucuré feuilletait les pages. On n’entendait que le bruissement des feuillets. Parfois, lorsqu’un oiseau s’échappait d’une page, Morgane souriait doucement.

Tout en continuant à feuilleter, elle se dirigea l’air de rien vers une grande table de chêne rouge. Le cahier y fut posé et ouvert en grand sur une aventure africaine du crû de Samuel et richement illustrée par Emma.

“Voilà! Il est temps de partir pour vous ... et pour Emma de retrouver une famille.” Morgane amena un par un les Rosenberg au-dessus du cahier pour qu’ils puissent plonger plus aisément dans les hautes herbes de la savane. Samuel, quant à lui, sauta bravement sur le dos d’un rhinocéros savant et Emma fut enlevée sur les ailes d’un ibis géant sorti faire un tour dans la librairie.

Morgane ferma le cahier à spirales, examina ses mains et sourit. “Quel est l’idiot qui a dit qu’ils devaient sûrement être crochus ?!” Cette libraire avait encore un peu de magie incandescente au bout des doigts.

Sorcière ou fée ? Ca, cela devrait rester son secret.
Shaana (qui a VRAIMENT du mal à tenir les délais)

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-07-02 22:17:58 

 Commentaire Onirian, exercice n°78Détails
Cest un texte délicieusement décalé, franchement humoristique, riche de poncifs pris à contre-pied et de répétitions volontaires. Ca pourrait être agaçant, mais grâce au parti-pris de légèreté, ça reste drôle de bout en bout. Les intermèdes sur la grève des routiers (clin d'oeil à l'actualité), débouchant sur un accord totalement improbable entre le bien et le mal, sont vraiment originaux et déboussolants, ça sent bon son Pratchett...
Malgré tout ton héros n'est pas tout à fait innocent, et pas seulement parce qu'il s'appelle Rufiant. Il a certes tout du anti-héros, parfaitement égoïste et déterminé à ne jamais mouiller sa chemise, pour quelque cause que ce soit, tout en faisant preuve d'une intelligence un peu perverse et totalement dénuée de scrupules... Et c'est justement son manque d'innocence qui lui permet de tirer son épingle du jeu!
Qu'importe, le texte est plaisant, cohérent, et très distrayant. That's enternainment!

Bricoles:
- les armes forgés: forgées
- pour rentre: rendre
- j'aperçu: j'aperçus
- ce qu'il se passait: ce qui
- ben oué mais mois: moi
- repris la vieille: reprit
- l'ayant mouché pas peu fier: mouchée, pas peu fier
- je continuais: continuai; ensuite tu poursuis au passé composé: le passé simple serait plus cohérent
- j'en rie encore: ris
- la grotte situé: située
- mille flèches empoissonnées: empoisonnées
- et qui a du la préparer: dû
- et si je ne passais les quinze épreuves: oubli du "pas"
- c'est ce qui ma valu: m'a valu
- et toujours "entrain" au lieu de "en train"!!!
- histoire de traits d'union: "battez-vous", "donne-le"
- je ne dirais rien: dirai
- dis la prêtresse: dit
- une mage: pas sûr que ça se dise au féminin... à moins que ce ne soit la nouvelle mode, comme une ministre, mais ça me choque toujours... autant que auteure, d'ailleurs...
- c'est moi qui aie le sceptre: ai
- n'ajoutais-je: ajoutai
- je suis près: prêt
- qu'à l'aide ce celui-ci: de
- et je le lui lançais: lançai
- mon petits bois: petit
- une des quêtes passée: passées
- enfin, avant quoi: enfin, avant, quoi
- évidement: évidemment
- ces règles d'honneurs: d'honneur


Je me suis bien amusée, et je suis sûre que je ne suis pas la seule. La difficulté, dans la parodie, c'est le dosage. Tu fais semblant d'être lourd et le résultat reste effectivement léger: c'est fort!
Narwa Roquen,ah, Vera Cruz...

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-07-04 22:00:50 

 Commentaire Shaana,exercice n°78Détails
Ton histoire est très sympathique, un vrai conte pour enfants où tout est bien qui finit bien. L'amitié entre les deux enfants est décrite avec beaucoup de tendresse, et la description de leurs oeuvres conjuguées donne lieu à des envolées poétiques d'une grande luminosité; pour ma part, je me suis fait totalement embarquer! Et la fin est aussi inattendue que magique...
Je pense que tu as respecté la consigne. Il y a juste une ambiguïté à propos d'Emma, dont je ne sais pas s'il faut la ranger parmi les Etres de Bien ou parmi les Innocents. En fait, un peu des deux... Ceci dit, ça n'a aucune importance. Et cela n'entache en rien le plaisir du lecteur!


Bricoles:

Au niveau du style:
-"Emma ... savait transformer ses rêves sur le papier et sa vie morne en vie de princesse." On comprend le sens, mais c'est un peu bancal. J'aurais dit: "savait transposer ses rêves sur le papier, et y transformer sa morne existence en vie de princesse."
- sa meilleure ennemie: ça sous-entend une complicité ambivalente, alors que si je comprends bien , Rose est sa pire ennemie!
- le porche juxtaposait: jouxtait, non?
- feuilletait - feuillets - feuilleter : répétitions trop proches

Autres détails:
- les zéros pointés... avait fait d'elle: avaient
- elle restait donc, à longueur de récréation, à dessiner car Emma, : elle restait donc à dessiner à longueur de récréation, car Emma,
- indique la chaise voisine à celle... : verbe au présent dans un texte au passé; et c'est "voisine de"
- la guerre et sa stupidité faisait rage. Ca c'est une colle! Selon le sens, le verbe est au singulier; mais grammaticalemnt, avec deux sujets, le verbe est au pluriel. Quelqu'un a la réponse?
- rodait: rôdait
- elle fit une chose incroyable: avait fait
- ces temps de restriction: j'aurais dit "restrictions"
- sans devenir vraiment amies, la femme... semblait comprendre: sans devenir vraiment son amie, la femme...


En y réfléchissant, je me dis que dans la mesure où Emma sauve Samuel parce que c'est son ami, elle se comporte comme une Innocente. Avoir douze ans pendant la guerre, c'est plutôt une raison de mûrir vite, même chez une artiste; peut-être dans cette occasion sa conscience aurait pu s'éveiller, et elle aurait sauvé le garçon non seulement parce que c'était son ami, mais aussi parce que la persécution des juifs était une grande injustice...
Est' dirait que c'est mon côté moralisateur qui parle. Mais en même temps, faire réfléchir les enfants à travers un joli conte, est-ce vraiment un défaut?
Narwa Roquen,qui adore les contes!

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z653z  Ecrire à z653z

2010-07-08 17:07:22 

 le titre...Détails
... tue tout le mystère.
Et les deux paragraphes avec Antoine et les saucisses me semblent superflus.

a+

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z653z  Ecrire à z653z

2010-07-15 17:56:12 

 autres détailsDétails
hombre : homme
savaient transformer ses rêves : savait

sinon pour les trois personnages, je vois :
l'oncle : le mal
Morgane : le bien
Emma : le neutre

Et la fin est surprenante !

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-07-22 20:01:07 

 WA 78 Le bien, le mal et l'innocent : participationDétails
Ah ! Je l'ai enfin fini ! Je n'ai pas parfaitement respecté la consigne mais enfin, c'est fait. C'est qu'il me tarde d'attaquer tous les autres thèmes intéressants qui ont défilé durant mon absence !
Edit suite au message de Narwa Roquen.


