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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Samedi 30 avril 2011 à 18:08:33
GYRUSALEM



« Je me trouve à bord de l’hélioptère de Capitale News Network, la seule chaîne d’information en continu qui vous plonge au coeur de l’Acte-Tue! Vous êtes là où vous avez toujours rêvé être, sans risquer le moindre de vos derniers cheveux! Comme vous pouvez le constater nous survolons le fleuve en aval du port fluvial. C’est dans cette zone qu’un trespectateur a signalé avoir aperçu quelques Marionnettes et deux ou trois membres de la Compagnie Créole. C’est une zone idéale avec ses longs hangars ouverts et remplis de diverses marchandises, ses portiques géants et ses installations métalliques. Sans oublier les quais où sont amarrées les super-péniches qui descendent d’Anvers ou d’Hambourg. Selon ma fiche, que je tiens scrupuleusement à jour, il y a déjà eu une...

Holà, attendez ! Je vois du mouvement sur la droite. Oui, là, regardez ! Derrière les sablières... c’est bien une Marionnette. Vous voyez le foulard rouge noué autour de son cou? Philippe, notre pilote aujourd’hui, va essayer de nous rapprocher! Doucement, doucement Philippe! T’es plus sur le front du Sud. Ouais, l’angle de vue est meilleur! Vous devez en avoir plein les yeux dans votre canapé non ? J’espère que vous êtes l’heureux possesseur d’une installation 3Domo de dernière génération! Si c’est le cas, vous êtes en ce moment aux premières loges. Je compte quatre, non cinq Marionnettes. Vous les reconnaissez avec leurs fripes bariolées et leurs cheveux gominés? Je distingue le Gendarme qui balance son bâton et Gnafron qui se tient à côté de Madelon. C’est bien elle qui nous regarde avec sa robe fleurie et son petit bonnet. La petite amie de Guignol, le chef. C’était un bon tuyau. Grâce à lui, notre fidèle trespectateur va empocher une coquette prime. Branchez vos synthés d’ambiance, ça va chauffer sous peu. Vous pouvez zapper ma voix si vous le désirez. Un simple contrôle D sur votre clavier et vous serez plongés en immersion profonde, sans aucune autre perturbation. Pour l’instant, la Compagnie Créole se fait discrète. Restez bionnectés. Je reviens juste après la pub et le spot de notre annonceur. A tout de suite ! »

* * *


Putain, je suis verni. La poisse. Je touchais presque au but. Pour rejoindre le centre ville, il me restait le fleuve à traverser puis la ligne de démarcation. Un jeu d’enfant sans cette tuile. Je reviens de la périphérie profonde où vivent les paumés et les travailleurs déclassés. Merde! Dire que le fleuve est si près! Et pourtant si loin. Evidemment pas l’ombre d’une guêpe. Mon transpondeur aurait pu accrocher son hameçonar. Putain de restrictions budgétaires. Le maintien de l’ordre entre les mains des comptables et des contrôleurs financiers c’est Bagdad pour la racaille! Enfin, j’ai eu de la chance que les pantins à Guignol ne m’aient pas repéré les premiers. C’était moins cinq. Je ne suis pas vraiment équipé pour affronter une bande de cet acabit sur ce type de terrain. Mes petites épines n’auraient servi à rien.

Je suis coincé sur le toit de cet élévateur industriel. Dre que j’avais presque réussi à larguer les zoukmen. Maintenant me voilà entre le marteau et l’enclume. Avec les honneurs de la télé en plus. J’ai reconnu l’hélioptère de C2N avec ses bulbes ventraux renfermant les équipements de retransmission 3D. M’en faudrait un tout pareil, agile et furtif. Le pilote est un pro. Vétéran sans doute. Un de ces kamikazes qui flirtent avec les missiles sol-air sur le front du Sud. Vu sa technique, c’est un bon. Il doit être payé à prix d’or. Si je pouvais bricoler mon transpondeur pour établir une connexion avec son appareil, je suis sûr qu’il n’hésiterait pas à faire un touch and go sur le toit du hangar. Mais je n’ai pas les doigts suffisamment longs et fins pour traficoter mon port lombaire. Et je ne peux prendre le risque d’alerter un satellite. Trop facilement identifiable pour les enfoirés qui me serrent de près. Pas les zoukmen. Non, les autres.

