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 WA, exercice n°106 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 12 avril 2012 à 23:21:30
Et maintenant, à vos méninges! Cet exercice est la suite du n°105. A vous de montrer comment la mort de ce personnage va avoir un impact déterminant sur la suite de l'histoire, et donc en quoi elle était justifiée au niveau de l'intrigue. Ne vous attardez pas sur les larmes et les regrets. Ce que le lecteur veut, c'est du sens, parce que c'est ce qu'il retiendra en fin de compte et qui le laissera apaisé même si auparavant vous l'avez embarqué dans l'horreur, l'angoisse ou la souffrance.
Vous avez trois semaines, jusqu'au jeudi 3 mai.
Pour ceux qui sont à la bourre, il est toujours possible de faire deux-en-un, 105 et 106 en une seule fois. Vous avez également l'autorisation de changer de titre si chemin faisant vous trouvez que le précdent n'est pas adapté à l'ensemble ( il vaut toujours mieux, sauf exception, donner le titre après avoir fini d'écrire...).
Bon courage! Soyez inspirés et rigoureux...
Narwa Roquen,moi c'est nuit, thé parfumé et noir-noisettes. Et vous?


  
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Réponses à ce message :
z653z  Ecrire à z653z

2012-05-06 23:14:19 

 je suis en retard de lectures...Détails
... mais ce n'est pas une raison pour m'attendre et être en retard dans l'écriture.
à bientôt de vous lire :)

Ce message a été lu 6270 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2012-05-07 11:32:35 

 WA - Participation exercice n°106Détails
La suite de l'histoire mais qui n'en est pas la fin...

--------------------------------

Une portière claqua et le véhicule de police démarra sans perdre un instant. Il s’engagea à toute vitesse sur l’autoroute Nord en direction de Marseille. Le crépuscule s’étendait sur la cité phocéenne qui se dressait contre un ciel flamboyant. Le trafic était dense sur l’axe routier, les automobiles s’agglutinant sur les trois voies descendantes de la chaussée.

« Ce soir, il y a un match au Vélodrome! » dit laconiquement le conducteur, comme s’il était établi que l’agent du FBI ne pouvait ignorer la place que tenait l’équipe de football locale dans le coeur des marseillais.

L’homme du RAID farfouilla dans la boîte à gants pour en extirper d’une main un gyrophare qu’il plaça d’un geste sûr, par sa vitre ouverte, au bord du toit de la Peugeot. Il actionna également la sirène et mit les pleins phares. Il se montrait un conducteur particulièrement doué. Il se faufilait adroitement entre les files de voitures, évitant les coups de frein trop brutaux en se contentant de solliciter la pédale de l’accélérateur plus ou moins fortement. Certains supporteurs, visiblement piqués au vif dans leur amour-propre d’être doublés par un véhicule représentant l’autorité, lui adressaient au passage des mimiques et gestes assez expressifs, accompagnés d’appels de phares courroucés qui éclaboussaient la custode arrière..

« Ils me prennent pour Taxi 4 !» continua le chauffeur en rigolant « Je voudrais bien mais ce matos ne suivrait pas, il n’est pas équipé de tous les gadgets de l’original ! »

Il en profita pour jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur. Son passager ne desserrait pas les dents, plongé dans la lecture du dossier qui l’avait attendu sur la banquette arrière. Il avait un visage taillé à la serpe. Angles droits et traits réguliers. Cheveux clairs, coupés en brosse. Age indéfinissable. Entre vingt cinq et quarante ans. L’Américain tel qu’on les imagine dans les films. Le G-Man par excellence. Il portait un costume de bonne coupe, gris clair, discret. Pas du tout le genre des deux flics à Miami ou du Texas Ranger. Il pourrait passer sans difficulté pour un homme d’affaires comme pour un fonctionnaire international. Ou bien pour ce qu’il était. Un agent du FBI du bureau de Dallas. Comment il s’appelait déjà ? Cartwright, c’est ça. Agent Jim Cartwright en mission spéciale à Marseille. C’était ce qui était inscrit sur l’ordre de mission. Une mission de la plus haute importance.

Le chauffeur bifurqua vers la Joliette et les quais. La Peugeot s’élança sur la passerelle qui contournait une très grande tour semblant veillait sur le Port. Une construction élégante, entièrement vitrée sur laquelle les feux du soleil mourant arrachaient des lambeaux de lumière chatoyante. La passerelle s’élevait rapidement et, avec la vitesse, c’était comme si la voiture se préparait à prendre son envol depuis une rampe de lancement, droit vers l’horizon. Les hurlements frénétiques de la sirène ouvraient un étroit chemin qui laissait toute juste la place entre les glissières et les véhicules dépassés. Ses pneus martyrisés gémissant sous la pression, la Peugeot s’inscrivit sans ralentir dans la courbe parabolique qui ramenait la passerelle vers les Docks et le tunnel du Vieux Port flambant neuf.

