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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Lundi 16 aout 2010 à 23:38:27
Rentré de vacances... la suite donc...

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6 – LE SOLEIL EN FACE



« Lâchez-le ! Vous voyez bien qu’il se tient tranquille. Il aura compris à la fin. Lâchez-le, vous dis-je!»

La voix est ferme et autoritaire. Une voix habituée à commander et à être obéie. Le masque sur mon visage est lourd et inconfortable. Il m’enserre la tête comme une prison. Les meurtrières oculaires réduisent drastiquement mon champ de vision. Je me tiens debout sous les ors et les lustres d’une vaste salle richement décorée de brocarts précieux et de meubles ravissants. Par de larges baies vitrées, la lumière se déverse abondamment sur le parquet ciré. Derrière les ouvertures, de vastes jardins s’offrent à ma vue, encadrant géométriquement de gracieux bassins et fontaines d’où jaillissent des eaux vives et scintillantes. Je détermine facilement où je me trouve et l’ivresse de cette découverte n’est entachée que par les mines graves et sévères qui m’entourent. Des hommes d’armes, des gardes de haute taille, habillés de bleu et de rouge me serrent de près.

J’ai des fourmis dans les bras et mes épaules me font légèrement souffrir.

« Es-tu venu à résipiscence ? »

Encore cette voix. Je cherche du regard son propriétaire. Louis XIV est là, splendidement vêtu, une main élégamment posée sur la hanche. Je demeure interdit même si toutes les informations glanées convergeaient vers lui. Il est vraiment majestueux, imposant naturellement sa royale présence. Un rayon de soleil l’enveloppe opportunément dans un halo de lumière et le fait paraître presque surnaturel. Je le trouve encore assez jeune, loin des portraits compassés que ma mémoire a conservés de mes cours d’histoire. Je comprends mieux l’empreinte de géant qu’il laissa. Je pourrais suivre aveuglément un souverain tel que lui.

Quelqu’un me pousse sans brutalité en arrière et je me retrouve assis au fond d’un moelleux fauteuil qui possède un très haut dossier incliné vers l’arrière. « Style Louis XIV » ne puis-je m’empêcher de penser même si les circonstances ne sont pas idéales ! Je laisse reposer les bras sur les accoudoirs de bois.

Le sentiment d’enfermement revient, pesant et stressant. Je n’ai qu’un geste à faire pour mettre un terme à cette situation mais quelque chose me retient, m’incline à supporter cette cage qui s’est refermée sur mon crâne.

« Cher frère, tu pars demain pour le Piémont où j’ai ménagé pour toi une jolie cage ! Tu es devenu aujourd’hui trop gênant pour mon pouvoir naissant. Certains esprits chagrins devisent trop doctement sur le point de savoir qui de nous deux est vraiment l’aîné. Je veux que mon règne ne souffre d’aucune ombre. N’ai-je pas choisi le soleil pour emblème? Mon cher frère, mon coeur saigne de cette indignité qui t’est faite mais nulle autre voie n’est possible. Tu me ressembles trop et malgré tout l’amour que je sais que tu me portes, ta volonté est faible. Tu pourrais être circonvenu par d’aucuns, aventuriers ou agitateurs, qui verraient la brèche dans le rempart protégeant mon royaume ! »

Je tâte mon visage et mes doigts se heurtent au fer du masque qui m’emprisonne.

« Tu ne manqueras de rien là-bas. J’ai commandé à Monsieur de Saint-Mars, un loyal mousquetaire qui m’a bien servi, de pourvoir à tes nécessités. Il gouverne depuis quelques temps une place forte, une forteresse inexpugnable. Tes appartements seront vastes mais la liberté te sera à jamais interdite. C’est le prix que tu dois payer pour rester en vie. Le comprends-tu ? »

Une sincère tristesse transparaît dans sa voix. Je ne peux que me taire. La magie du masque étant par trop imprévisible.

« Tu me dois un dernier service cher frère ! »

J’ai prononcé ces mots sans que ma volonté s’en mêle. Quel service ?

Louis m’observe en silence durant quelques secondes. Les gardes suisses ne pipent mot, une main toujours posée sur le pommeau de l’épée.