Tiens, Guignol pénètre dans le hangar, avec sa donzelle. Je pourrais aisément le dézinguer. Un tir ajusté en pleine tête. Un trou de la taille d’une tête d’épingle. Mais Guignol n’est qu’un titre, une sorte d’emblème. Je suis sûr qu’il n’aura pas le temps de refroidir avant qu’un successeur ne noue son foulard rouge et embrasse sa nouvelle Madelon. Ils sont interchangeables. C’est la force jusqu’à présent de toutes les confréries urbaines. Qu’est-ce qu’ils font ? Ils ne vont quand même pas baiser sous mes yeux ? Non, ils ne sont pas seuls, d’autres les suivent. Je me fais tout petit, arrêtant jusqu’aux battements de mon coeur. Une petite technique bien utile quelques fois. Le Père Coquart, barbe grise et calvitie précoce, tient un scanner à main. Fabrication chinoise on dirait. Je ferais bien de rabattre ma capuche pour devenir complètement invisible. Les systèmes de détection des Marionnettes ne me verront pas. Aucune signature, ni thermique ni biologique, grâce aux implants greffés pendant mon stage à l’Ecole Inter Polices à Stuttgart. Une technologie directement dérivée des derniers développements militaires et jusqu’à maintenant efficace. C’est déjà ça. Je suis à quelques mètres au-dessus de leurs têtes. J’ouvre un canal d’enregistrement tout en réfléchissant à ce que ferait le Duke dans une telle situation ?

Ouais, je suis un fan inconditionnel du grand John Wayne. J’ai tous ses films. Les versions originales et les versions restaurées, y compris celles réenregistrées en VRL « Fort Apache », pas le meilleur western sans doute, ni le meilleur du Duke mais quelle claque quand la cavalerie US charge avec la mort pour horizon. C’est le seul film dans lequel je ne choisis pas d’incarner le Duke. Je me bionnecte toujours sur un cavalier anonyme qui se précipite vers son destin. Je me tiens dans la ligne des cavaliers prêts à charger sur l’ordre stupide de cet arriviste de colonel. A leurs côtés je vais m’élancer dans la gueule du loup, sabre au clair. L’adrénaline sature mon sang quand débute la chevauchée fantastique, hallucinante et héroïque, vaine et tragique. La poussière de la piste, les décors majestueux de la Monumental Valley, le vacarme des sabots des chevaux lancés au triple galop, le cliquetis des armes et par dessus tout les appels du clairon qui décuple notre énergie et notre aveuglement. Sur les flancs du canyon attendent les apaches avec leurs fusils pointés droit sur nos poitrines. C’est dans ma nature. J’ai toujours préféré les troyens aux achéens. Sinon pourquoi aurais-je intégré le service public ?

La douleur explose. Terrible et soudaine. Tout se met à tourner follement autour de moi. La douleur est indescriptible et submerge instantanément mes dispositifs automatiques de résistance qui rompent comme une digue face à un tsunami. Je lutte pour conserver un peu de lucidité mais rien n’y fait. Vraiment pas eu de chance aujourd’hui. Quelque part au-dessus de moi, l’ombre d’un bâton décrit une nouvelle parabole. Celle-ci sera fatale. C’est un Gendarme qui le manie à deux mains et inexplicablement cela m’évoque le geste du golfeur qui va frapper la balle. Je ferme les yeux. Pas de chance de revoir...

