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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Mardi 3 mai 2011 à 23:05:45
Pas tant d'action que ça, finalement...J'ai encore des progrès à faire...



RONDE DE NUIT




Braz arrêta l’Elue sur le seuil de la salle commune, où le repas allait être servi.
« S’il te plaît », implora-t-elle, le regard brûlant, « tu peux me remplacer cette nuit ? Terrio doit venir me rejoindre, les garçons sortent tous et Abetz... »
Liz éclata de rire.
« Abetz est toujours de mauvaise humeur... Mais dis-moi, ce Terrio, il est gentil avec toi ?
- Oui », chuchota la cadette, qui rougit un peu en ajoutant « ... et ce soir... c’est le bon moment...
- Alors, si tu dois agrandir la famille, je ne peux pas refuser. Mais sois sérieuse, nous avons besoin de filles !
- Je ferai comme tu m’as dit », promit Braz.


La Sagesse présidait la table familiale. Les deux entrantes s’inclinèrent devant elle avant de gagner leurs places, l’Elue à la droite de la Mère et près d’Abetz, la fille aînée, puis Braz. De l’autre côté siégeaient les hommes, Arek et Svell, les oncles, puis Delio, Sinak et Youl, les frères. Les enfants, que Braz avait fait manger une heure plus tôt, jouaient paisiblement devant la grande cheminée, sur l’épais tapis en peau d’ours. Il y avait la première fille de Liz, âgée de deux ans, et les trois garçons d’Abetz, douze, huit et quatre ans. La petite Vitz dormait dans son berceau.
La Sagesse marmonna la prière des Grâces, et se servit de ragoût. Puis le plat passa de place en place, les femmes d’abord, les hommes ensuite, et le repas se déroula en silence. Quand la Mère repoussa son assiette, chacun s’arrêta de manger.
« Arek, demain tu emmèneras ces deux fainéants de Youl et Sinak refaire la clôture du pré de l’ouest. Nous avons encore perdu deux chèvres hier. Svell, le marché ?
- Bien, Sagesse, bien. Les youkkis (1) se sont bien vendus, les fromages aussi, et j’ai six commandes pour la semaine prochaine.
- Delio, il y a une gouttière dans le toit de l’écurie. Braz, les enfants ?
- En bonne santé, Sagesse.
- Elue, tu verras avec Abetz les stocks de provisions pour que Svell puisse acheter ce qui nous manque à la foire des Pleines Lunes.
- Bien, Sagesse.
- Qui ronde, ce soir ?
- C’est moi, Sagesse.
- Hem... Je n’aime pas trop te voir ronder quand tu as encore une fille à nourrir. Qui plus est quand tu n’es pas là elle hurle à la mort, et Braz est incapable de la calmer.
- Je l’emmène avec moi, Sagesse, elle ne troublera pas ton sommeil. »
La Mère secoua la tête.
« C’est un bébé, elle a besoin de dormir.
- Elle a un an. Il est temps qu’elle s’habitue au pas du cheval. Si elle est trop fatiguée, elle dormira dans l’écharpe, sur mon dos. Et je pourrai la faire téter aussi souvent qu’elle voudra.
- Tu es l’Elue. Je ne peux pas contester ta décision », soupira la vieille femme dans une grimace amère, que démentait l’immense fierté de son regard. « Je me retire. Que la nuit vous soit propice. »
L’assistance se leva, le temps que l’aïeule franchisse la porte, d’un pas lourd et fatigué. Puis les plus avides se resservirent de viande, et les conversations commencèrent.
Liz alla chercher sa fille dans le berceau, l’installa dans l’écharpe sur son dos et déploya sa longue cape en laine de svak (2), afin de les couvrir toutes les deux, tout en dégageant la tête et le cou de l’enfant.
« Bonne nuit à tous ! Youl, si tu es en retard demain matin, ne compte pas sur moi pour mentir encore une fois ! »
Le jeune homme, qui venait d’avoir vingt ans et avait déjà donné six enfants à six femmes différentes, baissa le nez. Liz riait encore en ouvrant la porte qui donnait sur l’écurie. Le Chat-Gardien l’attendait, perché sur les bottes de paille.
« Prends Dolan, Ysserka est en chaleur et elle a un postérieur enflé.
- Merci, Chat-Gardien. Ta sollicitude me touche.
- Je t’ai Elue, tu es sous ma responsabilité. Et ta fille aussi. »
Liz sella rapidement le hongre et lui passa le mors. Elle vérifia les sacoches. Un long couteau, trois dagues fines, une gourde, des biscuits, une corde, un briquet. Tout était en ordre. Delio était sérieux. Il l’avait toujours été. C’était son grand frère préféré, il l’avait toujours protégée, alors que Sinak, né deux ans après lui, avait passé son enfance à lui chercher des noises. Youl était le petit dernier, celui dont on s’amuse de toutes les bêtises...