« Oui. Je n’ai pas oublié. J’ai fait parvenir ton pli après que mes services l’aient déclaré inoffensif. Je l’ai lu aussi. Tu possèdes un talent indéniable et ta plume ne déparerait le ramage de mes plus beaux oiseaux de Cour. Le destinataire s’est déclaré très sensible à cette attention même s’il ignore bien évidemment son véritable expéditeur. Il croit que c’est moi l’auteur de cette lettre. Ce n’est qu’un demi mensonge, ne sommes nous pas du même sang ? »

Louis claque dans ses mains. Une porte s’ouvre derrière moi et j’entends le froissement d'étoffes et le bruit des pas sur le parquet. Je me retourne vivement. Plusieurs personnes s’avancent vers nous parmi lesquelles je la reconnais immédiatement. Il ne pouvait en être autrement n’est-ce pas ? Le masque ne ment pas. Je crispe les doigts sur les accoudoirs, me tendant inconsciemment vers elle. Les gardes suisses dans mon dos se méprennent sur mes intentions et m’agrippant aux épaules, ils me forcent à me renfoncer dans le fauteuil. Les nouveaux venus ont dû être dûment chapitrés avant de pénétrer dans le salon car ils ne m’adressent aucun regard. Parvenus devant le souverain, ils effectuent une profonde révérence.

« Relevez-vous Monsieur Racine. Il nous plaît de vous recevoir ce jour pour que nous puissions entendre ce que nous vous avons commis. » les accueille Louis en inclinant insensiblement sa noble tête.

Racine est assez nerveux, me semble-t-il. Il transpire trop pour cet après-midi d’août où le soleil s’est caché derrière de gros nuages. Visiblement, il lutte pour ne pas regarder dans ma direction. C’est un homme relativement enrobé, avec une haute et savante perruque qui amollit plus encore la lourdeur de ses traits que démentent cependant des yeux vifs et mobiles.

« J’espère que le fruit de notre labeur contentera votre altesse. Le temps de répétition fut court assez. »
« Oh, je ne fais que louer votre génie ! Vous n’allez pas me décevoir ? Louis poursuit. Malgré le diabolique loup qui lui masque son joli minois, n’est-ce là cette pétillante actrice qui nous a tant charmés lors de la dernière représentation de votre pièce qui, si ma mémoire ne me fait pas défaut, s’intitulait « Andromaque ». Elle y tenait le rôle d’Hermione, la fiancée de Pyrrhus ? »
« Votre Altesse a une mémoire stupéfiante et elle voit au-delà des apparences ! En effet, Sire, il s’agit bien de Madame de Champmeslé. Elle possède de nombreuses cordes à son arc et je suis convaincu qu’elle surpassera bientôt ma défunte épouse, la divine Du Parc ! »
« Dansera-t-elle au moins aussi bien ?» lance alors Louis en levant un sourcil grivois.

Je vois que cette remarque attristé Racine mais ce dernier réussit à conserver néanmoins bonne figure devant son Roi. Celui-ci continue :

« Avez-vous obéi fidèlement aux instructions que j’ai consignées? »
« Point par point, sire ! »
« Alors ne délayons pas plus. Je dois voir en mon conseil privé Monsieur Colbert qui veut m’entretenir des termes d’une ordonnance qu’il a déposée devant le parlement et qui entend protéger nos forêts et nos rivières en édictant des règles pour les exploiter. »
« Bien Sire ! Nous n’userons d’aucun artifice ou vêture particuliers mais, conformément à vos notes, il convient d’imaginer quelque drame antique ! C’est dans ce registre que j’ai donc choisi de camper mes personnages !»

Racine fait un signe aux deux comédiens. Ma belle et mystérieuse inconnue prend place à quelques pas du Roi. Son partenaire, en face d'elle, s’éclaircit la voix et se jetant aux pieds de l’actrice, joue son rôle dans un style que j’ai trouvé ma foi un peu ampoulé. Mais peut-être est-ce le jeu des acteurs à l’époque :

« Madame, quel bonheur me rapproche de vous ?
Quoi ? je puis donc jouir d'un entretien si doux ?
Mais parmi ce plaisir, quel chagrin me dévore !
Hélas ! puis-je espérer de vous revoir encore ?
Parlez : nous sommes seuls. Notre ennemi trompé
Tandis que je vous parle est ailleurs occupé.
Ménageons les moments de cette heureuse absence! »


Je demeure sidéré. Ces mots traduisent si fidèlement l’émoi dans lequel m’ont jeté ces rencontres. Que signifient ces énigmes courtoises qui émaillent toutes ces aventures ? Ces devinettes qui tombent de ses lèvres adorables et qui me ferrent plus sûrement que l’hameçon au bout de la ligne du pêcheur. Ces alexandrins étaient joliment tournés et une véritable grâce émanait d’eux.

