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De : Adival  Ecrire à Adival
Date : Mercredi 26 janvier 2011 à 21:54:43
Ce texte m'a été inspiré par ça que je me passais en boucle pendant sa rédaction. Il pourrait être une suite de « la nuit dégouline sur nos corps » WA 69 bis.


La couleur de son âme


Ce matin là, en ouvrant les yeux, tout m’était apparu flou, lourd, dénué de sens. Mon regard s’était instinctivement braqué vers les fenêtres, attiré par les premiers rayons de soleil qui crevaient d’épais nuages gris. Sous la voûte du ciel, la façade délabrée d’un mur, des toits garnis d’antennes, des paraboles. L'environnement m’était inconnu et pourtant, je ne m'en souciais pas.
Dans ma torpeur, je percevais l’incohérence du moment sans la réaliser, j’adhérais l’espace sans le comprendre. Même la présence de ce souffle monocorde et régulier n’était parvenue à retenir mon attention; jusqu’à ce que je me retourne...
Je n’ai plus osé bouger. Sans doute par crainte de la réveiller et de ne pas savoir quoi lui dire. C’est vrai, quoi! Comment lui avouer que je ne savais pas qui elle était, que je ne savais pas comment j’avais atterri ici et que, si c’était arrivé, je ne me rappelais pas de notre nuit ?
Pourtant, Dieu sait qu’à cette époque, coucher avec une femme ça ne m’arrivait pas souvent. J’approchais la trentaine et je n’en avais connu que trois, dans toute ma vie. Ça peut paraître triste, je sais, mais je l'assumais.
Ce qu’il y avait d’ironique, c’est que je semblais le vivre beaucoup mieux que mon entourage. Ils ne comprenaient pas. Stéphane, notamment. Je détestais quand son visage prenait un air grave et qu’il ruminait avec de gros yeux :
-Enfin merde, Chris, tu ne vas pas me dire que c’est normal ! Tu es pourtant beau garçon... Et avec toutes ces femmes... Y’a un truc qui cloche, ce n’est pas possible autrement !
C’était à croire que son bonheur dépendait du mien. Même si je sais aujourd'hui que c’était le côté tendre de son amitié, sa façon à la fois maladroite et impudique de s’occuper de moi, je me serais bien passé de ses commentaires. Si bien que dès qu’il marquait une pause et que la peau épaisse de son front se plissait, j’enrayais son raisonnement et rétorquais :
-Qu’est ce que tu veux ? Que je me mette en ménage avec la première venue ? Que je joue au séducteur ? Eh ben non ! Au cas où tu l’aurais oublié, je suis commercial, moi ! Je ne me brade pas, je me vends ! Et seulement à celle qui en aura le plus à m’offrir !
Même si le cynisme de mon argumentation tenait la route, Stéphane avait raison. Il y avait en effet quelque chose qui clochait, et je le savais. Mais dans une société décadente et libertine où l'on repoussait continuellement plus loin les lois de la vertu, ma souffrance était une honte, un poids misérable que je pensais avoir à porter seul dans l'ombre.
Mon silence est une chose que mon entourage pourrait me reprocher aujourd'hui, mais il ne pourrait me reprocher de ne pas m'être investi pour y remédier.
C'était avec ferveur je sollicitais les agences matrimoniales, les clubs de rencontres, les foires aux célibataires. Je passais mes nuits sur Internet à éplucher les fiches de femmes dont le profil se rapprochait du mien. Parfois il s'en suivait des échanges de mails, des t'chats, des coups de fil et, beaucoup plus rarement, un rendez-vous à la terrasse d'un café. Mais jamais cela n’a abouti sur quelque chose de concret. Nombre d'entre elles avaient déjà multiplié les expériences en couple, et il était aise de deviner que ces femmes, trop souvent volages, n'avaient à m'offrir que frivolités et illusions.
Mon désespoir était tel qu'un soir, excédé par l'absence de femme dans ma vie, j’ai voulu renouveler l’expérience et je suis allé voir ces femmes aux moeurs légères, qui cheminaient la rue Curiol en balançant lourdement leur croupe fatiguée. Évidemment, comme pour la première fois, ce ne fut pas très concluant. Non pas parce que j’avais délibérément choisi la plus moche, croyant naïvement que cela m’éviterait de culpabiliser, mais parce que chez moi le désir se nourrit de sentiments et que sans eux, je suis incapable de quoi que ce soit. Alors malgré la douceur de ses caresses et une formidable persévérance, la pauvre fille n’était parvenue à me dresser qu’une honte corrosive.
Et c’était précisément là que ce trouvait toute l’incohérence de la situation. Car si je ne pouvais faire l’amour sans sentiments, comment expliquer ma présence dans le lit de cette femme? Au-delà de cette simple question s’ajoutait ce mal-être qui m’enveloppait. Je me sentais complètement impur, comme violé. Je venais de passer la nuit avec mon agresseur et le réveil n’en était que plus douloureux. Vingt ans après, je ressens encore sur mes épaules le poids écrasant de cette agression et la violence du choc dans ma poitrine. C’était un peu comme prendre un coup de poing dans l’estomac qui vous coupe le souffle et vous remonte la pomme d’Adam.
Et elle, insouciante de mon drame, repue et endormie; je la haïssais. Oui, je haïssais cette inconnue pour l'avoir désiré, sans l'aimer. Je ne supportais plus d'entendre sa respiration fouetter l'air sur ma plaie déjà ouverte... ça me torturait, ça ne faisait que croître mon angoisse. J'avais le désagréable sentiment qu'un drame pouvait survenir à tout moment. Pour ne rien arranger, la lumière du jour, pourtant largement présente à l'extérieur, refusait de pénétrer dans la chambre. Le mobilier n'avait pas de contour, n'était fait d'aucune forme, d'aucune matière. Il se contentait juste d'être là et d'imposer sa masse difforme et noire. Et plus je me concentrais pour percer ce brouillard, plus je nageais dans le désarroi et l'ennui. J'étais au coeur d'un chef d'oeuvre hitchcockien.
Ma pensée se tournait naturellement vers la fuite, mais avant de prendre une quelconque décision, aussi lâche soit-elle, il fallait que je me remémore la veille et que j’ordonne les fragments de souvenirs que l’alcool ne m’avait pas absorbés.

