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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Vendredi 27 aout 2010 à 16:25:01
9 – DE VIEILLES ÂMES DANS DE NOUVEAUX CORPS



Je suis fatigué d’écrire. La nuit s’avance et l’immunité accordée par la drogue s’amenuise peu à peu. Le désir grandit, irrépressible et inexorable. Je veux poursuivre mais mes doigts trébuchent sur chaque touche. Je dois sans cesse corriger, encore corriger et je perds le fil de mes idées. Est-ce l’une de ses ruses ou bien simplement les symptômes de mon esprit malade ? Les ombres s’allongent et dansent le long des murs, ombres bruissantes et familières. Elles m’attendent. Il me reste de moins en moins de temps à présent. Le dénouement est proche. Tout proche. La voix douce et grave de Jessica Harper me revient en mémoire :

We're old souls in a new life baby
They gave us a new life
To live and learn
Some time to touch old friends
And still return


Il faut que je me concentre...

Le rhum ne fut pas suffisant pour m’abrutir et me plonger dans une ivresse miséricordieuse. Si je n’ai pas profité des bons côtés d’une cuite mémorable, j’en connus les pires désagréments. J’ai été malade comme un chien, vomissant à en crever ma bile après que mon organisme eut régurgité l’alcool brûlant. Je sus que désormais, le masque me refuserait tout libre arbitre. Louis a nettoyé sans broncher les humeurs graisseuses qui s’étalaient sur le sol. Il m’a ensuite aidé à me dévêtir et prendre une douche pour laver toute trace de souillure. Sous le jet d’eau glacée, je grelottais misérablement accroché au rideau de la douche en serrant les dents. J’étais, je me sentais... pitoyable!

Je suis demeuré prostré un long moment, perdant toute notion du temps. Je revoyais en boucle le visage de Christine disparaître dans les ténèbres. Encore et encore. Je revoyais aussi cet autre visage tuméfié, ce corps gisant sur les toits de l’Opéra Garnier sous un ciel en pleurs. Mon visage et mon corps. Si Apollon ne me reprocha rien, à ses côtés les muses horrifiées cachèrent leur belle face dans la paume de leurs mains.

J’ai recouvré lentement mes esprits pendant que Louis veillait sur moi...

Cela devient vraiment difficile, intenable, insoutenable... je suis désolé mes amis, il vous faudra encore attendre. Il faut que je le fasse... que je réponde à son appel... peut-être me montrera-t-il cette fois-ci le moyen de tout recommencer et empêcher Christine de basculer dans le vide ? Peut-être.


* * *


Le texte sur l’écran s’arrêtait là. Le curseur clignotait au bout de la ligne de caractères inachevée comme une balise de détresse. Ne m’oubliez pas... ne m’oubliez pas... ne m’oubliez pas... ne m’oubliez pas...

Quand il fut parvenu au bout de sa lecture, Louis fit une chose extraordinaire. Après avoir réfléchi quelques instants, il compléta le récit en ajoutant le neuvième et dernier titre qu’Hyppolite, incapable de résister au masque, avait laissé en blanc. En relisant ce qu’il venait d’écrire, il décida que c’était le titre idéal et sourit tristement. Hyppolite aurait certainement approuvé.

Il referma ensuite le traitement de texte. Il refusa de sentir le moindre pincement au coeur quand il glissa le fichier du bureau jusqu’à la corbeille qu’il vida aussitôt. Ensuite, méticuleusement, il exécuta un puissant utilitaire pour détruire physiquement, octet après octet, toute trace du texte. Désormais il n’existait plus aucune possibilité de reconstituer, même partiellement, le témoignage qu’Hyppolite aurait voulu léguer.

Quand tout fut achevé, Louis s’attarda longuement sur ce qui l’entourait. Bientôt cet endroit et tout ce qu’il contenait se conjugueraient au passé. Il soupira. Un chapitre de son existence venait de se clore. Comme à chaque fois, il se sentit brutalement vieux et usé, comme un livre trop épais dont les pages ont été tournées trop longtemps et la reliure est fatiguée à force d’avoir été ouverte et fermée des milliers de fois. La douleur coutumière et lancinante s’est réveillée, pulsant sous sa tempe. Bientôt un nouveau chapitre s’ouvrirait. C’était dans l’ordre des choses.

C’était toujours la même vieille histoire. Les détails changeaient bien sûr, comme les époques et les visages, mais au bout du compte, ce n’était qu’un éternel recommencement. Louis se leva avec difficulté. Ses os gémirent et protestèrent, accusant le poids du temps qu’ils avaient accumulé. L’heure était venue de revêtir un autre aspect. Louis serait identique et néanmoins intimement différent. Il le fallait bien mais il ne se hâtait pas. Il s’attendait à souffrir lorsqu’il abandonnerait sa vieille peau ridée et desséchée. La mue est toujours douloureuse. Comme les réajustements de sa chimie interne. Si cela avait été en son pouvoir, il aurait depuis longtemps mis un terme à cette façon d’exister. Mais sa seule liberté était de le désirer. Son unique désespoir était de ne le pouvoir. Son destin était lié à cette Maison, scellé par un ancien sortilège que rien ne saurait altérer.

Quelque part dans l’Est, les jours heureux et insouciants avaient fui. L’enfant avait grandi. L’enfant d’Hyppolite. Le fruit d’une union planifiée et secrète. La mère sélectionnée avait été remerciée après que son travail eut été mené à son terme. Louis ne voulut pas s’attarder à visualiser ce que cette notion impliquait. Les Maisons veillaient scrupuleusement à maintenir immuable l’ordre des choses. Hyppolite ne s’était ainsi jamais douté qu’il était devenu père. Le père de l’Héritier. Quand il avait fêté son trentième anniversaire, son fils caché avait fêté ses cinq ans. Cette conjonction d’évènements avait sonné le glas pour Hyppolite. Le compte à rebours de ses derniers jours avait débuté. Les rites funéraires prescrits par les traditions séculaires des Maisons furent observés à la lettre : le masque et le tableau parvinrent à leur destinataire. Jusqu’au dernier moment, jusqu’à la dernière heure du dernier jour, Louis s’était montré parfaitement loyal à son maître, serviteur obéissant et zélé.