* * *


Brighella me suit comme mon ombre. Non, plutôt comme un fantôme dans ses amples vêtements blancs striés de vert. Brighella, c’est mon deuxième moi, mon frère querelle. Son tabaro flotte derrière lui. Masqués comme il se doit, nous nous glissons entre les colonnes pseudo-doriques qui délimitent façon péplum, le vaste quartier commercial. Brighella m’adresse un clin d’oeil complice. Nous détonons c’est sûr, parmi les francs et honnêtes citoyens qui déambulent tranquillement en cette fin de semaine à la recherche de la meilleure promotion. Les nuages ont déserté le ciel. C’est un signe que nous ne dédaignons pas. Nous, les Comédiens, les fils naturels de la Divine Comédie. Je me présente. Arlequin pour vous servir. Mes ancêtres, comme tous ceux de ma confrérie, ont foulé le sol de notre antique patrie transalpine. J’ai du sang italien qui coule dans les veines. Pur ou mêlé qu’importe. De nos jours qui peut se vanter de n’avoir jamais été transfusé? Au moins une fois. Qui ? Peut-être les Anges qui nous administrent du haut du ciel, bien à l’abri dans leurs stations orbitales géantes. Et encore.

Dans ma main, je tiens une batte. Une batte qui n’a plus rien à voir avec le gourdin théâtral de carton-pâte dont se servaient nos illustres devanciers. C’est une véritable batte de base-ball américaine, puissante et maniable. Je m’en sers quand il le faut. Comme aujourd’hui. Brighella me pousse du coude. Un représentant des forces de l’ordre est planté au carrefour. La partie supérieure de son visage est invisible, cachée sous l’interface cybernétique. Un robocopte, l’armure kitsch en moins, la soutane blindée en plus. Impressionnant pour les honorables citoyens. Peut-être mate-t-il une vidéo porno sur son écran? Peut-être demande-t-il des renforts en nous voyant arriver? Mais tant que nous ne faisons que passer, nous ne faisons rien de répréhensible. Je lui décoche mon plus beau sourire. Ne suis-je pas Arlequin, le roi de la fantaisie? Mes papiers sont en règle. Demain, j’aurai quinze ans. Demain autant dire dans une éternité.

J’aperçois d’autres compagnons. Il faut avouer que nos costumes de bateleurs se remarquent de loin. Il y a là, assis à la terrasse d’un troquet, Pantalon, en rouge et noir qui devise avec Pulcinella. Malgré la douceur de l’après-midi, Pantalon a conservé sa noire zimara. Il caresse sa barbe en sirotant une boisson. Pulcinella me fait toujours penser à Pierrot dans ses habits blancs de farinier. Mais il est d’une tout autre farine, plus à mon goût. Il est fait pour les plaies et les bosses. A l’autre bout de l’avenue, je reconnais les chapeaux à plumes du Capitan et de Coviello.

Où est ma Colombine ? Elle m’avait promis de me rejoindre avant les festivités? Ah les femmes ! Ma jolie Colombine ! Elle a attaché mon coeur avec son ruban de bonheur. Je la soupçonne d’avoir été aidée dans son entreprise par une fée ou une sorcière. Mais qu’importe ! Arlequin ne peut pas vivre sans sa Colombine. Ainsi va la vie ! Et tant que le monde tournera autour du soleil, il en sera ainsi. Les règles de théâtre sont intangibles. Je suis Arlequin, alors j’aime Colombine. Au fait, Pierrot aussi. Mais il n’est pas assez fou pour oser me braver ouvertement. Il se contente de se lamenter sur sa mauvaise fortune et soupirer en silence auprès de ma belle. Je le tolère. Il a d’autres qualités. Il sait parler aux juges et aux hommes de loi. Et puis il espère. Il espère me voir mort pour revendiquer ma place dans la confrérie et conquérir sans coup férir ma Colombine. Il ignore qu’il ne pourra jamais sentir les douces cuisses de ma belle lui ceindre tendrement la taille. Jamais.