Quelques minutes plus tard, il s’arrêtait dans la cour de l’Evêché, l’hôtel de police principal de Marseille. L’homme du RAID conduisit l’agent Cartwright dans un bureau anonyme d’un étage élevé. Une table, trois chaises, deux armoires basses et une fenêtre donnant sur la Major, la cathédrale non loin. Le soir se faisait fait plus profond sur Marseille et les lumières artificielles formaient des constellations étranges dans des cieux étrangers. Jim posa l’attaché-case, tira une chaise et la retournant, s’assit comme un cow-boy, puis balança le dossier sur la table. Celui-ci portait une simple étiquette où était écrit, au feutre noir : « FBI – Aff. Achigan ».

Un homme pénétra dans la petite pièce. La cinquantaine, pas très grand. Il était brun de poil et de peau. Il arborait une fine moustache et un léger embonpoint. Mais son visage démentait cette première impression. C’était un visage mobile et intelligent, avec un front dégagé et deux yeux étonnamment perçants. Ses rides racontaient son histoire de manière éloquente. C’était les stigmates de la vieille école. Mais cela, l’agent du FBI l’ignorait encore.

« Commissaire divisionnaire Angeli! » se présenta-t-il sobrement, tendant sa main vers l’américain.

Ils échangèrent une poignée ferme, se jaugeant mutuellement. Puis Angeli tira une autre chaise et s’assit tout près de la table. Du bout des doigts, il tapota légèrement sur la couverture cartonnée du dossier.

« Bon, vous avez peu de temps. Si vous ne voyez pas d’inconvénient, allons droit au but, comme on dit du côté du Vélodrome. »

Le jeu de mots tomba à plat. Cartwright ne cilla pas. Angeli poursuivit :

« J’ai étudié les pièces que vous nous avez fait parvenir. Elles sont toutes là dedans. Je les ai annotées de brefs commentaires que j’ai cru pertinents. C'est-à-dire, vous verrez, pas grand-chose. Cela remonte assez loin dans le passé ! »

Angeli s’interrompit. Cartwright le dévisagea sans rien dire l’espace de quelques secondes. Il avait parfaitement compris le commissaire. Etudiant, il avait suivi deux années de droit pénal à Paris durant lesquelles il avait appris la langue de Molière. Bien mieux en tout cas que son collègue ne maîtrisait l’anglais. Cela avait permis à Cartwright de ne pas s’embarrasser d’un interprète.

« Monsieur le Commissaire, débuta-t-il avec un léger accent, si vous avez lu le dossier, vous savez après qui je cours. Cela fait près de quinze ans déjà que je suis sur cette affaire, à peine moins longtemps que je suis entré dans le FBI. J’essaie de comprendre. J’ai étudié mille fois les mêmes pièces. Toutes les photos et tout le matériel glané sur le terrain. J’ai une intuition. C’est mon métier après tout, je suis un profiler. J’ai acquis la conviction qu’il existe un lien unissant le dossier Achigan et Marseille. J’ai mis du temps à convaincre ma hiérarchie de me permettre de vérifier sur place ! »

Ce fut au tour d’Angeli de ne rien répondre.

Il avait parcouru attentivement les documents communiqués par le FBI. Ils présentaient d’abord les faits tangibles, bien réels, les éléments indiscutables qui parlaient à l’esprit rationnel et cartésien du commissaire. Les pièces à conviction, les témoignages, les rapports d’enquêtes... tout ça ne l’avait pas gêné. Malgré les différences de procédures, il avait retrouvé grosso modo ses petits. Les pièces du dossier avaient tracé une piste qu’il avait suivie. Une piste jonchée non pas d’horreurs attendues mais de disparitions inexpliquées et inquiétantes. Pas de corps, pas de sang. Les scènes de crime étaient comme tronquées. Il manquait le substrat sur lequel les limiers du FBI auraient pu échafauder un début de raisonnement. Mais il n’y avait rien. Rien qui ressemblait de près ou de loin à un mode opératoire un tant soit peu traditionnel. Angeli avait même senti la frustration éprouvée par ses collègues d’outre-atlantique. L’enquête s’essoufflait. Trop peu de résultats.

