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 WA - exercice n°80 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 24 juin 2010 à 22:41:20
Cette fois le héros de votre histoire sera un objet. Vous n'êtes pas obligés de le faire parler, mais il sera le fil conducteur de votre récit. Pour éviter la facilité, ce ne sera pas un livre, ni un coffre, ni un bijou... ni un miroir (tiens, je me demande pourquoi?)
Vous marchez dans d'illustres traces. "Denier du rêve", de Marguerite Yourcenar (rien que ça!), raconte le périple d'une pièce, comment elle passe de main en main... Pour ceux qui ne connaîtraient pas, c'est un immense écrivain, dont le style et le souffle me laissent sans voix. Pour vous dire: je ne suis même plus jalouse...
C'est un exercice d'imagination et de cohérence, que vous pouvez conjuguer dans le genre qui vous convient.
Vous avez trois semaines, jusqu'au jeudi 15 juillet.
Pardon? Ah oui, une râpe à fromage... si tu veux... Une boule de pétanque ? Pourquoi pas...
Narwa Roquen,oui mais non parce qu'un raton laveur ce n'est pas un objet... ou alors, en peluche...


  
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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-07-10 20:32:07 

 WA - Participation exercice n°80 part IDétails
Une longue histoire. Alors, une première partie.

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LE BAISER DE MEDUSE



Je ne sais pas si je vais y arriver. Arriver à écrire tout ce que je veux laisser derrière moi. Tout ce que je désire que vous sachiez. Cela devient de plus en plus difficile de me concentrer, de placer correctement mes doigts sur ce maudit clavier, de composer les mots les plus simples sans trébucher sur l’ordre des lettres et devoir faire d’incessants retours arrière. Des retours arrière, ah si je pouvais effacer ma vie comme on efface sous le curseur une phrase erronée. Cela devient un effort de chaque instant pour que tous ces mots jetés en vrac s’ordonnent en phrases compréhensibles. J’ai l’impression d’être un coureur de fond qui a surestimé ses forces et qui s’étouffe au milieu de sa propre respiration.

Je m’étais pourtant promis de m’atteler à cette tache depuis plusieurs semaines déjà. Laisser une trace, un avertissement. Mais chaque fois que je m’asseyais devant mon ordinateur, il y avait toujours un bon prétexte pour remettre cette entreprise à plus tard. C’était comme si quelque chose retenait ma volonté. Vous savez, comme ces promesses qu’on se jure de tenir et qu’on oublie aussitôt : suivre un régime alimentaire équilibré, faire un peu de sport, arrêter de fumer ou de boire, appeler ses parents... Toutes ces petites lâchetés sans conséquence qu’on se pardonne facilement d’un coeur léger et innocent. Toutes ces petites trahisons futiles et insignifiantes.

Voilà, vous constatez que je dérive, que je m’échappe, que je m’égare. Une fois de plus je sors du propos. C’est un autre des symptômes du mal qui me ronge. Habituellement, au bout de quelques phrases, je perds le fil de mes idées. Je me retrouve sur des chemins de traverse sans lien avec le sujet. Une forme de confusion mentale fatigante. Ce soir cependant, je parviens à maîtriser tant bien que mal cette propension. Je ne peux l’éviter totalement, vous le voyez et vous le verrez, mais je parviens à juguler ses effets. Grâce à cette seringue, posée à côté de...lui ! C’est un ami médecin-urgentiste qui me l’a été procurée. Il me devait un service. On ne doit pas jouer avec la comptabilité de la pharmacie centrale. J’ai nettoyé les dégâts et je lui ai évité des ennuis. Malgré mon aversion pour la chose médicale, le sang et les piqûres, je me suis fait cette injection tout seul, avec ce qui me restait de volonté défaillante. Je crois que l’imminence de l’échéance a néanmoins renforcé ma détermination. Il n’y a aucune étiquette sur la seringue et le liquide qu’elle contenait était transparent comme l’eau claire. Mais il possède de merveilleuses propriétés. Il me permet de résister suffisamment pour continuer de vous écrire. Vous qui figurez dans mon carnet d’adresses. J’espère que parmi vous, il s’en trouvera au moins un qui aura pitié de moi pour accomplir ma dernière volonté.

Il me regarde vous savez? Il a pourtant des yeux vides et morts. Deux trous terrifiants qui me fixent constamment. Je l’ai posé au coin du bureau à côté de la pile de dossiers, près du parapheur. Il attend que je le saisisse. Il sait parfaitement que je vais devoir m’y résoudre. Malgré le puissant cocktail de neuroleptiques dont j’ignore les noms, je ne pourrai résister à son appel bien longtemps. C’est une addiction, une drogue au-delà de toutes les drogues. Il est devenu le trou noir de mon univers où je ne suis qu’un pauvre satellite prisonnier de son attraction. Je tombe désespérément vers lui. Mais quand je le prends, quand il me possède...c’est une ivresse à nulle autre pareille.

Je constate que je n’arrive toujours pas à entrer dans le vif du sujet. Je tourne autour du pot, je vire, je baguenaude futilement. La page sur l’écran peut bien se remplir de caractères policés, il y a plus de vide que de sens. Je ne vais surtout pas effacer les mots déjà écrits. Ils sont la preuve que je me suis effectivement lancé. Plus ils seront nombreux, alignés comme les rangs d’une petite armée, plus ils seront un rempart contre mon envahisseur. Chaque mot supplémentaire renforce ma volonté et m’accorde une sorte « d’extra time » à l’instar de certains jeux vidéo. Tant que j’écrirai, il restera inerte dans son coin. Je ne veux pas imaginer ce qui se passera quand je cliquerai sur la case « ENVOYER » de mon client de messagerie. Il ne faut pas que j’y pense. Pas maintenant. C’est douloureusement excitant. Dangereusement excitant. Et je n’ai même pas débuté mon récit.

Par où commencer? Par le début me diriez-vous. Ce n’est pas si simple. Je ne suis qu’un petit maillon d’une très longue chaîne. Pourtant je peux commencer lorsqu’il a fait irruption dans ma vie. On verra bien où tout ça me mènera. Comprenez-moi. Malgré la drogue dans mon sang, je ne suis plus réellement maître de mon destin. A peine peut-elle desserrer légèrement les rênes qui me brident.


I. LE DEBUT



Vous me connaissez tous. Inutile que je me présente. C’était mon trentième anniversaire. Je ne suis pas attaché aux traditions et les fêtes familiales me font généralement fuir. Avoir trente ans ne m’a fait ni chaud ni froid. J’ai ouvert quelques bonnes bouteilles. Des Graves. Des grands crus classés. J’avais aussi invité une poignée d’amis. Certains d’entre vous du reste. J’avais loué les services d’une charmante compagnie aux attentions tarifées. Elles correspondaient exactement à mon type de femme. Vives, enjouées, sensuelles. Je crois que la plupart de vos compagnes sortaient des mêmes officines non ? Certains signes ne trompent pas. Surtout la blancheur d’un cou languide. Tous les ingrédients étaient réunis pour que la soirée soit consacrée à Bacchus et à Pan. Le monde des courtiers est un monde à grande vitesse. Tout y est plus grand, plus fort et plus brillant que partout ailleurs. J’avais trente ans et le bonus annuel que m’avait versé la firme le mois précédent avait été tout simplement immoral.

L’hôtel particulier appartient à ma famille depuis plus de quatre siècles. Je porte un nom inconnu du grand public. Il est issu d’une ancienne noblesse, discrète et financière, familière des obscures contre-allées du pouvoir. Aujourd’hui, je suis le dernier descendant. La lignée n’a toujours compté qu’un unique héritier par génération depuis son origine, à Antioche, au douzième siècle. Cependant mes racines sont bien plus anciennes, naissant à Epidaure, sur la côte de l'Argolide. C’est un de nos secrets. Un élément substantiel du pacte fondateur. La devise sur notre blason rappelle cette obligation : « In vitam eternam, solus eris ». Je n’ai aucun titre nobiliaire, aucune particule attachée à mon nom, aucun de mes ancêtres n’est mentionné dans les livres d’histoire. Tout cela n’est que pacotille pour les véritables puissances de ce monde. Vous le savez fort bien. L’histoire de ma famille est écrite en creux dans l’histoire du monde. C’est l’ordre naturel des choses.

La nuit était déjà bien avancée. Le vin coulait à flot jusque sur la nappe blanche où il se répandait comme le sang sur l’autel. Les rires fusaient dans la clarté chaude et vacillante des grands chandeliers. Les rideaux étaient tirés hermétiquement et les corps se frôlaient, froissements d’étoffes coûteuses. Les corps se pressaient les uns contre les autres, de plus en plus passionnément. Pan passait parmi nous. Seuls ses yeux souriaient pendant qu’il tirait de merveilleuses notes de sa flûte ensorcelée, étourdissant nos âmes dans une invitation à le suivre. Il s’est soudain approché de moi. Tout en continuant de tisser ses trilles diaboliques, sa main a caressé la peau dénudée de ma poitrine et ses yeux brûlants se sont attachés aux miens. Il a murmuré un nom que je n’ai pas compris. Daphnis. Eperdu, j’ai renversé ma tête en arrière, ne sachant exprimer autrement le ravissement qui me saisissait. Les deux filles agenouillées devant moi se sont relevées, les joues empourprées, pour tendre leurs mains vers la créature orphique dans une supplique torride et muette. Il a alors reposé sa flûte et les a rapprochées de lui, de moi... J’ai finalement perdu toute notion de la réalité pour me glisser au coeur d’un intense et orgiaque plaisir. Une débauche enivrante et sensuelle nous emporta bientôt sur le flanc du volcan.

Là, nous avons dansé sur la lèvre étroite du cratère tandis que le monstre enterré crachait de longues giclées d’une lave rougeoyante. Devant nous, le dieu cornu marquait férocement la mesure en frappant le sol de ses sabots caprins. Le temps lui-même a disparu jusqu’à l’explosion finale qui me jeta sans force sur le canapé de velours cramoisi, le souffle coupé. La pendule sur la console de l’autre côté de la pièce indiquait quatre heures et demi. Autour, les autres semblaient aussi désorientés que moi, comme ces voyageurs revenus d’un très long et lointain séjour qui se sentent étrangers dans leurs propres demeures. Les vêtements jonchaient le parquet, s’accrochaient aux tableaux de maîtres ou pendaient aux dossiers des fauteuils Louis XV. Une jeune femme s’enroulait autour de mes reins. Epuisée, elle fermait les yeux et a protesté à mi-voix quand j’ai écarté sa joue de mon aine. J’ai tant bien que mal récupéré mes affaires pour aller me rasseoir à la longue table. J’ai versé un peu d’eau dans un verre taché de rouge à lèvres. J’ai bu lentement en contemplant les traces blanches qui erraient encore sur les plateaux d’argent. Les bouteilles qui n’étaient plus que des cadavres vides et renversés. Les reliefs du repas, dos de sangliers et bouchées à la reine, éparpillés à même le bois.

C’est à cet instant que j’ai découvert le cadeau qui trônait au milieu du désastre. Un carton à chapeau à la blancheur immaculée, entouré d’un joli ruban rouge qui faisait un noeud parfait sur le dessus. Une petite carte était glissée sous le ruban. Deux mots y étaient écrits à la main : « Pour toi ». J’avais pourtant bien stipulé que je ne voulais aucun cadeau. Cette fête avait une autre nature, servait un autre but. En soupirant, j’ai pris le carton et j’ai dénoué le ruban. Quand j'ai soulevé le couvercle, il était là, posé sur un lit de satin froissé. Il était là et j’ai immédiatement su qu’il était moi. Le masque. Un masque blanc, sans artifice ni fioriture. Rien à voir avec les masques vénitiens ou les masques de clown. Un masque comme ceux utilisés par certains comédiens sur les scènes de théâtres antiques. Un simple masque où seuls les yeux et la bouche étaient évidés. Aucun élastique pour le maintenir en place.

Intrigué par ce cadeau insolite, j’ai interrogé du regard mes amis qui s’étaient rassemblés dans mon dos en silence. Sans résultat. Les filles, étonnées, respectaient la solennité de l’instant. Julien, mon ami intime, rompit la gêne qui s’installait en s’écriant :

« Un masque... hahaha... un masque. C’est le cadeau parfait n’est-ce pas ? Je sais ce qui convient en pareille circonstance ! Tu permets ? »

Sans attendre ma permission il traversa la pièce pour rejoindre le meuble qui abritait ma petite installation audiophile. Il alluma l’ampli et le lecteur de disques. Il farfouilla ensuite dans la colonne où je rangeais les CD. Il poussa un cri de victoire quand il dénicha celui qu’il cherchait. Il ouvrit le boîtier et glissa le disque dans le lecteur. Il sauta quelques pistes en lisant le sommaire au dos du CD. Il se retournait vers nous quand s’éleva la voix de la divine Callas :

« Consentimi, o Signore,
Virtù ch'io lavi 'l core,
E l'infiammato palpito
Nel petto mio sopir! »

Nous avons tous éclaté de rire, ayant reconnu le drame verdien. Tous sauf nos cavalières qui nous regardaient interloquées. La musique pleine et fiévreuse de cet opéra écrit par le maître à son apogée et le chant captivant de la diva dispersèrent le malaise aussi rapidement que le soleil chasse la pluie. Le bal masqué, bien sûr. La musique nous enveloppa, nous rappelant que la nuit n’était pas finie. Je reposai le masque au fond de sa boîte et j’enlaçai la plus proche de nos belles naïades à laquelle j’offris une coupe emplie d’un nectar pétillant et euphorisant. La vie était douce et elle devait être cueillie avant que la rosée ne se dépose sur les fleurs endormies. Mais je n’avais pas, nous n’avions pas, sommeil.

C’est ainsi que le masque est entré dans mon existence.

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-07-11 20:42:34 

 WA - Participation exercice n°80 part IIDétails
Bon, on continue...

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2 – LA TENTATION



J’ai relu les lignes. C’est à peu près ce qui c’est passé cette nuit-là. Une fête et un masque. Quand je me suis réveillé, j’étais seul dans mon grand lit. Un parfum improbable, où les tons capiteux de la tubéreuse se mêlaient aux notes plus boisées du vetiver, flottait près de moi, dernier vestige des corps enfuis. J’avais la tête vide et les membres rompus. De la nuit écoulée, il ne restait rien. C’est ce qui me fait le plus peur.

Je me suis levé. Douché. Rasé. Habillé. Après, il était plus de quinze heures dans ce dimanche d’hiver. Je n’avais envie de rien. J’aurais pu partir flâner dans les allées du jardin de Luxembourg. J’aurais rencontré sans doute une chère amie, la plus fidèle de toutes mes amies. Pourtant belle et désirable, elle m’est définitivement inaccessible. C’est ce qui nous rapproche davantage. Elle est mon reflet féminin, l’image renversée de ma nature profonde, trop semblable à moi pour m’attirer. Il est périlleux d’aimer son propre reflet n’est-ce pas? Elle reviendra dans l’histoire, c’est certain.

La collation était servie dans le petit salon bleu. Le journal économique saumon était plié à côté de la tasse de porcelaine. Les toasts étaient prêts et l’oeuf à la coque fumait encore. La cafetière toisait le pot à lait et la serviette brodée, frappée aux armes familiales, enveloppait les couverts d’argent. Derrière les fenêtres, au-delà du jardin à la française, de l’autre côté du haut mur, la rumeur de Paris grondait sourdement. Mais je n’entendais rien. Je ne pensais à rien. Je tournais la cuillère dans la tasse alors même que je n’avais pas sucré le café. Même l’écran du portable où défilaient les cotations boursières en temps réel ne m’arrachait aucune marque d’attention. Il manquait quelque chose. Il me manquait quelque chose. Je ne savais plus quoi.

« Que doit-on faire de ça, Monsieur ? »

La vox grave de Louis, mon majordome, me sortit de cette torpeur. Je discernai aussi une sorte de réprobation retenue. Je reconnais qu’il n’est pas simple d’être à mon service. Il tenait le carton à chapeau, attendant placidement ma réponse. Alors tout me revint en mémoire. La fête et ses excès, les filles et le vin, la présence de la divinité et... le masque !

« Donne ! »

J’avais répliqué sèchement. L’impatience me gagnait, une fébrilité inhabituelle. Ce n’était qu’un cadeau d’anniversaire après tout. Je m’étais montré injuste envers Louis. Quand il déposa le carton sur la table, je m’excusai indirectement :

« J’espère que la fête d’hier n’aura pas été trop exubérante ! Est-ce que mes.. heu.. invitées ont été satisfaites de leur rétribution? Heureusement que tu es là pour pallier mes faiblesses ! Louis, je ne te remercierai jamais assez ! »

« J’ai fait appel au même service de nettoyage. Il n’y avait rien de vraiment extraordinaire. En s’y mettant à cinq, ils avaient terminé avant midi. Ils enverront leur facture d’ici quelques jours. Vos hôtesses ne se sont pas plaintes. Le supplément que vous leur avez accordé a fait son effet. Elles m’ont supplié de vous dire qu’elles reviendraient avec infiniment de plaisir et qu’il ne fallait pas que vous perdiez leurs numéros. Si j’osais, je me permettrais de dire à Monsieur qu’elles étaient superbes ! Enfin pour me remercier, Monsieur sait fort bien ce qu’il lui reste à faire ! »

J’essaie de déchiffrer le regard imperturbable de Louis. Je ne peux exaucer ce qu’il me demande. Ma Maison est ancienne et ses règlements immémoriaux. Je ne les enfreindrai pas avant que le temps soit venu. Nous mourrons lui et moi, comme nombre de ceux qui nous succèderont, avant que ce temps n’advienne. S’il est mon serviteur, je ne suis pas le Maître. Vous le savez aussi.

Louis referma silencieusement la porte tapissée derrière lui, me laissant seul avec cette boîte de carton posée devant moi. Le ruban avait disparu. La carte aussi. Mais qu’importe. D’une main tremblante, je soulève à nouveau le couvercle. Je me souvins d’un vers de Victor Hugo. L’oeil était dans la tombe et il me regardait. Je saisis le masque. Sa texture était douce au toucher, presque semblable à celle de la peau, douce et souple. Certains cuirs très précieux atteignent ce degré de sensation charnelle, certaines matières plastiques très récentes aussi. Je le retournai entre mes mains. Il était d’une extrême minceur. Pourtant, il ne se déformait que difficilement. Je pouvais le malaxer, le tordre ou le plier à volonté, dès que je le relâchais il reprenait son apparence initiale, sans trace visible des efforts supportés. Une matière à mémoire de forme.

Derrière les grandes fenêtres, le soleil d’hiver se couchait déjà et ses pâles et froids rayons se déversaient en oblique à travers la pièce. Il n’était pas dix sept heures. Le salon bleu était silencieux. Je tenais ce masque blanc, les coudes appuyés sur mes genoux. Une singulière et irrésistible tentation força peu à peu ma décision. D’un mouvement hésitant, en fermant les yeux, je posai le masque sur mon visage. Son contact sur ma peau était doux et sensuel. Il semblait épouser méticuleusement les pleins et les déliés de mon visage : les contours de mes pommettes, l’arête de mon nez que j’ai droit et fort, la ligne de mes arcades sourcilières et le galbe de mes joues. Malgré mes paupières closes, je pouvais sentir que les orifices pour les yeux étaient exactement ajustés. Mes lèvres n’étaient nullement opprimées par l’ouverture du masque. En fait, je ne ressentais strictement aucune gêne. Il était véritablement comme une seconde peau. Mû par un curieux pressentiment, je détachai mes mains du masque. De façon surprenante, il ne bougea pas d’un millimètre, comme si une tension intérieure le maintenait parfaitement en place. C’est alors que je rouvris les yeux.

Le salon bleu avait disparu.

Je me tenais sur un promontoire balayé par les vents et qui s’avançait au-dessus d’une mer en furie. De puissantes vagues fouettaient la falaise blanche et vertigineuse. La mer était d’un bleu intense, lumineux et elle était parsemée de nombreuses îles, certaines proches, d’autres estompées par la distance. Le ciel au-dessus de ma tête était d’un bleu différent, plus sombre, presque indigo où de grands oiseaux marins planaient, les ailes immobiles et grandes ouvertes, en poussant de longs cris stridents. D’impétueux courants aériens les emportaient à toute vitesse vers des altitudes impressionnantes. J’étais là, ouvrant stupidement la bouche de surprise.

Incapable de comprendre ce qui se passait, j’arrachai le masque et l’univers rassurant du salon bleu se reforma autour de moi. Dans mes oreilles résonnaient les cris des oiseaux dans le ciel, les odeurs marines et salées m'environnaient et je sentais la morsure du soleil sur mon front... Le masque était tombé à terre sur le parquet lambrissé. Il semblait aussi inoffensif que n’importe quel autre masque de carnaval. Avais-je rêvé ? Impossible. Tout paraissait si réel en même temps que parfaitement étranger. Je me mentais bien sûr. Ces paysages ne m’étaient pas étrangers. Peut-être pas familiers mais certainement pas étrangers. C’était la Grèce. Une Grèce qui n’existait pourtant plus. Une Grèce légendaire et mythique. Cette terre que j’avais foulée était la terre de mes ancêtres. L’Argolide. Je pouvais prétendre être rationnel, vivre dans le pays des Lumières et m’y sentir chez moi, il m’était impossible de ne pas reconnaître ma première patrie. Comment résister à cette alchimie de l’appartenance qui franchît les siècles et les distances pour éveiller au plus profond de l’âme les souvenirs archaïques?