Le comédien se fend d’une courte révérence pour sa belle partenaire puis fait mine de sortir pour aller se poster derrière le tragédien. J’estimai que cela indiquait qu’il n’y avait pas forcément de continuité entre les deux tirades. La belle se tourne alors vers moi l’espace d’un instant comme pour m’assurer que ses mots me sont destinés :

« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables !
Par des voeux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée :
D’un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l’encens !
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
J’adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer,
J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer. »


Elle met tant de passion dans ces vers que sa coiffure savante ne résiste pas aux balancements éperdus de sa tête. Ses cheveux se répandent en longues mèches d’un blond cendré sur ses épaules dénudées. Elle est presque hors d’elle, à bout de souffle, les yeux rougis par une émotion non feinte. Sa poitrine se soulève rapidement. Elle s’effondre à genoux, toute tremblante, les mains jointes en une prière muette et païenne.

Un grand silence se forme. Je veux bondir vers elle mais je suis solidement retenu par l’étau inflexible de mes gardes suisses. Louis, également assez ému, s’élance pour relever l’actrice et lui tend même un mouchoir qu’il a tiré de sa manche. Madame de Champmeslé s’accroche à son bras secourable avec une moue qui a du faire des ravages dans les rangs des petits marquis de la Cour.

Racine met un terme à cet intermède quelque peu gênant en renouvelant sa profonde révérence et en osant rompre le silence :

« Sire, ma plume a rougi de honte devant la qualité de votre texte. En répétant avec mes acteurs, j’ai songé à habiller ces magnifiques vers de la plus belle des parures. Il m’est venu quelques idées qui formeront la trame d’une, voire de deux pièces que j’offrirai en triomphe à votre plus grande gloire ! »
« Des tragédies ! Il faut que cela soit des tragédies, où le destin conspire à nuire aux amours impossibles » lui recommande fermement Louis qui me jette un bref coup d’oeil.
« Sire, je puiserai mon eau dans les meilleures sources, latines ou grecques, je vous l’assure. »
« Veillez aussi, mon brave Racine, à placer les plus jolis et les plus tristes mots dans la bouche de cette charmante personne ! »
« Je n’y manquerai pas, je vous en fais le serment votre Altesse ! »
« Adieu mon ami, je vous souhaite bon courage ! Et je garde un oeil sur vous ! » ajoute Louis qui appuie un long regard vers Madame de Champmeslé qui a le tact de rougir légèrement. En tirant une vertigineuse révérence, elle offre au grand Roi une vue plongeante sur de sensuels attraits.

Racine et ses acteurs reculent respectueusement et, parvenus à bonne distance, tournent les talons, toujours escortés par plusieurs gardes du corps du Roi.

Louis revient alors vers moi.

« Cher frère, j’ai tenu ma promesse. Tu as pu écouter ceux que tu as choisis déclamer les vers que tu as noblement composés, je le confesse. Mais à présent, il est temps de te préparer. La route est longue jusqu’à Pignerol. Monsieur de Saint-Mars t’attend déjà dans le carrosse. »

Il fait mine de lever le bras pour lancer quelque ordre à ses gardes quand il suspend son geste et s’approchant vivement de moi, il abaisse son visage tout contre le mien et me murmure à l’oreille :

« Adieu cher frère, adieu tu seras toujours dans mon coeur ! Cette séparation me bouleverse mais c’est sur ce drame que je fonderai le plus glorieux royaume. Je sais que j’en suis capable ! Adieu, je prierai pour toi tous les soirs ! »

Il s’écarte et ses gardes me conduisent vers une porte dérobée dans l’angle du salon. Je porte la main au masque et, quand je le retire, les fastes de Versailles éblouissent encore mes yeux malgré la pénombre du cabinet des curiosités.

M


  
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