« Prends ton arc et ton coutelas.
- Chat-Gardien, c’est une simple ronde, nous n’allons pas chasser ! »
Le regard du Chat la foudroya.
« Bon, d’accord... Sens-tu du danger ?
- La nuit n’est pas sereine, cela je le sais. Je ne peux te dévoiler l’avenir, je dois respecter le Destin. Mais je dois te protéger...
- Pour un peu, tu me ferais peur ! Allez, en route ! »
Elle sortit le cheval de l’écurie, l’enfourcha et fit pivoter l’écharpe. Elle installa la petite devant elle, plaçant les menottes potelées sur le gros pommeau de la selle. Aussitôt le Chat sauta sur ses épaules, comme chaque fois qu’elle partait ronder. Elle était la seule à pouvoir lui parler, la seule qu’il accompagnait toujours. Elle était son Elue, c’était ainsi. Il était souvent bougon et peu enclin aux compliments, mais son conseil était toujours avisé et son aide indéfectible.
Le cheval partit d’un pas tranquille vers les prés de l’ouest. Il fallait faire le tour des clôtures, longer le lac, traverser le bois et revenir par le chemin entre les enclos. Une balade de quatre heures au pas. Si tout allait bien. Le premier quartier de Paz, la lune rousse, était déjà haut à l’ouest, et Triz, la lune blonde, se levait juste à l’est, demi disque doré entouré d’un halo clair – signe de vent pour le lendemain. Le chemin montait le long du pré. Liz commença à chantonner doucement, heureuse de se retrouver seule avec son bébé, loin du bruit et de l’agitation de la journée.
« Paz la rousse aux yeux de feu
Triz la blonde aux longs cheveux
Lunes gardiennes de la nuit
Protégez-nous des... »
Elle s’interrompit. Un chevrotement angoissé se répétait sans cesse à sa gauche, auquel semblait répondre un cri plus faible et plus plaintif. Rapidement, elle remit l’enfant dans l’écharpe sur son dos pour avoir les mains libres, et sauta à terre. Un petit chevreau s’était pris la patte dans le grillage, et sa mère appelait à l’aide désespérément. Elle glissa ses doigts habiles à travers les mailles distendues et libéra rapidement l’animal. Il s’éloigna en sautillant, s’ébrouant de plaisir. Par chance, il ne boitait pas.
Elle remonta à cheval, remit Vitz à sa place, déposant au passage un doux baiser sur la joue ronde. Elle n’avait pas fait cinquante pas qu’une chouette hulula deux fois. Le coeur battant, elle imita le cri trois fois. Aussitôt, un cheval sortit de la pénombre.
« Je ne savais pas que tu ronderais ce soir », déclara une voix d’homme vibrante d’émotion. « Et avec ma fille, en plus !
- Ca n’était pas prévu... Mais je suis heureuse de te voir. »
L’homme se pencha vers elle pour un long baiser amoureux.
« Je peux venir, demain soir ?
- Oui, bien sûr... je dors toujours mieux quand je suis dans tes bras... Parce que, tu sais, je serai sûrement épuisée...
- Veiller sur ton sommeil est un honneur que je ne laisserais à aucun autre... Tu me manques... Et Vitz aussi ! »
Liz posa sa main sur celle de Fral et s’apprêtait à répondre quand elle sentit les griffes du Chat-Gardien s’enfoncer dans ses épaules. Au même moment, une flèche siffla à ses oreilles. Sans échanger un mot, les deux cavaliers pressèrent les flancs de leurs montures qui se jetèrent dans un galop effréné. Au bouquet d’arbres qui annonçait le lac, Liz s’arrêta.
« Continue », murmura Fral, « je les arrêterai.
- Pas question. Et puis tu ne sais pas lequel de nous ils veulent. »
Elle mit pied à terre et coucha sa fille au pied d’un arbre. Fral fit s’éloigner les chevaux, habitués à cette pratique. La flèche encochée, l’arc bandé, les deux amants n’eurent pas longtemps à attendre. Trois cavaliers arrivaient à bride abattue sur le chemin. Fral manqua sa cible, mais un cavalier roula dans la poussière, la flèche de Liz au travers de la gorge. Les deux autres dégainèrent de longs couteaux et sautèrent au sol. Le combat fut bref et rude. Fral esquiva une fois et longea sa lame dans le coeur de son adversaire. Liz aveugla le sien d’un mouvement de cape et lui trancha le cou d’un geste précis. Puis les vainqueurs se penchèrent sur les visages des vaincus.