Qu’était donc ce masque ? Qui me l’avait offert ? Dans quel but ? Pourquoi maintenant ? Toutes ces questions tournaient dans ma tête et aucune réponse n’était satisfaisante. Nous nous connaissons tous. Depuis nôtre plus jeune âge n’est-ce pas ? Nous avons des secrets et des privilèges, des pouvoirs et des trésors. Oui, nous avons tout cela. Sans doute plus encore. Mais je n’ai jamais pensé que ce genre de... phénomène pouvait se produire. Je suis un homme de mon temps et les vieilles histoires de magie et de sortilège ne font plus peur qu’aux crédules. Je n’en fais pas partie.

Je ramassai le masque. J’eus l’impression fugace qu’il était très légèrement chaud. Je l’ai soigneusement examiné. Aucune couture. Il était d’une seule pièce. J’ai essayé de l’étirer au maximum. Il s’est déformé sans aucune difficulté jusqu’à devenir méconnaissable. J’ai continué de tirer de toutes mes forces. Je n’ai pas réussi à le déchirer. Quand j’ai relâché ma pression, il a émis un claquement sec avant de se reformer comme si je n’avais rien fait. Aucune trace de torsion ou d’étirement. J’ai été chercher une paire de ciseaux dans le tiroir d’une commode. J’ai eu beau m’acharner, les ciseaux ne mordaient pas, glissaient et se refermaient sans parvenir ne serait-ce qu’à griffer cette étrange matière. J’ai essayé avec un cutter. J’obtins le même résultat.

Je suis allé vers la cheminée. J’ai allumé un bon feu en ajoutant plus de bois que nécessaire. Louis a dû entendre mon manège. Il a passé une tête. Je l’ai chassé d’un signe de bras. Quand les flammes ont rugi dans l’âtre, j’ai jeté le masque au beau milieu du brasier. Il a semblé se recroqueviller, comme ces plastiques qui se racornissent sous l’effet de la chaleur. Il a semblé également prendre une teinte rougeâtre. Finalement, il n’était pas magique ni surnaturel ce masque. Alors que l’exultation me gagnait, j’ai senti une brûlure au fond de ma poitrine. Une brûlure qui devint de plus en plus vive. Je tombai à genoux en portant les mains à mon coeur. Cela ne passait pas. J’avais l’impression insoutenable de brûler vif. J’ai serré les dents aussi longtemps que j’ai pu supporter la douleur. Dans les flammes de l’âtre, le masque virait peu à peu au rouge profond. Parallèlement, le feu se propageait dans chaque partie de mon corps, devenant si cruellement intense que, n’y tenant plus, je m’emparai d’une pincette sur le valet de cheminée et j’ai extirpé le masque des flammes. Il était temps. Je n’aurais pas tenu une seconde de plus. Ma peau... Quand j’ai relevé les manches de ma chemise, des plaques rouges et douloureuses marbraient mes bras jusqu’au dessus des coudes. Mes jambes, mon torse et mon dos me faisaient également souffrir.

La douleur n’était donc pas uniquement psychologique. D’une manière ou d’une autre, le masque me transmettait ce qu’il ressentait. Un lien semblait nous unir et c’était tout sauf rationnel et cartésien. En quelques secondes, le masque blanc avait recouvré son apparence, toujours exempt d’une quelconque cicatrice malgré les traitements que je lui avais fait subir. On tapa à la porte.

« Oui. Un instant.. » J’arrangeai mes vêtements et je repris quelque peu contenance. « C’est bon entrez ! »

Ce n’était que Louis :

« Monsieur, un livreur est venu déposer un autre cadeau pour votre... anniversaire ! »
« Quoi, encore un cadeau. Qui est l’expéditeur ? »
« Le livreur ne savait pas et le bon de livraison ne le mentionnait pas non plus ! »
« Merde. Cela commence à bien faire ! Tu vas téléphoner à la société de livraison. Ils ont bien conservé le nom de celui qui a commandé ou de celui qui a payé. Fais en sorte de les obtenir. On verra ensuite ! »
« Entendu. Qu’est-ce que je fais du... cadeau ? » demanda Louis.
« C’est quoi comme cadeau ? »
« Il est emballé mais je dirais, vu sa forme et ses dimensions, qu’il s’agit d’un tableau ! »
« Un tableau ? »
« Oui, un tableau, me répondit Louis, est-ce que je vous l’apporte ?» Je vis à son expression qu’il venait de remarquer le masque toujours à terre près de la cheminée. « Voulez-vous que je vous en débarrasse ? Je veux dire de ce masque ? »
« Non. Ce serait trop long à expliquer mais non, je m’en occupe. Et oui, amène-moi ce foutu tableau. J’espère que ce n’est pas l’oeuvre d’un artiste à la mode sinon je le fous aussitôt au feu ! »

Louis revint, tirant une espèce de diable où reposait un cadre de bonne dimension. Nous avons déchiré l’emballage et le tableau se dévoila enfin à nos yeux. Louis ne put s’empêcher de s’exclamer :

« Mais, c’est vous Monsieur ! »

En effet, c’était bien moi, un portrait criant de vérité. J’étais debout, de face et souriant. Mais là n’était pas le plus étonnant. Une telle impression de vie émanait de la composition que cela me troublait profondément. Il ne s’agissait pas d’une photographie ou d’une peinture faite à partir d’une photo. Non. C’était vraiment une peinture. En s’approchant de très près, il était possible de distinguer les couches successives de peintures et les techniques utilisées par le peintre. Derrière moi, stupéfait, je reconnus le promontoire avançant sur la mer et le ciel qui se confondaient. Il y avait aussi les grands oiseaux figés dans l’azur. Et les îles distantes qui disparaissaient dans le flou. Je portais quasiment les mêmes vêtements. Mais cela n’était pas très compliqué. Ma garde-robe est des plus classiques. Le dernier détail jeta le désarroi dans mon esprit. A mes pieds, traînait un masque blanc. Et je souriais en prenant la pose.

« La ressemblance est tout simplement saisissante ! » murmura Louis. C’est un magnifique cadeau qu’on vous a fait là ! »

Je ne dis rien. Moi, je venais juste de comprendre que ma vie avait pris un cours singulier où rien désormais ne serait comme avant.


M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-07-16 22:39:06 

 WA, exercice n° 80, participationDétails
COLERES




En rentrant j’ai trouvé le message de ma mère sur le répondeur et ça m’a mise hors de moi.
« A propos », commençait-elle de but en blanc, « ta grand-mère est morte la semaine dernière, on l’a enterrée mardi, de toute façon tu ne serais pas venue. Ton frère et ta soeur étaient là, c’était suffisant. Avec mes frères on va vendre l’appartement, il y a tout un fatras dont on doit se débarrasser, elle gardait n’importe quoi... Si tu veux un souvenir, c’est le moment. Je sais que tu travailles... Tu n’as qu’à me dire ce qui te ferait plaisir. Mais je ne te promets rien, tu connais tes oncles, ils sont très regardants... »
Je tremble de colère. Mon frère et ma soeur. Le chercheur à lunettes et la mijaurée artiste peintre. Et moi, moi qui suis la seule à l’avoir connue, à l’avoir aimée, comme d’habitude, elle me laisse sur le carreau, je peux crever la gueule ouverte... J’ai toujours été la seule à oser lui dire non. Et je le revendique ! Et si c’était à refaire, je le referais, quel qu’en soit le prix ! Mais qu’elle crève, bon Dieu, qu’elle crève et qu’elle me foute la paix !
Je sens des larmes brûlantes me monter aux yeux, mais ce sont des larmes d’adolescente, celles-là, je ne les verserai pas. J’ai trente ans, je suis adulte, et je l’emmerde. Je lui en veux simplement d’arriver encore à me mettre en colère. Nonna est morte et elle ne me l’a pas dit ! Qu’est-ce qu’elle en sait, d’abord, si je ne serais pas venue ? Bien sûr que je serais venue ! Mais elle a voulu garder le contrôle de mes faits et gestes, comme d’habitude ! Oh c’est petit, c’est mesquin, c’est laid !


Je vais me calmer. Je ne vais pas la laisser me pourrir la vie une fois de plus. Je vais méditer.
Trente minutes plus tard, je dois bien reconnaître que ça n’a servi à rien. Impossible de chasser la haine intense qui embrase mon coeur et mon corps. Mon professeur de yoga sourirait de ce sourire débile et oriental et me dirait « si tu peux mourir avec ça, tu peux vivre avec ça ». Ce qui est totalement absurde et me donne envie de lui coller des baffes...
Très bien. Je ressors un vieux paquet de cigarettes d’un tiroir. C’est une situation exceptionnelle, et mon cerveau privé de nicotine depuis six mois saute sur l’occasion inespérée. J’avais commencé comme ça, à quinze ans, parce que ça ne lui plaisait pas. Marché de dupe, malheureusement, où l’agresseur se transforme rapidement en victime dépendante. Mais ça m’a peut-être permis de ne pas sombrer dans la dépression, et surtout de ne pas passer à l’acte. Depuis que j’ai quinze ans, chaque fois qu’elle m’agace – qu’elle me frustre, qu’elle me méprise, qu’elle me torture ! -, je rêve de la tuer. Sans le moindre sentiment de honte, je me vois, en toute conscience, en train de larder son corps décharné – elle est fière de sa maigreur, elle se trouve belle !- d’innombrables coups de couteau, et qu’enfin je lis dans ses yeux de la peur, et plus encore, ce qu’elle ne m’a jamais témoigné, du respect.
Mais ça ne marche pas. J’ai la tête qui tourne mais je n’ai pas décoléré. Ma grand-mère est – non, était, il faut que je m’y fasse - une femme merveilleuse. Gironde, compréhensive, tolérante, pleine d’humour et de bonté... Quand sa fille me maltraitait, elle savait toujours trouver les mots pour me consoler, et en même temps elle me disait :
« C’est ta mère. Quoiqu’elle fasse, tu lui dois le respect ».
Un jour, malgré tout, elle avait convoqué mon père, ce grand absent, pour lui enjoindre de tenir un peu sa femme. Elle seule avait trouvé injuste qu’elle s’acharne sur moi. C’était la seule femme qui m’ait réconciliée avec l’espèce féminine, parce qu’entre mon vampire de mère et mon hypocrite de soeur...
En désespoir de cause, je me verse une grande rasade de pur malt. Et tant pis si demain j’ai mal à la tête.
Je soupire. Délicieux lâcher prise de l’alcool fort, je souris. Mais qu’est-ce que j’en ai à faire de la Baronne et de ses conneries ! Je m’en suis sortie, j’ai un métier, je n’ai besoin de personne et sûrement pas de son approbation. Son affection, j’en ai fait mon deuil. Je suis infirmière et tous les jours les patients me remercient de ma gentillesse et de mon humanité. Parce que moi, je suis un être humain. Je sais atténuer leurs souffrances et les réconforter. Je connais la compassion. Je suis quelqu’un de bien. Je ne passe pas mon temps à choisir de belles toilettes dans des boutiques hors de prix. Je préfère donner aux Restos du Coeur. Et moi, j’ai des gens qui m’apprécient, et pas pour les pourboires que je leur laisse.
Une douce torpeur me fait dériver sur un océan de tendresse. Comme quand la Nonna me caressait les cheveux pour m’endormir. Je suis au dessus de la colère, tout ça c’est du passé, une bonne nuit de sommeil, je dois me lever à cinq heures et demie...

Le temps de réorganiser mon planning, j’ai pris le train gare de Lyon le lendemain soir. Bien sûr je n’ai pas fermé l’oeil. J’avais des crampes aux mâchoires à force de serrer les dents. Changement à Turin, direction la côte. En mars, il n’y a pas encore de touristes, le train était vide. A Turin j’ai acheté La Settimana Enigmistica, un recueil de mots croisés et d’énigmes en tous genres, dont ma grand-mère raffolait. Je m’y suis attelée tout le long du voyage. Mon italien se perd au fil des ans, faute de pratique, mais j’ai réussi quand même à finir une grille et à décoder un rébus.
Puis j’ai marché jusqu’à la maison en bord de mer. J’ai sonné. Mon oncle Giorgio est venu m’ouvrir. Il a semblé un peu étonné.
« Ta mère est par là. »
La mère en question n’a pas haussé un sourcil.
« Je suis occupée avec ce tiroir. Plein de papiers à trier. Fais le tour en attendant. »
Les poings serrés, j’ai fait le tour. Tous les tableaux qui recouvraient les murs avaient disparu, laissant leurs auréoles fantomatiques sur le crépi des murs. Celui avec le cheval, celui avec le jeu d’échecs... Et la Divine Comédie n’était plus dans la bibliothèque. Elle n’aurait pas voulu ça. Elle est vraiment morte, impuissante, incapable d’intervenir dans ce pillage organisé. Il y a sûrement un testament. Mais je n’ai pas les moyens de payer un avocat, et Nonna froncerait les sourcils, elle me dirait « Tu lui dois le respect, ce n’est pas très important... »
« Ca va, tu as trouvé quelque chose ? »
Devant mon regard circulaire la guêpe qui n’est pas folle ajoute :
« J’ai gardé un tableau pour ta soeur, c’est normal, c’est une artiste. Et des livres pour ton frère, c’est un intellectuel. De toute façon ça ne t’intéressait pas... »
D’une certaine manière j’admire cette certitude de ne jamais pouvoir se tromper. Je suis tellement soufflée, une fois de plus, par cette prise de position arbitraire et indiscutable, que j’ai du mal à articuler un son. Et puis je ne dois pas exploser, pas ici, pas dans cette maison. La garce le sait et c’est pour ça qu’elle persévère à se comporter de la même manière que depuis trente ans, toujours persuadée de son impunité. Mon frère et ma soeur ont réussi à pactiser, parce que je drainais les foudres sur ma tête. Avec entêtement. Et fierté.
Je grince :
« Merci de me prendre pour la reine des connes, ça fait toujours plaisir.
- Oh, voyons, Agnès, tu es une manuelle, tu ne peux pas le nier. Si seulement tu n’avais pas ce sale caractère... Pas étonnant que tu ne sois pas mariée... Mais tu as trouvé ta voie, c’est merveilleux, tu fais un métier admirable, au service des autres. »
Sa pommade me fait frémir de dégoût. Le service des autres, dans sa bouche, c’est comme si j’étais bonniche (c’est un terme à elle). J’ai l’impression d’avoir devant moi un serpent venimeux, dressé de toute sa hauteur, prêt à frapper son coup mortel. Mais j’ai trop de colère pour avoir peur.
« Je t’ai emballé des assiettes. Tu sais, le service vert... »
C’est un service en plastique vert pâle, Nonna le gardait pour les enfants, ça pouvait tomber sans se casser. J’ai mangé dedans des centaines de fois, avec mes cousins, pendant que mes parents partaient en vacances avec les deux petits, les pauvres, qui étaient trop jeunes pour les quitter... Moi, on pouvait me laisser, j’étais grande... Ce que j’ai pu souffrir d’être toujours grande... même à un âge où les autres, eux, étaient toujours petits... Je la regarde d’un air interrogateur. Elle flaire la révolte.
« Mais bien sûr, si tu veux autre chose... »
Je parcours le tinello, ce couloir-dégagement qui longe la grande entrée sur laquelle débouchent toutes les pièces nobles, et relie la cuisine à la salle de bains. Sur le plateau du grand vaisselier, il y a la vieille balance en bois et marbre, avec ses poids de 5 à 200 grammes. Je n’ai jamais vu la Nonna s’en servir, mais elle respire l’authentique.
« Tu peux la prendre », murmure ma mère qui a reniflé le moyen de s’en sortir à bon compte. « Et tiens, tant qu’à faire », ajoute-t-elle dans un sursaut de générosité qui ne lui coûte rien, « prends aussi la râpe à parmesan... »


Elle a réussi son coup. Je suis partie sans faire d’esclandre et sans emporter le moindre objet de valeur. Ma grand-mère adorait les bijoux, j’aurais pu avoir un souvenir plus proche, quelque chose que j’aurais porté sur moi... Je vois d’ici ma mère saliver comme un carlin en ouvrant le grand coffret noir, et s’en mettre plein les poches pour les soustraire au regard de ses belles-soeurs... Je n’allais pas me battre, loup parmi les loups, pour arracher un morceau de la précieuse dépouille. Mais tout cela ne fait que relancer ma colère qui s’était assoupie un instant en revoyant ces lieux où j’avais passé de bons moments. Avant de regagner la gare avec mon sac en plastique, je fais un détour par le cimetière. J’erre un peu, et puis je trouve. Je m’assieds au bord de la tombe, et les larmes viennent. Je peux enfin dire à quelqu’un que je l’aime, sans me mettre en danger.


Je repars au boulot dès mon retour, sans défaire mes bagages. Ce n’est que le week-end suivant que ce plastique au milieu du salon commence à me déranger. Je case dans le placard les assiettes probablement inutiles – je voudrais bien avoir des enfants, mais je n’ai pas de géniteur acceptable en vue -, puis je brique la balance la larme à l’oeil et je l’installe fièrement sur mon petit bahut.
Enfin je sors la râpe à parmesan ; c’est un parallélépipède tronqué en bois clair verni, de trente centimètres de haut. Il y a un tiroir en bas, une manivelle pour faire tourner la râpe qui occupe la majeure partie du corps, et une haute poignée de quinze centimètres pour soulever le battant postérieur et glisser le fromage sur une avancée en plan incliné. Le couvercle oblique et rabattable sert uniquement à nettoyer la râpe. Sur l’avant, deux L en métal, maintenus par des vis, permettent d’accrocher l’appareil au rebord d’une table, pour qu’il ne bouge pas pendant le râpage. Sur le bois, une petite plaque métallique en donne l’origine : « Caudano – Torino – Piazza Carlo Felice 10 »
Caudano. Ca m’évoque de vagues souvenirs. Un grand magasin chic. Ca doit faire quinze ans que je n’ai plus mis les pieds à Turin. Et pas envie d’y retourner. Je me souviens d’une ville bruyante, aux rues strictement parallèles ou perpendiculaires, avec de grandes arcades sur les avenues, et plein de magasins. Mais sans elle, pourquoi faire ? Quand ils sont partis à la retraite, avec mon grand-père, ils se sont retirés au bord de la mer, dans l’appartement des vacances. L’air était meilleur, et ça tordait le coeur de mon grand-père de voir ce que ses fils avaient fait de son commerce. Mais ça, je ne l’ai su que plus tard.