Les heures propices







Ils sont nés ! Le merveilleux sentiment du devoir accompli me remplit toute entière. Quelle joie, quelle fierté ! Ce soir a vu l'aboutissement de toute ma carrière, de toute ma vie. Le résultat de toutes mes recherches. Je n'aurais osé l'espérer quand j'ai créé le labo il y a vingt-cinq ans. J'ai envie d'ouvrir grand les fenêtres et de le clamer au monde. Ils sont nés et en bonne santé, ces merveilles de la biologie moderne ! A présent, le vrai travail va commencer. Je me demande quelles découvertes nous ferons grâce à eux. J'en frémis d'impatience. Je suis sûre qu'ils vont apporter beaucoup à l'humanité.

Je souris toute seule dans mon appartement, à la fois rompue de fatigue et surexcitée. Et pour une fois, la solitude me pèse. Je n'ai personne avec qui partager ce succès. Personne ne m'a ouvert la porte, anxieux de savoir. J'ai bu seule une coupe de champagne que j'ai levée à la gloire de la science. Le goût fruité et piquant m’a surprise. Puis, j'ai bu une seconde coupe, à la santé de cette jeune femme remarquable qui a prêté sa matrice pour l'expérience. Quel dommage que je ne puisse faire figurer son nom dans mes rapports ! Mais l’anonymat est sa protection et le secret qui entoure ce projet doit pour le moment rester total. Nous avons repoussé les limites de la nature et nous devons avoir des résultats à montrer pour pouvoir le justifier auprès des ignares et des dévots.

Cette jeune femme pourtant, mérite le plus grand respect. Je ne regrette pas mon choix. Intelligente, d'un haut niveau d'éducation, une santé parfaite. Ses souffrances ont été grandes, pendant la gestation tout d'abord avec le dispositif de monitoring invasif que nous étions forcés de lui imposer, puis pendant l'accouchement, qui fut long et difficile, eu égard à la taille des enfants. Et la modestie avec laquelle elle a accepté de s'effacer ! Je la revois, épuisée, les traits tirés, me serrant les deux mains :

"- Professeur Schwartzwald, merci de m'avoir permis de participer à cette grande oeuvre."
C'est avec des larmes plein les yeux que je l'ai serrée contre moi. Bien sûr, je lui ai remis un chèque confortable mais nous savons toute deux que ce n'était pas là l'important. Nous oeuvrons pour la science et pour le bien de l'espèce humaine.

Je me ressers du champagne et je m'installe dans mon canapé rose. Je suis si énervée que je ne pourrai jamais dormir. La tension des dernières heures a été terrible. Vingt-quatre heures sans quitter le labo, quasiment sans manger. Les bulles tourbillonnent dans ma tête et je me sens mieux que je ne l'ai été depuis des années. Je ne me souviens même pas de la dernière fois où j’ai bu de l’alcool. Je suis euphorique. Je souris aux cadres qui s'alignent sur le vaisselier. Des photos de famille. La famille des autres. Pas de famille pour Lucienne. Pas le temps de changer des couches et de donner des biberons. Pas besoin d’homme. Juste l’extase de la connaissance. J'ai épousé la science comme les nonnes épousaient Dieu ! A cette pensée, j'éclate de rire. Le son résonne dans le calme irréel de la nuit. Encore du champagne pour la nonne Lucienne ! Future Nobel ! Bienfaitrice de l'humanité ! La pièce tangue et mes plantes vertes ondulent doucement. Je repose mon verre et me cale sur les coussins. Je suis si fatiguée... Mais du travail m’attend. Un rire de pure jubilation me secoue : toutes ces découvertes à faire ! Mes yeux se brouillent. Si fatiguée... Je tire sur moi une vieille couverture toute douce. Juste un instant de repos...


Putain, deux heures du mat' ! J'ai raté le catch. Je claque la porte du loft et je balance mes chaussures avec le reste du bordel. Je plisse les narines ; y a un truc qui sent le rance ici. Bof, on verra ça demain. Killer Chen versus Captain Devil. Merde, ça devait être un beau combat. J'aurais dû l'enregistrer. Quel con. Ouais, y a dû y avoir du spectacle. Ces deux mecs en ont dans le slip.

J'ai un de ces mal de crâne... Un double whisky va me remettre d'aplomb. Pas de glace. Mon père me disait toujours : "Y a que les tarlouzes qui coupent la gnôle avec de la flotte". S’il me voyait... Avec mon costard, en train de faire des courbettes à la vieille... Je sors sur le balcon et j'allume une clope. Ah, je me sens déjà mieux. Une bonne pizza là-dessus et je serai un homme neuf ! Je descends le whisky et je compose le numéro du livreur. Un de ces loosers à scooter me répond. Bien sûr que je veux une grande ! Évidemment avec de l'huile piquante,
abruti ! Je raccroche après lui avoir conseillé de se grouiller. Putain, je préfèrerais encore faire le travelo au bois de Boulogne que ce genre de boulot !

C'est que j'ai la dalle, moi. La vieille ne voulait pas que je sorte acheter un sandwich :
"- C'est un moment crucial, Arnaud. Vous vous devez d'être là."
Et moi avec un sourire forcé :
"- Bien sûr, Lucienne, je disais cela pour plaisanter, pour détendre l'atmosphère."
Oui, Lucienne. Tout de suite, Lucienne. Avec plaisir, Lucienne... Putain de merde ! Qu'est-ce que j'en ai marre de jouer les larbins pour cette vieille peau ! Si seulement elle pouvait se tirer, prendre sa retraite et me laisser les rênes du labo. Mais elle s'accroche, la carne ! Heureusement qu'elle me paie bien. Faut dire que j’assure question maths et stats. Et surtout, elle a besoin de moi pour tous les trucs un peu limites. Dans ma spécialité, je suis le meilleur !

Vieille dingue, toujours à faire de la recherche fondamentale alors qu'on pourrait engranger du pognon. A chercher des médicaments pour sauver de pauvres connards alors qu'on pourrait fabriquer des armes et se faire des couilles en or. J'arrive pas à comprendre ça. Rien que d’y repenser, ça me fout en boule ! J'allume la hi-fi dernier cri que je viens de m'offrir et je pousse le volume. Un peu de techno va me détendre. Et les voisins, je les emmerde !


Je les regarde à travers la vitre en remuant distraitement mon sachet de thé dans l'eau chaude. Je consigne mes remarques dans le dictaphone. Je ne le lâche plus depuis qu'ils sont nés. Adam et Eve. C'est ainsi que l'équipe a souhaité les appeler. Ces noms ne me plaisaient guère mais je dois avouer que cela leur va bien. Deux êtres uniques annonçant une ère nouvelle... Seule dans la salle d'observation, je peux souffler un peu sans les quitter des yeux. La pénombre m'aide à réfléchir et le calme est uniquement troublé par les bip des deux EEG. Les bébés jouent paisiblement de l'autre côté du miroir sans tain. Leur niveau de développement est impressionnant. A six jours, ils tiennent déjà parfaitement assis. Leur regard est incroyablement vif, avide de tout connaître. Ils ont des yeux bleus magnifiques, des yeux d'eau pure. Ils saisissent déjà toutes sortes d'objets. Les deux assistantes leur tendent des formes de couleur, des animaux en peluche qu'ils manipulent et se passent l'un l'autre. Je suis émerveillée par l’intelligence qu’ils dégagent.

Leur expression est sérieuse, presque grave. Ils sont parfaitement semblables, deux adorables poupons à la peau de lait, aux boucles blanches si légères et si douces qu'on dirait de la ouate. Leurs traits sont d'une perfection presque irréelle. Mais des différences trahissent leur étrange nature : une tête un peu trop grosse, des yeux un peu trop grands, des membres un peu trop minces. Je sais que leur apparence met mal à l'aise les membres de l'équipe, même si personne n'a osé me le dire, mais pour ma part je les trouve beaux. Ce sont deux splendides créatures, deux merveilles que j'ai fait naître. Il y a une semaine encore, ils n'étaient pour moi que des sujets d'expérience, images échographiques sur papier glacé. Mais à présent...

