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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Samedi 22 octobre 2011 à 16:07:37
Houlà! Bon courage aux téméraires!

Musique....

L’HORIZON DES SENTIMENTS


Le vieillard se leva.

"Il est temps !", déclara-t-il.

C’était comme si je pensais déjà à moi en tant qu’objet, de chose... morte.

Car ce matin, j’ai eu une grande surprise. Mon père était là. Je l’ai dévisagé comme jamais auparavant. Je ne le lui ai jamais confessé mais il est évident que je lui ressemble vraiment. Non! Pas mes traits pris séparément. Non ! C’est l’impression d’ensemble que mon visage dégage. Cette tournure là, près des pommettes, cette ligne profonde de partage au-dessus des yeux et ce regard intense dans lequel une toute petite lumière ne s’était jamais tout à fait éteinte... Oui, mon père était là mais il ne souriait pas.

Cela faisait longtemps que nous ne nous étions vus. Très longtemps. Et il fallait qu’il réapparaisse juste ce matin. Quand ma propre vie fout le camp. Quand mes doigts blêmes ne retiennent plus que le vide. Quand la fatigue et le renoncement me voûtent les épaules un peu plus chaque jour. Oui, ce n’était pas le moment rêvé. Nous ne nous sommes jamais beaucoup parlé. Encore moins étreints. Nous sommes tous deux façonnés dans le même moule. Peu loquaces et peu démonstratifs. Je ne lui ai jamais dit que je l’aimais. Je suis l’aîné. J’ai dû être fort. Fort comme deux depuis l’accident.

C’est aussi douloureux dans ma mémoire que si cela s’était déroulé hier.

L’excitation de la chasse, l’exubérance de l’adolescence, les boutades de... de Jim... mon frère cadet. Jim l’espiègle. Jim l’insouciant. Jimmy et ses bouclettes blondes. Comme celles de Maman. Jim, qui faisait tout comme moi, prenant garde à ce que je ne remarque pas son manège. Nous avions trois ans d’écart. Ce n’est pas beaucoup au regard de toute une vie mais c’est la distance de la Terre à la Lunedeux quand on a seize ans. Je me souviens parfaitement de l’odeur des pins et des exhortations de Père quand nous avons pénétré dans l’immense forêt. La première chasse en vrai pour Jim qui avait nettoyé son fusil avec beaucoup de soin. Il avait dormi d’un oeil, ne voulant surtout pas rater l’ouverture. Jimmy. Je revois l’éclat du soleil matinal allumant un incendie dans ses cheveux. J’entends le rire léger de Mère déposant le grand panier d’osier à l’arrière de la Jeep. Cette Jeep, c’était la fierté de Père. Il l’avait remise en état avec ingéniosité et système D. Il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Les vitesses grinçaient un peu, la direction avait tendance à tirer sur la droite et elle bouffait plus d’huile que de diesélec mais elle crapahutait partout et c’était le principal.

J’entends encore Père nous expliquer comment cela allait se passer. L’itinéraire que nous allions suivre. J’entends ses derniers conseils de prudence. Comment tenir le fusil, comment mettre en joue, comment vérifier avant de tirer. Jim et moi l’avions écouté assez distraitement. Jim n’arrêtait pas de lancer des vannes en bois. Cela avait toujours été sa manière de maîtriser sa nervosité. Nous entrâmes tous les trois dans les bois mais seulement deux en ressortirent vivants. J’avais tué Jim. Un accident. Un tragique accident. Un banal et horrible accident.

Quand j’ai vu bouger dans les buissons, J’ai cru... j’ai cru que la bête avait percé notre stratagème. J’ai épaulé. J’ai posé l’index sur la gâchette. En retenant ma respiration, j’ai attendu deux secondes supplémentaires mais le mouvement a continué. J’ai fait feu. Jim, c’était Jimmy ! J’ai senti mon sang refluer du haut de mon corps. Jim, le torse en sang, a surgi du buisson en poussant un grand cri. Un seul. Et il s’est abattu face contre terre. J’ai noté que ses jambes ont tremblé à plusieurs reprises avant de s’immobiliser. Le bruit assourdissant du coup de feu refusait de quitter mes oreilles. Il m’a semblé qu’il claquait tout autour encore et encore, rebondissant contre les troncs d’arbres qui le renvoyaient sans cesse. Ce vacarme a duré de longues semaines encore. Un acouphène avec lequel je dus composer. J’ai tué Jim. Père a serré les poings et a tourné la tête. Mère a pleuré. J’ai imité Père. Je me demande encore pourquoi. Pourquoi je ne ressens rien au fond de moi ? Juste rien. Père ne m’a pas accablé. Ne m’a rien reproché. Mais j’ai senti une sorte de fossé se creuser entre nous. Mère a vieilli de vingt ans en une seule nuit. Au matin suivant, ses cheveux avaient blanchi d’un coup. Elle refusa de m’adresser la parole. Les repas devinrent mornes et silencieux. Puis Mère nous quitta. Elle rejoignit ceux de son peuple, plus loin dans le Nord, sous les tentes nomades. Père ne dit rien, une nouvelle fois. Il est fait de ce genre de matériau qui accumule mais qui ne rend jamais rien. Et moi, je suis comme lui.