Au diable ces pensées macabres. Aujourd’hui nous allons nous battre. Nous allons nous sentir vivre. A coups de bâton et à grand renfort de cris. Les bateleurs arrivent citoyens ! Garez vos miches et allumez vos biocams. Vous en aurez pour votre argent, enfin celui qui vous reste après les impôts et les taxes. Nous allons jouer une pièce de notre répertoire. Une de nos fameuses représentations. Le sang va couler et les larmes aussi. Sous le regard bienveillant des Anges Administrateurs.

La halle couverte s’élève devant nous, immense aile de verre et de béton, aérienne et gracile, tout en arches fluides et ramures délicates. Elle abrite jardins et bassins, kiosques à musique et bosquets d’arbres rares. J’aime à croire qu’il s’agit de la scène d’un antique théâtre de verdure. Pourquoi ramener ce qui va se passer à des considérations bassement triviales, à un conflit de territoire, à une vénale dispute pour des parts de marché? Nous n’allons pas affronter une bande rivale pour accroître notre zone de chalandise et y écouler plus de marchandise.

Nous allons nous donner en spectacle devant un public comme au temps jadis. Nous allons y mettre tout notre coeur et toute notre énergie. Tout notre art aussi. Dans nos veines coule un sang précieux car nous sommes nés comédiens. Nous mourrons sur scène comme un antique Saint Patron et notre personnage est plus grand que ce que nous sommes dans la réalité. Je suis Arlequin et je mourrai Arlequin. Nous ne serons pas enterrés avec les nobles citoyens mais incinérés pêle-mêle, par tombereaux entiers. Alors qu’importe la vraie vie ! Elle est triste et sans saveur. Je suis jeune et fort et je n’ai aucune envie d’aller me battre sur les murs dans le sud. J’ai envie de me dresser aux côtés de mes compagnons, leur donner la réplique sur la scène que j’ai choisie car je suis Arlequin, le balancier de la vie !

Les Italiens sont là. Ils sont venus au son du tambour et du pipeau des faubourgs ouest et sud. Pantalon est juste derrière moi et Brighella est à ma droite. Là est leur place. Les autres se sont déployés, s’égayant dans les allées, gagnant leurs positions. Nous sommes trois troupes, quelques trente acteurs rassemblés pour en découdre.

« Arlequin ! »

C’est Colombine qui accourt vers moi. Ses joues rosissent sous l’effort. Elle est d’une beauté romaine et opulente. Une blancheur d’albâtre et des proportions idéales. Je l’attends. Elle me rejoint et m’enlace tendrement, déposant un baiser léger sur mes lèvres scellées. Sous son corsage à rayures je sens son coeur battre tout contre le mien.

« N’y va pas ! »

Elle murmure ces mots à voix basse au creux de mon oreille. Elle me serre un peu plus fort comme pour souligner l’importance de son propos. Elle coule ses regards dans les miens. C’est comme si je contemplais la surface houleuse d’un lac de montagne. Le lac de Côme ou le lac Majeur. Rien que d’y penser, le parfum de la verveine sauvage emplit mes narines.

« Colombine, très chère Colombine de mon coeur, pourquoi ce ton funeste et cette mine déconfite? Ce n’est pas la première fois que nous battons l’estrade ! Nous sommes suffisamment rompus à ce genre d’exercice ! »
« Mon tendre seigneur, j’ai l’âme troublée par le discours que m’a tenu Pierrot dans la Cour des Miracles ! »
« Pierrot ! Cet impénitent pleurnicheur ! Il est pareil au Squonk de la fable! Si on l’enfermait dans un grand sac, il se répandrait en eau ! »
« Il a parlé à un juge du Présidium ce matin pour une affaire en cours. Trouvant le magistrat fuyant et pressé, il l’a habilement questionné. Le juge a eu vent de notre représentation. Pas en détail bien sûr mais dans les grandes lignes. Pierrot m’a confié ça quand je lui ai dit que je me joignais à la troupe! Tu sais son attachement pour moi! »
« Colombine, le monde est transparent. Rien ne peut être celé bien longtemps. Bien sûr que notre scénette est parvenue aux oreilles toujours aux aguets ! »

La préciosité du langage fait partie de notre patrimoine, notre façon d’être. N’est pas comédien qui veut. Posséder un vocabulaire anachronique et fleuri est indispensable à la crédibilité du personnage que l’on veut incarner.