La porte de la salle d'observation s'ouvre brusquement, interrompant mes réflexions, et Arnaud entre dans la pièce. Il m'informe qu'il m'a envoyé les rapports préparatoires concernant les EEG et l'IRM. Nous échangeons une poignée de mots puis il repart. Mes lèvres se plissent de dégout. Il est seize heures; il doit lui tarder de rentrer chez lui s'avachir devant la télévision ou sortir je ne sais quelle potiche superficielle. Quel être méprisable... Il ne s'est jamais vraiment intéressé à ce que notre travail. Seule sa fiche de paye le motive. Pauvre jeune crétin arriviste. Il doit s'imaginer que je lui laisserai le labo quand je prendrai ma retraite. Mais il n'y a pas de retraite pour les vrais scientifiques. Et je préfèrerais mettre le feu au bâtiment que d'en laisser la clé à ce phallocrate boursouflé d'autosatisfaction !

Si seulement je pouvais me séparer de lui. Mais il n'aurait rien de plus pressé que de revendre nos secrets au plus offrant. Les gens comme lui ne savent pas ce qui est important. Ils ne croient en rien. Ils ne font rien d'autre que de consommer stupidement. Ils ne vont nulle part et ne s'en rendent même pas compte. J'ai bien essayé de lui ouvrir l'esprit et de le faire profiter de mon expérience mais en pure perte. Quel gâchis! Comme il le regrettera quand il sera plus mûr ! En fin de compte, je le plains plus que je ne le déteste.

Machinalement, je jette le sachet de thé et porte la tasse à mes lèvres. Le liquide est acre et je grimace. Il a trempé trop longtemps. Je bois à petites gorgées, appuyée contre la vitre. Adam s'est mis à quatre pattes et il rampe vers le coffre plein de jouets d'éveil. Les fils de ses électrodes traînent derrière lui. Il saisit un dinosaure en caoutchouc et l'agite doucement. Je suis fascinée par sa dextérité. L'expérience est indubitablement un succès. L'inhibiteur d'ocytocine que nous avons utilisé pour retarder la parturition ne semble pas avoir eu d'effets gênants. Et les facteurs de croissance expérimentaux ont rempli leur rôle. Quatre semaines de plus in utero. Quatre semaines de plus pour mâturer, pour atteindre un stade inconnu de développement. "Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices, suspendez votre cours..."

Je dépose la tasse vide et prélève une pomme dans la corbeille. Je ne rentre pratiquement plus chez moi depuis la naissance. Mon appartement ne m'a jamais semblé si vide et si sinistre et la déprime coutumière, avec son cortège de doutes et de pensées morbides, ne me lâche plus quand j'y retourne. Aussi, je reste au labo. La masse de données que nous recueillons suffit aisément à m'occuper. De plus, j'ai exigé une surveillance constante des enfants et, même quand je ne prends pas mon tour, je ne suis jamais loin d'eux. Mes angoisses s'apaisent quand je les vois, quand je respire leur parfum de lait et de savon pour bébés. Ils sont si mignons... Que ne suis-je une femme comme les autres, à l'aise avec les enfants, apte à câliner et à pouponner !

Eve s'est tournée vers la vitre. Nos yeux s'accrochent, bien qu'elle ne puisse pas me voir. Elle sourit et c'est tout son visage qui s'illumine soudain. Adam l'a rejointe et il me sourit lui aussi. Je réalise avec étonnement que je désire leur contact. Me suis-je menti durant toutes ces années...?


Enfin barré ! Je saute dans ma bagnole et je fais vrombir le moteur, avant de démarrer en trombe. Ca c'est la vie ! Le parfum du cuir neuf. De zéro à cent kilomètres heure en quatre secondes huit. Cinq cent sept chevaux. Les mecs se retournent sur mon passage en bavant d'envie. Encore mieux que si je me baladais avec un canon au bras ! Le pied intégral ! C'est pas tout le monde qui peut s'offrir le dernier cabriolet M6 de chez BMW... Mais il va le pousser son bahut, ce connard !? Je force le passage et je me rabats devant lui. Il klaxonne et je lui montre mon majeur en m’éloignant. J'accélère sur le périphérique et je passe les vitesses d’une main experte. Cette petite bombe est bridée à deux cent cinquante. De quoi s'amuser un peu. Elle en a sous le capot, comme son maître ! Ouais, tout pareil que moi : démarrage au quart de tour, super reprise, et une putain de puissance dans le piston ! Par contre, elle consomme un max. Tiens, ça me fait penser que j'ai plus de bière. Faut que je passe chercher une paire de packs.

Enfin le weekend ! Bordel, j'en pouvais plus de ce labo ! Deux jours sans voir ces sales petits monstres. Et la vieille, toujours à les surveiller comme si quelqu'un allait lui piquer. Qui en voudrait de ces phénomènes de foire avec leur grosse tête et leur gueule d'enterrement ?! L'autre jour, je draguais la minette qui s'en occupe, une petite gonzesse avec une sacrée paire de nibards, quand le technicien médical est venu pour prendre un des chiards et lui faire une piqûre. Il était pas parti de cinq minutes que le deuxième se met à chialer. La minette le ramasse et le câline pour qu'il la ferme. Vlà-t-y pas que plus tard, en contrôlant les tracés, je vois que le mioche a chialé exactement au moment où l'autre se faisait piquer ! Pas normal moi je dis. Sales monstres !

Putain, des vacances, vlà ce qu'il me faudrait. Trois semaines à la plage avec rien d'autre à foutre que de picoler et de mater des ptits culs. En Espagne, tiens... Non, c'est pour les ploucs, pas assez cher. A l'île Maurice, ouais... lui faut ce qu'il y a de mieux à Arnaud ! Et pareil pour les filles. Ce soir, j'ai rendez-vous avec ma nouvelle copine : une brune torride avec des jambes interminables. Une vraie cochonne ! Je vais lui en mettre plein le cul !


La fête d'anniversaire a été une belle réussite. Et c'est avec une immense fierté que j'ai regardé les jumeaux souffler leurs bougies. Mes petits ont déjà trois ans ! Trois années passionnantes, pleines de bonheur. Ces enfants exceptionnels ont donné un nouveau sens à ma vie. Et je les chéris du mieux que je le peux. J'étais si contente qu'ils aiment leurs cadeaux. Adam s'est plongé immédiatement dans son encyclopédie en trente volumes, quand à Eve, ses yeux brillaient quand elle a déballé l'ordinateur et le microscope. Ils m'ont tous deux couverte de baisers et m'ont offert un de leurs si rares sourires.

Oui vraiment, ce fut une belle fête. Leurs amis étaient là, le fils du professeur et les deux filles de la directrice de l'institut. La maison a résonné de leurs jeux joyeux. Ils s'entendent bien mais le décalage s'accentue de jour en jour. J'ai eu beau retenir des enfants d'un milieu socio-éducatif élevé et plus âgés que les jumeaux, ce choix montre déjà ses limites. Il faut dire que le développement intellectuel d'Eve et Adam est prodigieux. Leur trouver des camarades de jeu de leur niveau est difficile. Mais leur socialisation est une de mes priorités. Il serait trop triste qu'ils grandissent isolés. Nous avons besoin de nos semblables pour nous épanouir. Nous sommes après tout une espèce grégaire ! Et il serait délicat de les emmener dans des lieux publics en raison de leur apparence physique. Le secret est leur meilleure protection contre l'incompréhension et la haine. Par honnêteté, je dois avouer que cela ne me déplait pas de les garder pour moi seule.