Cependant, malgré toutes ses qualités, Louis ne pouvait se soustraire à sa primitive allégeance, celle qui lui avait insufflé la vie alors qu’il n’était qu’une créature informe du monde impalpable de l’Intervalle.

Quand Louis jugea qu’il pouvait le faire, il pénétra dans le cabinet des curiosités. Celui-ci était vide et silencieux. Rien ne bougeait dans le demi-jour ambiant. Hyppolite n’était pas là. N’était plus là. Au pied du tableau, le masque traînait sur le sol comme une peau morte. Louis le ramassa et le glissa dans sa poche. L’accessoire magique reposerait bientôt dans une crypte secrète d’un temple préservé dont les colonnes de marbre surplombent les eaux turquoises d’une mer ancienne. Sous la garde vigilante des grands oiseaux de mer aux ailes immaculées, le masque patientera là un autre quart de siècle.

Sur le tableau, Hyppolite se dressait encore devant le promontoire. Une nuit sans lune avait cependant remplacé le jour finissant. Ce n’était pas l’obscurité pourtant. Une lumière blafarde descendait d’une étoile oubliée et solitaire, suppléant l’absence de l’astre nocturne. Une femme de haute stature enlaçait Hyppolite. Une femme vêtue d’une tunique brumeuse qui mettait en valeur sa beauté singulière.

Louis frissonna malgré lui quand ses yeux s’attachèrent à ceux de la créature. Deux gouffres insondables et sans vie. Deux trous noirs et hypnotiques qui donnaient le vertige.

Pourtant elle était absolument magnifique. Des lèvres pleines, une bouche sensuelle, un nez aquilin et un visage du plus parfait ovale encadré par une chevelure luxuriante et rebelle qui se tordait en tous sens. Non. A y regarder de plus près, ce n’était pas des cheveux mais plutôt des formes serpentines qui semblaient onduler, prendre vie sous le regard de Louis. Celui-ci murmura avec déférence un nom ancien et inusité aux sonorités grondantes. Méduse, la gardienne de la Maison.

Dans ses bras, Hyppolite présentait une rigidité qui n’avait rien de cadavérique. La pâleur de sa peau dénudée n’avait rien de maladif. Une blancheur d’albâtre qui n’avait plus rien d’humain. Sa bouche était ouverte sur un cri muré et indéfinissable qui pouvait tout aussi bien exprimer l’extase ou l’horreur absolue. Ses bras étaient croisés dans son dos, soulignant la force fluide de ses épaules et de son torse. Ses muscles saillaient harmonieusement au-dessus du pelvis et le long des cuisses puissantes. Sa jambe droite esquissait un pas en avant imaginaire, mettant en tension chaque partie de l’anatomie d’Hyppolite, subtilement mise en valeur par la dynamique étudiée du mouvement. Toute imperfection ayant été comme miraculeusement gommée, toute la chair, toutes les lignes de son corps étaient comme sublimées.

Une main de Méduse caressait le torse d’Hyppolite, l’autre reposait sur une hanche au galbe irréprochable. « Il m’appartient à présent » semblait-elle dire de manière insolente, semblant défier quiconque de venir lui contester sa proie.

Louis s’aperçut qu’insensiblement les détails du tableau s’estompaient. La clarté spectrale se dispersait, s’affaiblissait peu à peu, plongeant la scène dans une ombre grandissante. Le promontoire, le ciel et la mer disparurent en premier. Ensuite, les deux personnages furent lentement absorbés par une marée obscure qui recouvrit leurs pieds puis remonta lentement le long de leurs jambes. Bientôt seules les deux taches plus claires de leurs visages demeurèrent visibles. Cela évoqua à Louis ces histoires de marins qui rapportaient l’infortune de ces naufragés luttant sans espoir pour se maintenir à flot sur une mer hostile. Pourtant, à bien y regarder, chaque visage reflétait des émotions tout à fait antagonistes. Sur le visage de Méduse se lisaient la sérénité et la satisfaction, l’assouvissement du désir. Sur celui d’Hyppolite se peignaient l’incrédulité et le désespoir, la détresse et l’amertume. Malgré la fixité du regard de pierre qui s’enfonçait sous l’onde noire, Louis devina une ultime prière. Avant que la larme qui avait perlé au coin de la paupière de Louis, n’eut entamé sa course, Hyppolite avait définitivement disparu, emporté dans les ailes fuligineuses des impitoyables ténèbres.

Louis consulta sa montre. Il avait du temps devant lui. L’aube ne se lèverait pas avant deux bonnes heures, bien plus qu’il ne lui en fallait pour exaucer le dernier voeu de son maître. Il retira alors la lance romaine de son support et l’enveloppa dans un drap. Il referma soigneusement le cabinet des curiosités. Quand il sortit sur le perron de l’hôtel, il releva le col de son imperméable pour affronter la fine pluie matinale.

Il pressa le pas. Hyppolite l’attendait impatiemment, à jamais immobile dans le jardin du Luxembourg.

M


  
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3 Commentaire Maedhros,exercice n°80 - Narwa Roquen (Sam 11 sep 2010 à 22:45)
       4 Quelques réponses... - Maedhros (Mer 15 sep 2010 à 20:26)


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