Ils semblaient poursuivre une ombre, une sorte de chimère. Malgré de longues années d’enquêtes minutieuses, ils n’étaient encore certains de rien. Etaient-ils vraiment sur les traces du plus grand tueur en série de l’histoire criminelle américaine ou bien s’entêtaient-ils à vouloir le croire? Au 31 décembre 2010, la base du centre national d’information sur le crime comptait près de 86.000 dossiers actifs de personnes disparues sur le territoire des USA. Et encore, il ne s’agissait là que du solde final. Au cours de l’année 2010, plus de 692.000 dossiers avaient été ouverts dont près de la moitié était renseignée des circonstances de ces disparitions. Et dans cette proportion, plus de 96% mentionnaient la fuite (« runaway ») comme motif de disparition.

Ensuite, Angeli avait été profondément troublé par les analyses de Cartwright.

Les quelques feuillets figurant dans les pièces adressées par Dallas l’avaient plongé dans la plus profonde perplexité. Certes, il avait évolué avec son temps et les avancées méthodologiques faites dans le domaine des profils psychologiques ne lui étaient pas inconnues. Mais Cartwright avait été encore plus loin, bien loin devant tous ses confrères. Si loin que certaines de ses théories frisaient l’iconoclasme.

Angeli avait, à plusieurs reprises, refermé nerveusement la chemise cartonnée, ne sachant pas trop comment il devait réagit devant certaines conclusions tirées par Cartwright. Elles lui paraissaient fondées au mieux sur des conjectures bien fragiles au pire sur des constructions intellectuelles rassemblant un assemblage hétéroclite de concepts pseudo-scientifiques. Pourtant il avait repris sa lecture, sentant confusément que derrière tous ces termes savants et ces rapprochements audacieux, il y avait une réalité noire, un autre monde fait de ténèbres et de douleur. Ces mots formaient des phrases inconcevables mais quand il faisait taire la petite voix dans sa tête, Angeli discernait des perspectives vertigineuses. Il se sentait comme un observateur impuissant placé par un dieu joueur au sommet d’une très haute montagne. Le dieu lui avait donné pour tout viatique une longue-vue et lui avait désigné un point distant sur l’horizon. Là, lui avait dit son ravisseur, vivaient les siens. Malgré son instrument, le malheureux ne voyait que de vagues scènes floues où dansaient des ombres qu’il ne parvenait jamais à identifier. Etaient-ce vraiment les siens? Etait-ce sa femme? Ou bien étaient-ce des démons dansant devant son bûcher pour se moquer de lui?

« J’ai étudié vos notes. Je ne peux vous cacher qu’elles m’ont laissé songeur! C’est trop novateur pour ma pauvre intelligence cartésienne! Une stratégie évolutionnairement stable ? C’est bien ainsi que vous dites ? »

« Oui, c’est un concept procédant des travaux de Maynard Smith et Price, des généticiens, décliné dans le domaine de la biologie évolutive. C’est une théorie selon laquelle l’évolution est le moyen qu’ont trouvé les gènes pour survivre. Nous ne sommes, à l’instar de toutes les créatures vivantes, animaux et plantes compris, que des machines à survie pour des gènes qui arbitrent entre différents choix pour assurer leur perpétuation. Ils calculent constamment les bénéfices et les coûts de leurs actions, avec une vision tout à fait égoïste. Or les tueurs en série, d’après moi, illustrent la prévalence d’un gène particulier induisant chez certains individus des comportements qui pourraient être déchiffrés à partir des travaux relatifs à la SES! Oups, excusez-moi ! Je veux dire à partir de la stratégie évolutionnairement stable, fondée sur la théorie des jeux. Dans quel but? Mutation? Récession? Je ne suis pas sûr que l’endroit se prête bien à ce genre de discussion, monsieur le commissaire Tout ce que je sais, ou crois savoir, tient dans les trois derniers paragraphes de ma note cotée JC34-23. Je voudrais pouvoir compter sur votre coopération pour consulter celles de vos archives qui remontent aux années 80! Elles pourraient peut-être me mettre sur la voie de notre chimère! C’est l'une des dernières chances que je dois saisir pour éviter que le Bureau ne referme définitivement le dossier ! »

« Bien, venez avec moi, je vais vous conduire aux archives même si je crains fort que vous ne surestimiez leur potentiel ! »

******


Romain laissait Chiara sangloter sur son épaule. Derrière la baie vitrée, la nuit descendait sur la ville. Des pulsions contradictoires s’affrontaient en lui. Il était tiraillé entre la nécessité de repartir sans délai vers Dallas et le désir de connaître un peu plus cette enfant oubliée, reflet de son ancienne vie. Il sentait qu’il se tenait en terrain découvert, en territoire ennemi et il était vulnérable. Il n’avait pas de plan préparé longuement à l’avance. Pas de procédure soigneusement étudiée. Il perdait l’avantage et ne pouvait anticiper, devenant le jouet des évènements. Il n’aimait pas jouer et encore moins être prisonnier de règles qu’il n’avait pas lui-même conçues. Pourtant, un sentiment inhabituel, longtemps enfoui, refaisait peu à peu surface et quelque chose en lui inclinait à écouter.