Apparu sans crier gare, Polichinelle se penche vers moi. C’est le chef de mes unités spéciales. Sa bosse lui confère une stature menaçante et tordue, accentuée par une bouche cruelle que domine un masque sinistre au long nez crochu. A sa large ceinture pend une épée dont il se sert avec l’habileté consommée du spadassin. Polichinelle est le chef de mes tueurs. Nul ne songe jamais à se moquer de sa vareuse blanche et de son haut bonnet sans bord. Il rit rarement et celui qui entend son ricanement entend rire la Camarde.

« Arlequin, les Rowling Stones nous attendent déjà. En majorité des Griffonniers et des Charmeurs de Serpents, comme de bien entendu. Prêts à en découdre, coiffés de leurs ridicules chapeaux pointus et armés de leurs baguettes magiques!»
« Tu as pu voir qui les dirige cette fois !? »
« Un de mes éclaireurs a repéré Ronald le Roux ! »
« Si le Renard est là, Hermione n’est pas bien loin! Il faudra doublement se méfier! Veille à écarter les chevaucheurs de balai. Je n’apprécie pas beaucoup leurs facéties aériennes. Tes hommes sont avertis ? »
« Pas de balai motorisé. Les artistes attendent avec impatience que résonnent les trois coups et qu’enfin se lève le rideau ! »
« Bon. Que le rideau s’écarte sur la première scène du premier acte ! Colombine ma douce, charge-toi d’Hermione ! Fais gaffe à son bout de bois. Elle s’en sert comme une démone ! »
« Je suis de taille à me défendre et jamais à court de ressources ! » De ses deux mains, elle lisse ses jupons.
« Pantalon, attrape le Capitan plus trois hommes et suit Colombine ! »

Les angliches sont des emmerdeurs de première classe. Ils veulent étendre leur domination trop loin de leurs bases. On aurait mieux fait de liquider cette racaille quand il était encore temps. Juste après la destruction du tunnel. Ou les renvoyer sur leur île à grands coups de pied au cul. Et qu’importe que leur île soit devenue inhospitalière. Maintenant, ils tiennent quelques baronnies en Artois et en Calaisie. C’est de là-bas que viennent les Rowling Stones, rapides et sournois. Ils se livrent à des raids pour faire main basse sur des zones mal gardées. Ils ont filé une sacrée rouste aux Frères Karamasov. Il paraît qu’ils ont réussi à liquider Pavel et Dmitri la même nuit. Ils les ont tatchérisés comme ils disent.

Leurs baguettes n’ont rien de magique mais elles sont armées de lames extractibles particulièrement redoutables. Leurs balais, dont ils tirent une immense fierté, sont dotés de petites dynamos qui créent un champ répulsif suffisamment puissant pour les faire voler sur de courtes distances mais pas assez pour attirer les foudres des Régulateurs ou pire, des Anges qui veillent sur nous à quarante kilomètres au-dessus des nuages. Ces engins volants leur confèrent un avantage indéniable et malgré tous nos efforts, nous n’avons pas été en mesure de développer une technique aérienne. Quand les comédiens volent sur la scène, ils sont pendus au bout de filins, ce qui est assez risible, il faut en convenir.

Mais aujourd’hui, ils nous ont défiés ostensiblement. Si nous ne réagissons pas, nous risquons d’être en butte aux appétits voraces des autres confréries, celle d’Ali Baba, celle des Rong Chiens ou celle de Basile, pour ne citer que les plus proches. Nous devons régler ça aujourd’hui comme nous savons le faire et l’avons toujours fait. Comme tous les Arlequins avant moi. Par le saut et le fer, la danse et l’épée, le rire et la mort.