J’étais invité chez Éric et Stéphane. Ils avaient organisé une petite soirée pour leurs deux ans de vie commune. Lorsque je suis arrivé chez eux, un buffet froid et une trentaine d’invités meublaient déjà leur grand appartement de la rue paradis. L’ambiance était délicieuse, bordée d’allégresse, les discutions jaillissant d’un puits sans fond.
Comme à mon habitude, je m’arrangeais pour ne pas trop attirer l’attention. J’allais vers un groupe de convives, j’échangeais quelques paroles frugales avant de passer au groupe suivant. Je fuyais les grands sujets de colloque, j’évitais de parler de moi. En somme, c’était une soirée très agréable et pleine de charme ; le genre de soirée qui me convenait parfaitement.
Et puis vers onze heures, les lumières se sont éteintes et deux petites flammes ont jailli de la cuisine. Pendant que nous chantions tous en coeur le rituel Happy birthday to you, l’intensité veule des bougies grossissait les traits du visage du couple. L’instant était magique, c’était beau et troublant à la fois ; Éric et Stéphane semblaient littéralement sculptés dans l’obscurité.
Après avoir poussé la chansonnette, le couple s’est penché au-dessus du gâteau et s’en sont suivi les voeux, le baiser, les applaudissements, les larmes et l’ouverture des cadeaux.
Je ne l’ai pas précisé parce que je pense que vous l’avez compris. Éric et Stéphane sont ce que l'on appelle péjorativement des pédés. Moi je dis simplement qu’ils sont des épanouis ; ça fait tellement mieux et puis quelque part, c’est tellement vrai.
Bref, comme je le disais, il y eut des larmes, et c’est même Éric qui les a versés. Ça m’a surpris de voir cette armoire à glace de cent dix kilos fondre dans les bras de son beau-père ; mais je mentirai en affirmant que nous n’avons pas tous été fortement émus par son petit discours. Je pense que j’aurai moi aussi pleuré si j’avais été un épanoui, si mon homophobe de père m’avait renié et si mon beau-père, déposant ses mains chétives sur mes épaules, m’avait dit : « Stéphane ne m’a pas ramené la belle fille dont je rêvais. Oh non, mieux que ça ! Il m’a ramené le deuxième fils que je n’ai pas eu le bonheur d’avoir ! »
Cet élan du coeur m’avait noué la gorge et j’ai cru, assez bêtement je dois le reconnaître, qu’un verre m’aiderait à la dénouer. Je me suis approché du buffet, j’ai saisi la bouteille de Chivas et puis... Des phares dans la nuit, l’ambiance enfumée d’une discothèque, une part de gâteau dans une assiette blanche, une mini jupe, l’eau bleue et parfumée des sanitaires, Éric qui me relève dans l’escalier, une coupe de champagne, une file d’attente, la mère de Stéphane qui me parle dans la cuisine...
Tout n’était plus que flashs, anachronismes, précipitation.
J’aimerai vous dire que c’est arrivé par accident, que j’ai bu le verre de trop comme on dit ; mais il n’en est rien. À bien y réfléchir, c’était prémédité. Après la vague d’émotions engendrée par le discours du beau-père d'Éric, je ne supportais plus de voir autour de moi tous ces couples heureux, affichant, non sans une certaine indécence, leur bonheur aux yeux de tous. J’avais le souci d’oublier mon amertume et la vacuité de mon coeur. Il me fallait évacuer mon célibat pour mieux l’assumer.
Hélas, c’est toujours avec le recul que l’on perçoit ses erreurs et que l’on en paye le tribut. Je n’échappais pas à la règle. La tête me tournait, j’avais la bouche pâteuse, la gorge sèche et très probablement une haleine de fennec. Ajouté à cela un trou noir et cette situation rocambolesque, je payais au centuple mes excès de la veille.
Tout en déplorant ma condition, j’observais cette mystérieuse femme dormir, sans bruit, rongé par l’idée qu’elle puisse se réveiller. Les draps s’arrêtaient au niveau de ses hanches et ne me présentaient qu’un dos livide et une croupe lisse. Malgré la pénombre, au milieu de ses grains de beauté, j’ai remarqué un petit tatouage sur son omoplate gauche. Je me suis penché pour mieux en discerner le dessin. C’était un petit diable à l’oeil malicieux, enlaçant une belle et grosse marguerite. Il était attendrissant...
Et puis soudain, je me suis demandé si cette femme l’était aussi. Aujourd'hui c'est une chose qui me paraît élémentaire, seulement, pour une obscure raison, depuis mon réveil, je ne m’étais pas soucié de son identité. Mais dès lors ce devint une véritable obsession. Je ne pensais plus qu’à ça; son visage. Peu m’importait qu’il soit agréable ou ingrat, grossier ou fin, il me fallait le voir afin d'identifier mon trouble. Alors, au risque de briser un instant aussi fragile que celui que j’étais en train de vivre, j’ai décidé de me lever.