L’objet n’a pas été utilisé depuis longtemps, il sent le moisi. Ca ne m’étonne pas. Nonna adorait le progrès, elle achetait toujours les derniers gadgets électriques – centrifugeuse, friteuse, hachoir à viandes, percolateur -, ce n’était pas une grande cuisinière, mais elle s’amusait beaucoup à utiliser toutes ces fantaisies... surtout, je crois, parce qu’elle connaissait la valeur de l’argent, qu’elle savait qu’elle aurait pu s’en passer, et que par conséquence c’était vraiment du luxe. Les gens qui ont manqué dans leur jeunesse gardent toujours une certaine réticence vis-à-vis du superflu. Mais des instruments pour faire la cuisine, c’était utile, donc elle pouvait en profiter sans avoir mauvaise conscience...
Je nettoie chaque partie scrupuleusement à la brosse à ongles et au torchon humide. Dans le tiroir, il y a un morceau de papier jauni, plié en quatre, sans doute la facture ; de la fine poussière s’est incrustée dans les coins, il faut que je la déloge de la pointe d’un couteau. Tiens, ce soir, je vais faire cuire des pâtes, il me reste un paquet de spaghettoni et un pot de sauce tomate. Avec un peu d’ail... Je sors du frigo un moignon de grana padano qui est encore consommable, et en souriant je l’introduis dans la logette. Je tourne la manivelle en pensant très fort à cette femme si douce...
Et je recule, effrayée. Il y a eu comme un bruit de tonnerre, et je me trouve nez à nez avec une créature d’allure presque humaine, vêtue d’une armure de métal et de cuir comme les anciens Romains, coiffée d’un casque d’époque et brandissant une épée qui n’a pas l’air factice.
« A tes ordres, maîtresse », déclare l’apparition. « Montre-moi tes ennemis, et je t’en délivrerai, parole de Maximus. »
Je cligne des yeux, je me pince. Il est toujours là. Je m’assieds. Il reste immobile devant moi, le regard flamboyant et l’épée au clair. Ca me rappelle la lampe d’Aladin, mais normalement, c’est un conte pour enfants...
« Vous êtes qui ? »
Pas très intelligent, mais c’est tout ce qui me vient.
« Maximus Legitimus, général de l’Armée Romaine. Tu m’as libéré, je suis à tes ordres. Je tuerai tous tes ennemis.
- Ah...
- Je suis invincible, et mon épée s’honore d’avoir été mainte et mainte fois trempée dans le sang ! »
Brièvement, je récapitule : c’est dimanche soir, je n’ai pas touché à une goutte d’alcool depuis dix jours, j’ai bien fumé quelques cigarettes mais normalement ce n’est que du tabac...
« Ecoutez... Je crois qu’il y a un malentendu...
- Cette râpe à parmesan est bien à toi ?
- Oui...
- C’est ma demeure. Minerve se venge, depuis que je suis mort, en m’enfermant à son gré dans des objets divers, parce que je l’ai maudite lors de la défaite contre...
- D’accord, d’accord... Excusez-moi... Les pâtes sont cuites... Vous permettez ? »
J’égoutte les spaghettoni en essayant de ne pas trembler. J’en ai mis beaucoup trop, comme d’habitude.
« On partage ? »
Il hoche la tête, mais son regard ressemble à celui d’un chien errant qui a trouvé un os. Légionnaire romain ou pas, il s’empiffre de mes pâtes al dente et la sauce tomate dégouline de ses lèvres. Je ne peux m’empêcher de penser que ce type a dû connaître dans sa vie plus de sang que de sauce tomate. Poliment, j’essaie d’engager la conversation.
« Vous avez déjà mangé des pâtes ?
- Ouich... »
Il parle la bouche pleine, mais il a l’air de se régaler...
« Ma précédente maîtresse, ta grand-mère, m’en a fait deux ou trois fois. Et ton arrière grand-mère aussi, une fois... C’était il y a longtemps... Des femmes très gentilles, surtout ta grand-mère. Mais depuis vingt ans, qu’est-ce que je me suis ennuyé au fond de ce placard... Une éternité d’ennui, à souhaiter en vain mourir pour de bon... C’est vraiment délicieux... mais... tu n’aurais pas un peu de vin ? »
J’ai toujours une bouteille de Lambrusco au frais pour les soirs de déprime, où je me fais un festin de pâtes en sachant que le lendemain j’aurai pris un kilo mais que ça vaut mieux que les antidépresseurs.
Le vin rouge pétille dans les verres. Nonna adorait ça. Mon convive fait claquer sa langue.
« C’est sucré ! Nos vins, à Rome, étaient plus épais... Mais c’est frais, c’est léger... »
Je remplis son verre. Qu’est-ce que je vais faire de lui ? Je n’ai pas le coeur de le remettre dans la râpe. Enfin, pas tout de suite.
« Tu as des ennuis, maîtresse ?
- Euh... non, pas vraiment.
- Pourtant je sens beaucoup de colère dans ton coeur.
- Oui mais bon... Vous savez ce que c’est... Des histoires de famille...
- Je suis là pour tuer tous ceux qui te font du mal. Parle, et j’exécute. »
J’ai du mal à avaler la bouchée suivante. Ca a l’air tellement simple pour lui... Je prends une gorgée de vin. Nonna avait choisi de ranger le monstre au fond du placard. Je ne peux quand même pas tuer sa fille... encore que...
« Vous savez, dans notre monde... on ne tue plus les gens comme ça...
- C’est pas toi qui tues, c’est moi. Où est le problème ? »
Sa logique est implacable. Je me sens tout à coup terriblement fatiguée, c’est le problème avec le Lambrusco, c’est frais, on ne le sent pas passer... Bêtement, pour me donner un argument définitif, je m’exclame :
« De toute façon je suis sûre que ni mon arrière grand–mère ni ma grand-mère n’ont eu recours à tes services !
- Ca, je n’ai pas le droit d’en parler. »
Son air embarrassé est comme un aveu. J’ai l’impression d’étouffer. J’ai mal au ventre. J’ai dû manger trop d’ail. Mon arrière grand-mère, je ne l’ai pas connue, elle est morte jeune, elle a eu un accident. Mais ma grand-mère, comment pourrais-je imaginer... Je ne peux pas ! Je ne vais pas renoncer à mes certitudes, à mes souvenirs les plus précieux, pour un être... venu de nulle part, une créature maléfique et assassine, qui me raconte n’importe quoi pour me pousser au crime, c’est sûr, c’est ça... Un petit papier sur la table se précipite sous mes yeux. C’est la facture, évidemment, mais si la râpe appartenait à l’origine à mon arrière grand-mère, il y a peu de chances... Mais ça se peut... C’est sûrement...
Ma main tremblante se dirige lentement vers ce papier absurde. Je le déplie, il y a plusieurs feuilles manuscrites, ah, c’est son journal intime, sympa, ou une liste de courses, ou...
Je lis couramment l’italien. C’est l’écriture de ma grand-mère, petite, fine, précise, aux lignes parfaitement horizontales et régulièrement espacées, avec la même marge des deux côtés ; ce n’est pas une écriture de démente, bien au contraire. Rien à voir avec les pattes de mouche anarchiques et désordonnées de ma mère. C’est écrit à l’encre violette, à peine délavée par le temps. Je pourrais le lire demain... ou jamais... Le journal intime de ma grand-mère, après tout, c’est intime, ça ne me regarde...
Que celui qui trouvera cette confession ne me juge pas trop sévèrement, et qu’en échange de mon secret, il prie pour mon âme coupable afin que Christ ressuscité m’épargne les flammes de l’Enfer. Je me repens, je me repens ! Mais comment aurais-je pu avouer tout ceci, même à un prêtre ?
Quand ma mère est morte, renversée par le tramway, tout le monde a cru à un accident. Mon frère depuis longtemps était parti en Amérique, et mon père était mort à la guerre. C’est moi qui ai hérité des meubles. Dans le placard de la cuisine, j’ai trouvé la râpe à parmesan, et dans le tiroir, là où je vais cacher ce témoignage, elle avait écrit la vérité. Elle s’est jetée sous le tram parce qu’elle avait trop de remords. Cette râpe qu’elle avait achetée chez Caudano... La première fois qu’elle a voulu s’en servir, un fantôme lui est apparu. Il lui a proposé de tuer ses ennemis. Mon frère Enzo fréquentait alors une fille qu’elle n’appréciait pas, elle était superficielle et vénale, ma mère avait fait son enquête, elle avait déjà eu plusieurs amants. Elle allait gâcher la vie de son fils, mais lui, bien sûr, ne voulait rien entendre. Ce n’est pas facile d’élever un garçon quand il n’y a plus de père à la maison. Alors... On a retrouvé le cadavre de la fille poignardé dans un quartier mal famé. Puis mon frère est parti en Amérique, il s’est marié, il a eu des enfants...
J’aurais dû tirer la leçon de cette épouvantable histoire. Mais quand Franco m’a trompée... La colère m’a pris, j’ai tourné la manivelle... Et puis il y a eu cet enfant, le deuxième, juste un an après Giorgio, mon aîné... Il était malformé, tout mou, il aurait été malheureux toute sa vie... Et chaque fois que Franco le regardait, je sentais qu’il m’en voulait... Sa mort fut une délivrance... Et puis... L’affaire marchait bien, on commençait à sortir la tête de l’eau, même avec trois enfants... Et ce Calabrais, ce Manchello, s’est installé en face de chez nous. Il vendait ses tissus à perte, je ne sais pas, ou alors il les volait... Mais il était moins cher que nous, et les clients s’en allaient un par un... Alors qu’on était honnêtes, on vendait le meilleur drap de Turin... Franco n’arrivait plus à dormir, on avait des dettes, il pensait à vendre le commerce et repartir sur les routes pour le compte d’un autre... Je ne pouvais pas laisser faire ça... Ca n’aurait pas été juste, après toute une vie de labeur... Mon mari avait commencé à travailler à treize ans... Et moi je pouvais l’aider... Je l’ai fait.
Je n’ai pas de regret. Si, Annabella j’aurais pu l’épargner. Mais si j’avais perdu Franco...
Toi qui me lis, ne suis pas mes traces ! Ce... fantôme, ce légionnaire... Il vous présente les choses... C’est si tentant, il se charge de tout, il est habile, la police ne se doute jamais de rien... Mais ce sont des meurtres ! Oh je devrais détruire cet objet, mais il me fait tellement peur ! Si ce démon arrive à s’en échapper, s’il venait me hanter... Je ne veux plus jamais voir cette râpe. Je vais la cacher au fond du vaisselier, et peut-être que l’esprit s’en ira un jour... »



Je reste assommée, le papier à la main. Elle ! Elle que je n’ai jamais vue en colère ! Elle qui était la bonté même ! Elle qui... Je me lève, je vais vomir dans les toilettes. Si je pouvais me débarrasser de lui aussi facilement ! Je pourrais. Je n’ai qu’à le remettre dans la râpe, ranger l’objet au fond d’un placard, et on n’entendra plus parler de lui jusqu’à ma mort.
Ca ne me satisfait pas. J’ai une fâcheuse tendance à me croire toujours plus maligne que les autres. Ou bien c’est encore mon complexe d’Atlas, je me sens obligée de porter le monde sur mes épaules... Mon indésirable invité revient à la charge.
« Je te propose seulement de t’aider... Et puis ça me dégourdirait les jambes.
- Assez ! On ne tue pas les gens par plaisir !
- Ah bon ? », ricane-t-il. « Mais c’est mon métier ! J’ai été élevé pour ça, entraîné pour ça, payé pour ça, honoré et félicité pour ça ! Minerve est la déesse de la guerre : comment pourrait-elle jamais mettre fin à mon châtiment si je cesse de guerroyer ?
- Si je me souviens bien, c’est aussi la déesse de la sagesse, de l’intelligence... et de la broderie... »
J’éclate d’un rire nerveux, qui tourne rapidement au fou rire incoercible. J’imagine les grosses mains noueuses du soldat en train de tirer l’aiguille pour broder des fleurs pastel sur une immense nappe blanche... Mais le sens de l’humour n’est pas la qualité première de mon hôte et mon hilarité impromptue le déconcerte et l’agace. Son sourcil se fronce, ses lèvres se pincent, sa colère est palpable comme une vibration de tremblement de terre. Je vis au quotidien au milieu d’émotions fortes, cela m’a rendue plus sensible. Je capte sa colère prête à exploser, et un signal de danger s’allume dans ma tête. Je reprends instantanément mon sérieux.
« Calmez-vous. Je ne riais pas de vous. J’ai les nerfs à fleur de peau, c’est tout. Sachez que... j’apprécie énormément votre offre. Mais... je suis persuadée que céder à la colère n’élève pas l’âme humaine. Les Dieux de Rome... ont donné parfois le mauvais exemple. Mais ... l’humanité a progressé depuis. Enfin... je l’espère. Pour ma part... »
Je soupire. Il est une heure du matin, le réveil sonnera à cinq heures et demie, quoi qu’il arrive. Je suis dans ma cuisine, en train d’essayer de persuader un ectoplasme guerrier que la guerre est une absurdité. Je dois vieillir, j’ai de plus en plus de mal à renoncer à mes convictions profondes.
« Pour ma part je ne souhaite la mort de personne. Oui, il y a des gens qui me font du mal, dans mon travail et dans ma famille. Il y en a dont j’ai souhaité la mort, c’est vrai. Mais ce ne sont que des pensées... comme quand on s’imagine riche, ou quand après une petite victoire on se croit tout-puissant, alors qu’on a seulement eu de la chance... Je n’ai pas de travail pour vous. Je compatis à votre triste sort, mais je souhaite que vous ne proposiez plus vos services à personne en ce monde. Je voudrais qu’Athéna... pardon, Minerve, vous prenne en pitié et vous autorise à quitter cet objet pour rejoindre le Territoire des Morts auprès de votre famille et de vos amis. C’est vraiment ce que je souhaite. »
Je suis sûre de ne pas me tromper, une petite larme fait briller son oeil gauche.
« Vous croyez... que ce serait possible ? »
J’aimerais lui dire oui, claquer dans mes doigts et aller me coucher. L’horloge murale égrène les secondes, et chacune raccourcit mon espérance de sommeil. Si j’étais férue de mythologie, je saurais sûrement comment implorer la Déesse à la chouette. Mais mes souvenirs de lycée sont noyés dans un brouillard épais, je vivais dans un état de rage permanente, je faisais le ménage, la cuisine et la vaisselle, ma mère me disait « si tu n’est pas contente la porte est là » et les deux autres ne débarrassaient même pas leur assiette...
L’oeil de Maximus s’allume. Il perçoit toutes mes pensées. Je ne le laisserai pas triompher. Le passé en nous est à tuer. Je le sais, mais je l’ai toujours refusé. C’est injuste. J’ai lu « Le rire», de Kundera. Et j’ai balancé le bouquin à travers la pièce, pour la même raison. Et alors ? Qu’est-ce que ça change, aujourd’hui, que j’en garde de la rancune ou non ? Est-ce que ça répare quelque chose ? Il n’y a pas de réparation possible. C’est injuste mais c’est comme ça. Tout ce que je peux faire, c’est protéger les générations à venir, même sans qu’elles le sachent. C’est la seule revanche possible. Le pardon. Mon adolescente rebelle hurle de dépit. Je la trahis, moi en qui elle mettait toute son espérance. Mais c’est une enfant. Chacun de nous doit avancer sur le chemin, ou mourir en route.
Et maintenant ?
J’allume une bougie, je coupe une tranche de pain, je verse un peu d’huile et le fond du Lambrusco sur la table. Le Romain m’observe, incrédule et médusé. Je me bats pour mes enfants et les enfants de mes enfants, qui ne sont à cette heure qu’un vague espoir. Mais sans espoir...
« Je t’appelle, Minerve, sage déesse de l’intelligence, issue de la tête de ton père Jupiter. Je t’appelle pour que tu fasses preuve de la plus grande des vertus divines, la clémence, envers cette créature qui eut pour nom Maximus Legitimus. Au travers des siècles il a eu le temps de se repentir de l’insulte qu’il t’a faite, et je te supplie de lui permettre d’accéder enfin au Royaume des Morts. L’humanité a besoin de paix pour prospérer. Et si un pauvre humain comme moi est capable de pardonner, alors je ne doute pas qu’une divinité aussi brillante que toi puisse en faire autant. »


Le silence est accablant, et le tic tac de l’horloge devient carrément sinistre, comme si la mort était en suspens dans la pièce à chaque seconde frappée. Bon, ça n’a pas marché, je n’ai pas de plan B et je ne sais plus quoi faire. J’ouvre en grand la fenêtre de la cuisine, l’air frais de la nuit m’aidera à lutter contre l’immense lassitude qui m’envahit. Je n’ai pas eu le temps de me rasseoir que dans un bruissement d’ailes une splendide chouette blanche est venue se poser sur le rebord. Ses yeux immenses me transpercent à m’en faire frémir, et son cri autoritaire me pétrifie. Je me tourne vers Maximus, et je le vois, un sourire d’extase sur les lèvres, devenir de plus en plus lumineux... C’est comme un éclair aveuglant, et je ferme les yeux...
L’horloge continue à battre la mesure, mais la pièce est vide. Plus de légionnaire, plus de chouette... Le froid de la nuit ne m’a jamais paru aussi pur. En frissonnant, j’aspire une grande goulée de paix et je ferme la fenêtre. J’ai les jambes qui tremblent, la tête en marmelade... J’ai encore une chose à faire. A la flamme de la bougie, je brûle la lettre de ma grand-mère. Puisse-t-elle reposer en paix. Et que les Dieux de l’Olympe et les autres me fichent la paix, je vais me coucher.


Dure journée. La mère Reignier (Ah ! Reignier ! Pourquoi pas libellule ?) , ma surveillante, qui m’allume parce que la semaine dernière j’ai changé mon planning sans l’avertir, et que c’est inadmissiiiible, et que c’est insupportaaaable... Elle donnerait des envies de meurtre à un saint. Mais sa colère glisse sur mes plumes de canard et je souris.
« Vous avez tout à fait raison. Mais je viens de perdre ma grand-mère et cela m’a beaucoup affectée. Au point que j’en ai totalement oublié de vous prévenir. J’avais un lien très fort avec ma grand-mère. C’est toute mon enfance qui est partie, d’un coup... »
Je n’ai pas de mal à avoir les larmes aux yeux. Déconcertée, elle bredouille :
« Bon, bon, ce n’est pas grave... Ma pauvre petite... toutes mes condoléances... si vous avez trop de peine, vous pouvez prendre quelques jours... »
En sortant de l’ascenseur pour aller au self, je me demande encore si je l’ai manipulée ou si j’ai été sincère, et je n’en sais rien. Distraite, je heurte de plein fouet le chef de clinique de Cardio, Almerias le Magnifique, le bel hidalgo aux yeux de braise dont toutes les femmes sont folles... Et souriant de ma maladresse, il interrompt mes excuses :
« Agnès ! Tu travailles trop, tu as petite mine ! Ca te dit d’aller prendre un verre demain soir ? J’ai découvert un bistrot où on joue du jazz, et ils servent des tapas... »
Alors j’ai rendez-vous avec lui. Je peine à le croire. Je me suis affalée dans mon canapé, en rentrant, et j’ai seulement envie d’avoir la force de me traîner jusqu’à mon lit, quand le téléphone sonne.
La voix redoutée, impérieuse et revêche, attaque d’emblée, comme à son habitude. Avant même d’avoir entendu la fin de sa phrase, il faut que je me sente coupable, puisque de toute façon j’ai commis le crime majeur : essayer d’exister sans elle.
« Tu aurais pu me dire que tu étais bien rentrée, c’était la moindre des politesses. Je suis extrêmement fatiguée, j’ai 6 de tension, mon médecin est très inquiet... »
Elle n’a jamais besoin qu’on lui réponde. Déblatérer pendant trente minutes sans reprendre son souffle lui suffit. Elle déverse son fiel inépuisable sur mon père indifférent, sur mes oncles mollassons, sur ma grand-mère désordonnée, sur le syndic de la co-propriété, sur le notaire italien, sur les impôts, sur le gouvernement, sur le temps qu’il fait, sur mes cousins, sur son médecin qui veut la bourrer de pilules qui lui donnent envie de vomir...
« Mais évidemment, tu n’es qu’infirmière, tu n’y connais rien. Si tu avais fait des études... »
Elle aboie, encore et encore. Comme ces chiens errants qui crèvent de trouille et ne se laissent pas approcher parce qu’ils n’ont plus confiance. Sa détresse m’apparaît pour la première fois. Elle s’est enfermée toute seule dans son rôle de mégère non apprivoisée et elle est incapable d’en sortir. Sa vie n’est qu’un combat de chaque instant où elle hurle sa colère pour qu’à défaut de l’aimer, on ne l’oublie pas... Combien de larmes, combien de moments de solitude et de dévalorisation pour en arriver là... Sa merveilleuse mère était un assassin, et sa grand-mère aussi... Mais seulement des femmes qui essayaient de protéger ceux qu’elles aimaient, ou de garder intact le peu de bonheur que la vie leur avait offert... Et elle, si elle avait été confrontée à Maximus, qu’aurait-elle fait ? Aurait-elle tué mon père, par dépit, une éventuelle rivale, par jalousie, ou même moi, l’enfant non désirée – et fille, de surcroît, une malédiction ! Aurait-elle survécu à ses crimes ? Ma grand-mère était une femme forte. Ma mère brasse beaucoup d’air, pour que personne ne soupçonne jamais son immense fragilité. Mais il est trop tard. Elle n’acceptera jamais que rien ne puisse être réparé, et elle ne pardonnera pas. Je n’y peux pas grand-chose. Mais...
« Je suis désolée de ne pas être l’enfant que tu souhaitais. Mais heureusement tu as François, et Arielle... »
Un silence. Arriver à la faire taire est déjà un exploit.
C’est d’une voix brisée qu’elle répond :
« Pourquoi tu dis ça... Je n’ai jamais voulu te faire de mal...
- Je le sais, maman, je le sais... »


C’est une trêve, mais à la première occasion elle se comportera exactement comme avant. Me voilà condamnée à l’aimer sans jamais le lui dire. Mais ce n’est pas essentiel. Je suis en paix.
Demain soir je sors avec le plus bel homme du monde. C’est flatteur. C’est peut-être seulement un séducteur invétéré, ou peut-être pas. Ce dont je suis sûre, à présent, c’est que je n’ai plus peur d’avoir des enfants. Et je sais ce que je veux leur apprendre. A ne jamais se laisser emporter par la colère. Et à pardonner.
Narwa Roquen,presque pas en retard...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-07-17 14:24:51 

 WA - Participation exercice n°80 part IIIDétails
3 – LE JARDIN DU LUXEMBOURG



J’ai accroché ce tableau dans mon petit cabinet de curiosités où nul autre que moi ne pénètre jamais. Je rassemble là quelques objets précieux et chargés de souvenirs. Beaucoup d’autres reposent au fond de cryptes profondes et secrètes creusées sous de hautes montagnes, à l’abri des hommes et des autres. J’ai déposé le masque au fond d’un arca marmorea byzantin et j’ai repoussé le couvercle de marbre au-dessus de lui. Avant de sortir, j’ai caressé la hampe d’une lance qu’un de mes ancêtres acheta à un légionnaire romain fuyant Jérusalem sur le chemin de Cappadoce. Une pensée saugrenue m’assaillit. Qui percera mon flanc quand je tournerai mes yeux vers le ciel? J’ai refermé la porte dissimulée du cabinet et j’ai soigneusement tourné la clé dans la serrure. Je pensais m’accorder du temps.