« Tu les connais ?
- Non. Leurs chevaux sont petits et hirsutes. Des Wallorsks ?
- Allons-nous en. Je t’escorterai, ce soir.
- Mais... tu ne rondes pas ?
- Non. Je te cherchais, à tout hasard. La Grande Lumière m’a bien inspiré, je crois. »





Ils marchèrent un moment côte à côte, en silence. Les chevaux avançaient du même pas, comme à la fête de Moissons dont ils avaient souvent, depuis l’enfance, répété ensemble le carrousel. Quand ils se sourirent, en même temps, il y avait dans leurs yeux les mêmes souvenirs d’enfant et les mêmes émotions d’adulte.
Un bruit dans les roseaux. Un battement d’ailes. Ils s’arrêtèrent. Liz descendit de cheval.
« Sors de là. Nous sommes deux, et nous sommes armés. »
Un jeune garçon se redressa, tenant sous le bras un cygne qui se débattait.
« Lâche-le. Les cygnes sont sacrés, ne le sais-tu pas ? Ils appartiennent tous à notre Grande Mère Lutz, Lumière des Lumières. Que tu croies ou non, lâche-le ! »
L’adolescent libéra l’oiseau et se jeta à genoux.
« Pitié ! Nous avons fui la Terre de l’Est, mes soeurs et moi, quand nos parents sont morts sous les coups des Lutzaïti. Elles ont faim ! »
Il devait avoir treize ou quatorze ans, maigre comme un coucou, les traits tirés, les yeux cernés.
« Viens demain matin à la ferme du Grand Saule. Tu auras du travail. Tu peux amener tes soeurs si elles sont trop jeunes pour rester seules. Braz, ma soeur, s’en occupera.
- Merci, merci, Maîtresse... Je serai ton dévoué serviteur jusqu’à la mort, foi de Kriof ! Pardonne mon audace, mais... Es-tu Liz, l’Elue des Grands Saules ?
- C’est bien moi.
- Alors il faut que tu saches ! Pendant que je guettais le cygne, tout à l’heure, tapi dans les roseaux, des hommes à cheval se sont rassemblés ici. Ils ont parlé de toi. Ils veulent te tuer !
- Combien étaient-ils ?
- Je ne sais pas... Au moins une dizaine... Peut-être plus...
- Sais-tu qui ils sont ?
- Non. Mais ils parlaient ma langue. »
Fral fronça les sourcils.
« Et tu trahirais les gens de ton peuple pour une inconnue ?
- Même le plus vil des chiens ne mord pas la main qui le nourrit », répliqua le garçon d’une voix amère. « Notre terre a toujours été pauvre, mais depuis que les Lutzaïti nous ont fait la guerre, c’est la famine pour les pauvres gens. Les hommes qui émigrent chez vous n’ont souvent le choix que d’être voleurs ou assassins. Même si tu veux rester honnête, personne ne te donne du travail.
- Tu as raison », murmura Liz. « La guerre est toujours horrible et injuste, et les vieilles rancunes sont longues à s’effacer. Nous sommes tous responsables, nous qui sommes méfiants autant que ceux des Wallorsks qui deviennent criminels. Pour ma part, je te crois. »
Le Chat se pencha vers son oreille.
« Le Chat aussi te croit. Il nous conseille de leur tendre une embuscade, à l’endroit que nous aurons choisi. Rentre chez toi, petit, à demain.
- Mais je sais me battre !
- Tu ne dois pas souiller tes mains du sang de tes frères, quels que soient leurs crimes. Et ta famille a besoin de toi. »
Les paroles de Liz semblèrent le convaincre. Il acquiesça d’un air contraint.
Les deux cavaliers repartirent au galop et ne s’arrêtèrent qu’à l’orée du bois. Ils mirent les chevaux à couvert, puis Liz nourrit sa fille avant de la déposer dans l’herbe, entre les fourrés, sous la garde du Chat. Fral colla son oreille contre le sol.
« Ils seront là dans quelques instants. Ce tronc d’arbre mort me donne une idée... La nuit est claire, on y voit plutôt bien... »
A eux deux, ils soulevèrent le tronc et le jetèrent dans le lac, dans une gerbe d’éclaboussures. Puis Liz hurla :
« Au secours ! A moi ! Au sec... »
La troupe des cavaliers, qui galopait en rang par deux derrière son chef, passa brutalement au pas. Un homme tendit le bras, montrant un vêtement sombre qui flottait à la surface du lac, près de la berge. Quelques uns se mirent à rire. Le chef sembla hésiter un instant, et les hommes se déployèrent autour de lui pour entendre ses ordres. Ils étaient douze guerriers armés, presque alignés dans la lumière des lunes...