Colombine a disparu. Je reste avec mes deux plus fidèles compagnons. Il y a une statue qui nous observe de ses yeux de pierre. Elle porte un masque. Comme nous. Un bon présage. Je suis vivant et je respire à pleins poumons. Je soupèse ma batte bardée de métal. Des silhouettes se dressent soudain non loin, barrant l’allée. Des silhouettes vêtues de larges robes aux tons vert et argent. Des hommes serpents, armés de longues baguettes aux lames dénudées. Ils n’esquissent aucun mouvement. J’en compte douze à la volée. Peut-être plus.

Brighella se ramasse en posture de combat, son bâton tendu à l’horizontale devant lui. Il n’éprouve aucune émotion. La peur lui est inconnue. Polichinelle se retourne vivement.

« Il y en a d’autres derrière nous ! »

Je jette un regard en arrière. Une autre ligne de bad boys est apparue. Vêtus d’or et de sang. Les dresseurs de Griffons, les plus farouches combattants des Rowling Stones. Armés de la même façon. Ils sont beaucoup trop nombreux pour nous. Je ne vois aucun leader parmi eux mais ils sont vraiment beaucoup même pour nous.

« Les accrochages ont commencé. Hermione et le Renard Rouge ont joué les leurres. Ils maintiennent nos hommes à distance. Aucune aide à attendre ! »

Brighella a beau garder une voix neutre et plate, il ne parvient pas à me masquer totalement une pointe d’inquiétude naissante. La situation est mal engagée. La comédie semble vouloir virer à la tragédie. Les Italiens n’excellent pas dans ce genre de rôle contrairement aux anglais. Tenter une percée est voué à l’échec. C’est un piège pour alouette. Nous nous mettons épaule contre épaule pour former une espèce de triangle défensif. Cela nous laissera une poignée de secondes supplémentaires. Quelques secondes qui permettront d’espérer une aide providentielle. Je ne dis rien à mes compagnons mais je crains que Harry VolteMort, leur chef, soit également présent et qu’il attende patiemment de nous voir assez affaiblis pour porter l’estocade finale.

En fait, c’est un beau jour pour mourir. Oui sans doute. Au-dessus de nos têtes, très haut, la voûte forme de respectables cintres. Le rideau s’est levé sur le premier acte qui manifestement sera également le dernier. J’ai la chair de poule. A l’unisson, les deux remparts humains se rapprochent peu à peu. Derrière les chapeaux pointus s’avancent également d’autres silhouettes reconnaissables, plusieurs Gilderoy et quelques Rogue particulièrement bas de mine. Ce sont les traine-patins habituels de la bande du Petit Binoclard, ses séides et ses exécuteurs des basses oeuvres. Redoutables et sans pitié. Cela confirme mes craintes. Le petit zébré n’est pas loin.

J’assure ma prise sur la batte. Je connais toutes les répliques de mon jeu d’acteur. Celles qui font mouche à tout coup, fulgurantes et foudroyantes. Entouré de mes amis je veux bien mourir, le bâton à la main, comme sur des tréteaux italiens. De toute façon, c’est vraiment la même histoire. Tout ça c’est pour de faux. Du postiche. De la dérision. Comme ce monde qui se délite et s’effrite, comme cette bonne vieille Europe qui se claquemure derrière ses remparts dérisoires. Comme cette société qui fait semblant de vivre mais qui vit en fait par procuration. Comme ces bons citoyens qui passent comme des ombres et qui sont aussi creux et inconsistants.