Hélas, la nuit suivante fut agitée et mon sommeil peuplé de cauchemars. En fait un seul et même rêve revint heure après heure me hanter. J’étais sur le promontoire, la mer dans mon dos. A la limite de mon champ de vision, un point grossissait peu à peu. Je devinais bientôt une silhouette qui s’avançait vers moi. Progressivement, j’acquis la certitude qu’il s’agissait d’une silhouette féminine. Oui, à son pas et à ses lignes, une femme s’approchait. Et plus elle s’approchait, plus un sentiment d’impatience grandissait en moi. Elle semblait glisser dans ma direction, sa longue robe blanche était une voile diaphane qui se gonflait dans le vent tourbillonnant. Elle devait être belle, surhumainement belle. De ses épaules et de ses hanches se dégageaient une force d'attraction étrangère à ce monde. Ebloui par un rayon de soleil malicieux, je n’arrivais pas à apercevoir ses traits noyés dans une orbe scintillante. Seules étaient visibles les flammes sombres de ses cheveux qui se tordaient en tous sens dans la sphère de lumière étincelante. Mon impatience se transformait bientôt en désir. Elle s’arrêtait chaque fois juste à un pas. Curieusement, son visage demeurait toujours invisible. Je n’arrivais pas y porter mes regards, aveuglé par la lumière. Elle tendait lentement son bras et dans sa main, il y avait le masque. J’avais envie de le prendre, besoin de le prendre, répondre à son invitation.

C’est à cet instant que je me réveillais, suffocant, mon coeur battant la chamade. Une amère frustration stagnant au fond de la gorge. Ce rêve me hanta toute la nuit. Quand l’aube daigna enfin se lever, j’étais assis dans mon lit, tremblant et transpirant. Le rêve ne s’est pas évanoui avec le jour. Chacune de ses images était gravée dans ma mémoire aussi distinctement que si j’avais réellement vécu cette scène. Mon poing droit était fermé si fort que mes phalanges me faisaient mal. Lentement j’ai déplié mes doigts. De ma paume toute blanche glissa un petit bout de métal doré. La clé du cabinet des curiosités!

Je m’habillai. C’était dimanche et le temps était frileux au dessus de Paris. Je n’étais pas vraiment en forme. Vidé, sans énergie. J’ai enfilé un pardessus et je suis sorti. J’ai marché sans but, simplement pour respirer un air différent, pour oublier les affres de la nuit. Quand j’ai levé la tête, l’entrée du jardin du Luxembourg s’ouvrait de l’autre côté de la rue. Une ambulance démarrait en trombe, son gyrophare hurlant en brefs éclairs bleutés. Un policier discutait avec un employé municipal. Celui-ci haussait les épaules en écartant les bras. Non, ce n’était sans doute pas de sa faute. J’ai traversé la chaussée et j’ai pénétré dans le jardin.

Elle m’attendait à notre lieu de rendez-vous habituel. Mon coeur se gonfla d’allégresse et je me sentis soudain revigoré, comme allégé d’un énorme poids. Elle sourit en me voyant. Je lui souris en retour. Je m’assis près d’elle.

J’ai hésité à parler. Elle a respecté mon silence et nous sommes restés plusieurs longues minutes sans essayer de troubler une atmosphère sereine et fragile. Le jardin est un havre de paix où je me réfugie quand les choses ne tournent pas comme je le souhaite. Vous savez que c’est l’un des derniers endroits dans Paris offrant cette qualité particulière. Elle contemplait les pelouses qui s’étendaient au-delà de l’allée.

« Tu parais troublé ! »

Elle avait murmuré ces mots si doucement que je ne suis pas sûr qu’elle les ait réellement prononcés. Son sourire complice flottait sur ses lèvres. Elle me connaît intimement. Je lui ai confié mes rêves et mes espoirs, mes peines et mes joies. Je la connais beaucoup mieux qu’elle ne le croit. Elle n’est que douceur. Chacune de ses lignes en est empreinte, modelée idéalement. Elle est toujours là quand j’ai besoin de réconfort. Elle trouve toujours les mots justes qui me vont droit au coeur et dissipent mes doutes. Elle m’indique ce qui est bien et ce qui est mal. Le lien qui nous unit est bien plus fort que l’amour. Il se situe sur un plan différent. Quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois, nous nous sommes reconnus. Des amis qui se retrouvaient après s’être perdus de vue.

« Il m’arrive une histoire extraordinaire ! » lui dis-je en ramassant une poignée de graviers

Je lui fis alors le récit le plus fidèle possible, sans omettre le moindre détail. Je gardai la tête baissée, conservant ce ton mezzo voce qui caractérise nos conversations. Quand j’eus fini, elle ne répondit pas tout de suite.

« En effet, une bien curieuse histoire que celle-ci ! Elle parlait lentement, choisissant ses mots. Ce masque... il y a tellement de contes qui circulent à propos des masques, leurs pouvoirs étranges, leur symbolisme, ce qu’ils dévoilent tout en cachant... »
« Je ne crois pas à l’étrange ! »
« Ah bon ! rétorqua-t-elle en souriant. Toi ? Toi, tu ne crois pas au surnaturel ? »
« Il y a bien longtemps que j’ai refermé les livres de contes et légendes pour enfants! Ce qui semble surnaturel n’est qu’une réalité incomprise faute de clé disponible ! »
« Et le dieu Pan ? Ne m’as-tu pas dit qu’il s’était invité à ta petite fête ? » Elle eut un rire léger.
« Tu m’as parfaitement compris, répliquai-je. Ne joue pas sur les mots. Quelques lignes de coke et tout l’Olympe débarque dans le salon ! »
« Tout l’Olympe ? »
« Oui et jusqu’à Aphrodite ! Surtout elle d’ailleurs, accompagnée du petit archer ! »
« Ne te réfugie pas derrière l’ironie ou des mots d’esprit! Si tu es ici, ce n’est pas vraiment par hasard ! » Je sentis un raidissement dans le timbre de sa voix.
« Pourtant mes pas m’ont conduit ici inconsciemment. Explique-moi. J’ai besoin de savoir ! »
« Tu veux la vérité ? »
« Oui. Dis-tu jamais autre chose que la vérité ?
« C’est ma nature! Alors puisque tel est ton désir, entends-moi bien. Tu as franchi une frontière. Tout ce que tu prenais hier pour solide et réel va se révéler friable et étrange. Tu as dit que tu ne croyais pas au surnaturel. Tu devras alors t’adapter très vite car le temps risque de te manquer. Le masque et le tableau sont intimement liés. Regarde le tableau. Regarde le bien, c’est un messager. Il te préviendra. Le masque... il n’est pas en mon pouvoir de t’en parler beaucoup. Je risquerai cependant pour toi ce conseil. Ne le porte plus. Conserve-le sous la pierre comme tu l’as fait. Essaie de résister à son attraction. Il est puissant et il a goûté ta chair, alors fais bien attention à toi! » Elle parla très vite, comme si elle craignait que quelqu’un ou quelque chose ne surgisse pour l’interrompre.
« Si je m’en séparais ? »
« Tu as déjà établi le lien. Tu as fait le pas de trop. Tu ne pourras plus jamais l’éloigner de toi. »
« Mais pourtant en cet instant, il est loin d’ici? »
« Peut-être que tu n’as pas été jusqu’au bout de la laisse que tu portes au cou, me répondit-elle. Mais sois certain qu’elle raccourcira si tu le portes à nouveau ! »
« Je peux le détruire ? »
« Tu as déjà essayé. »
« Et cette inconnue, la femme dans mon rêve ? J’éprouve une envie croissante de la revoir ! Je sais que ce je que je suis en train de dire est stupide! Comment revoir l’habitante d’un rêve ? »
« Je ne peux rien t’en dire ! » Elle avait soufflé ces mots. Il m’a même semblé qu’elle pâlissait. Elle qui a le teint naturellement si pâle.
« Pourquoi ? »
« C’est plus fort que moi. Les mots ne sortiront pas de ma bouche et je souffrirais si je persistais. »

Elle se tut, les yeux dans le vague. Elle luttait visiblement pour reprendre le contrôle. Elle que je croyais forte comme le roc. Puis elle reprit :

Tu m’as parlé d’une lance n’est-ce pas ? »
« Oui, elle appartient à ma famille depuis plus de vingt siècles ! »
« Tu connais donc son histoire? »
« Celle du centurion romain et de la croix? Bien sûr. »
« Quelles raisons poussaient les romains à percer le flanc des crucifiés à l’aide de lances semblables? »
« C’est une question? Je crois avoir lu quelque part qu’ils voulaient s’assurer que les condamnés étaient bien morts avant de les descendre de leurs croix ! »
« C’est bien ça. Cette lance pourra peut-être t’aider. D’une certaine manière, elle t‘offrira un moyen de te défendre. »
« Contre qui ?»

J’attendis sa réponse. Mais elle s’était murée dans un profond silence. C’était sa façon de me dire qu’elle était lasse. Notre rendez-vous venait de prendre fin. Je l’ai quittée et sans me retourner je revins chez moi.

Perdu dans mes pensées, sans m’en rendre compte, je me suis retrouvé face à la porte du cabinet des curiosités. Mû par un désir sourd, j’ai déverrouillé la porte malgré l’avertissement de mon amie, en oubliant qu’elle ne s’était jamais trompée. Je me suis arrêté devant le reliquaire de marbre. J’ai posé les mains sur son couvercle de pierre. J’ai senti la fraîcheur du marbre et aussi... autre chose. Une douce pulsation, comme les battements d’un coeur au repos. J’ai retiré les mains. Ils se sont tus. J’ai reposé les mains. Un léger picotement titilla le bout de mes doigts.

J’ai alors tourné les yeux. Sur le tableau pendu au mur, mon double souriait toujours. Le sourire m’était indubitablement destiné. Il semblait me dire : « vas-y idiot.. vas-y si tu veux la revoir ! Elle sera là ! Vas-y puisque tu n’attends que ça ! ». J’ai ensuite tressailli. Je tenais le masque à la main.

Mais l’envie submergea tout. Oui, je voulais la revoir. J’ai poussé le couvercle et je me suis emparé du masque blanc. Presque frénétiquement. La lance posée contre la paroi ne me fût d’aucune aide. J’ai recouvert mon visage de sa toute nouvelle peau. Elle était bien là, à quelques pas. Nous n’étions pas seuls.

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-07-21 13:46:32 

 Le baiser, le baiser!Détails
Ca ne peut pas finir comme ça!
Narwa Roquen,prête à commenter!

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-07-21 18:59:57 

 Plus c'est long...Détails
J'ai un peu de mal à trouver du temps. Peut-être d'ici ce week-end (enfin j'espère!).

M (ask!)

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-07-25 20:20:41 

 WA - Participation exercice n°80 part IVDétails
Je cours après mon histoire... elle ne veut rien savoir et elle galope devant!

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4 - LE THEATRE DES REVES



L’air embaumait les pins et les embruns venus de la mer. De retour à la maison. Comment oublier cet inimitable parfum si typique des terres méditerranéennes. Devant moi se dressait un vaste théâtre semi-circulaire qui épousait le flanc d’une colline couronnée d’arbres. Les travées de gradins étaient généreusement remplies de spectateurs vêtus de tuniques de lin aux couleurs vives. Je me tenais sur la scène à quelques pas de celle que j’avais immédiatement reconnue. Malgré son costume perse qui soulignait les courbes de son corps et le masque tragique qui se révélait incapable de contenir ses mèches rouges et rebelles que le soleil couchant embrasait comme un incendie. Je faisais partie du choeur.

Elle me fit un signe de tête imperceptible car il était à moi seul destiné. Elle avait deviné mon arrivée. En faisant un pas vers nous, elle s’exclama d’une voix éteinte et douloureuse, finissant sa tirade :

« Dans le trouble où je suis, ô Perses, ô fidèles vieillards, donnez-moi vos conseils; c’est de vous seuls que j’attends des avis salutaires.! »

Mais c’était de moi seul qu’elle souhaitait le conseil!

A ma grande stupeur, j’entendais le grec ancien aussi naturellement que si elle s’était exprimée en français contemporain. Chose encore plus inouïe, je me surpris à déclamer à l’unisson du choeur :

« Reine, n’en doutez pas; un mot de vous suffit. Faut-il parler, agir? Disposez de nous. Vous consultez ceux dont le coeur est à vous ! »

Ma voix se détachait claire et forte au-dessus de toutes les autres et je sentais bien que ces mots signifiaient beaucoup plus que le sens que leur avait accordé le divin Eschyle. Bien sûr, elle jouait le rôle de la reine Atossa, reine des Perses et mère de Xerxès, le grand Roi que la vaillance de nos armes avait défait lors de la bataille de Salamine.

Elle reprit, me fixant droit dans les yeux :

« Depuis que mon fils, assemblant son armée, a marché contre la Grèce qu’il veut dévaster, des songes chaque nuit troublent mon sommeil : mais je n’en avais encore jamais eu d’aussi intelligibles que celui de la nuit dernière; écoutez. Deux femmes me sont apparues, superbement vêtues, l’une à la mode des Perses, l’autre a la façon des Doriens; toutes deux d’une taille au-dessus de la nôtre, d’une beauté parfaite, et visiblement filles du même père. Le sort leur avait assigné pour séjour, à l’une la Grèce, à l’autre la terre des Barbares... »

Et je perçus dans ces paroles une prière muette qui déchira mon âme en deux.

C’est à cet instant que les cris commencèrent de fuser, des cris d’effroi. Brutalement interrompus par ce brouhaha, nous nous immobilisâmes, nos visages toujours dissimulés derrière les masques peints en blanc qui ne reflétaient aucune autre émotion que celle gravée dans le bois ou le cuir.

Des cliquetis métalliques et des bruits de pas martelant la terre retentirent derrière les colonnes bordant l’arrière du théâtre. En me retournant, je vis les longues lances et les crinières rouges et noires de la garde du temple remonter rapidement vers le nord, vers le temple d'Asclépios, le sanctuaire sacré.

Dans les gradins, une vive agitation s’empara de l’assistance, se transformant bientôt en panique quand un soldat hagard déboucha sur la scène, le visage en sang. Il cria d’une voix forte que la merveilleuse acoustique du théâtre porta jusqu’au dernier rang :

« Les Celtes... les Celtes arrivent... ! »

Aussitôt, ce fut la débandade parmi les spectateurs qui tentèrent de s’enfuir en se bousculant les uns les autres. J’aperçus une femme trop lente à réagir se faire piétiner par des hommes surexcités. Alors que la lumière déclinait, l’horizon se tacha de sang et de feu.

« Pars... »

Ces mots me furent murmurés à l’oreille. Elle était là et je pouvais sentir la tendre pression de sa main sur mon épaule. Ce contact réveilla des échos insolites et fulgurants. J’en voulais plus. Je voulais ses lèvres. Comme dans mon rêve, elle m’enivrait de sa seule présence. Elle avait pourtant conservé son masque et mes yeux étaient aveuglés par les feux du soleil couchant.

« Qui es-tu ? » Parvins-je à articuler « Par Zeus, qui es-tu ? »

« Pourquoi parles-tu d’un Dieu mineur? Nos maîtres sont romains à présent. Leurs Dieux se sont montrés plus puissants. Prie donc Jupiter ! »

Cette conversation me parût soudain surréaliste. Nous étions plongés dans le chaos d’une bataille imminente et les hurlements avaient succédé aux cris. La scène était déserte, Xerxès et Darius avaient fui dans le crépuscule qui s’épaississait. La phalange grecque protégeant le sanctuaire rassemblait sans doute le peu de courage qui lui restait pour ne pas les imiter devant la furieuse charge que préparaient les démons du Nord. Les Celtes. La gloire athénienne s’était évanouie depuis longtemps. Et moi, j’étais au centre d’une scène de théâtre vide où les ombres s’allongeaient comme celles qui ensevelissaient peu à peu ma patrie dans les limbes poussiéreuses de l’Histoire.

« Pars ! » me répéta-t-elle d’une voix plus pressante. « Tout ici ne sera bientôt plus que ruine et désolation. M’as-tu bien écouté ? As-tu bien entendu les mots que j’ai prononcés ? »

J’inclinai ma tête pour acquiescer.

« Alors choisis! Et choisis bien. Tu me reverras, c’est écrit. Il devient difficile pour moi de lever les voiles du temps. Mes forces ne sont plus aussi puissantes qu’auparavant et tu viens de si loin ! »

« Donne-moi ton nom ! Je ne partirai pas si tu refuses !» C’était plus qu’une prière, c’était une imploration. Je me jetai à ses pieds et les larmes coulant sous le masque, je levai la tête vers elle. Elle passa une main douce sur ma tête en disant simplement :

« Nous nous reverrons si tu me cherches. Je serai au bout du chemin. Je serai toujours au bout du chemin pour toi. »

Elle ne pût en dire plus. Quatre soldats au cimier noir et aux cnémides brillantes surgirent de l’ombre. Ils tenaient d’une main une courte épée et de l’autre un imposant bouclier rond. Ils nous encadrèrent et celui qui paraissait être leur chef s’adressa à moi :

« Et toi-là, face de lune, debout, tu vas nous suivre. Nous avons besoin de tous les valides pour les défenses intérieures. Vite, ta cité te réclame. Il n’y a plus de temps à perdre ! »

Son ton était catégorique. J’aurais vainement tenté de me soustraire à cet ordre. C’étaient des vétérans qui plaçaient leur mission par-dessus tout. Elle fit un pas en arrière et les ténèbres l’enveloppèrent comme un linceul se referme, la dérobant à ma vue. Je me retrouvais seul et désemparé. Et que pouvais-je espérer à me mettre en travers de l’invasion inéluctable des Hérules ?

J’ai ôté mon masque. Le cabinet des curiosités était silencieux mais dans mes oreilles bourdonnait encore le rire des soldats grecs.

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-07-31 23:37:57 

 WA - Participation exercice n°80 part vDétails
5 – CAVERNA OBSCURA


J’ai fait des recherches. J’ai lu des livres que personne ne réclame, délaissés sur les étagères du fond de certaines bibliothèques. J’ai lu des centaines de pages, dévorant les paragraphes fébrilement, annotant une phrase par-ci, entourant une expression par là. J’ai lancé des moteurs de recherches pirates sur la toile, des moteurs développés par de noirs magiciens bien plus puissants que les meilleurs white hats d’Echelon. J’ai trouvé des pages ignorées, cachées dans des serveurs fantômes blottis à l’écart des avenues balisées. Et puis, alors que je perdais espoir, j’ai aperçu un fil ténu qui dépassait d’une modeste pelote, un tout petit fil sur lequel j’ai commencé de tirer tout doucement, prudemment, pour éviter qu’il ne casse et qu’il me faille tout reprendre à zéro. Ce fil d’Ariane m’a conduit vers des lieux obscurs et incertains où les ténèbres étaient aussi pesantes que des chapes de plomb.

Louis s’est inquiété pour moi, me voyant prisonnier d’une obsession incompréhensible pour lui. Je n’avais plus d’appétit, me contentant de me gaver de tasses de thé et de gâteaux anglais, de poignées de raisins secs et de rasades de tequila glacée. Je me suis fait porté pâle auprès des RH de la firme.

J’ai effectué un rapide aller-retour dans les Alpes suisses. Après la gare, j’ai loué une voiture. Bientôt, j’ai abandonné le réseau autoroutier puis ensuite le réseau secondaire. J’ai bifurqué sur une petite route de montagne, déserte, étroite et tortueuse, juste assez large pour laisser passer un seul véhicule. J’ai quitté le bitume en mauvais état pour suivre un chemin forestier à peine carrossable qui m’a emporté toujours plus loin du monde. Il s’est transformé peu à peu en une petite piste escaladant le flanc escarpé d’une haute montagne qui se dressait tout au fond d’une étroite vallée. J’ai arrêté mon 4x4 là où la puissance du moteur et les quatre roues motrices ne me furent plus d’aucune utilité. J’ai poursuivi à pied une sente qui serpentait entre les mélèzes, me repérant grâce à quelques discrètes marques placées de loin en loin, compréhensibles par les seuls initiés. Les membres de ma famille. J’ai enfin atteint une paroi verticale de roche noire qui disparaissait peu à peu dans le brouillard remontant de la vallée. Un mur infranchissable pour tous sauf pour moi. J’ai enfoncé sans hésiter ma main au fond d’une étroite anfractuosité à peine discernable. Quand j’ai touché la pierre, j’ai poussé avec trois de mes doigts tendus. Je suis revenu pour découvrir l’ouverture qui s’était révélée, une sorte de boyau s’enfonçant sous la montagne.