Je ne regrette pas non plus le choix de les accueillir chez moi. Ils avaient besoin d’une vraie chambre et d’un vrai foyer. Cela a bien sûr demandé certains ajustements : j'ai déménagé de mon petit appartement de célibataire, en plein centre de Paris, dans une maison avec jardin, à la campagne. Le transfert des locaux et de tout le matériel n'a pas été de tout repos et je me souviens des disputes avec Arnaud, qui refusait de s'éloigner de la capitale. Si seulement il avait pu démissionner ! Pour élever des enfants, le grand air, il n'y a que ça de vrai. Et il faut être d'un égoïsme incroyable pour ne pas le comprendre. Par moments, cet homme me fait douter de la race humaine !

Je soupire et Eve tourne vers moi ses splendides yeux d'eau, interrogateurs. Je la rassure d'un sourire. Comme chaque soir après le repas, nous partageons un moment de calme avant le coucher. Je bois mon thé, tous les jours à cette heure, et je les contemple dans leurs distractions. Une vie bien réglée, régie par des règles justes, est la clé d'une existence harmonieuse. Tant de familles vivent de nos jours dans le chaos le plus total que c'est à se demander ce que deviendra la société dans une ou deux générations. Pour l'heure, cette maison est un havre de paix et d'ordre et je profite de ces petits bonheurs simples que la maturité m'a appris à apprécier.

Les jumeaux sont en pleine lecture. Ils lisent toujours avec autant d'avidité que quand ils ont appris, il y a deux ans. Il nous arrivait auparavant de regarder la télévision, pour laquelle ils ont la plus grande curiosité, mais la grossièreté et la laideur du contenu les angoissaient trop et je me suis débarrassée de l'antenne. Ils regardent à présent les vidéos que je sélectionne pour eux. Ils sont si sensibles, pleins de douceur et d'empathie. Ils ne comprenaient pas pourquoi les gens prennent plaisir à des spectacles aussi violents que la boxe ou pourquoi ils font souffrir les animaux. Que leur dire ? Nous vivons une époque de déchéance morale et, bien que je sois persuadée que l'homme est fondamentalement bon, la dégradation de l'éducation et l'influence pernicieuse des médias exacerbent les plus bas instincts. J'ai essayé de le leur expliquer de mon mieux.

Ils sont restés silencieux, échangeant simplement des regards et d’infimes expressions du visage. Ils ont toujours "parlé" de cette façon tous les deux, par émotions pures. Je suis totalement franche avec eux. C'est essentiel pour que la confiance entre nous soit parfaite. Notamment, ils savent depuis le départ qu'ils ne sont pas des enfants ordinaires et comment je les ai fait naître. Mais ils posent très peu de questions sur leur propre nature. Ils ont lu le dossier expérimental, puis nous n'en avons plus jamais parlé.

Je reprends une gorgée de thé et la savoure en silence. Quelle tranquillité ! Je me sens parfaitement détendue, enfin sereine après toutes ces années de doute et de mélancolie. Le parfum des roses que j'ai cueillies plane dans le salon et, dehors, quelques oiseaux nous font cadeau d'un chant tardif. Je regarde mes enfants, absorbés dans leurs livres. Leurs jolies boucles blanches encadrent leurs petits visages pâles et leurs longs cils dissimulent presque leurs prunelles d'onde pure.

Voilà qu'Adam relève la tête et demande :
- Maman, il est écrit ici qu'un effet positif de la religion est de diminuer la prévalence de la dépression sur ceux qui la pratiquent. La religion serait-elle donc une bonne chose ?
Il pose souvent ce genre de questions. Sa voix est calme et posée comme à l'accoutumée, sa diction parfaite, mais je perçois tout de même son trouble. Sa soeur a interrompu sa lecture pour écouter. Je pèse soigneusement ma réponse :

- La religion permet de se sentir moins seul et atténue la crainte de la mort. Mais il ne faut pas oublier qu'elle provoque aussi la haine de ceux qui ne croient pas dans le même dieu, avec pour conséquence la guerre. Je pense qu'il s'agit globalement d'une mauvaise chose, mon fils.
Adam se tourne vers sa soeur et la consulte en silence d'un mouvement de menton. Eve penche légèrement la tête puis entrouvre les lèvres et fronce les sourcils. Ils me font face tous deux de nouveau. Adam commence :
- Maman, nos connaissances et nos réflexions personnelles nous ont conduits à penser que tu as raison et que la religion...
- ... est un mauvais guide spirituel, poursuit Eve. Elle impose un but à ceux qui sont incapables de s'en trouver un et des idées...
- ... à ceux qui n'en ont pas par eux-mêmes, continue Adam, et les deux voix flûtées s'entremêlent sans aucune coupure. Elle est un obstacle à la raison et à la connaissance. Nous estimons que la science seule donne des réponses aux questions que pose la vie.
- Mes enfants, comme je suis fière de vous !

Mes mots sont vibrants d'émotion et je leur ouvre les bras. Ils grimpent l'un et l'autre sur mes genoux et je serre contre moi les deux petits corps graciles. Adam a toujours l'air préoccupé mais c'est Eve qui s'ouvre à moi :
- Tu nous as appris à aimer l'humanité, maman, mais nous constatons chaque jour ses déficiences.
La fillette s'interrompt et me fixe intensément. Ses grands yeux bleus sont anxieux. Je lui caresse les cheveux pour la calmer et elle reprend d'une petite voix :
- La violence et l'égocentrisme intrinsèques à l'humanité sont considérables. Les humains se reproduisent au-delà de toute raison, consomment plus qu'ils ne réfléchissent et détruisent plus qu'ils ne créent... Nous n'aimons pas les humains.
Le constat est tombé comme un couperet et un silence tendu plane sur la pièce. Mon coeur se serre. Je suis triste qu'ils pensent ainsi mais, même si leur intellect est précoce, ils sont si jeunes encore... Adam me prend la main :
- Maman, es-tu fâchée ?
Sa voix tremble et, tout à coup, il fait vraiment son âge.
- Mais non, mon chéri. J'espère que vous changerez d'avis plus tard mais je comprends votre amertume.
Je l'embrasse sur le front puis sa soeur. Ils nouent leurs bras autour de moi et nous restons tendrement enlacés. Je les berce doucement :
- Les humains ne sont pas parfaits mais ils méritent qu'on les aime. Il faut simplement les aider à s'améliorer. Les recherches que je fais sur vous permettront de trouver des remèdes. Libérés de la souffrance et de la maladie, les humains pourront élever leur esprit.
- Nous ignorons tout du futur... dit Adam, pensivement.
- ... cependant, nous aimons la culture humaine, poursuit Eve. La littérature, les arts, les sciences,...
- ...la philosophie. Nous pensons que tout cela doit être protégé.
- Mais nous nous posons tant de questions !
La voix d'Eve est montée vers l'aigu et la frustration y est tangible. Comme souvent, je m'interroge : suis-je capable d'élever des êtres si exceptionnels ? Saurai-je les chérir suffisamment pour que leur personnalité s'épanouisse et que la folie les épargne ? Je respire profondément :
- C'est le privilège et la malédiction des grands esprits que de s'interroger sans cesse.
- Nous devons apprendre davantage pour trouver des réponses. Et si nous ne les trouvons pas, nous les inventerons !


Encore une heure et je me casse. Putain, chuis sur les nerfs; je vais finir par péter un câble ! Et j'ai encore des tonnes de données à traiter. Allez, une pause clope fera passer le temps. Je verrouille mon ordinateur et je parcours les couloirs. L'autre vieille conne refuse qu'on fume dans les locaux. Comme si une pauvre Marlboro pouvait leur filer le cancer à ses deux monstres ! Toujours à me donner des ordres... Je commence à désespérer qu'elle me laisse un jour le labo. Mais je ne vais sûrement pas laisser tomber après des années d'effort ! Va falloir que j'arrange un truc pour l'éloigner...