Les flèches sifflèrent. Le chef tomba d’abord, avec son compagnon de gauche. Puis deux autres, puis encore un, foudroyé dans sa fuite, entre les omoplates. Trois cavaliers tournèrent bride et s’échappèrent au grand galop. Mais les quatre restants mirent pied à terre et s’avancèrent vers le bois, accrochés à la queue de leurs chevaux qui leur servaient de boucliers.
« Deux contre un ! », gémit Fral. « Et ils ont des épées !
- J’ai vérifié mes sacoches avant de partir. Prends le couteau, je garde les stylets à lancer. J’entraînerai les miens dans le bois. Grâce au Don du Chat, j’y vois comme en plein jour ! Prends garde à toi ! »
Elle sortit de sa cachette et se montra sur le chemin en criant :
« Eh ! C’est moi que vous cherchez ? »
Les hommes se lancèrent à sa poursuite mais Fral s’interposa. Il fit de son mieux pour attaquer deux adversaires en même temps, mais un seul s’arrêta. Le deuxième esquiva et s’enfonça dans le bois derrière Liz.
« Grande Lutz, protégez-la ! », murmura Fral en s’accroupissant pour éviter l’épée qui tournoyait au dessus de lui. Son ennemi était vigoureux et Fral ne pouvait pas contrer ses coups, par manque d’allonge avec ses couteaux. Il n’avait d’autre solution que d’esquiver, encore et encore, tel un danseur de foire, en attendant que l’autre se découvre, juste un peu... Il sentait la colère monter chez son assaillant, et s’évertua à l’exciter encore en riant à chaque coup manqué. L’autre devint furieux, mit tout son poids dans chaque charge, au risque de perdre ses appuis. Alors Fral fit une pirouette qui l’amena tout près de l’homme enragé, et tandis que son genou décochait un coup violent dans le bas-ventre, sa lame s’enfonça dans la gorge offerte. L’ennemi s’écroula, le poing encore serré sur son épée immaculée et inutile.
« Liz, j’arrive ! »
Il s’élança comme un fou dans l’épaisseur du bois, mais dut bien vite ralentir tant l’obscurité était profonde.
« Liz !
- Par ici ! Ne te presse pas, ça va... »
Il enjamba un cadavre, frappé au coeur par une dague, puis un deuxième, atteint entre les deux yeux. Liz était penchée sur le dernier dont le flanc gauche saignait à gros bouillons noirs. Le Chat était assis sur sa poitrine. L’homme murmura des mots incompréhensibles, puis sa tête retomba lourdement sur le côté.
« Tu n’es pas blessée ? »
Liz secoua la tête, les mâchoires crispées, clignant des yeux un peu trop vite.
« Tu es sûre que ça va ? »
- Oui, oui », prononça-t-elle lentement d’une voix rauque. « Nous avons eu de la chance. Mais... c’est dur...
- Ma chérie...
- Non, pardon, rien. Tu n’as pas à savoir. Le Chat... comprend tous les langages.
- Et tu sais qui...
- Je sais. N’en parlons plus. Prenons leurs armes, elles peuvent servir. Et partageons-nous les chevaux que nous pourrons retrouver. Ainsi tu n’auras pas perdu ta nuit.
- Etre avec toi, quelles que soient les circonstances, est toujours un bonheur ! »
Liz eut un petit rire fatigué.
« Oui ! Mais je connais des bonheurs... plus paisibles ! »



Vitz se réveilla au moment où ils la rejoignirent. Liz la fit téter longuement, tandis que Fral cherchait les chevaux. A son retour, la petite fille, baignée de clair de lunes, lui adressa un sourire radieux et l’appela « Papa ! », tandis qu’un filet de lait s’écoulait encore du coin de ses lèvres.
« Mon ange, ma princesse, ma beauté ! », roucoula-t-il en la prenant dans ses bras. Sans quitter Liz des yeux, il embrassa la joue tendre et le menton humide, puis murmura dans un souffle ému :
« Et si on faisait un garçon, pour une fois ? Tu as déjà donné deux filles... »
Liz frissonna du désir partagé, du plaisir à venir...
« Je vais y réfléchir. Mais... pourquoi pas ? Allez, homme de mes nuits, il se fait tard, et nous devons rentrer... Et puis tu risques de prendre froid, sans ta cape !
- L’amour qui me brûle est plus chaud que le soleil...