Au début, j’ai progressé difficilement, me contorsionnant pour avancer puis le couloir s’est progressivement élargi. Il y régnait une luminosité blafarde qui ne semblait émaner d’aucune source visible. Après un coude et quelques pas supplémentaires, une grille aux épais barreaux d’acier barrait le couloir. J’ai plaqué la paume de ma main sur la surface de métal au centre de la grille. Sans bruit, celle-ci s’est escamotée dans le plafond et j’ai emprunté un couloir tapissé de béton. Des dalles faiblement luminescentes s’illuminaient au fur et à mesure de ma progression pour s’éteindre après mon passage. Au bout d’une bonne dizaine de minutes, j’ai pénétré dans un ascenseur qui, reconnaissant l’empreinte familiale, a plongé dans les entrailles de la montagne. Mon estomac se crispa sous l’effet de la chute presque libre. Avec un sifflement pneumatique et fatigué, la cabine s’est finalement immobilisée.

Je me suis retrouvé devant une ultime porte blindée que j’ai déverrouillée une nouvelle fois sans difficulté. La grotte alpine est l’une des plus vastes de la famille, encombrée d’armoires alignées en longues files interminables, d’innombrables oeuvres d’art accumulées tout au long des siècles écoulées, des kilomètres de rayonnages supportant livres et incunables à la valeur inestimable... Bref, vous savez le bien, toutes ces choses dont nos familles sont les gardiennes consacrées.


J’ai interrogé la base de données familiale à partir d’une console autonome à l’aide d’une requête construite avec quelques mots clés. Sur l’écran, le sablier s’est figé de longues secondes malgré la puissance du processeur. Avec un bip caractéristique, le résultat s’est affiché. Trois lignes. Trois ouvrages censés n’avoir jamais existé. Et trois infos topographiques pour les localiser dans la caverne.

Le premier était constitué de plusieurs rouleaux de parchemin prélevés dans la bibliothèque d’Alexandrie avant que feu romain ne la détruise.

Le second était le manuscrit d’un érudit italien. Les thèses qu’il soutenait furent jugées contraires au dogme et un tribunal ecclésiastique les envoya, lui et ses écrits, droit sur un bûcher de l’Inquisition. L’importance de ses travaux le condamna à être brûlé au fond d’une arrière-cour aveugle du Château Saint-Ange, sous la surveillance des gardes pontificaux. Mais lorsque les flammes avides se sont élevées, nul ne s’aperçut qu’il manquait une de ses oeuvres. Elle avait été soustraite du sac du bourreau le matin même de la cérémonie d’autodafé.

Le dernier n’avait rien d’extraordinaire. Un lecteur non averti n’aurait sans doute jamais deviné qu’il tenait entre les mains un trésor, que dis-je, une clé philosophale ouvrant des portails insoupçonnés. Il avait écrit par un jésuite passionné, un fou visionnaire assoiffé de vérité, vers la fin du dix-neuvième siècle. Ce n’était même pas un livre, trois centaines de pages maintenues ensemble par un simple élastique, couvertes de pattes de mouches alignées en rangs serrés et nerveux. Mais elles contenaient tant de détails sur la véritable histoire de nos familles et certains de leurs desseins les plus secrets que celles-ci avaient décidé que leur auteur n’irait pas plus avant. Elles ont cependant pris garde à ne pas détruire également son travail. Ma famille, chargée de cette basse besogne, obtint en contre-partie le privilège de conserver précieusement et hors d’atteinte cet inestimable témoignage.

Dans le TGV qui me ramenait à Pris, je suis demeuré pensif. Dans la poche intérieure de ma veste, presque sur mon coeur, sur une feuille pliée en quatre, j’avais griffonné quelques précieuses informations. J’avais tout laissé dormir sous la montagne car rien ne sort jamais des cavernes. Une autre poche zippée renfermait le masque bien sûr. Car comme mon amie me l’avait prédit, je ne pouvais plus m’en séparer. J’en savais plus sur le masque, plus sur ma famille et paradoxalement plus sur ma propre existence. J’imagine que chacun d’entre vous possède ce genre de secret qui le rattache à sa lignée plus étroitement qu’une chaîne d’or tressé. J’étais tellement perdu dans mes réflexions que je ne l’ai même pas remarquée. Mais elle était assise quelques fauteuils plus loin. Son reflet dans la vitre s’était gravé dans mon inconscient Je ne m’en souvins que bien plus tard.

Dès mon retour, j’ai demandé à Louis de veiller à ce que je ne sois pas dérangé. Ce commandement ne souffrait d’aucune exception. Pas même lui. Je savais que je pouvais compter sur sa loyauté mais j’ai néanmoins tourné la clé et condamné la porte. Dans le cabinet des curiosités, le tableau avait encore changé. Mon double ne souriait plus ou précisément son sourire s’était crispé. Le ciel était vide derrière son épaule et on pouvait deviner qu’un personnage encore indéfinissable s’apprêtait à pénétrer le cadre. C’était encore juste une présence évanescente, une ombre qui s’amassait sur la droite de mon personnage. Ma tête dans le tableau semblait être légèrement tournée vers cette présomption d’apparition. Etait-ce pour cela que mon double grimaçait plus qu’il ne souriait? L’avait-il reconnue ?

J’ai empoigné le masque et je l’ai longuement soupesé tout en réfléchissant. Tenais-je le fléau de ma famille ou son symbole le plus abouti? Comme vous, je ne me souviens pas de mes propres parents. Les pensions, les écoles privées et éloignées, les études, tous ces changements fréquents et imprévisibles... cette forme d’éducation qui nous éloigne les uns des autres comme ces galaxies qui s’enfuient les unes des autres depuis l’explosion inflationnaire. Même en fouillant dans mon plus lointain passé, je ne retrouve aucun souvenir de mon père ou de ma mère. Finalement, celui qui pourrait passer pour mon plus proche parent, c’est Louis. Il a toujours été à mes côtés aussi loin que je me souvienne. Il était sur les bancs de la même école que moi. Il était en Suisse quand j’ai changé de pensionnat. Il était mon défenseur rugueux quand j’étais le capitaine de l’équipe de foot de l’université américaine. Oui, Louis est sans doute l’équivalent d’un frère, un frère attentionné mais déférent

Mais n’y tenant plus, j’ai mis le masque en soupirant de contentement. Le junkie qui se fait son fix n’aurait pas éprouvé plus de félicité.

M

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Onirian  Ecrire à Onirian

2010-08-11 14:16:19 

 WA-Commentaire 80 - Narwa RoquenDétails
J'ai beaucoup aimé ce texte. Notamment au niveau de la colère qui est vraiment bien rendue. Elle est suffisament intense pour porter le texte est forcer la lecture, et quand un texte peut vous forcer à ne pas se faire lacher, c'est un signe qui ne trompe pas. On a qu'une envie, c'est de donner une baffe à cette mère injuste.

Le coup du génie est classique, mais efficace, avec le petit point de détail d'un génie qui n'exauce qu'un seul voeu, tuer.

"Elle aboie (...) l’oublie pas..." : excellent.

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Onirian, qui pour une fois fait entorse à ses propres règles et à lu une participation avant d'écrire.

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Onirian  Ecrire à Onirian

2010-08-12 18:04:18 

 WA-Exercice 80 - Un objet.Détails
Un texte très court. Trop court sans doute, mais je crois que plus aurait été trop.

Ma boite à Rêves.


C'est une boite. Une petite boite en bois brut. Elle est douce au toucher. Elle est de couleur bois. C'est idiot de dire ça d'une boite en bois, mais je n'ai pas de meilleur mot.
Imaginez une maison. Une maison la plus classique qui soit, une maison comme on la dessine quand on est tout petit. Pour certains, elle aura deux fenêtres, une porte et une cheminée. Pour d'autres, il y aura deux étages. Certains rajouteront des fleurs sur le devant, ou un chien sur le pas de la porte, mais l'important c'est pas ça. L'important c'est que chacun a une image de ce qu'est une maison, sa maison. Une "idée de maison". Elle n'existe pas vraiment, évidement, ou en tout cas, je l'ai jamais vue, c'est juste une "idée de maison".
Ma boite, elle est comme ça, c'est une idée de boite. Elle fait du bruit quand on la secoue, mais je ne le fais presque jamais, j'ai peur de casser ce qu'il y a dedans.
Ma petite boite en bois brut, elle est douce au toucher, sauf sur le dessus, parce qu'elle n'est pas finie. Elle a été polie, et mon papa à commencé à graver un dragon dessus. Sa tête est finie, mais le corps disparait en traits grossiers. Peut-être, un jour, je finirai ce dragon. Mais j'ai trop peur de l'abimer.
Cette boite, c'est ce que j'ai de plus précieux au monde, parce que dedans, il y a mon cadeau d'anniversaire.
Ce cadeau est extraordinaire, incroyable, indescriptible. Il n'y a rien de mieux dans tout l'univers.
Je n'ai jamais vu ce qu'il y a dans ma boite. Parce que mes parents sont morts à cause de l'épidémie. Juste avant, mon papa a fait la boite et ma maman y a caché un trésor.
Je ne l'ai jamais ouverte ma boite. Enfin si, mais avec les yeux fermés. Quand j'ai très peur, ou que je suis très content, je l'ouvre, en fermant les yeux très fort pour ne pas voir ce qui est dedans. Je pense beaucoup beaucoup à ce que je veux mettre dans ma boite, et je l'y dépose. Et puis je referme vite vite, pour pas que les rêves s'échappent.
Je sais pas ce que c'est le cadeau de maman, mais tant que je ne le saurai pas, alors ce sera tout l'univers qui restera caché dans ma boite. Je crois que mon papa y a mis du courage aussi, pour quand j'ai peur.
J'avais souvent peur au début, mais maintenant moins. En fait, j'ai juste peur d'une chose, c'est que quelqu'un vole ma boite. C'est pour ca que je veux finir le dragon, pour qu'il protège ma boite. Alors j'ai demandé au vieux Marl de s'occuper de moi. Il est menuisier aussi, il m'apprend le bois. Je travaille très fort, comme ça, je pense moins. C'est lui qui l'a dit, et c'est un peu vrai.
Je le dis à personne normalement, mais j'ai pleuré sur ma boite, beaucoup, parce que papa et maman ont caché un sourire dedans. Ils me l'ont dit. Et ce trésor là, jamais je veux le perdre. Jamais.

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Onirian.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-08-16 23:38:27 

 WA - Participation exercice n°80 part VIDétails
Rentré de vacances... la suite donc...

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6 – LE SOLEIL EN FACE



« Lâchez-le ! Vous voyez bien qu’il se tient tranquille. Il aura compris à la fin. Lâchez-le, vous dis-je!»

La voix est ferme et autoritaire. Une voix habituée à commander et à être obéie. Le masque sur mon visage est lourd et inconfortable. Il m’enserre la tête comme une prison. Les meurtrières oculaires réduisent drastiquement mon champ de vision. Je me tiens debout sous les ors et les lustres d’une vaste salle richement décorée de brocarts précieux et de meubles ravissants. Par de larges baies vitrées, la lumière se déverse abondamment sur le parquet ciré. Derrière les ouvertures, de vastes jardins s’offrent à ma vue, encadrant géométriquement de gracieux bassins et fontaines d’où jaillissent des eaux vives et scintillantes. Je détermine facilement où je me trouve et l’ivresse de cette découverte n’est entachée que par les mines graves et sévères qui m’entourent. Des hommes d’armes, des gardes de haute taille, habillés de bleu et de rouge me serrent de près.

J’ai des fourmis dans les bras et mes épaules me font légèrement souffrir.

« Es-tu venu à résipiscence ? »

Encore cette voix. Je cherche du regard son propriétaire. Louis XIV est là, splendidement vêtu, une main élégamment posée sur la hanche. Je demeure interdit même si toutes les informations glanées convergeaient vers lui. Il est vraiment majestueux, imposant naturellement sa royale présence. Un rayon de soleil l’enveloppe opportunément dans un halo de lumière et le fait paraître presque surnaturel. Je le trouve encore assez jeune, loin des portraits compassés que ma mémoire a conservés de mes cours d’histoire. Je comprends mieux l’empreinte de géant qu’il laissa. Je pourrais suivre aveuglément un souverain tel que lui.

Quelqu’un me pousse sans brutalité en arrière et je me retrouve assis au fond d’un moelleux fauteuil qui possède un très haut dossier incliné vers l’arrière. « Style Louis XIV » ne puis-je m’empêcher de penser même si les circonstances ne sont pas idéales ! Je laisse reposer les bras sur les accoudoirs de bois.

Le sentiment d’enfermement revient, pesant et stressant. Je n’ai qu’un geste à faire pour mettre un terme à cette situation mais quelque chose me retient, m’incline à supporter cette cage qui s’est refermée sur mon crâne.

« Cher frère, tu pars demain pour le Piémont où j’ai ménagé pour toi une jolie cage ! Tu es devenu aujourd’hui trop gênant pour mon pouvoir naissant. Certains esprits chagrins devisent trop doctement sur le point de savoir qui de nous deux est vraiment l’aîné. Je veux que mon règne ne souffre d’aucune ombre. N’ai-je pas choisi le soleil pour emblème? Mon cher frère, mon coeur saigne de cette indignité qui t’est faite mais nulle autre voie n’est possible. Tu me ressembles trop et malgré tout l’amour que je sais que tu me portes, ta volonté est faible. Tu pourrais être circonvenu par d’aucuns, aventuriers ou agitateurs, qui verraient la brèche dans le rempart protégeant mon royaume ! »

Je tâte mon visage et mes doigts se heurtent au fer du masque qui m’emprisonne.

« Tu ne manqueras de rien là-bas. J’ai commandé à Monsieur de Saint-Mars, un loyal mousquetaire qui m’a bien servi, de pourvoir à tes nécessités. Il gouverne depuis quelques temps une place forte, une forteresse inexpugnable. Tes appartements seront vastes mais la liberté te sera à jamais interdite. C’est le prix que tu dois payer pour rester en vie. Le comprends-tu ? »

Une sincère tristesse transparaît dans sa voix. Je ne peux que me taire. La magie du masque étant par trop imprévisible.

« Tu me dois un dernier service cher frère ! »

J’ai prononcé ces mots sans que ma volonté s’en mêle. Quel service ?

Louis m’observe en silence durant quelques secondes. Les gardes suisses ne pipent mot, une main toujours posée sur le pommeau de l’épée.

« Oui. Je n’ai pas oublié. J’ai fait parvenir ton pli après que mes services l’aient déclaré inoffensif. Je l’ai lu aussi. Tu possèdes un talent indéniable et ta plume ne déparerait le ramage de mes plus beaux oiseaux de Cour. Le destinataire s’est déclaré très sensible à cette attention même s’il ignore bien évidemment son véritable expéditeur. Il croit que c’est moi l’auteur de cette lettre. Ce n’est qu’un demi mensonge, ne sommes nous pas du même sang ? »

Louis claque dans ses mains. Une porte s’ouvre derrière moi et j’entends le froissement d'étoffes et le bruit des pas sur le parquet. Je me retourne vivement. Plusieurs personnes s’avancent vers nous parmi lesquelles je la reconnais immédiatement. Il ne pouvait en être autrement n’est-ce pas ? Le masque ne ment pas. Je crispe les doigts sur les accoudoirs, me tendant inconsciemment vers elle. Les gardes suisses dans mon dos se méprennent sur mes intentions et m’agrippant aux épaules, ils me forcent à me renfoncer dans le fauteuil. Les nouveaux venus ont dû être dûment chapitrés avant de pénétrer dans le salon car ils ne m’adressent aucun regard. Parvenus devant le souverain, ils effectuent une profonde révérence.

« Relevez-vous Monsieur Racine. Il nous plaît de vous recevoir ce jour pour que nous puissions entendre ce que nous vous avons commis. » les accueille Louis en inclinant insensiblement sa noble tête.

Racine est assez nerveux, me semble-t-il. Il transpire trop pour cet après-midi d’août où le soleil s’est caché derrière de gros nuages. Visiblement, il lutte pour ne pas regarder dans ma direction. C’est un homme relativement enrobé, avec une haute et savante perruque qui amollit plus encore la lourdeur de ses traits que démentent cependant des yeux vifs et mobiles.

« J’espère que le fruit de notre labeur contentera votre altesse. Le temps de répétition fut court assez. »
« Oh, je ne fais que louer votre génie ! Vous n’allez pas me décevoir ? Louis poursuit. Malgré le diabolique loup qui lui masque son joli minois, n’est-ce là cette pétillante actrice qui nous a tant charmés lors de la dernière représentation de votre pièce qui, si ma mémoire ne me fait pas défaut, s’intitulait « Andromaque ». Elle y tenait le rôle d’Hermione, la fiancée de Pyrrhus ? »
« Votre Altesse a une mémoire stupéfiante et elle voit au-delà des apparences ! En effet, Sire, il s’agit bien de Madame de Champmeslé. Elle possède de nombreuses cordes à son arc et je suis convaincu qu’elle surpassera bientôt ma défunte épouse, la divine Du Parc ! »
« Dansera-t-elle au moins aussi bien ?» lance alors Louis en levant un sourcil grivois.

Je vois que cette remarque attristé Racine mais ce dernier réussit à conserver néanmoins bonne figure devant son Roi. Celui-ci continue :

« Avez-vous obéi fidèlement aux instructions que j’ai consignées? »
« Point par point, sire ! »
« Alors ne délayons pas plus. Je dois voir en mon conseil privé Monsieur Colbert qui veut m’entretenir des termes d’une ordonnance qu’il a déposée devant le parlement et qui entend protéger nos forêts et nos rivières en édictant des règles pour les exploiter. »
« Bien Sire ! Nous n’userons d’aucun artifice ou vêture particuliers mais, conformément à vos notes, il convient d’imaginer quelque drame antique ! C’est dans ce registre que j’ai donc choisi de camper mes personnages !»

Racine fait un signe aux deux comédiens. Ma belle et mystérieuse inconnue prend place à quelques pas du Roi. Son partenaire, en face d'elle, s’éclaircit la voix et se jetant aux pieds de l’actrice, joue son rôle dans un style que j’ai trouvé ma foi un peu ampoulé. Mais peut-être est-ce le jeu des acteurs à l’époque :

« Madame, quel bonheur me rapproche de vous ?
Quoi ? je puis donc jouir d'un entretien si doux ?
Mais parmi ce plaisir, quel chagrin me dévore !
Hélas ! puis-je espérer de vous revoir encore ?
Parlez : nous sommes seuls. Notre ennemi trompé
Tandis que je vous parle est ailleurs occupé.
Ménageons les moments de cette heureuse absence! »


Je demeure sidéré. Ces mots traduisent si fidèlement l’émoi dans lequel m’ont jeté ces rencontres. Que signifient ces énigmes courtoises qui émaillent toutes ces aventures ? Ces devinettes qui tombent de ses lèvres adorables et qui me ferrent plus sûrement que l’hameçon au bout de la ligne du pêcheur. Ces alexandrins étaient joliment tournés et une véritable grâce émanait d’eux.

Le comédien se fend d’une courte révérence pour sa belle partenaire puis fait mine de sortir pour aller se poster derrière le tragédien. J’estimai que cela indiquait qu’il n’y avait pas forcément de continuité entre les deux tirades. La belle se tourne alors vers moi l’espace d’un instant comme pour m’assurer que ses mots me sont destinés :

« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables !
Par des voeux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée :
D’un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l’encens !
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
J’adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer,
J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer. »


Elle met tant de passion dans ces vers que sa coiffure savante ne résiste pas aux balancements éperdus de sa tête. Ses cheveux se répandent en longues mèches d’un blond cendré sur ses épaules dénudées. Elle est presque hors d’elle, à bout de souffle, les yeux rougis par une émotion non feinte. Sa poitrine se soulève rapidement. Elle s’effondre à genoux, toute tremblante, les mains jointes en une prière muette et païenne.

Un grand silence se forme. Je veux bondir vers elle mais je suis solidement retenu par l’étau inflexible de mes gardes suisses. Louis, également assez ému, s’élance pour relever l’actrice et lui tend même un mouchoir qu’il a tiré de sa manche. Madame de Champmeslé s’accroche à son bras secourable avec une moue qui a du faire des ravages dans les rangs des petits marquis de la Cour.