Je fais un détour pour éviter la pièce des chiards. Ils me foutent de plus en plus la nausée. C'est même pire que ça; je suis carrément malade quand je les vois. Je respire mal, j'ai des frissons dans le dos, les tripes qui se serrent, des sueurs froides... Putain, si je me connaissais pas, je dirais presque qu'ils me foutent les foies. Mais je ne suis pas le genre de mec à avoir peur de mioches ! Ca doit être le stress. Ouais, le stress... Du coup, j'évite au maximum de m'approcher d'eux. Comme disait mon vieux père : "Les chiards, faut laisser ça aux gonzesses. Chacun sa place".

Me vlà arrivé sur le parking. J'allume ma clope et je tire une longue bouffée en pensant à mon paternel. Ah, c'était pas le dernier pour la déconne. C’était un mec simple. Il adorait le pinard et savait pas pifrer les négros. Les raclées qu’on leur a mises... Putain, c'était le bon temps ! Maintenant, on n'a plus le droit de s'amuser. Y a des radars partout et les filles nous font chier avec leurs droits. On n’a qu'une vie, bordel de merde ! Faut s'éclater un maximum ! On s'en bat les couilles de manger bio, des défilés de PD dans les rues, du dérèglement climatique ! Chacun sa merde et rien à foutre de ce qui se passera quand je serai mort !!


Les recherches des jumeaux me passionnent de plus en plus et ont pris le pas sur les miennes. A cinq ans, ils m'ont d'ores et déjà rattrapée d'un point de vue scientifique et je passe mes journées à les aider ou simplement à les observer travailler. Aujourd'hui, je me suis installée dans un coin de leur atelier et je relis un protocole expérimental pour le corriger. Partout autour de moi règne une activité fébrile : des éprouvettes pleines de liquides colorés s'inclinent en rythme dans le mélangeur, des solutions bouillonnent sur des becs bunsen en répandant de curieuses effluves, des écrans d'ordinateur affichent des courbes en temps réel. Eve et Adam expérimentent sur des êtres vivants et leurs créations s'ébattent librement dans la pièce. Il y a Albert, le lapin à la fourrure d'un bleu intense, Gargantua, le grillon géant de soixante centimètres de long, dont le chant emplit nos oreilles, Isaac, un paresseux au métabolisme accéléré et enfin Nikita, la hérissonne miraculée d'un accident de la route.

Il y a presque deux ans maintenant que les jumeaux ont découvert qu'ils n'avaient pas besoin de matériel pour modeler la génétique et cette aptitude n'a cessé de croître. La chair leur obéit lorsqu'ils lui commandent, l'ADN même est un jouet pour eux. Souvent, je les regarde opérer leur pouvoir, en silence, et j’éprouve une révérence quasi mystique. Je repense au moment où ils sont venus me trouver pour me le dire. Je n'ai pas été surprise qu'ils possèdent des capacités supra-humaines. Ne les ai-je pas créés dans cet espoir, pour amener l'être humain au prochain stade de son évolution ? Le voici sous mes yeux.

Ils ont fait leurs premières armes sur leurs propres corps, changeant la couleur de leurs cheveux, accélérant la pousse de leurs ongles. Puis, je leur ai proposé d'oeuvrer sur moi et ils ont guéri mon arthrose. J'étais éblouie, en admiration devant leur puissance, et ils étaient ravis de me faire plaisir. Je les encourageai à mettre leur don au service de la recherche médicale et de nouvelles découvertes vinrent bientôt s'ajouter à celles que j'avais faites sur eux. La maladie de Parkinson, la sclérose en plaques...; rien ne leur résistait et mon approbation les comblait d'aise. Le laboratoire ne cessait de déposer de nouveaux brevets.

Dans le même temps, j'étais intriguée par le comportement d'Arnaud. J'avais le net sentiment qu'il évitait les enfants et cela ne lui ressemblait pas. Il prenait de plus en plus de journées à l'improviste, prétextant des obligations personnelles. Se serait-il agi d'un homme normal, ayant femme et enfants, je ne me serais pas posé de questions. Mais cela ne collait guère avec le mode de vie égocentrique de ce répugnant individu. Je fis remarquer ces bizarreries à Adam et il m'apprit qu'Eve et lui se livraient à des expériences sur Arnaud. Ils m'expliquèrent cela avec leur sincérité et leur spontanéité touchantes :

- Nous l'avons par exemple amené à nous craindre. Les émotions et les pensées ne sont après tout...
- ...que des bouffées de neurotransmetteurs émis dans le cerveau. Nous aurions pu de la même façon l'amener à nous aimer mais...
- ...cela ne nous intéresse pas.
J'avoue que j'éprouvai à cet instant un léger frisson et je m'en sentis particulièrement honteuse. Comment aurais-je pu douter des intentions de mes amours !? Eve ajouta :
- Cet homme est le sujet idéal pour nos recherches : méchant et stupide. Nous lui avons aussi prélevé du sang et des tissus. Nous cherchons à isoler les marqueurs biochimiques de l’égoïsme...

J'émerge de mes pensées et je termine la lecture du protocole. Il est parfait, comme toujours. Il porte sur l'influence de divers pesticides sur les hyménoptères. J'appelle les jumeaux et ils s'avancent aussitôt vers moi, petites silhouettes sérieuses dans leurs blouses blanches.

- Je vois que vous allez travailler sur les abeilles, mes enfants.
- Oui, leur raréfaction doit être enrayée.
Eve a passé un bras autour de ma taille et elle pose sa tête sur mon épaule :
- Notre technique pour altérer le génome des êtres vivants est à présent bien au point comme le montre entre autres...
- ...notre succès contre la chytridiomycose, qui menaçait d'extinction tant d'amphibiens ! conclut Adam, les yeux brillants de joie.
Je les félicite chaleureusement. Mes prodiges, mes merveilles, je suis si fière de vous !


Je raccroche rageusement le téléphone et je me recolle au pieu sous une pile de couvertures. Putain, j'en tiens une sévère ! Il en faut pourtant pour l'étendre, le Arnaud. C'est un costaud, un vrai. Mais là, je grelotte de froid, j'ai le cerveau en sauce blanche et je suis plus faiblard qu'une gonzesse. Une fièvre de cheval. Ca m'a pris d'un seul coup. Et l'autre vieille grognasse qui a cru que je séchais le boulot pour aller au bistrot ou je ne sais quoi ! J'aimerais bien, tiens !!

Bordel de merde, ce que j'ai mal au crâne ! Je dois couver un truc gratiné. Ca fait trois fois en quinze jours. La fièvre apparaît tout d’un coup et chuis rétamé. Et pour la soigner, peau de zob ! Et puis, tac ! plus rien. Va peut-être falloir que je voie un toubib... Putain, ce que j’ai chaud maintenant ! Chuis en nage. Et je suis le seul du labo à avoir chopé cette saloperie. Mon instinct me souffle que les deux petits monstres y sont pour quelque chose... C’est pas naturel qu’un pauvre virus mette à terre un dur à cuire comme moi. J’ai du flair pour ces trucs-là, moi ; je me plante jamais. Ils vont morfler quand je vais rentrer, moi je te le dis !


Ce matin, j'ai décidé de leur parler. Cela fait longtemps -presque depuis le début- que ces doutes pèsent sur ma conscience mais je ne savais comment aborder le sujet et je reportais sans cesse le moment. A présent, je sens qu'il faut que je le fasse. Je profite que nous sommes attablés pour le déjeuner. La journée s'annonce radieuse et la véranda est tiède et ensoleillée. Le parfum sucré de la brioche et celui plus léger du savon des jumeaux flottent dans l'air. Je me lance :

- Mes enfants, j'ai une question à vous poser : êtes-vous heureux ?
Adam et Eve ont relevé la tête de leurs bols de chocolat et me fixent de leurs beaux yeux d'eau. Une boule froide et dure s'est formée dans mon ventre et je les observe avec intensité, attendant le verdict. Un léger sourire plane une seconde sur leur visage puis :
- Bien sûr, maman.
Eve me prend la main avec douceur et je me sens si soulagée que j'en pleurerais presque. Adam continue :
- Tu nous as toujours donné tout ton amour et les soins les plus attentifs. Tu nous as éduqués et tu as permis que nos dons s'épanouissent. Tu as veillé sur nous, tu nous as donné...
- ...des règles et des valeurs, poursuit Eve, tu es là pour répondre à nos questions et à nos craintes. Nous nous sommes toujours sentis en sécurité, aimés et comblés.