- Vitz, ma belle, ton père est un poète. Mais un poète enrhumé éternue aussi fort qu’un homme quelconque ! »


Liz termina sa ronde au pas, seule avec sa fille qui dormait sur son dos, fatiguée et repue. Le Chat avait parlé aux chevaux, et les quatre qu’elle ramenait suivaient sans histoire. La fatigue faisait monter les larmes aux yeux de la cavalière, et la respiration régulière de l’enfant augmentait encore son émotion. Elle avait risqué la vie de sa fille, par deux fois, ce soir. Et si Fral n’avait pas été là ? Et si elle n’avait pas eu la chance de triompher de ses ennemis, que serait devenue Vitz ? Et tous ces hommes morts, mercenaires miséreux que pleureraient des femmes et des enfants... Ce monde était dur... C’était ce qu’elle allait laisser à ses enfants, aux enfants de ses enfants, un monde où la mort est partout présente, où elle peut vous cueillir brusquement, que vous soyez dans la force de l’âge ou encore nourrisson... Changer le monde, moi toute seule... et je vais faire comment ? Tant de haine, tant de haine...
Et c’est pourquoi les larmes coulaient, lentement, ruisseau mélancolique et pur sur les joues de l’Elue.


Ils étaient déjà tous dans la cour quand elle atteignit la ferme. Delio se précipita, ne posa aucune question, lui sourit tendrement et s’occupa des chevaux. Braz débarbouillait les enfants près du puits, et lui adressa de loin un signe joyeux. Du coin de l’oeil elle vit Youl rentrer du bois pour le feu, et Svell et Arek qui partageaient leur première pipe du jour en bavardant à mi-voix. Près de la barrière se tenait Kriof, raide et implorant, avec ses trois soeurs. Liz héla Sinak, qui sortait des écuries, et lui confia la petite famille.
Sur le seuil de la maison se tenait Abetz, qui la dévisagea d’un air horrifié. Liz se redressa et braqua son regard noir dans les yeux de sa soeur, tandis que le Chat sur ses épaules couchait les oreilles et battait de la queue.
« Je vais bien, Abetz. C’est peut-être injuste, mais je vais bien. »
Sa soeur s’effaça par réflexe pour lui laisser le passage, et Liz entra, souriant à la Sagesse qui se tenait dans la pénombre au pied de l’escalier. Puis tout alla très vite. Le Chat feula, Liz fit demi tour en une fraction de seconde, juste à temps pour bloquer le poignet d’Abetz, le tordre, lui faire lâcher le couteau...
Elle s’était jurée de garder son calme. Elle voulait ne rien dire, comprendre, pardonner...
« Dans mon dos ! Ma fille, Abetz, MA FILLE ! »
Abetz recula, horrifiée, incrédule. La Sagesse précipita ses pauvres forces pour se camper devant l’Elue et faire face à sa fille aînée.
« Va-t-en. Maintenant. A tout jamais. Seule.
- Mais... mes enfants...
- Tes enfants font partie de la famille. Toi, tu ne reviendras jamais. Même après ma mort. Jamais. Je te laisse la vie, c’est plus que tu ne mérites. »
Abetz s’enfuit en courant, sous le regard médusé des autres, qui convergèrent aussitôt vers la maison.
« Va te reposer, ma fille », murmura la Mère. « Tu n ‘es pas responsable de la jalousie de ta soeur. Le Chat m’a parlé par la pensée – il le fera avec toi aussi, plus tard, quand tu seras Sagesse. Je t’ai suivie toute la nuit, je sais tout. Ta bonté est une bénédiction pour nous tous, et une malédiction si les assassins ne sont pas punis. Laisse-moi rendre la justice. A chacune sa charge. Mon enfant... »
La vieille main ridée caressa la joue de l’Elue.
« Ma vie aurait été brisée si tu ... Allons, je radote. Va dormir deux heures. Après, ton travail t’attend. Il te faudra remplacer Abetz à la cuisine, le temps que je trouve quelqu’un. De toute façon, il était temps de sevrer Vitz. Et tous ces enfants que tu nous as ramenés... Va dormir, va. Je vais parler à Braz. Elle attend une fille, n’est-ce pas ? Je sais que même de loin tu l’as senti. Eh bien ! Si ça continue, je n’aurai plus qu’à me mettre aux fourneaux moi-même ! Et toi...Un garçon, oui, pourquoi pas... tu l’as bien mérité... Mais travailler encore, à mon âge... »





(1) youkki : sorte de pomme de terre
(2) svak : mammifère aux longs poils, de la taille d’un boeuf
Narwa Roquen, victime d'un gros gros coup de fatigue, désolée...
Narwa Roquen, victime d'un gros gros coup de fatigue, désolée...
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