Évitant tout geste brusque, je me suis mollement glissé hors des draps et je je me suis dressé sur les jambes. Je ne parvenais pas à maintenir mon équilibre, je chancelais tantôt vers la gauche, tantôt vers la droite, contraint à m’aider du mur pour contourner le lit. À mesure que j’approchais d’elle mon pouls s’accélérait et la boule d’angoisse qui avait pris naissance dans mon ventre, me remontait dans la gorge avec la même lenteur et la même légèreté qu’une bulle de savon. J’en avais le souffle saccadé. C’était à la fois douloureux et formidablement excitant.
Et puis, enfin, je l’ai vu.
Je sais que ça va vous paraître ridicule, mais une fois face à elle, la première de mes réactions a été de masquer mon sexe avec les mains. L’instant d’après j’étais à quatre pattes, paniqués, triant les vêtements éparpillés sur le sol pour rassembler les miens. Je me suis habillé, puis je suis retourné à son chevet.
Elle était charmante. Pas belle, juste charmante. Elle devait avoir trente, peut-être trente-cinq ans. Sa poitrine n’était ni volumineuse ni petite. Des mèches blondes retombaient en épis sur son front lisse. Son nez était fin et anguleux, ses lèvres fines. Finalement, à bien y réfléchir, elle était jolie.
Un adage populaire dit que les yeux ne mentent jamais, qu’ils sont le reflet de l’âme. C’était ce à quoi je pensais en la regardant dormir ; la couleur de son âme.
Puis rapidement des envies sont apparues. Celle d’entendre sa voix, celle de la réveiller - tout en ne sachant que lui dire, celle de fuir - tout en voulant la revoir.
D’innombrables hypothèses me venaient à l’esprit. J’imaginais ce qu’avait pu être notre nuit et me posais toutes sortes de questions. Comment étions-nous venus à nous rencontrer ? Qui avait fait le premier pas ? Quel genre d’homme avais-je été en sa compagnie ? Quel amant ? Peut-être était-elle de la race de ces femmes volages qui s’abandonnent avec le premier homme qui passe ? Peut-être que le soir venu un autre s’était allongé à ses côtés ?
Pour faire taire mes interrogations, je n'avais pas d'autre alternative que de la réveiller. Alors je me suis fait violence et j'ai approché ma main de son épaule, lentement, jusqu’à l’effleurer, jusqu'à sentir la chaleur de sa peau sous mes doigts. C’est en cet instant que tout à basculé...
Elle s'est mise à gémir et avant même de m'en apercevoir, j'étais dans un séjour verdoyant. J'ai stoppé ma course quand, dans ma fuite, mon pied a heurté un verre sur le sol. Le vin s'est rependu sur le parquet, l'assombrissant sous son passage. Dans la chambre, il y avait du bruit, il y avait ses appels. J'ai hésité; mais en cet instant, je n'étais pas prêt à entendre une réalité crue et brute. En cet instant, le doute m'était plus supportable...