Les jumeaux me regardent avec une immense sollicitude :
- Est-ce donc cela qui t'inquiétait tout ce temps ?
- Mes chéris, quand vous êtes nés, je ne pensais qu'à moi et je m'en suis tant voulue par la suite... Je vous ai créés comme on fabrique des objets puis, je vous ai utilisés...
Les deux petites bouches s'arrondissent en un "oh" silencieux. Je reprends, tremblante :
- Je vous ai utilisés comme des cobayes ! Me pardonnerez-vous un jour ?
- Il n'y a rien à pardonner, dit Eve avec chaleur. Tu oeuvrais pour la science et nous comprenons cela. T'en vouloir de nous avoir donné la vie...
- ... serait à la fois illogique et cruel.
Je souris faiblement; un poids terrible s'est envolé de mes épaules :
- Je suis rassurée alors. Je vous vois si souvent anxieux et préoccupés que j'en venais à craindre que vous n'appréciiez pas votre vie et je me sentais d'autant plus coupable.
- Au contraire ! s'exclame Adam. Il y a tant de merveilles à voir, de choses à découvrir, de livres à lire !
Il a pour une fois perdu son ton posé et ses joues se colorent même. Sa soeur ajoute :
- Mais tu as raison, nous sommes soucieux. Nous nous alarmons du déclin rapide des êtres vivants et du saccage ignoble de la nature. Chaque jour...
- ...des espèces disparaissent et le climat se dégrade d'avantage, enchaine Adam.
Les jumeaux sont redevenus mortellement sérieux. Leurs yeux sont des miroirs dans lesquels je me reflète. Je retiens mon souffle tandis qu'ils parlent à tour de rôle :
- Nous avons tenté d'agir mais nous réalisons la futilité de nos efforts. Nous blâmons les humains...
- ...pour ce gâchis. Seule la beauté de leur culture rattrape la vilenie de leur comportement. Pour cela, nous les aimons quand même un peu.

Ils se sont interrompus et j'attends la suite avec une angoisse indéfinissable. Je sens confusément que ce moment est capital et qu'une fois les mots prononcés, rien ne sera plus jamais pareil. Les enfants se consultent du regard. Eve pince les lèvres et soupire, Adam hoche la tête, gravement :

- L'égoïsme des humains est la cause de tout. Il n'est pas le fait de chacun mais les idiots égotistes se reproduisent plus vite que les intellectuels écologistes et ont d'avantage de pouvoir. La destruction...
- ... des écosystèmes a déjà dépassé le point de non-retour. Il faut sauver ce qui reste. Désormais, seule une action radicale et urgente pourrait avoir un réel effet.
Ils se sont levés et se sont approchés de moi. Chacun d'eux tient une de mes mains dans les siennes. Je les observe alternativement, ne sachant que dire. Je suis dépassée et effrayée par les implications de leur discours. Se peut-il qu'ils aient raison ?
- Maman, nous t’aimons.
Ils parlent ensemble à présent et leurs voix fusionnent à la perfection :
- Nous aimeras-tu toujours, quoique nous fassions ?


Eve et Adam se tenaient par la main en regardant le flot incessant de la foule dense et des voitures sur la grande avenue. Les boucles blanches du garçonnet lui balayaient le visage tandis que la robe de sa soeur dansait dans le vent, légère. On eût dit deux petits fantômes pâles. Les larmes coulaient sur leurs visages. Eve se tourna vers son frère. "Ce que nous faisons est terrible." dit-elle avec son visage et son coeur. "Je sais," répondit Adam de la même façon "mais cela est nécessaire. C'est l'unique solution pour préserver la planète, tu le sais bien. J'en souffre autant que toi, ma soeur." Il la prit doucement dans ses bras et ils se tinrent enlacés. "Tout sera fini dans quelques semaines." souffla la petite fille "Et ceux qui resteront savent respecter la vie". Souriant à travers leurs larmes, ils lâchèrent les deux fioles qui se brisèrent sur l’asphalte, libérant le virus artificiel hautement contagieux. Alors, les humains autour d'eux, insensiblement, commencèrent à mourir.

Est', et d'un !

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-07-24 20:57:11 

 Commentaire Estellanara, exercice n°78Détails
Eh bien ! Ce n’est pas de la SF, c’est vraiment de la science-fiction, ou plutôt de la fiction scientifique, qui donne le vertige... Lucienne se prend pour Dieu et décide de refaire le monde... C’est original, tout à fait cohérent, et efficace. On te suit en toute confiance, c’est bien écrit et les personnages sont intéressants.
L’héroïne est attachante. La progression qui la fait basculer de l’intérêt scientifique à une dimension beaucoup plus affective est parfaitement conduite. Les jumeaux innocents deviennent franchement effrayants, mais leur logique est implacable.
Le seul qui soit vraiment manichéen, c’est celui qui représente le Mal. Cependant j’ai été un peu interpellée par sa manière de s’exprimer, qui me semble correspondre davantage à celle d’un homme fruste et inculte qu’à celle d’un scientifique de haut niveau. Qu’il soit trivial et pervers, certes, mais il me semble – sans en avoir l’expérience, il est vrai – qu’à un certain niveau d’études correspond un langage plus élaboré.
En revanche, ce dont je suis sûre, c’est que le macho primitif que tu décris, avant de sortir avec un « coup », ne dirait jamais « je sens que je vais me régaler » : c’est beaucoup trop soft !
C’est vrai que j’ai du mal à retrouver ma consigne dans ce texte. Lucienne est-elle un Etre de Bien ? Peut-être. Probablement. Ou plutôt elle ne l’est peut-être pas au début, mais elle le devient. En revanche les jumeaux, eux, perdent leur innocence en chemin, même si c’est au nom de valeurs morales...
Qu’importe, le texte en soi est agréable à lire et assez « embarquant » pour qu’on n’ait pas envie de s’interrompre en cours de lecture...
Bricoles :
- piqûre
- ils m’ont tous deux couvertes : couverte.
- leurs deux voix flutées : flûtées
- d’avantage : davantage
- Dores et déjà : d’ores
- On eut dit : eût

Je trouve que tu progresses dans l’émotivité de tes personnages. Ton héroïne est décrite avec une grande justesse, tu as trouvé la bonne distance et pour moi c’est son évolution qui fait la véritable richesse de ce texte. Félicitations !
Narwa Roquen,quand même, les lecteurs de Faëries ont de la chance!

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-07-27 14:33:29 

 Merci pour ta lectureDétails
J'ai hésité sur la façon de parler d'Arnaud. Mais je voulais en faire un être vraiment caricatural et de plus, c'est sa voix intérieure que l'on entend. Il ne s'exprime pas du tout de la même façon en public.
J'ai modifié sa phrase. Je l'avais édulcorée afin de ne pas choquer mes lecteurs sensibles, hihihi ! Je la remets alors.
Merci pour les bricoles, j'ai corrigé. Je ne suis pas amie avec les circonflexes...
Je travaille pas mal sur l'émotion en ce moment, que ce soit sur mes dessins ou mes textes. Je suis bien contente que ça se sente !