Alors nous restâmes tous les deux, face à face. Et les jours succédèrent aux jours. Jusqu’au moment où la vie se chargea de nous séparer pour de bon. Les larmes ne montèrent pas jusqu’à nos paupières. Nous nous revîmes de loin en loin. Souvent à l’occasion des fêtes du Solstice du Nouveau Soleil. Père demeura dans la petite maison sur la colline, la dernière maison habitée avant les grands bois qui chaque année, devenaient plus sombres et plus dangereux.

Quant à moi, je partis pour la ville. Une bonne partie de celle-ci était toujours ensevelie sous les décombres. Je me suis engagé dans une firme de déblaiement souterrain. J’aimais explorer les vieilles galeries, obscures et suffocantes, ainsi que les collecteurs enterrés que les eaux boueuses engorgeaient régulièrement. A l’intérieur, je respirais des odeurs différentes, de celles que mes collègues pourtant endurcis trouvaient absolument écoeurantes. Moi non. Cela sentait simplement le moisi et le décomposé. Je m’engouffrais le premier dans les boyaux qui avaient abrité de pauvres hères terrorisés entassés les uns sur les autres. Quelques fois je tombais sur une salle non répertoriée. J’ôtais alors un gant et j’apposais doucement mes doigts dénudés sur le sas circulaire et blindé, à peine froid. Je tentais de percevoir des vibrations. Des sensations insolites. Bien sûr, je n’entendis jamais aucun bruit. On apportait les foreuses militaires à têtes renforcées et on découpait la paroi de béton tout autour du sas. Quand la poussière retombait au sol, je ne laissais à personne le privilège de pénétrer avant moi dans la pièce de survie. L’air sec et renfermé avait momifié les derniers cadavres. Ils me faisaient penser à ces momies italiennes retrouvées après une éruption volcanique. J’étais le dernier à interroger encore et encore les ombres du passé.

Ah, le fil de mes idées s'est dévidé bien trop loin !

J’ai reporté mon attention sur Père qui me faisait toujours face. Ce n’était pas bon pour moi de ressasser ces vieux souvenirs. Les médecins me l’avaient dit quand ils étaient venus me voir. Père se murait toujours dans son mutisme. Aucun reproche dans ses yeux.

J’avançai ma main et la passai sur le miroir. Ce n’était que mon reflet qui me regardait de l’autre côté de la glace posée au-dessus de l’évier. C’était mon visage et non celui de mon père que je voyais devant moi. J’avais tellement vieilli. Sans m’en rendre compte. Le temps a posé ses mains sur moi et a sculpté sur mes traits le visage buriné de mon père comme un masque de chair que je ne pouvais plus retirer.

« Alors c’est ainsi, pensai-je soudainement, que l’on devient vieux !? »

J’ai nié durant toutes ces années l’évidence. J’ai enfoui tout ça à des kilomètres de profondeur, là où nul n’irait fureter. Pas même les inspecteurs qui m’avaient arrêté. Je me suis enfui dans le silence jusqu’à aujourd’hui. Ils n’ont pas eu de prise sur moi. Ni mon avocat ni le Procureur. Je me suis contenté de fixer le mur d’en face et d'attendre que cela passe. Le Juge a eu beau tempêter, me menacer des pires avanies, j’ai continué tranquillement à me taire. C’est un magistrat hors de lui qui m’a condamné à huit cent quatre vingt deux années de réclusion assorties d’une clause de sûreté ne pouvant être inférieure à la moitié de la peine. Autant dire qu’il m’a condamné à mourir derrière les barreaux. Cela m’est égal. La forêt ne livrerait pas mes secrets facilement. Les monstres rôdent plus près des lisières maintenant, s’éloignant du centre contaminé. Des bêtes étranges et cruelles. Plus redoutables saison après saison. Elles évoluent lentement mais chaque année, elles font un pas de plus vers l’orée de leur domaine. Un jour viendra où elles émergeront des sous-bois. Ce jour-là commencera le crépuscule des hommes.

Aujourd’hui, le temps a passé. Combien ? Je ne peux le dire de façon certaine. Beaucoup en tout cas. Des dizaines d’années sans doute. Mais ce matin les choses ont changé. Ce matin, j’ai vu le visage de mon père hanter la glace de plastique.