Il se décida.

«Venez, il faut passer à l’accueil. Il doit y avoir des formalités à remplir, des papiers à signer, des personnes à informer ! »

Elle le regarda, interloquée, les larmes brillant encore dans ses yeux. Il comprit que son apparente impassibilité était dérangeante mais il ne put réprimer son instinct naturel :

« Je montre difficilement mes sentiments. Je n’ai pas à m’excuser pour ça! Je suis ce que je suis et croyez-moi ou non, j’aimais ma mère. A ma façon. Je ne pleurerai pas. Je ne crierai pas. Je ne maudirai pas le Ciel. C’est sans doute incompréhensible à vos yeux, je n’en doute pas. Mais je ne changerai pas. Je ne peux changer. C’est ma nature. Alors vous venez avec moi ou vous restez là ? »

Chiara hésita, essuyant ses joues du revers de sa main. Cet homme aux manières si brusques l’inquiétait mais plus encore l’intriguait. Il y avait quelque chose en lui qui lui était familier. Une proximité étonnante. Elle voulut en savoir plus sur lui.

« C’est par là ! » répondit-elle.

« Quoi ? » lui demanda-t-il, comme désarçonné par cette réponse.

« L’accueil du service ! » lui dit-elle en l’entraînant à sa suite.

Elle prit un couloir latéral et descendit un étage. Un guichet était ouvert. Une infirmière attendait.

Ce fut assez rapide... et pénible. Romain n’avait évidemment aucun des papiers exigés par l’administration. Chiara récupéra les imprimés à remplir en remerciant la préposée. Romain était silencieux et pâle comme un linge. Ils partirent ensuite.

« Vous avez un endroit où dormir cette nuit ? » le questionna-t-elle quand ils quittèrent l’hôpital.

« J’ai un vieil ami à voir. Il me trouvera bien un lit, ne vous inquiétez pas ! Demain, nous pourrons nous revoir?»

« Certainement, je vais vous donner l’adresse où j’habite... »

« Avec votre mère ? L’interrompit-il.

« Non, pourquoi? Elle habite toujours le Panier. Moi, je vis du côté de la Pointe Rouge, pas loin de la Campagne Pastré.» Elle lui tendit une carte de visite. « Vous avez mon adresse et mon numéro de téléphone! »

Romain glissa le bout de carton dans une poche sans le lire :

« Je viendrai demain en début de matinée, à la condition que vous n’informiez encore personne de ma présence. »

« Par contre, je peux vous déposer, j’ai ma voiture dans le parking! » proposa Chiara.

Romain refusa doucement « Je vous remercie mais c’est inutile. Je vous retrouve demain matin, disons 8 heures 30, devant les grilles du parc Borely, cela vous va ?

Chiara acquiesça avec un certain regret dans le regard mais elle comprit qu’il était sans espoir de le faire changer d’avis. Ils se dirigèrent vers les ascenseurs. Quand les portes s’ouvrirent à nouveau au sous-sol, Chiara était seule dans la cabine.

Romain fit attention à ne pas être trop facilement prévisible dans ses déplacements. Il prit le métro mais changea à Castellane où il reprit la ligne 2 et sortit à la station Jules Guesde. Il remonta vers la Porte d’Aix pour rejoindre l’Hôtel de Région. Il était attentif à tout ce qui l’entourait, essayant de repérer des visages qui se répéteraient ou des silhouettes qui le suivraient dans son sillage. Il s’engouffra dans la bouche de métro de la station Colbert pour remonter tout de suite après, scrutant tous ceux qui descendaient de l’autre côté. Aucun n’éveilla sa méfiance. Il emprunta plusieurs rues pour attraper un bus de la ligne 533 qui, lorsqu’il redémarra, s’enfonça au coeur des quartiers Nord.

Quand il demanda à descendre, il se retrouva sur un trottoir désert. Il était dans le 14ème arrondissement mais n’avait pas encore touché au but. L’air froid de la nuit lui mordit désagréablement le visage mais il s’en moqua. Il se mit en marche en relevant les numéros de la longue avenue qui se poursuivait devant lui.