Racine met un terme à cet intermède quelque peu gênant en renouvelant sa profonde révérence et en osant rompre le silence :

« Sire, ma plume a rougi de honte devant la qualité de votre texte. En répétant avec mes acteurs, j’ai songé à habiller ces magnifiques vers de la plus belle des parures. Il m’est venu quelques idées qui formeront la trame d’une, voire de deux pièces que j’offrirai en triomphe à votre plus grande gloire ! »
« Des tragédies ! Il faut que cela soit des tragédies, où le destin conspire à nuire aux amours impossibles » lui recommande fermement Louis qui me jette un bref coup d’oeil.
« Sire, je puiserai mon eau dans les meilleures sources, latines ou grecques, je vous l’assure. »
« Veillez aussi, mon brave Racine, à placer les plus jolis et les plus tristes mots dans la bouche de cette charmante personne ! »
« Je n’y manquerai pas, je vous en fais le serment votre Altesse ! »
« Adieu mon ami, je vous souhaite bon courage ! Et je garde un oeil sur vous ! » ajoute Louis qui appuie un long regard vers Madame de Champmeslé qui a le tact de rougir légèrement. En tirant une vertigineuse révérence, elle offre au grand Roi une vue plongeante sur de sensuels attraits.

Racine et ses acteurs reculent respectueusement et, parvenus à bonne distance, tournent les talons, toujours escortés par plusieurs gardes du corps du Roi.

Louis revient alors vers moi.

« Cher frère, j’ai tenu ma promesse. Tu as pu écouter ceux que tu as choisis déclamer les vers que tu as noblement composés, je le confesse. Mais à présent, il est temps de te préparer. La route est longue jusqu’à Pignerol. Monsieur de Saint-Mars t’attend déjà dans le carrosse. »

Il fait mine de lever le bras pour lancer quelque ordre à ses gardes quand il suspend son geste et s’approchant vivement de moi, il abaisse son visage tout contre le mien et me murmure à l’oreille :

« Adieu cher frère, adieu tu seras toujours dans mon coeur ! Cette séparation me bouleverse mais c’est sur ce drame que je fonderai le plus glorieux royaume. Je sais que j’en suis capable ! Adieu, je prierai pour toi tous les soirs ! »

Il s’écarte et ses gardes me conduisent vers une porte dérobée dans l’angle du salon. Je porte la main au masque et, quand je le retire, les fastes de Versailles éblouissent encore mes yeux malgré la pénombre du cabinet des curiosités.

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-08-19 18:01:49 

 WA - Participation exercice n°80 part VIIDétails
7 – LE PIEGE



J’ai levé les yeux sur le tableau. L’apparition se précisait, envahissant peu à peu la toile. Elle prenait forme et contenance. Sa présence altérait subtilement l’équilibre tonal et pictural de la composition. La lumière se faisait plus rare, éteignant les couleurs du ciel et tissant une atmosphère morne et grisâtre. Mon reflet paraissait plus emprunté encore. Son maintien devenait, comment dire, moins naturel, presque forcé. Mon visage et mes mains prenaient une teinte maladive, jaunâtre, cireuse. Je souriais mais on aurait dit que ce sourire avait été taillé par je ne sais quel instrument de torture. Un sourire douloureux et désespéré.

Les symptômes s’aggravaient. Ce que j’avais appris sous les Alpes se confirmait. Je devais craindre trois choses. Une femme, les miroirs et ce foutu tableau. Le masque n’était qu’un vecteur. Quand j’étais en Grèce, elle m’avait parlé de deux femmes. La Perse et la Grecque. De laquelle des deux devais-je me garder ? Est-ce qu’elle était aussi celle du tableau ? Pourquoi les miroirs ? Et quelle est l’autre femme, celle que je croise au gré de mes voyages insolites ? Il fallait que je retourne au jardin du Luxembourg. Elle saurait m’aider, d’une façon ou d’une autre.

Alors que je m’apprêtais à sortir, Louis, qui devait surveiller le vestibule, se présenta à moi :

« Monsieur, avant que vous ne repartiez, pourrais-je vous rendre compte des résultats de mon enquête sur l’expéditeur du tableau ? »
« Je t’écoute mais fais vite, je suis pressé ! »
« J’ai appelé mes contacts les plus à même de m’aider dans ce genre de circonstances. J’ai pu remonter d’abord la piste jusqu’à une société basée à l’étranger, en Grèce pour être précis, une société tout à fait légale, respectable, avec pignon sur rue. Mais elle n’était qu’un intermédiaire. Elle agissait pour le compte d’une fondation située, elle, en Crète. A partir de là, la piste s’évanouit. »
« La fondation porte bien un nom ? »
« Bien sûr, la Fondation 4-6 ! »
«4-6 ? Drôle de nom ! Qui la contrôle ? »
« Je me suis cassé les dents sur le montage juridique, le droit en vigueur localement étant assez laxiste. Tout ce que j’ai réussi à obtenir, c’est qu’elle dispose de capitaux très conséquents et d’un patrimoine foncier considérable. »
« Il y a bien des statuts, un conseil d’administration, des dirigeants, des impôts payés non ? »
« Mes contacts continuent leurs investigations mais malgré le prix qu’ils réclament pour leurs prestations, ils avouent à demi-mot qu’ils ont peu d’espoir pour remonter jusqu’au véritable expéditeur. »
« Ne les lâche-pas . Reste sur leur dos et continue, c’est très important. Appelle nos amis de l’ambassade en tant que de besoin. Autre chose, décroche immédiatement tous les miroirs de l’hôtel ! »
« Les... miroirs ? »
« Ne cherche aucune justification plausible, il n’y en a pas. Fais-le, tout simplement ! »
« Bien Monsieur, je m’y mets tout de suite ! »

Dehors, la pluie s’était arrêtée et les trottoirs luisaient sous le soleil. Le jardin n’était pas bien loin, un petit quart d’heure de marche, à peine. Je tournais le coin de l’avenue pour m’engager sur le passage protégé quand un fourgon de livraison freina à ma hauteur. J’ai senti une très légère piqûre au cou et après... le trou noir.

Je me suis réveillé assis sur un fauteuil, ligoté et menotté au milieu d’un bureau sans fenêtre. Il pouvait tout aussi bien être situé au trentième étage d’une tour de la Défense que très profondément enfoui sous Paris. Ou ailleurs du reste. Les murs étaient nus et le mobilier se résumait en tout et pour tout à quelques chaises de métal, un bureau au style anonyme et à un canapé de tissu collé contre une paroi. Pas de téléphone. Un ordinateur portable trônait sur le bureau qui me faisait face. Sur une petite table basse, la verseuse d’une grosse cafetière était remplie à moitié. Le plafond était maillé de diodes basse intensité qui inondaient la pièce d’une intense lumière artificielle aplatissant les perspectives.

Ils étaient quatre, attendant visiblement mon réveil. Trois hommes et une femme. Jeunes excepté celui qui m’apparut d’abord comme leur chef, avec ses cheveux poivre et sel coupés courts. Ils affichaient tous des airs déterminés et à leur façon de se tenir, j’aurais parié q’ils avaient tous un passé militaire. Ils étaient vêtus sobrement, sans aucun signe distinctif. La femme aurait pu être séduisante en d’autres lieux. Oui. Sans aucun doute.

«De retour parmi nous Monsieur Commènes ? Ne vous inquiétez pas, la substance qui vous a été administrée est totalement inoffensive !»

Comme je m’y attendais, c’était l’homme aux cheveux gris qui avait parlé, assis derrière le bureau, en face de moi.

«On verra ce qu’en penseront mes avocats ! Aurais-je droit à une explication? J’imagine que ce type d’arrestation n’est pas couramment utilisé par la police française ?»

«Nous ne faisons pas partie de la police. Ni française ni d’aucun autre état. Mais vous le saviez n’est-ce pas ? Et puis les avocats, comment vous y allez ! Les avocats, il faut qu’ils aient quelque chose à plaider. Or, ici aucune juridiction n’est compétente. En fait, nous n’existons pas ! »

«Vous allez me tuer ? »

Compte tenu de la situation, la question m’avait paru logique même si je m’évertuais à essayer de comprendre dans quel pétrin je m’étais fourré. Mon argent ? J’étais riche mais pas ostensiblement. Il fallait écarter cette hypothèse. En outre, la France, ce n’est pas le Mexique. Une autre Famille ? Inconcevable. Elles ne formaient pas une sorte de Mafia : pas de territoire à protéger ou à conquérir. Alors quoi? Une erreur sur la personne? La probabilité était quasi-nulle compte tenu du professionnalisme dont avaient fait preuve ceux qui me détenaient. Alors pourquoi bon sang ? Je ne vous cacherai pas que je n’étais pas très à l’aise à ce moment.

« Cela fait partie des options » me répondit-il tranquillement « En fait, cela dépend de vous. De la façon dont vous allez coopérer avec nous. »

« Mais pourquoi m’avez-vous enlevé ? Je ne détiens aucun secret stratégique et je ne suis d’aucune valeur particulière. Si vous en voulez à mon argent... »

Il ne me laissa pas finir.

« L’argent ne nous intéresse pas Monsieur Commènes. Il y a par contre des secrets qui nous intéressent. Ils ne sont ni militaires ni industriels. Des secrets que votre famille conserve précieusement. Vous voyez de quoi je veux parler ?» Il avait délibérément appuyé sur le mot « famille ».

« Pas du tout ! » Mon ton était parfaitement lisse et naturel. « De fait, ma famille est réduite à sa plus simple expression. Mes parents ont disparu voici de nombreuses années et aujourd’hui deux ou trois cousins éloignés sont ma seule famille! »

L’homme se leva et s’appuya contre le bureau. Son visage affichait un air narquois :

«Monsieur Commènes... Monsieur Commènes.. Tout cela est extrêmement sérieux. Croyez-vous que nous ignorons à ce point qui vous êtes ? »

« Non, je crois que vous en savez pas mal en fait. Vous savez que je m’appelle Hippolyte Commènes et que je viens d’avoir trente ans. Que je suis français. Vous savez où j’habite, que je suis titulaire d’un permis de conduire B et d’un permis moto. J’ai un abonnement à la RATP et plusieurs cartes bancaires haut de gamme. Enfin toutes ces choses qui figurent dans tout bon portefeuille de nos jours ! »

L’homme secoua la tête. Tout en se remettant debout, il empoigna d’une seule main une chaise qu’il abattit violemment juste devant moi. Il s’assit dessus à califourchon et il aboya en me tendant un doigt menaçant :

« Bon, fini de jouer les boy-scouts ! Je sais et tu sais que tout ça n’est que de la poudre aux yeux. La firme et tout le reste. Cela fait longtemps que nous attendions ce moment. Crois-tu qu’il n’y a personne qui soupçonne votre existence ?»

C’est à ce moment que j’ai compris qu’il n’était finalement pas le chef d’un commando de barbouzes, non. Il jouait dans un autre registre. Ses acolytes devaient être des surveillants et il était l’Inquisiteur. Il me fallait regarder les choses telles qu’elles étaient désormais. Nous sommes formés très tôt pour gérer ce genre de situation. Nos familles n’ont pas traversé les âges impunément sans développer des techniques défensives élaborées. Si je n’avais été troublé par tout ce qui m’arrivait, jamais ils n’auraient eu la moindre chance de me piéger. Je n’ai pas vu les signes. J’ai été négligent. Ils devaient me surveiller depuis longtemps. Je leur avais offert une occasion rêvée sur un plateau d’argent.

Une pensée me traversa l’esprit et je blêmis d’un seul coup. L’Inquisiteur se méprit sur ma réaction, pensant qu’il m’avait touché à la fin de sa dernière attaque.

« J’ai été inconscient longtemps ? » demandai-je assez crispé.
« Le temps nécessaire pas une minute supplémentaire superflue. Le temps de procéder à certaines vérifications. »

Je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais pas m’assurer que le masque était encore sur moi. Je n’éprouvais cependant aucune gêne. Cela impliquait le fait qu’il n’était pas bien loin. Je serais malhonnête si j’affirmais qu’à cet instant précis, le sort de la Famille m’importait.

« J’avais un objet dans l’une de mes poches ! » Il me fallait en avoir le coeur net.
« Ah oui le masque... Un bien curieux masque.. Odile ? »

La jeune femme vint s’attabler devant l’ordinateur et après quelques mouvements de souris, lut d’une voix exagérément atone :

« Nous l’avons analysé. En fait, la matière n’a rien à voir avec du plastique polymère, du tissu ou toute autre matière d’origine animale, comme le cuir par exemple, ou végétale. En fait, elle ressemble beaucoup à la peau humaine, enfin à celle des momies égyptiennes. Les rapides analyses ont démontré la présence d’éléments keratinocitaires, de desmosomes et de spores de micro-organismes, habituellement retrouvés dans la peau momifiée. Mais s’y ajoutent aussi des structures monocellulaires étranges et inconnues. La résistance aux contraintes de cette matière est tout bonnement hors de portée de la technologie actuelle. Toutefois, notre installation ici est assez rudimentaire et le temps à ma disposition assez bref. Avec des équipements plus sophistiqués et des procédures plus soutenues, il sera sans doute possible d’en savoir plus. Mais d’ores et déjà, il est possible d’affirmer que ce masque est à lui seul une énigme scientifique majeure! Quand je l’ai porté...»

« Vous avez... vous avez... mis le masque... sur votre visage? » Je ne suis pas parvenu à maîtriser totalement le tremblement dans ma voix.

« Bien évidemment ! Il se plaque contre le visage comme s’il y était collé par une charge électrostatique. C’est une sensation curieuse. Il n’est ni chaud ni froid et devient très confortable. Comme une seconde peau. Même en secouant vigoureusement la tête, il n’a pas été décroché. Par contre, peu après, j’ai ressenti des picotements cutanés qui me parcouraient les joues, le front, le menton et le front. Comme des décharges électriques microscopiques en vagues successives... c’est très dur à décrire. Mais je n’ai trouvé aucune trace sur ma peau quand j’ai retiré le masque. Je pense que c’est une mine pour nos laboratoires !»

L’Inquisiteur poursuivit :

« Vous voyez bien M. Commènes. Un masque qui semble être étranger à notre civilisation. Et où l’avons-nous trouvé ? Dans votre poche. »

Sa voix se fit toute doucereuse :

«Je crois deviner ce qui vous inquiète. J’ai besoin d’informations et je peux vous garantir que si vous me confiez ce que vous savez, je saurai vous mettre à l’abri. Nous avons un programme pour cela. Vous aurez une nouvelle vie, une nouvelle identité et vous vivrez dans un endroit paradisiaque que nous contrôlons de A à Z. Loin d’ici, vraiment loin d’ici. Vous y serez définitivement hors d’atteinte de quelconques représailles que vous pourriez redouter si vous coopériez ! »

Le jeu ne m’a plus amusé. J’ai abrégé cette pitoyable mascarade.

« Cher monsieur, je ne pense pas que ce que vous m’offrez puisse m’intéresser ! Et je n’ai à vendre, ni à échanger ! »
« J’étais persuadé que vous réagiriez ainsi Monsieur Commènes. Je leur avais dit mais ils n’ont pas voulu entendre. Il y a toujours deux méthodes. La bonne et la mauvaise. Nous venons d’essayer la mauvaise. Il reste donc la bonne ! Elle sera moins confortable, plus pénible.. pour vous. »
« Je vais vous livrer un secret. Je commence à parler tout seul.. et c’est le symptôme que je commence à perdre les pédales non ? »
« Vous parlez tout seul, je ne comprends pas ! » L’inquisiteur semblait sincèrement étonné.
« Bien sûr puisque je parle en ce moment.... avec des morts ! Mais des morts qui ne le savent pas encore et qui croient qu’ils vivent toujours ! »

Juste à cet instant, une sirène s’est mise à hurler une note stridente tandis que la lumière des diodes virait au rouge.

Une voix synthétique ânonna en boucle un avertissement : « Alerte... alerte... des éléments non autorisés ont pénétré le périmètre... alerte.. alerte... ceci n’est pas un exercice... »

J’ai entendu deux explosions assourdies et la porte du fond a volé en éclats. Trois grenades fumigènes ont rebondi sur le sol plastifié jusqu’à nous. De lourdes volutes de fumée blanche n’ont pas tardé à envahir tout l’espace. Puis tout s’est emballé. Dans la lumière saccadée d’éclairs stroboscopiques, j’ai vu l’Inquisiteur ouvrir la bouche sur un hurlement inaudible tandis qu’il essayait de dégainer une arme et se recroqueviller sous l’impact de plusieurs projectiles silencieux. Le sang refluant par sa bouche pendant qu’il tombait face contre terre, les yeux grand ouverts. Les deux surveillants eurent encore moins de chance, fauchés par les balles des deux membres de l’équipe d’exfiltration qui avaient fait irruption, fantômes de grisaille insaisissables évoluant à une vitesse stupéfiante. La femme, Odile, n’avait fait aucun geste de défense. Elle avait plaqué les mains sur ses oreilles et me fixait avec des yeux exorbités. Une balle se logea au milieu de son front. Elle bascula en arrière en renversant la cafetière. J’ai regardé stupidement le liquide noir se déverser de la verseuse brisée et se mélanger à la flaque de sang qui se formait autour de ses cheveux.

C’était à peine commencé que c’était déjà fini. Plus de deux mille ans d’expérience forgent une compétence inégalée.

Louis s’approcha de moi et me débarrassa rapidement de mes liens. Cela ne m’étonna pas de le voir. Il avait retiré son masque et abaissé la capuche de sa tunique de camouflage. L’autre prétorien s’était déjà éclipsé. Louis écouta quelque chose dans son oreillette.

« Ok ! » dit-il « Fin de l’opération. Nettoyez les lieux et repliez-vous ! Monsieur, tout est sous contrôle ici. Aucune perte de notre côté. Il faut partir rapidement. Il nous reste moins de deux minutes avant qu’ils puissent nous opposer d’autres unités. »

J’ai soupiré en me massant les poignets :

« J’ai merdé Louis. J’ai merdé mais je ne pouvais faire autrement ! On ne repart pas sans le masque ! Il me le faut. C’est vital pour moi ! Il doit être dans cette pièce ou pas loin !»
« Nous avons une minute ! » a répondu Louis.

Louis ne se rebella pas plus. C’est moi qui devrait rendre des comptes aux coordinateurs familiaux. La chance fut de notre côté. Le masque était sagement rangé au fond d’un tiroir du bureau. Je le repris, soulagé. Louis se ré-harnacha et nous sortîmes. Au milieu des fumées stagnantes, nous longeâmes un mur gris jusqu’à la brèche ouverte par les prétoriens. Quand nous débouchâmes enfin à l’air libre, nous étions dans un pavillon de la banlieue ouest de Paris. Deux véhicules attendaient le long du trottoir. Vingt minutes plus tard, nous étions sur le périphérique intérieur. Avec Louis, nous changeâmes de véhicule au dernier sous-sol d’un parking résidentiel puis encore une fois dans celui d’un grand magasin. Opportunément, aucune caméra n’a été en mesure d’enregistrer la moindre image de notre passage. Bug informatique.

J’ai réellement soufflé quand je me suis retrouvé dans mon salon devant une bonne tasse de thé fumant et quelques biscuits au citron. Moins de quatre heures s’étaient écoulées depuis que je mettais le pied sur le passage clouté.

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-08-21 20:12:15 

 WA - Participation exercice n°80 part VIIIDétails
8 - LA RAGE DE L’ANGE




Après m’être restauré, j’ai senti la présence de Louis.

« Plus tard ! » Je voulais couper à ses questions et ses conseils. « Plus tard ! »

Louis s’est renfrogné. Il a croisé les bras. Quand il fait ça, il ne bouge pas tant que je n’ai pas apporté un minimum d’explications. Mais j’étais pressé. L’appel du masque me taraudait.

« Je ne dirai rien mais tu peux rester. Au point où j’en suis de cette histoire, autant que tu sois là pour veiller pendant mon euh... disons absence ! »

Louis m’observa pendant que je posais le masque sur mon visage. Puis tout s’estompa..


La scène est si petite, si loin et les chanteurs minuscules mais la magie de l’acoustique est à l’oeuvre. La musique emplit la rotonde où je me tiens, là où le grand lustre est remonté pour son entretien. Elle donne naissance à d’étranges échos spectraux qui s’élèvent en spirale autour de moi. Je suis penché au-dessus du vide, au-dessus de ces centaines d’âmes qui communient ensemble dans la perfection et la grâce de ces voix, environnées de la puissance et l’émotion d’un orchestre animé d’une vie propre. Je suis exactement à la place où les anges sont sensés être, tout en haut des cieux, au plus haut du firmament.

Elle est là comme à chaque fois, au centre de la scène. C’est l’acte III. Elle chante merveilleusement dans l’éclat virevoltant des lumières de la rampe. Sa voix cristalline transperce mon coeur. Chaque mot est une flèche barbelée qui s’enfonce en vrillant profondément dans ma chair. Comment ai-je pu être aussi sot ? Est-ce moi qui parle ou bien le masque ? Il me devient de plus en plus difficile de séparer ce que je suis de ce que le masque veut que je sois. Comment ai-je pu être aveuglé par un amour inespéré ? Christine est là et ses bras se tendent vers les loges, vers sa loge. Vers lui. Je mords mon poing de rage et ma bouche exhale un grondement furieux qui fouaille mes entrailles. Elle l’aime. Lui. Il est beau. Il est riche. Il l’aime depuis longtemps. Je me maudis d’avoir pu croire que ce combat inégal tournerait en ma faveur. A travers mes larmes, je la vois seule sur cette immense scène où elle chante divinement son amour pour un autre.