Les deux vagues ne sont plus qu’à quelques pas. Aucune émotion sur les visages. J’abats ma batte sur le premier assaillant à portée, faisant gicler le sang d’une pommette arrachée. Pas assez rapide l’apprenti sorcier! Du coin de l’oeil, j’entr’aperçois Polichinelle qui se fend d’une attaque vicieuse vers le ventre exposé d’un petit serpent. Celui-ci lâche un cri quand la lame pénètre les chairs et il s’effondre en essayant de retenir ses tripes qui dégueulent de la plaie béante. Sacré Polichinelle. Puis tout devient trop rapide. Je me concentre pour parer un tourbillon de lames. Brighella ne cesse de rire, d’un rire tonitruant, gargantuesque, presque délirant. Il est euphorique. Se battre le rend aussi ivre que s’il avait bu des litres de gnôle. Je ne peux plus détourner mon attention des vestes émeraude qui m’assaillent de tous côtés mais nous devons être terribles à voir, nous mouvant au même rythme, attaquant et défendant sur le même tempo. Devant nous, les Rowling Stones semblent moins irréductibles, moins sûrs de leur victoire.

J’ai enjambé plusieurs corps et nous avons franchi une bonne dizaine de mètres vers un endroit moins exposé. Les sbires du Petit Binoclard nous enveloppent et essaient vainement de traverser notre défense. Je suis quasiment en apnée, le monde autour de moi se résumant à des figures abstraites, à des images fugaces. La réalité se focalise autour des moulinets de ma batte. C’est une ronde hypnotique, hantée par des fantômes verdâtres qui gesticulent derrière des éclairs de métal. Je plie le jarret, je me fends, je taille et referme aussitôt ma garde. J’arpente une scène où je danse avec dextérité. Un liquide chaud coule sur ma joue et poisse mes cheveux. Je ne quitte pas des yeux les trajectoires compliquées des parades et contre-parades. Je suis Arlequin mais dans mon ombre grandit Alex. Les triangles que je porte sont rouges, bleus et verts. La couleur orange est étonnamment absente. Alex le Lubrique. Encore un fils de la perfide Albion, un fils fantasmé et hyperbolique. Je suis Arlequin et je ne suis qu’un faquin, un laquais, un larbin italien.

Je pousse du pied un autre cadavre encombrant quand se dressent deux immenses Rogue, sinistres dans leurs tenues fuligineuses. Ils se jettent sur moi en poussant un grand cri et je prends conscience que leur assaut sera irrésistible. Je parviens à détourner leurs premières tentatives mais mon sang coule plus fort, inondant ma poitrine. Je mets un genou à terre, repoussé par le déluge de coups qui s’abat sur moi. Un autre Rogue se joint à la partie. Je suis en grande difficulté. Brighella s’est tu. Il halète bruyamment, aux prises avec des Gilderoy. Son bras gauche pend le long de son flanc. Lui aussi est au bord de l’asphyxie. Polichinelle résiste bien mieux. Mon fier spadassin ! La bosse que tu portes sur le dos ne paraît nullement te gêner. A ses pieds s’écroule une autre robe rouge, les mains plaquées contre sa gorge. Les Serpentins ont disparu et les derniers Griffonniers s’écartent en silence.

Le silence se forme. Cela a duré quelques secondes ou quelques minutes au plus. Les Rogue et les Gilderoy resserrent leurs rangs. Les survivants en livrées vertes ou rouges tirent les corps sans vie, libérant la scène pour les dernières répliques de l’acte.

Harry VolteMort est là. Il a toujours la tignasse en bataille et un air d’éternel collégien. Il paraît satisfait. Il sent la victoire toute proche. A portée de main.

« Arlequin, je te laisse choisir. Toi ou Colombine ? »

Je ne dis rien, me contentant de chercher un peu d’air pour rafraîchir mes poumons en feu. Le masque que je porte me brûle, aussi je le retire et le jette à terre, sur les graviers blancs et noirs de l’allée. Je ne suis plus vraiment Arlequin. Brighella s’agenouille, tête basse, son vêtement blanc maculé de sang. Il ferme les yeux. Une seconde plus tard, son bâton heurte le sol. Mon frère n’est plus. Je voudrais qu’il pleuve en signe de deuil mais il ne peut pleuvoir sous l’aile de verre, sauf si les Anges en décident autrement. Je ne peux pleurer non plus. Polichinelle colle son dos contre le mien. C’est un roc indestructible. Les éléments et les hommes ne peuvent rien contre lui.