Au bas de son immeuble, il y avait un parfum de pain chaud qui flottait entre les voitures garées en file indienne. J’avais envie de croissant et d’aspirine.
Le quartier ne m’était pas familier et je ne reconnaissais aucune enseigne, aucune vitrine. J’ai relevé le col de ma veste et je me suis orienté vers la droite. Arrivé au premier abri bus, j’ai consulté le plan afin de me situer. J’étais à l’autre bout de la ville! C’est alors que j’ai pris la première décision censée de la journée. Je suis entré dans un bar avec la ferme idée de commander quelque chose de fort, quelque chose qui m’enlèverait cette douce et pénible sensation d’être passé à côté de l’histoire de ma vie. La plus belle et la plus enivrée de mes expériences.



Adival, creep, weido and co.

Ps: J'ai commencé à écrire la suite de ce texte, qui aura pour titre: « Des bleus à l'âme, du blues dans les yeux. »
Ps2: Hormis la cocaïne, c'est quoi ton secret Narwa pour écrire des textes, en commenter d'autres, travailler et avoir une vie sociale et familiale? Un tel rythme de vie, c'est ça, pour moi, la SF!!!


  
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3 Commentaire Adival, exercice n°87 - Narwa Roquen (Dim 30 jan 2011 à 22:17)
       4 Chère Narwa, - Adival (Lun 31 jan 2011 à 21:36)


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