Elle a osé... elle a osé... je me bouche les oreilles pour ne plus entendre cette musique. Sa voix. Je lui ai tout donné, tout appris, comme son père lui avait prédit. Mais dans mon aveuglement, j’avais oublié que les anges ne peuvent être aimés, tout juste priés. Comment aurait-elle pu aimer un ange ? Alors elle a aimé un homme. Raoul. Ce vaniteux et ce précieux agrippé à la balustrade de sa loge comme un amoureux transi. Mes yeux percent les ténèbres aussi sûrement que ceux des créatures de la nuit qui peuplent mon royaume souterrain.

Je ne peux plus supporter d’entendre la moindre note même si à la fin, les amants abusés seront séparés par la mort. Il faut que j’assouvisse mon courroux et ma rage. Je m’écarte de l’ouverture qui surplombe la salle en fer à cheval. J’ai déjà préparé l’instrument de ma vengeance. Un mécanisme infernal qui épouse les câbles soutenant l’énorme masse du gigantesque lustre, cette verrue boursouflée qui enlaidit l’équilibre des gracieuses proportions de ce théâtre à l’italienne. Je n’ai qu’un geste à faire, un interrupteur à basculer et les câbles seront sectionnés, libérant mon fléau du haut des cieux pour le précipiter sur les témoins de mon malheur. Ils connaissent l’histoire et plaignent cependant Marguerite et son amant insensé. Faust a vendu son âme au Diable. Il a eu beau gesticuler pour tenter d’échapper au Prince des Menteurs, rien n’a suffit. Christine m’appartient comme Faust appartient au Diable. Si elle n’est pas mienne, elle ne sera à nul autre.

Je les hais et je la désire. Moi, j’aurais écrit pour elle des symphonies qui auraient fait pleurer les anges. J’aurais écrit des portées jamais entendues et des accords miraculeux. Oui, je suis monstrueux et le masque que je porte cache cette laideur qui fait peur aux hommes. O Seigneur, ne peuvent-ils discerner au-delà des simples apparences, au-delà du rictus qui tord ma bouche, au-delà des traits tourmentés que tu m’as donnés? Ne peuvent-ils concevoir les trésors que j’aurais pu leur apporter et la joie qui aurait transfiguré leurs âmes. Oui, j’aurais écrit des pages et des pages de musique sacrée plus belles que celles des plus grands mais il n’y a plus aucun espoir à présent. La femme que j’aime m’est à tout jamais inaccessible. Interdite. Elle ne lira jamais dans mes yeux autre chose que d’aimables conseils et non pas le désir que je brûle de lui montrer ! Non, Christine aime Raoul et le monde s’arrête là pour moi.

Il n’est pas encore venu le moment où ma colère s’abattra sur eux ! Je la sens croître en moi, investissant chaque cellule de mon être, saturant mon sang et mes poumons. Oui, viens... viens... donne-moi la force d’accomplir mon destin !

Les bâtisseurs de ce théâtre ont creusé trop profondément, réveillant des ombres assoupies près de l’eau, des ombres qui ont glissé sans bruit entre les murs, chassées et repoussées par les pelles et les pioches des ouvriers. Les imprudents ont creusé trop profondément. Là où s’étend mon royaume. Près du lac s’élève mon palais. Je me souviens de mon désarroi et de ma frustration quand les portes se sont refermées devant moi. Le directeur n’a pas daigné jeté le moindre regard sur mes partitions. Il a essayé de me regarder mais a vite détourné les yeux d’un air dégoûté qu’il n’a pas pris la peine de dissimuler. J’ai déguerpi parce que je me croyais coupable. Mais ce n’était pas moi. Non.

J’ai suivi des couloirs et des escaliers, des escaliers qui s’enfonçaient toujours plus profondément, empruntant des tunnels de chantier oubliés, des passages condamnés qui s’ouvraient devant moi, des salles emplies de décors fantomatiques. J’ai appris à vivre dans les ombres mais mon coeur chérissait toujours autant la lumière des cieux. J’ai écrit ma musique mais j’étais le seul à l’entendre au bord du lac. Dans ma tête, je distinguais la tonalité de chaque instrument, l’éclat des cuivres, le soyeux des cordes, le souffle des bois et le rythme des percussions. Je conduisais l’ensemble et quand je fermais les yeux, je m’imaginais dressé dans la fosse d’orchestre. Les créatures de la nuit m’ont accepté et je suis devenu l’une d’entre elles, habillé de noir et paré d’un masque subtilisé sur l’établi d’un accessoiriste.

C’est ainsi que j’ai apprivoisé Christine. Sa voix m’avait attiré. C’était un diamant brut enfermé dans sa gangue. Je lui ai appris à placer sa voix, à moduler ses gammes et un jour, elle chanta sur la scène de ce théâtre où elle connût rapidement le triomphe. J’étais heureux, prêt à écrire pour elle les plus magnifiques opéras. Mais elle aime Raoul. Alors cela ne sera pas.

Il est temps. Trente mètres plus bas, Méphisto s’exclame :

O nuit, étends sur eux ton ombre!
Amour, ferme mon âme aux remords importuns!
Et vous, fleurs aux subtils parfums,
Epanouissez-vous sous cette main maudite!
Achevez de troubler le coeur de Marguerite!...


Je bascule l’interrupteur et je m’échappe par une porte latérale. Mes fleurs vont s’épanouir en gerbes explosives. Derrière moi, la déflagration secoue la structure même du bâtiment. L’espace d’une seconde, le silence se forme puis des hurlements s’élèvent, des clameurs rugies par mille gorges pendant que l’énorme boule de cristal effectue sa prodigieuse chute droit sur les premiers rangs des spectateurs. Je n’assiste pas au spectacle. Je l’ai vu cent fois dans mes rêves. Et mes rêves ne mentent pas. Jamais. Des gémissements ont succédé aux cris et des sirènes mugissent des appels au secours. Ils ont payé. Ne suis-je pas le Fantôme de l’Opéra qui tient leurs vies entre ses mains ?

Ma cape noire vole derrière moi pendant que je dévale le grand escalier, passant en trombe devant des gardes républicains ébahis en uniforme d’apparat qui n’ont pas encore compris toute l’horreur de la situation. J’ai un compte à régler. Un compte à solder. Une loge à gagner. Ils seront là-bas et aucune force dans ce monde ne pourra m’arrêter. Christine est mienne pour l’éternité. Elle viendra avec moi et elle sera ma reine dans mon palais souterrain, reine des ombres qui chantera pour moi, seulement pour moi.


Que me dit cette toute petite voix qui essaie de se faire entendre dans le tumulte de mon crâne ? Je ne parviens pas à comprendre. Elle est couverte par l’orage qui ébranle mon âme. C’est comme écouter une voix lointaine de l’autre côté d’un océan furieux. Je sais que je devrais me concentrer mais les rejoindre est mon seul but. Je n’ai pas le temps. Pas le temps. Pas le temps.

Je débouche sur le couloir des loges là où le vicomte dispose de la sienne. Je dois me frayer un passage pour remonter le courant frénétique des spectateurs qui fuient la tragédie. Ne leur a-t-on pas dit, au guichet, qu’ils avaient effectivement payer pour assister à une tragédie ? J’arrive à sa hauteur. La porte est ouverte. Je pénètre et je découvre qu’elle est vide. Je m’avance et je ne laisse pas mes regards être distraits par la grande confusion qui règne dans la salle. Par le lustre qui s’est écrasé sur les trois premiers rangs. Par le début d’incendie qui est combattu par quelques pompiers. Par les corps désarticulés qui gisent autour. Non, tout cela ne m’intéresse pas. C’est le tableau fidèle de ce que j’ai rêvé. Que sont-ils pour moi ? Des ombres chinoises, de simples ombres sur le mur.

Non, je fixe le fond de la scène où se tiennent deux silhouettes que je reconnais immédiatement. Eux. Elle m’a vu aussi. Elle tend son bras vers moi tout en lui criant quelque chose que je n’entends pas. Il regarde dans ma direction et il l’entraîne vivement vers la cour, derrière les lourds décor. Ils disparaissent de ma vue. Je hurle de rage et plusieurs personnes se détournent de leur besogne. Je peux lire dans leurs yeux une stupide frayeur. Plusieurs policiers, sifflet à la bouche, convergent vers moi. Je hausse les épaules. Pauvres fous ! Je me replie dans le fond de la loge et je m’éclipse par des passages que moi seul connaît.

Je me précipite à leur poursuite. La tempête fait toujours rage sous mon crâne. Je respire leur piste. Je prends des raccourcis ignorés et je suis bientôt sur leurs talons. Ils fuient devant moi comme du gibier devant le chasseur. Ils gravissent les marches, toujours plus haut, toujours plus haut... où pensent-ils trouver un asile qui les soustraira à mon ire ? Je suis presque en mesure d’apercevoir leurs dos. Je me rapproche sûrement. Ils ont beau être jeunes et résistants, je connais le moindre recoin de ce bâtiment. Ils se dirigent dans la mauvaise direction. Devant eux, c’est une impasse. Il n’existe aucune échappatoire sur les toits de l’opéra. Une dernière porte à franchir.

Comment, elle me résiste ? Quelque chose l’empêche de s’ouvrir de plus de quelques centimètres. L’air frais de la nuit me caresse les narines. Je gronde de dépit. Croient-ils que ce fragile rempart tiendra longtemps sous mes assauts ? Je donne de grands coups d’épaule qui font trembler le chambranle. Un fantôme passe au travers des murs. Pas moi. Je cogne de plus en plus fort et l’huisserie geint à chaque coup davantage. Un dernier coup de boutoir et la porte s’abat avec bruit sur le revêtement métallique. A mes pieds, Paris s’étend en grappes lumineuses et derrière-moi Apollon tend vers des cieux bouchés une lyre d’or.

Ils sont à quelques pas et nulle part où aller. Christine jette des regards épouvantés au-delà du parapet mais la hauteur est vertigineuse. Je suis chez moi ici aussi. Les anges ne vivent-ils pas dans les cieux? Les hommes rampent sur la terre et la terre est si loin. Raoul se place devant Christine. Il a le souffle court. Sa bedaine naissante ne l’a pas aidé. Comment Christine peut-elle aimer cet être tel que lui? Je ne transpire même pas et je bloque la seule voie possible.

« Christine, dis-je froidement, n’escompte pas m’échapper encore. Tu n’as pas d’ailes pour t’envoler hors de mon atteinte. Tu ne l’aimes pas réellement! Tu aimes ce qu’il représente, un amour d’enfance. Il n’y a rien de plus fugace que les rêves d’enfant ! »

Raoul fit un pas un avant :

« Démon, fantôme ou quel que soit ton nom, Christine m’aime et n’aimera que moi. Tu pourras faire ce que tu voudras, son coeur t’es à jamais fermé ! »

Je pousse un cri étranglé en le saisissant par le col de sa redingote. Il n’a pas esquissé le moindre geste. Je suis trop rapide pour lui. Je rapproche son visage du mien, presque peau contre peau. La petite voix se fait plus insistante mais je la repousse à nouveau. Il n’est pas temps.

« Qui es-tu ? Qui es-tu pour aimer Christine ? L’as-tu bien entendue chanter ? Dis-moi, mortel, est-il plus beau chant sur Terre pour le Seigneur? »
« Non ! Non ! » souffle-t-il.
« Est-ce toi qui a fait ce miracle ? »
« Non ! » avoue-t-il
« Alors qui ? »
« Vous ! »
«« C’est ce que parvient à faire un Ange ! Alors qui aime le plus Christine, Raoul ? »

Il ne répond pas et détourne les yeux. Je le soulève comme un fétu de paille et le suspend au-dessus du vide. La petite voix se faufile, s’infiltre, essaie de dominer le grondement du volcan qui tonne dans ma tête.

« Alors mérites-tu de vivre Raoul? Dis-moi.»

« Attend ! »

La voix de Christine, chaude et vibrante, arrête mon geste. Mon oiseau du ciel pose sa petite main sur mon bras et, docile, je repose mon fardeau sans ménagement sur le toit.

« Je veux chanter une dernière fois sous la lumière du ciel ! Le permets-tu ? Pour l’amour de moi ?»

Comment refuser mon amour ? J’acquiesce lentement, sentant confusément que je perds le contrôle de la situation. Je reprends ma place devant la porte défoncée. Je perçois dans le lointain des brouhahas. On nous cherche. Il ne reste que peu de temps. Je fronce les sourcils pour écarter une petite voix importune.

Christine recule jusqu’au parapet derrière elle. Par enchantement, la lune se dévoile et l’inonde d’un lumière cendrée qui l’élève au-dessus de sa condition, comme si les cieux se montraient soudain attentifs à ce qui va se passer. Christine adresse un long regard à Raoul et sa voix s’élève pure et limpide comme l’eau jaillissant du cristal :

Je veux t'aimer et te chérir!...
Parle encore!
Je t'appartiens!... je t'adore!...
Pour toi je veux mourir!.


En disant ces mots, elle se laisse tomber en arrière et bascule au-delà du parapet. Je me précipite en vain mais je suis incapable de la retenir. Malgré mes bras tendus, elle disparaît dans les ombres qui noient la base du bâtiment. Raoul est secoué de sanglots. Je le maudis et le frappe, encore et encore. Il ne se défend pas malgré mes coups redoublés. Il finit par s’affaisser contre le dôme du toit. Un calme surnaturel descend du ciel, dispersant la tempête dans ma tête, apaisant cette rage qui brûlait au fond de mes entrailles.

Il ne reste plus rien. La petite voix s’élève alors distinctement dans ma tête et je l’écoute enfin.

« Regarde, regarde qui tu as-tué. Regarde bien ! »

Je me penche au-dessus du cadavre de Raoul. Il me semble soudain familier, plus proche, comme un frère... un frère ?

« Regarde-mieux ! » insiste la petite voix .

Je m’efforce de me concentrer. J’ai du mal. Ses traits, ce nez mais... c’est moi ! Moi ! moi ! Je deviens fou ! En hurlant de terreur, j ’arrache d’un geste le masque diabolique.

Je suis dans le salon. Louis est là. Il m’observe en silence. Il m’observe pendant que je pleure sans vraiment savoir pourquoi. Je pleure et je m’écroule sur le canapé. Je jette au loin ce masque démoniaque. J’ignore ce qu’il me veut. Comme un possédé, avec un rire de dément, j’ai chanté d’une voix éraillée à un Louis médusé :

Vains remords, risible folie!
Il est temps que mon coeur oublie!
Donne et buvons jusqu'à la lie!

Doux nectar, en ton ivresse
Tiens mon coeur enseveli!
Qu'un baiser de feu caresse
Jusqu'au jour mon front pâli!
Dans la coupe enchanteresse
Pour jamais je bois l'oubli!!


Puis j’ai crié :

« Louis, apporte-moi un bouteille de rhum. Une non entamée. Je suis maudit ! »

M

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2010-08-23 23:55:03 

 Commentaire de la première partieDétails
Comme c'est le premier texte de Faeries que je lis depuis des mois, que dis-je, des lustres, fallait que je commente. Et puis que je vous dise que je vous oublie pas, amis faeriens, et que je vous aime toujours :)

Cette première partie, donc, de cette histoire qui s'annonce très longue (mais où s'arrêtera-t-il??), me paraît fort alléchante. Certains passages tout en sous-entendus sont des merveilles littéraires, comme tu sais si bien le faire, et tu parviens parfaitement à nous intriguer en gardant pour la fin la dénomination de l'objet (plus loin aurait été trop loin, plus tôt aurait été moins bien), objet énigmatique s'il en est et dont on se demande bien quels pouvoirs il renferme qui vont pousser notre personnage à sa fin. Je pense que je commenterai au moins la partie II, avec ça :)

Maedhros, ou l'art de faire lire ceux qui ne lisent plus.

Elemm', ou l'art de ne plus rien lire, le cerveau ramolli par la chaleur et le sel de mer.

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2010-08-24 00:09:51 

 Comm partie IIDétails
Ca se dévore tout seul.
Assez classique mais efficace, cette histoire de masque. Ah, Maedhros et les miroirs...... Une interminable histoire d'amour!! Qu'il s'agisse de reflets, de masques ou de tableaux, c'est bien toujours la même chose, mais pourtant c'est toujours délicieusement nouveau.

J'ai juste été un peu gênée par le début de paragraphe "Qu’était donc ce masque ? Qui me l’avait offert ? Dans quel but ? Pourquoi maintenant ? Toutes ces questions tournaient dans ma tête et aucune réponse n’était satisfaisante.", que j'ai trouvé trop commun. Mais ça c'est pour chipoter.
Mince, tu arrives à me détourner de Legend of the Seeker?? Diantre! Y'aura peut-être un commentaire de la partie III :)

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-08-25 15:04:52 

 Commentaire Onirian, exercice n°80Détails
C'est un joli texte, écrit dans les trois dimensions de l'enfance ( le réel, l'imaginaire et le symbolique), avec un langage adapté à ton héros ( entre 8 et 11 ans?) . Les malheurs de ce pauvre garçon et sa manière à lui d'engager un processus de résilience (par le rêve, le souvenir et l'espoir) le rendent très attachant. Mais quoi que tu en dises dans ton intro, je trouve quand même dommage que ce soit si court. Je ne pense pas qu'il faille allonger ce texte-là, je pense qu'il faut s'en servir de base pour une histoire.
Par exemple l'enfant serait recueilli par le menuisier un peu bourru, il resterait silencieux et cacherait sa boîte. Puis l'homme gagnerait sa confiance et l'enfant lui parlerait de sa boîte, et le dragon à faire leur servirait de lien.
Ou bien un vieil homme va mourir et serre sa boîte contre lui pour l'emporter dans sa tombe. Il ne l'a jamais ouverte et ne l'ouvrira pas. Et puis finalement il va la donner à un enfant (au choix: un vagabond, un voleur de passage, son petit-fils...), parce que la transmisson est plus importante que la possession.
Ou bien le petit garçon erre sur les routes au milieu d'un paysage dévasté par l'épidémie (cf: "Le hussard sur le toit", "La route" de Mc Carthy), et chaque nuit en serrant sa boîte contre lui il vit une réalité alternative heureuse (cf "Inception").
Ou ce que tu veux...


Bricoles:
- tu es fâché avec les circonflexes! Boîte, disparaît, abîmer...
- évidement: évidemment
-une répétition: elle n'est pas finie... sa tête est finie
- mon papa à commencé: a


Le résumé de ton texte étant dans le titre, si tu veux embarquer le lecteur il faut l'entraîner un peu plus loin. Une idée excellente ne suffit pas, même si c'est sûrement le plus difficile à trouver...
Ah les p'tits génies, toujours un baobab dans la main...
Narwa Roquen,alias madame plus

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-08-27 16:25:01 

 WA - Participation exercice n°80 part IX et FINDétails
9 – DE VIEILLES ÂMES DANS DE NOUVEAUX CORPS



Je suis fatigué d’écrire. La nuit s’avance et l’immunité accordée par la drogue s’amenuise peu à peu. Le désir grandit, irrépressible et inexorable. Je veux poursuivre mais mes doigts trébuchent sur chaque touche. Je dois sans cesse corriger, encore corriger et je perds le fil de mes idées. Est-ce l’une de ses ruses ou bien simplement les symptômes de mon esprit malade ? Les ombres s’allongent et dansent le long des murs, ombres bruissantes et familières. Elles m’attendent. Il me reste de moins en moins de temps à présent. Le dénouement est proche. Tout proche. La voix douce et grave de Jessica Harper me revient en mémoire :

We're old souls in a new life baby
They gave us a new life
To live and learn
Some time to touch old friends
And still return


Il faut que je me concentre...

Le rhum ne fut pas suffisant pour m’abrutir et me plonger dans une ivresse miséricordieuse. Si je n’ai pas profité des bons côtés d’une cuite mémorable, j’en connus les pires désagréments. J’ai été malade comme un chien, vomissant à en crever ma bile après que mon organisme eut régurgité l’alcool brûlant. Je sus que désormais, le masque me refuserait tout libre arbitre. Louis a nettoyé sans broncher les humeurs graisseuses qui s’étalaient sur le sol. Il m’a ensuite aidé à me dévêtir et prendre une douche pour laver toute trace de souillure. Sous le jet d’eau glacée, je grelottais misérablement accroché au rideau de la douche en serrant les dents. J’étais, je me sentais... pitoyable!

Je suis demeuré prostré un long moment, perdant toute notion du temps. Je revoyais en boucle le visage de Christine disparaître dans les ténèbres. Encore et encore. Je revoyais aussi cet autre visage tuméfié, ce corps gisant sur les toits de l’Opéra Garnier sous un ciel en pleurs. Mon visage et mon corps. Si Apollon ne me reprocha rien, à ses côtés les muses horrifiées cachèrent leur belle face dans la paume de leurs mains.

J’ai recouvré lentement mes esprits pendant que Louis veillait sur moi...