Est', à fond sur le WA 72.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-08-26 17:14:26 

 Exercice 78 : Shaana => CommentaireDétails
Chouette un conte ! Le titre sonne comme l’annonce d’une chasse au trésor où l’on chercherait à découvrir les secrets. Je trouve la description des rapports entre Emma et son oncle un peu succincte. J’aurais bien aimé des détails sur le comportement de l’oncle, un ou deux exemples de sa froideur voire de sa méchanceté. J’ai été surprise que Rose aille immédiatement tout raconter à l’oncle. Celui-ci est très très caricatural mais après tout, on est dans un conte.
« Emma devait sauver Jean, Samuel, tous les Rosenberg, les oiseaux, les dragons et les cahiers à spirales » : c’est joli ça et ça ressemble bien à la façon étrange et naïve qu’on les enfants de voir les choses.
Les oiseaux qui s’échappent des pages sous les doigts de la libraire amènent la fin fantastique et surprenante. C’aurait été bien d’appuyer plus dessus, avec plus de description, je trouve. Peut-être aurait-tu pu écrire un truc du genre « tout à coup ce n’était plus un simple dessin mais une véritable savane bruissant de vie ». Tu vois ce que je veux dire ? C’est une histoire pleine de fraîcheur et j’aime bien la dernière phrase.

Narwa, pour « la guerre et sa stupidité faisait rage », je mettrais le pluriel intuitivement.
Je ne crois pas qu’Emma se préoccupe de considérations morales ou qu’elle pense à la persécution des juifs dans son ensemble. Elle fait ce qu’elle pense juste, dans toute l’innocence merveilleuse de l’enfance. Dans le conte, le bien et le mal sont clairement identifiés et bien tranchés, contrairement à un récit classique. Et même si le conte dans sa forme pure n’a pas de morale, il transporte clairement un message éducatif à l’usage des enfants. Et c’est un vecteur magnifiquement utile d’idées positives. Lisez des contes à vos gosses, tertous ! Je n’ai rien contre les textes avec un sens moral, au contraire. Certains me heurtent car leur morale est contraire à la mienne, voilà tout.

Est', en pleine lecture.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-10-07 17:38:58 

 Exercice 78 : Onirian => CommentaireDétails
Par les dieux noirs, que la vie est donc pleine de choses pénibles et chronophages, telles que le travail, les corvées ménagères, la grippe... Cela fait des semaines sinon des mois que je néglige honteusement mes devoirs de lectrice pour me consacrer à ces inepties suscitées. Quelle misère ! Bref...
Ton texte possède un titre très heroïc fantasy. Le début est amusant et on sent venir un texte sans prétention, léger et humoristique.
Vaira Kruz ? Vera cruz ? S’il y a une grève des transports, on est dans le monde réel ? J’ai du mal à comprendre ce qui se passe et le rapport entre cet interlude et le reste du texte. Même arrivée à la fin du texte, je trouve ces interludes confus. Les personnages sont les héros du bien et du mal qu’attendaient la vieille et le méchant ? Ce n’est pas bien clair.
Tu utilises pas mal d’effets humoristiques, répétitions, reprise textuelle de la consigne, métaphores insolites, lourdeurs de style... L’ensemble n’est pas mal quoique j’ai trouvé cela irritant à la longue.
« Une mage aurait été plus voyante, une voleuse plus sexy, et une guerrière plus musclée » : bien vu le cliché de jeu de rôle !
Aïe aïe aïe l’orthographe ! Pas mal de fautes pourraient être évitées en employant le correcteur de Word... Tu fais systématiquement la confusion entre passé simple et imparfait. Je pense que tu devrais commencer par te consacrer à ce problème précis. Si tu parvenais à l’éliminer, le nombre de fautes baisserait significativement. Un exemple :
« Je lui passai le plat et il se coupa une tranche de viande » : terminaison en « ai », c’est le passé simple, pour une action rapide et unique.
« Ma tournée de facteur durait tout le jour. Je passais par d’innombrables villages » : terminaison en « ais », c’est l’imparfait, pour une action longue.
Voir là aussi : http://www.french.ch/Lecon_16_imparfait_et_passe_simple.htm
Un truc, ça peut être de remplacer dans les phrases pour lesquelles tu as un doute les verbes par un verbe du style « prendre, avoir ». Comme ça, tu entends la différence entre les deux temps. Exemple :
« Le contrôleur SNCF siffla trois fois. Je montX rapidement dans le train » : « montais » ? « montai » ? Tu remplaces par « prendre ». « Je pris rapidement le train. » Passé simple donc c’est « ai ». Et hop ! Chais pas si je suis très claire...
Sinon, pour en revenir à ton texte, les rebondissements sont agréablement inattendus, notamment les épreuves que le héros ne passe pas et la fin. J’ai trouvé l’ensemble sympathique.

Est', surbookée.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-10-07 17:46:53 

 Exercice 78 : Narwa => CommentaireDétails
L’automne, ses feuilles qui tombent, Maedhros, ses serial killers, Narwa, ses chats... C’est rassurant quelque part de savoir qu’il existe des choses immuables (^_^)
C’est presque un conte, ce récit. Il y a une belle princesse, une bonne fée, un animal qui parle... Les prénoms sentent bon le temps jadis, la campagne. Ton personnage de vieille un peu sorcière, qui exauce les souhaits et lit le coeur des gens, est bien campé. La description des personnages est courte et efficace mais je les ai trouvés un peu stéréotypés. Le style est sûr, comme toujours. Je ne suis pas fan du paragraphe avec le petit Toine, un peu mièvre à mon goût.
Tu restes très évasive sur les pouvoirs de Jeanne, sa mission, sa nature. On devine que le Séducteur a une semaine pour corrompre la jeune fille, que c’est une espèce de diable mais on n’en sait pas plus, ce qui est un peu frustrant. Il y a aussi un code couleur dans ses vêtements mais cela reste juste effleuré. Je n’ai pas compris la scène de l’oiseau.
Ca se lit agréablement mais je suis restée sur ma faim. J’aurais aimé plus de détails sur les protagonistes et le Jeu auquel ils jouent.

Est', surbookée.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-10-08 17:15:09 

 Exercice 78 : Maedhros => CommentaireDétails
Ce texte est joliment contemplatif et comme toujours redoutablement bien écrit mais un peu longuet; j'avoue avoir décroché par moments.
Quelques unes de tes descriptions sont particulièrement remarquables, comme « Dans le ciel, les doigts de la Déesse n’ont pas encore fini de peigner les cheveux de jais de la nuit qui s’endort. ». Waouh ! J'aimerais pouvoir écrire ce genre de choses.
Ton background, mélange de Chute de Lucifer et d'Atlantide, est original quoique un peu capillotracté.
La relation entre les deux protagonistes est intéressante. Ils se combattent depuis si longtemps qu’ils ont acquis une sorte d’intimité.
Hihi, on voit que l'Innocent ne te motivait guère !
La fin est complètement surprenante et agréablement cruelle. J'aime bien.

J'ai relevé quelques bricoles de plus :
« Le fauteuil à bascule s’immobile » : s’immobilise
« Pourquoi notre destin aurait-il été de n’être que les pantins obéissants de dieux lointains? » un peu lourd avec les deux verbes être. J'aurais mis "serait-il de n'être".
« Une flaque de sang rouge » : la précision sur la couleur est incongrue. Le sang est toujours rouge.
« Elle tend ses mains vers moi et ses mains me soulèvent sans effort. » : répétition.

Est', surbookée.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-10-09 19:49:05 

 Escape from the villageDétails
Une très longue histoire de Hard SciFi, très structurée, avec le dynamisme qu’offre l’alternance des points de vue : celui de la scientifique qui se rachète une vie par procuration et celui de son collègue qui cherche toujours le bénéfice à court terme.

Les deux personnalités sont campées avec soin. Certes, j’ai trouvé qu’il y avait quelques accents manichéens tant chez elle que chez lui mais ton appropriation du beauf vénal est assez jubilatoire avec quelques phrases pas piquées des hannetons. On voit également que le jargon biologique ne t’est pas étranger avec pleins de termes qui fleurent bon le vécu. .