J’ai lu que le temps n’est pas autre chose que de la lumière déguisée. Ou l’inverse peut-être ! Je n’en suis plus très sûr. Pour moi, le temps est synonyme d’obscurité. Mon existence est un trou noir d’où rien ne s’échappe jamais. Ce que je prends, je ne le rends pas. Les psychiatres ont défini cette pathologie. Je souffre du syndrome de l’horizon des sentiments. Une incapacité psychologique à exprimer la moindre émotion ou le plus petit sentiment. Ils ont essayé par tous les moyens de me faire parler. De me faire avouer. Ils m’ont drogué et hypnotisé. Ils n’ont obtenu aucune information, consciemment ou inconsciemment. Cela les a rendus fous. Presque autant que moi. Je n’ai rien laissé apparaître.

Ah oui ! Il y a eu aussi ce prêtre qu’ils ont dépêché quand ils se sont aperçus que leurs efforts ne menaient nulle part. Les verrous ont claqué dans leurs gâches et les barreaux ont coulissé pour céder le passage à un homme jeune et au crâne rasé, une expression de commisération infinie benoîtement posée sur son visage couperosé. Il tenait entre ses mains chastement croisées devant lui un exemplaire bon marché du Rituel des Saints. Il s’est assis sur l’étroite couchette fixée au mur. Il a attendu que les gardiens repartent avant de s'adresser à moi :

« Mon Frère en Ciel, souhaites-tu confier aux Saints ce lourd fardeau qui pèse sur ta conscience ? »

J’ai souri en soutenant son regard angélique. Sa paupière gauche palpitait par à-coups, trahissant une légère tension mal dissimulée ou étaient-ce les séquelles d’une opération sub-oculaire récente. La pose d’une caméra cristallinienne peut-être. Que m’importait. Je restai sourd à sa question. Il ne se démonta pas. Il était en sécurité. Son profil n’était pas compatible avec ma folie. Il le savait.

« La Déesse Marine accueille toutes les brebis égarées car sans limite est sa miséricorde! Accompagnée de ses fils, n’a-t-elle pas modelé ce monde à son image. Ses larmes ont donné naissance aux fleuves, aux lacs et aux océans. Sa chair est devenue notre terre nourricière. Ses os ont enfanté les montagnes titanesques. Son souffle divin a protégé ce monde du Grand Vide. Ses cheveux ont tissé les immenses forêts et les vertes prairies. On entend sa voix chaque fois que le tonnerre gronde. Et enfin, nous, pauvres créatures, ne sommes-nous pas nés de ses entrailles bénies. Elle a voulu que tout soit comme elle l’a commandé et ses fils immortels ont ployé leur genou pour lui jurer fidélité. Les Ecritures racontent que, si grand que fût leur chagrin, ils obéirent jusqu’à ce que le corps de la Déesse, leur propre Mère, fut indissociablement lié à notre monde. Les Saints allumèrent alors les étoiles dans le ciel pour que nous n’oubliions jamais le sacrifice de la Déesse... »

Je lui ai coupé la parole :

« Ne te fatigue pas Saint Homme ! Tu perds ton temps. Si tu t’approches trop près de moi, en actes ou en paroles, alors tu pourrais bien ne plus jamais repartir ! »

Il a blêmi malgré les chaînes qui me maintenaient hors de sa portée.

« Retourne dans ta Cale marmonner tes saintes paroles devant tes fidèles. Là où je me trouve, je ne crains pas les foudres des Saints. Roméo ne me frappera pas de sa grande épée et Juliet ne viendra pas hanter mes rêves. Pas plus qu’Oscar et Charlie ne lanceront leurs chars sur moi. Non Saint Homme, rebrousse chemin. Tu ne peux vraiment rien pour moi ! »

Il a décampé sans demander son reste. Il n’est jamais revenu !

Pourtant aujourd’hui, après toutes ces années, j’ai croisé le regard de mon père et je me suis aperçu qu’il s’agissait du mien. Il est temps de tourner la dernière page et de refermer mon livre. Mon père est mort il y a bien longtemps. Mon propre temps touche à son terme également. Je le sens au plus profond de mes os. Alors autant déposer le fardeau. J’ai vécu tout ce temps pour m’apercevoir que je ne suis rien d’autre que le fils de mon père. Quel temps perdu !

Je me suis levé pour aller tambouriner comme un forcené sur la porte de ma cellule.

« Ouvrez-moi ! Ouvrez ! Il est temps... que je vous apporte les réponses que vous attendez ! »

Ce qui m’a décidé, ce qui a fait pencher la balance pour de bon, c’est cette marée humide que j'ai ressentie aux coins de mes paupières. J’ai vu couler des larmes sur le visage dans le miroir.

Non, je me mens. Ce n’était pas réellement ça! Non !
La seule raison qui a emporté tout le reste, c’est que, pour la première fois de toute ma satanée existence, j’ai vu mon Père pleurer !

M


  
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Réponses à ce message :
3 Félicitations... - z653z (Jeu 2 fev 2012 à 17:30)
3 WA-Commentaire 98 - Maedhros - Onirian (Ven 4 nov 2011 à 18:08)
3 Commentaire Maedhros, exercice n°98 - Narwa Roquen (Ven 4 nov 2011 à 15:14)


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