Cela devient vraiment difficile, intenable, insoutenable... je suis désolé mes amis, il vous faudra encore attendre. Il faut que je le fasse... que je réponde à son appel... peut-être me montrera-t-il cette fois-ci le moyen de tout recommencer et empêcher Christine de basculer dans le vide ? Peut-être.


* * *


Le texte sur l’écran s’arrêtait là. Le curseur clignotait au bout de la ligne de caractères inachevée comme une balise de détresse. Ne m’oubliez pas... ne m’oubliez pas... ne m’oubliez pas... ne m’oubliez pas...

Quand il fut parvenu au bout de sa lecture, Louis fit une chose extraordinaire. Après avoir réfléchi quelques instants, il compléta le récit en ajoutant le neuvième et dernier titre qu’Hyppolite, incapable de résister au masque, avait laissé en blanc. En relisant ce qu’il venait d’écrire, il décida que c’était le titre idéal et sourit tristement. Hyppolite aurait certainement approuvé.

Il referma ensuite le traitement de texte. Il refusa de sentir le moindre pincement au coeur quand il glissa le fichier du bureau jusqu’à la corbeille qu’il vida aussitôt. Ensuite, méticuleusement, il exécuta un puissant utilitaire pour détruire physiquement, octet après octet, toute trace du texte. Désormais il n’existait plus aucune possibilité de reconstituer, même partiellement, le témoignage qu’Hyppolite aurait voulu léguer.

Quand tout fut achevé, Louis s’attarda longuement sur ce qui l’entourait. Bientôt cet endroit et tout ce qu’il contenait se conjugueraient au passé. Il soupira. Un chapitre de son existence venait de se clore. Comme à chaque fois, il se sentit brutalement vieux et usé, comme un livre trop épais dont les pages ont été tournées trop longtemps et la reliure est fatiguée à force d’avoir été ouverte et fermée des milliers de fois. La douleur coutumière et lancinante s’est réveillée, pulsant sous sa tempe. Bientôt un nouveau chapitre s’ouvrirait. C’était dans l’ordre des choses.

C’était toujours la même vieille histoire. Les détails changeaient bien sûr, comme les époques et les visages, mais au bout du compte, ce n’était qu’un éternel recommencement. Louis se leva avec difficulté. Ses os gémirent et protestèrent, accusant le poids du temps qu’ils avaient accumulé. L’heure était venue de revêtir un autre aspect. Louis serait identique et néanmoins intimement différent. Il le fallait bien mais il ne se hâtait pas. Il s’attendait à souffrir lorsqu’il abandonnerait sa vieille peau ridée et desséchée. La mue est toujours douloureuse. Comme les réajustements de sa chimie interne. Si cela avait été en son pouvoir, il aurait depuis longtemps mis un terme à cette façon d’exister. Mais sa seule liberté était de le désirer. Son unique désespoir était de ne le pouvoir. Son destin était lié à cette Maison, scellé par un ancien sortilège que rien ne saurait altérer.

Quelque part dans l’Est, les jours heureux et insouciants avaient fui. L’enfant avait grandi. L’enfant d’Hyppolite. Le fruit d’une union planifiée et secrète. La mère sélectionnée avait été remerciée après que son travail eut été mené à son terme. Louis ne voulut pas s’attarder à visualiser ce que cette notion impliquait. Les Maisons veillaient scrupuleusement à maintenir immuable l’ordre des choses. Hyppolite ne s’était ainsi jamais douté qu’il était devenu père. Le père de l’Héritier. Quand il avait fêté son trentième anniversaire, son fils caché avait fêté ses cinq ans. Cette conjonction d’évènements avait sonné le glas pour Hyppolite. Le compte à rebours de ses derniers jours avait débuté. Les rites funéraires prescrits par les traditions séculaires des Maisons furent observés à la lettre : le masque et le tableau parvinrent à leur destinataire. Jusqu’au dernier moment, jusqu’à la dernière heure du dernier jour, Louis s’était montré parfaitement loyal à son maître, serviteur obéissant et zélé.

Cependant, malgré toutes ses qualités, Louis ne pouvait se soustraire à sa primitive allégeance, celle qui lui avait insufflé la vie alors qu’il n’était qu’une créature informe du monde impalpable de l’Intervalle.

Quand Louis jugea qu’il pouvait le faire, il pénétra dans le cabinet des curiosités. Celui-ci était vide et silencieux. Rien ne bougeait dans le demi-jour ambiant. Hyppolite n’était pas là. N’était plus là. Au pied du tableau, le masque traînait sur le sol comme une peau morte. Louis le ramassa et le glissa dans sa poche. L’accessoire magique reposerait bientôt dans une crypte secrète d’un temple préservé dont les colonnes de marbre surplombent les eaux turquoises d’une mer ancienne. Sous la garde vigilante des grands oiseaux de mer aux ailes immaculées, le masque patientera là un autre quart de siècle.

Sur le tableau, Hyppolite se dressait encore devant le promontoire. Une nuit sans lune avait cependant remplacé le jour finissant. Ce n’était pas l’obscurité pourtant. Une lumière blafarde descendait d’une étoile oubliée et solitaire, suppléant l’absence de l’astre nocturne. Une femme de haute stature enlaçait Hyppolite. Une femme vêtue d’une tunique brumeuse qui mettait en valeur sa beauté singulière.

Louis frissonna malgré lui quand ses yeux s’attachèrent à ceux de la créature. Deux gouffres insondables et sans vie. Deux trous noirs et hypnotiques qui donnaient le vertige.

Pourtant elle était absolument magnifique. Des lèvres pleines, une bouche sensuelle, un nez aquilin et un visage du plus parfait ovale encadré par une chevelure luxuriante et rebelle qui se tordait en tous sens. Non. A y regarder de plus près, ce n’était pas des cheveux mais plutôt des formes serpentines qui semblaient onduler, prendre vie sous le regard de Louis. Celui-ci murmura avec déférence un nom ancien et inusité aux sonorités grondantes. Méduse, la gardienne de la Maison.

Dans ses bras, Hyppolite présentait une rigidité qui n’avait rien de cadavérique. La pâleur de sa peau dénudée n’avait rien de maladif. Une blancheur d’albâtre qui n’avait plus rien d’humain. Sa bouche était ouverte sur un cri muré et indéfinissable qui pouvait tout aussi bien exprimer l’extase ou l’horreur absolue. Ses bras étaient croisés dans son dos, soulignant la force fluide de ses épaules et de son torse. Ses muscles saillaient harmonieusement au-dessus du pelvis et le long des cuisses puissantes. Sa jambe droite esquissait un pas en avant imaginaire, mettant en tension chaque partie de l’anatomie d’Hyppolite, subtilement mise en valeur par la dynamique étudiée du mouvement. Toute imperfection ayant été comme miraculeusement gommée, toute la chair, toutes les lignes de son corps étaient comme sublimées.

Une main de Méduse caressait le torse d’Hyppolite, l’autre reposait sur une hanche au galbe irréprochable. « Il m’appartient à présent » semblait-elle dire de manière insolente, semblant défier quiconque de venir lui contester sa proie.

Louis s’aperçut qu’insensiblement les détails du tableau s’estompaient. La clarté spectrale se dispersait, s’affaiblissait peu à peu, plongeant la scène dans une ombre grandissante. Le promontoire, le ciel et la mer disparurent en premier. Ensuite, les deux personnages furent lentement absorbés par une marée obscure qui recouvrit leurs pieds puis remonta lentement le long de leurs jambes. Bientôt seules les deux taches plus claires de leurs visages demeurèrent visibles. Cela évoqua à Louis ces histoires de marins qui rapportaient l’infortune de ces naufragés luttant sans espoir pour se maintenir à flot sur une mer hostile. Pourtant, à bien y regarder, chaque visage reflétait des émotions tout à fait antagonistes. Sur le visage de Méduse se lisaient la sérénité et la satisfaction, l’assouvissement du désir. Sur celui d’Hyppolite se peignaient l’incrédulité et le désespoir, la détresse et l’amertume. Malgré la fixité du regard de pierre qui s’enfonçait sous l’onde noire, Louis devina une ultime prière. Avant que la larme qui avait perlé au coin de la paupière de Louis, n’eut entamé sa course, Hyppolite avait définitivement disparu, emporté dans les ailes fuligineuses des impitoyables ténèbres.

Louis consulta sa montre. Il avait du temps devant lui. L’aube ne se lèverait pas avant deux bonnes heures, bien plus qu’il ne lui en fallait pour exaucer le dernier voeu de son maître. Il retira alors la lance romaine de son support et l’enveloppa dans un drap. Il referma soigneusement le cabinet des curiosités. Quand il sortit sur le perron de l’hôtel, il releva le col de son imperméable pour affronter la fine pluie matinale.

Il pressa le pas. Hyppolite l’attendait impatiemment, à jamais immobile dans le jardin du Luxembourg.

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-09-11 22:45:29 

 Commentaire Maedhros,exercice n°80Détails
C’était donc le feuilleton de l’été ! Et à coup sûr la plus longue participation à une WA, approximativement 34 feuillets A4, un mini roman... A travers des épisodes en apparence décousus, se maintient le fil rouge de l’objet mystérieux, ce masque qui d’ailleurs gardera intact le secret de son origine – objet d’une magie très ancienne ou produit d’un artisanat extraterrestre ?
Le héros, tel Daphnis, jure de résister à l’amour, mais y succombe sans cesse, pour son plus grand malheur. Des empereurs byzantins – la dynastie des Commène, la dynastie des Ange – jusqu’au fantôme de l’Opéra, ventriloque à la voix d’ange, en passant par Verdi, Eschyle, Racine et Gounod, on croise Lois XIV et Méduse pour atterrir au jardin du Luxembourg avec ses célèbres statues...
A ta suite nous pérégrinons, souvent surpris, parfois largués, mais jamais déçus. Car tu retombes tout le temps sur tes pattes, même quand tu virevoltes dans le ciel en disparaissant selon ta fantaisie, tel un chat malicieux qui convoiterait un chapeau...
J’ai supposé que les différents voyages que fait le héros grâce au masque étaient des souvenirs de ses vies antérieures. Mais je n’en suis pas très sûre, puisque les autres incarnations ne sont pas mortes au même âge. Le tableau représente la malédiction de Méduse, l’attirance vertigineuse vers un être maléfique qui va, selon le mythe, le transformer en pierre. Dans la légende, un regard suffit, mais tu as l’air de suggérer qu’il faut un baiser... baiser que tu ne nous montres jamais...
Le background est somptueux, une organisation secrète transtemporelle et familiale, dont le héros est l’éternelle victime tandis que son serviteur en est un rouage indispensable.
Quelques mystères ont cependant résisté à ma bonne volonté, et à mes investigations googlesques.
Qui est la femme du jardin du Luxembourg ? Une sorte d’oracle ? Pourquoi la fondation s’appelle-t-elle 4-6 ? Qui sont les ravisseurs dans l’épisode VII ? Quel est le sens de cette malédiction qui frappe le héros quand il a trente ans ? Pourquoi n’utilise-t-il pas les informations qu’il a ramenées de la caverne ? En quelle statue est-il transformé ? Celle du marchand de masques ?


Le prologue est un peu agaçant à force de sous-entendus, mais les wagons se raccrochent à la fin. Le I est étourdissant de brio ; le II nous fait basculer dans le coeur de l’histoire, et il est très bien écrit. Dans le III on comprend que Méduse tient sa proie et qu’il est déjà trop tard. Dans le IV on perd totalement pied, l’ambiguïté est à son comble, tout se télescope, le bien, le mal, le théâtre, l’Histoire... On se repose un peu dans le V, tu as l’air de nous emmener chercher des réponses ; tu fais une très belle description des lieux magiques... mais on ressort de l’obscure caverne complètement frustré. Le héros sait des choses, mais il ne nous en dit rien ! Le VI est peut-être le point faible du texte. Peut-être que l’histoire du Masque de Fer est trop célèbre, ou peut-être que le lecteur commence à se lasser d’être baladé d’une promesse à l’autre sans pouvoir rien se mettre sous la dent de logique et de tangible. En soi, l’épisode est ludique et même culotté : faire écrire des vers de Britannicus et de Phèdre par le Masque de Fer, fallait oser !
Le VII est celui qui soulève le plus de questions, surtout quand tu fais dire à ton héros « je parle en ce moment avec des morts », morts qui se font flinguer, hémoglobine à l’appui, par un Louis en chair et en os... On est content d’apprendre le nom du héros, et Google aidant, de se rendre compte que, à moins d’avoir une agrégation d’Histoire, on n’est pas sorti de l’auberge...
Au VIII personnellement j’ai renoncé à me battre et j’ai ainsi pu profiter d’un excellent épisode, sombre et passionnel, qui nous éloigne bien de Méduse mais qui, à lui tout seul, vaut son pesant d’or.
Quant au IXème épisode, il te permet de boucler la boucle. La fin est tout à fait logique (si je puis dire !), à une question près : si Hippolyte comprend le voeu de Louis dans l’épisode II, c’est qu’il est informé du cycle des réincarnations. Alors pourquoi reste-t-il aussi passif ?


Bricoles :
1. temps : il y a des moments où tout se mélange...
- ép II : je soulève... le couvercle : le paragraphe est au passé simple
- paragraphe « je ramassai le masque » : mélange passé simple/ passé composé
- idem dans paragraphe: « une brûlure qui devint ... me faisaient également souffrir »

- ép III : je l’ai quittée... et je revins chez moi

- ép V : « mon estomac se crispa », dans un paragraphe au passé composé
-« lorsque les flammes avides se sont élevées » : passé composé au milieu du passé simple

- ép VI : « j’entendis le froissement des étoffes » : présent égaré dans le passé simple
-« les alexandrins étaient poliment tournés... émanait... », au milieu du présent
- idem : « « j’estimai que cela indiquait... »


- ép VIII : « Raoul fit un pas en avant » : le texte est au présent

- ép IX : paragraphe « le rhum ne fut pas suffisant » : mélange de passé simple et passé composé
- « la douleur coutumière et lancinante s’est réveillée » : au milieu de passé simple/ imparfait


2. virgules !
Quand tu dis « vous savez », « non ? », « n’est-ce pas ? », quand tu apostrophes quelqu’un : il faut une virgule !
Exemples : Prologue : « il me regarde, vous savez ? », « Par le début, me diriez-vous »
Ep I : « certains d’entre vous, du reste », « des mêmes officines, non ? »
Ep II : « aimer son propre reflet, n’est-ce pas ? »
« un cadeau d’anniversaire, après tout »
« la mer était d’un bleu intense, lumineux, et... »
« ni surnaturel, ce masque.. »
« c’est bon, entrez »
« mais c’est vous, Monsieur »
And so on...



3. accents circonflexes (en plus ou en moins...)
Prol : « m’atteler à cette tâche »
Ep II : « appartenance qui franchit », « depuis notre plus jeune âge »
Ep III : « la lance posée contre la paroi ne me fut »
Ep IV : « cette conversation me parut », « elle ne put en dire plus »
Ep VI : « Mme de Champmeslé... une moue qui a dû... »
Ep IX : « que son travail eût été mené à son terme »


4. Divers
Ep I : des grands crus classés : de grands crus
- n’est mentionné dans les livres d’histoire : Histoire
- s’accrochaient aux tableaux de maîtres : de maître
Ep II : c’est à peu près ce qui c’est passé : s’
- les allées du jardin de Luxembourg : du
- quoi, encore un cadeau. : ? ou !
Ep III : besoin de le prendre, répondre : de répondre
- je me réveillais : réveillai
- ce n’était ... pas de sa faute : pas sa faute
- je sais que ce je que : que ce que
Ep IV : l’autre a la façon des Doriens : à
- je me retrouvais seul : retrouvai
Ep V : des moteurs de recherches : recherche
- je n’avais plus d’appétit, me contentant de me gaver : la juxtaposition est... paradoxale
- je me suis fait porté pâle : porter
- au long des siècles éculées : écoulés
- bref vous savez le bien : vous le savez bien
- avant que feu romain : le feu
- il avait écrit par : été écrit par
- couvertes de pattes de mouches : de mouche
- Mais n’y tenant plus : le « mais » est inutile
Ep VI : ta plume ne déparerait le ramage : ne déparerait pas
- je la reconnaît : reconnais
- le diabolique loup qui lui masque son joli minois : « lui » est superflu
- adieu, cher frère, adieu tu seras : cher frère, adieu ! (ou : ,)
Ep VII : ils ont peu d’espoir pour : de
-ne les lâche-pas : lâche pas
- en tant que de besoin : en cas de
- et à un canapé de tissu : sans à
- J’aurais parié q’ils : qu’
- Les avocats, comment vous y allez : comme
- kératinocitaires : kératinocytaires
- je leur avais dit : je le leur
- c’est moi qui devrait : devrais
Ep VIII : où les anges sont sensés être : censés
- rien n’a suffit : suffi
- qu’ils avaient effectivement payer : payé
- derrière les lourds décor : décors
- des passages que moi seul connaît : connais
- derrière-moi Apollon : derrière moi
- Christine peut-elle aimer cet être tel que lui : un être
- Son coeur t’es à jamais : t’est
- Est-ce toi qui a fait ce miracle : as
- Le suspend : le suspends
- Attend ! : attends
- Regarde-mieux : regarde mieux
Ep IX : le moyen de tout recommencer et empêcher : et d’empêcher
- Dans une crypte secrète d’un temple : la crypte
- Parfois Hippolyte est devenu Hyppolite...



Je serais toi, je ne toucherais pas à ce texte (hormis les fautes d’orthographe) pendant quelques mois. Puis je le relirais, d’un oeil neuf. Et là, normalement, ce que tu dois y changer te sautera aux yeux. Bien sûr, tu l’as écrit vite et en plusieurs fois. Il ne faut plus que ça se sente. C’est comme quand ta sauce est trop liquide : il suffit d’un peu de Maïzena... Ce n’est presque rien, mais ça change tout !
Ceci dit, ton imagination se porte bien, et c’est un grand bonheur pour nous tous !
Narwa Roquen,c'est fait!

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-09-15 20:26:21 

 Quelques réponses...Détails
Chapeau bas pour avoir réussi à poursuivre vaille que vaille....

Avant tout, j'ai eu les yeux plus gros que le ventre car plus je tirais les fils et plus l'histoire prenait de l'ampleur et échappait à ma maîtrise (enfin, c'est un bien grand mot).

Donc, à force de vouloir aller au plus court, j'ai parfaitement conscience du caractère parcellaire de ces bouts d'histoire.

C'elle-ci est donc carrément incomplète et j'essaierai de placer les pièces qui manquent .

- Qui est la femme du jardin du Luxembourg ?

C'est une statue, la bocca della vérita et qui renvoie à un exercice ancien. Les indices laissés étaient minces mais présents...

- Pourquoi la fondation s’appelle-t-elle 4-6 :


Jeu de mots sur une vraie :

Tu verras là.
FORTH -ICS = FOUR SIX = 4-6 (capillo tracté je le reconnais)

- Qui sont les ravisseurs dans l’épisode VII:

Le texte est réducteur. En fait, les Etats soupçonnent l'existence des Maisons et ont mis sur pied une organisation secrète. Son but est de rassembler toutes les preuves nécessaires et lutter contre elle.

- Quel est le sens de cette malédiction qui frappe le héros quand il a trente ans ? :

C'est le prix que paient les héritiers de cette Maison qui, en échange de leurs pouvoirs et leur puissance, ont dû sacrifier quelques attributs. C'est en quelque sorte le prix demandé par les Forces fondatrices.

Chaque maison a été initialement créée par une Puissance et chaque maison possède des caractéristiques propres. Chaque Maison a sa Némésis : celle des Commène est Méduse.

- Pourquoi n’utilise-t-il pas les informations qu’il a ramenées de la caverne ? :

Il manque tout un pan d'explications - j'ai les 3 documents de départ...

- En quelle statue est-il transformé :

Bingo!! Chapeau bas...
A voir ici...



- si Hippolyte comprend le voeu de Louis dans l’épisode II, c’est qu’il est informé du cycle des réincarnations.

Louis comprend le voeu d'Hyppolyte en lisant le texte laissé par ce dernier sur l'écran. Chronologiquement, il ne le découvre donc qu'à la fin. En outre Louis est une sorte de "démon domestique" qui appartient à la Maison et non à ses membres. Il a vu de nombreux héritiers (4 par siècle= 80 au bas mot si on part de l'année 0). Il éprouve certes un sentiment de proximité avec chacun mais son allégeance, il la donnée à la Puissance.


- surtout quand tu fais dire à ton héros « je parle en ce moment avec des morts »

En fait, il veut dire qu'il vont bientôt mourir car il sait que les forces de sécurité de la Maison ne vont pas tarder à intervenir! Il est impossible qu'un héritier puisse échapper longtemps aux système de localisation (traceurs biogénétiques infalsifiables, indétectables et infaillibles).

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Mais tes remarques sont fondées et mettent en évidence les insuffisances du texte! Je m'y remets donc (roman?)


M

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