La lecture de ce texte m’a fait aussi penser au « bon savant » tu sais, ce courant hier populaire dans les histoires de SF. Le bon savant ne se contentait pas de bien ranger ses pipettes sur la paillasse mais voulait à toute force le bonheur d’une société qu’il ne comprend pas. Et sa conception du bonheur, de l’équilibre aboutissait exactement à l’inverse du but recherché.

Tu dépeins Lucienne comme une biologiste cherchant continuellement à percer les secrets de la nature et qui a réussi une technique particulièrement expérimentale. Mais elle a fait une croix sur toutes les sciences humaines qui auraient pu éveiller différemment le jugement des prodigieux jumeaux et leur perception du monde qui les entoure. C’est elle qui choisit ce qu’ils regardent, devenant le filtre de leur conscience. Compte-tenu de leur facteur de développement, effectivement la fin est inéluctable !!

Ton style est comme d’habitude excellent avec une fluidité et une précision toute scientifique. Si j’ai bien compris, les enfants étaient les innocents mais ils ne le seront pas restés très longtemps à mes yeux. Les juges ne sont jamais innocents.

Le titre est joliment tourné, Lamartine n'est pas le dernier des poètes

Au rayon des bricoles :

-... mais nous savons toute deux que ce n'était pas là l'important : j’aurais mis « savions » car la phrase est au passé.


M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-10-10 10:54:13 

 JumanjiDétails
Très joli conte dans un décor de nuit et de brouillard. Une histoire d’amitié pure et idéale à un âge qui permet toutes les audaces. Le mal est donc cet oncle qui semble vouer une haine viscérale aux parents d’Emma. Tu as forcé sur le trait en donnant peu à connaître de ses motivations, ce qui crée un certain malaise.

Mais le conte autorise ce genre de raccourci : le méchant fait de méchantes choses du simple fait qu’il a le statut de méchant. A mon avis, le bien est représenté par Emma. Elle discerne ce qui est bien et ce qui est mal (donc elle fait le bien) et sauve son ami qui lui est l’innocent, celui qui n’a fait aucun mal

L’adjonction de la fée confère une dimension onirique supplémentaire et je pense qu’elle est l’instrument du Bien. La récompense de l’action d’Emma qui a volé au secours de son ami. En enlevant cette fin magique, le simple fait qu’elle ait agi ainsi la qualifierait pour être une « bonne personne ».

Il y a de belles images qui prennent leur essor dans ces lignes quand les deux enfants rêvent à l’unisson. La narration emprunte quelques fois le ton enfantin qui sied au conte même si à d’autres endroits, elle utilise certaines tournures qui semblent le destiner à des lecteurs plus âgés.

Le titre est bien trouvé et possède ce petit côté énigmatique qui renvoie aussi au conte.

Pour l’accord du verbe, je crois que le fait que les deux mots « guerre » et « stupidité » soient unis par la conjonction « et » justifie l’emploi du pluriel.

M

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z653z  Ecrire à z653z

2010-10-12 17:03:09 

 evolutionDétails
La fin n'est pas surprenante car les enfants ne sont qu'un prolongement de la scientifique.
Comment créer un virus qui sélectionnera les bons et mauvais humains ? Je crains des dommages collatéraux.
Et puis je t'ai trop reconnue dans le personnage de la scientifique.
Côté consigne, le mal qui travaille pour le bien, j'ai rarement vu ça. Et les innocents sont du côté du bien dès le début.


quelques détails pour lesquels j'ai des doutes :
Professeur Schwartzwald -- Professeure
mais nous savons toute deux -- toutes deux
Il ne s'est jamais vraiment intéressé à ce que notre travail.
comme si quelqu'un allait lui piquer -- les lui piquer

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-10-12 17:18:37 

 The village of the damned ?Détails
Merci pour ta critique.

Certes, difficile d'éviter le manichéisme avec ce thème. J'ai essayé de faire passer une vision du bien un peu psychorigide, un peu intolérante, bien pensante. Et une vision du mal libre et jouissive, quoique répugnante. Ca, je me suis bien marrée en écrivant les paragraphes d'Arnaud. Je me suis inspirée de quelqun qui existe en le caricaturant. Pour le jargon, j'avoue que je ne m'en rends pas compte, étant biologiste de formation.

Oui, je vois de quoi tu parles pour le "bon savant".

Lucienne est une marginale, idéaliste et très isolée socialement. Elle aime les humains mais elle ne les connait pas, je pense, car elle n'en fréquente pas réellement. Elle n'a pas complètement réussi à être le filtre des jumeaux car ils ont de trop grandes compétences techniques et ont accédé à Internet entre autres.

Merci, bien que je ne pense pas mériter tes éloges... *toute rouge*

Oui, les enfants sont les innocents et, dans ma vision, ils le restent jusqu'au tout dernier instant de la nouvelle, jusqu'au moment où ils répandent le virus. A ce moment, leur innocence est sacrifiée pour sauver la nature. En effet, ils prennent leur terrible décision sans aucune méchanceté, sans cruauté, sans volonté de nuire. Et cela les fait souffrir mais ils sont persuadés que c'est le moindre mal.
Dans un monde idéal, les juges devraient toujours être innocents, impartiaux et sans émotion.

Hihi, alors ma méthode pour choisir un titre : je me demande ce que tu mettrais à ma place. Bien sûr, ma méconnaissance du latin me limite un peu en terme de titres qui claquent !

Est', à la bourre.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-10-12 17:36:51 

 Merci pour ta lectureDétails
Ah ? Curieux que tu aies vu ça comme ça car les enfants s'opposent clairement à leur mère, et notamment en faisant leur massacre quand Lucienne voudrait qu'on aime aveuglément les humains, quel que soit le mal qu'ils font.

Le virus va sélectionner les égoïstes, pas les mauvais. Cela part du principe que la psychologie et les sentiments sont réductibles à des processus biologiques et à des molécules. Oh ça, il pourrait bien y en avoir des dégats collatéraux !

Rhôôô ! Quelle curieuse vision tu as de moi, arf arf arf !! J'ai justement mis dans Lucienne quelques points de personnalité que je déteste, histoire de nuancer le concept de bien. Par exemple, elle aime les humains. Pas moi, j'ai souvent honte d'appartenir à cette espèce qui saccage la nature, ne vit que pour le pognon, est capable du pire. Elle est également assez intolérante et méprisante. Elle porte un jugement tranché et sans appel sur Arnaud alors qu'elle ne doit pas le connaitre beaucoup. Elle pense qu'elle sait mieux que lui comment il devrait mener sa vie. Elle a des idées bien arrêtées sur tout et n'envisage pas de se remettre en question.
Elle est également très traditionnaliste et maniaque si tu regardes bien.

Certes, je lui ai prêté une ou deux de mes opinions. Mais les jumeaux sont bien plus proches de moi.

Wah ! C'est le bien pour toi d'exterminer 80% de la race humaine !! Héhéhé, tu remplaces Lomega dans ce forum ?!

Est', à la bourre.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-10-13 15:07:42 

 Le bien et le malDétails
D'ailleurs ce thème était une superbe occasion de réfléchir sur les notions de bien et de mal. Ces notions existent-elles indépendamment de la religion ? Peut-on définir un Bien et un Mal laïque ? C'est ce que j'ai essayé de faire dans ma nouvelle et je me suis arrêtée sur les notions d'altruisme et d'égoïsme.

Est', à la bourre.

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z653z  Ecrire à z653z

2010-11-04 17:40:56 

 Le bien et le mal...Détails
... dépendent d'une morale qu'elle soit religieuse ou pas. Donc oui, on peut définir une morale indépendamment d'une religion.
Et ce n'est que mon avis :)

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