« Tu veux savoir où est ta Colombine ? Je vais te le dire. Entre les mains d’Hermione ! Tu vois bien que le choix est simple. Ta vie ou celle de Colombine. Tout a une fin en ce bas monde. Tout sauf ce que nous représentons n’est-ce pas ? Qui sera le prochain Arlequin ? Pierrot ? »

A ces mots, je laisse choir mon bâton.

« Accorde grâce à... Colombine! » Je me retourne vers Polichinelle. « Mon ami, mon brave ami, veille bien sur elle. Ne tente rien d’autre. Veille sur elle et de temps en temps, pense un peu à moi! Maintenant pars, c’est mon dernier ordre non, ma dernière requête. Exauce-là s’il te plaît ! »

Il me donne une forte accolade sans dire un mot. Il a conservé son masque. Je sais que sous celui-ci je ne verrais qu’un autre de mes visages. Il range son bâton et sa dague et il se fend d’une profonde révérence. En effectuant une dernière pirouette, il quitte la scène à reculons et s’éclipse comme seul il sait le faire.

Harry murmure alors deux mots. Sa voix est à peine audible. J’ai l’impression qu’il les prononce avec un indéfinissable regret. Il joue son rôle comme je joue le mien. Qu’on en finisse. Les étoiles ne s’arrêteront pas de tourner et la Terre demeurera orpheline au sein de cette immensité hostile.

« Avada Kedavra ! »

La lame brillante d’un Rogue ferme brutalement le rideau devant mes yeux.

* * *


Quand je rouvre les paupières, la pièce est plongée dans la pénombre. Je suis finalement rentré chez moi. Les objets ont retrouvé leur place familière. Mon tour de veille approche. Le quart où je serai sur le pont. Seul parmi les étoiles, je veillerai sur cette bonne vieille Terre et m’assurerai que les forces du chaos ne l’engloutiront pas. Je suis un Ange. Ni homme ni femme, je n’ai plus de corps, juste des interfaces qui me relient au monde physique. Je suis un Administrateur. Un pur esprit.
Oui, je suis un Ange Administrateur de notre planète nourricière, ou de ce qu’il en reste. Je suis un de ses protecteurs. Moi et mes semblables, nous représentons le summum de l’évolution humaine, affranchis des contingences biologiques. Mais rien ne nous protège des atavismes profonds qui hantent notre cortex cingulaire. Nos jambes et nos bras fantômes nous démangent jusqu’à la folie. Nous en sommes venus à envier ces infimes créatures qui se débattent sous les nuages, qui naissent, vivent et meurent de façon si dérisoire.

Alors nous commettons jour après jour la plus exécrable des abominations. Nous investissons leurs corps et dominons leur libre arbitre. Nous vivons à leur place. Sentir la chair et les membres, emplir nos poumons d’oxygène, revivre même par procuration est une drogue dont nous ne pouvons nous passer. Alors hors de nos périodes de quart, nous passons notre temps à rêver et à vivre à votre place. Qu’importe si le corps meurt. Il y en a tellement d’autres à notre disposition. Il nous faut bien meubler notre éternelle immobilité.

Nous flânons parmi vous, vêtus comme vous. Je suis peut-être la femme que vous embrassez ou peut-être votre plus proche ami. Nous avons l’embarras du choix. Il paraît que selon une ancienne croyance, les Anges descendaient sur Terre pour accomplir des actions prodigieuses. Nous ne sommes pas si ambitieux. Les cieux sont infiniment vides et pour tout dire emmerdants !

M


  
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