68, 70.... Le 72 de l’avenue Claude Monnet correspondait à un grand portail en fer forgé derrière lequel se devinait une haute bâtisse, à demi noyée dans l’ombre. Un large escalier menait à un perron abrité sous un auvent profond. Sous le pinacle, une horloge rappelait celles qui ornaient les gares. Selon la plaque apposée sur un pilier du portail, il s’agissait de l’EHPAD Saint Jean-de-Dieu.

Romain observa un petit moment la loge encore éclairée. Il consulta sa montre. Il était encore un peu tôt. Il longea les grilles, notant tous les détails. Il y avait un chantier qui était mitoyen au parc de l’établissement hospitalier. C’était providentiel. Il se faufila entre deux planches branlantes de la palissade et se retrouva dans l’enceinte d’un vaste complexe immobilier en construction. Il demeura prudemment loin des bâtiments inachevés où devaient se trouver les vigiles et leurs chiens. Les chiens ne l’inquiétaient pas trop. Les loups ne font pas attention aux chiens. Il restait prudemment à la lisière du chantier, loin des matériaux et matériels entreposés, cibles favorites des petits étourneaux nocturnes.

Il parvint suffisamment loin de la route. Devant lui, le parc formait une poche d’ombre au-delà de laquelle il distinguait à peine la grande bâtisse, tache plus claire. Aucune lumière ne diffusait de ce côté-ci. Romain enjamba facilement la mince clôture et, courbé et silencieux, s’élança vers la maison de retraite. La porte de service ne lui résista pas très longtemps et il se retrouva dans un couloir où une veilleuse de sécurité jetait une faible lumière verdâtre. Il se coula dans un escalier et monta jusqu’au deuxième étage. Il déboucha sur un autre couloir qui comportait une enfilade de portes toutes identiques. Un rai de lumière filtrait sous l’une d’entre elles. Sans hésiter, il se dirigea droit vers lui.

La chambre était minuscule et spartiatement meublée. Un lit pas bien grand, un bureau encombré de papiers et une grande armoire en constituaient l’essentiel du mobilier. Quelques gravures pieuses ornaient les murs de crépi blanc. Sur une étagère, une rangée de livres était maintenue par deux bronzes représentant des travaux d’Hercule. Près de la tête de lit, une petite table de chevet supportait la sainte Bible et des rideaux occultaient la fenêtre.

Dans le lit, un vieil homme était adossé à épais traversin. Romain le reconnut au premier regard même si les années s’étaient amassées depuis la dernière fois où ils avaient été réunis. Il semblait que le temps, n’ayant pu effacer la bonté naturelle qui irradiait de son visage, s’était vengé, dépité, sur le reste de son corps.

« Ainsi tu es venu ! dit le vieillard, nullement étonné de l’irruption soudaine de Romain à cette heure si tardive. Je t’attendais sais-tu ? »

« J’ai reçu ta lettre! répondit Romain comme pour souligner l’inéluctable. J’arrive de la Timone. Ma mère vient de s’éteindre, peu de temps après mon arrivée! »

« Que Dieu la prenne en sa sainte garde! Elle s’est montrée une vraie chrétienne tout au long de sa vie ! Je suis heureux qu’elle t’ait vu, ne serait-ce qu’un instant, avant de rejoindre son Créateur! »

« Donc, tu sais pourquoi je suis là? » demanda Romain qui s’assit tranquillement dans le modeste fauteuil, près du lit.

« Bien sûr mon fils ! Je l’ai su dès que j’ai posté la lettre. Ma main n’a pourtant pas tremblé. Ce fut même en quelque sorte une forme d’apaisement. Je suis heureux de te voir après toutes ces années. As-tu trouvé la paix, là bas de l’autre côté de l’océan ? »

« Tout dépend ce que veut dire la paix. J’ai trouvé un équilibre. Oui. On peut dire ça. Un certain équilibre ! »

« Te rends-tu compte que durant tout ce temps, nous n’avons échangé en tout et pour tout que deux lettres. Et elles ont été séparées l’une de l’autre par plus de quinze ans. Je me souviens de toi alors que tu n’étais qu’un tout petit garçon qui se tenait, effrayé, derrière les jupes de sa maman. Tu venais de perdre ton père et tu étais si craintif. Ta maman a été très forte. »

« Elle ne s’est jamais plainte, même quand elle s’est aperçue que j’avais mis mes pieds dans les pas de mon père. Je crois qu’elle a voulu contrebalancer mes mauvais penchants et mes mauvaises fréquentations en me donnant cette éducation religieuse ! »

« J’ai essayé mon fils ! Plus qu’avec aucun autre. Entre tous les autres, j’ai discerné en toi tellement de potentialités que j’ai souvent prié pour que la Lumière brille enfin dans ton coeur. Que tu retrouves le bon chemin. Et si je voyais bien que j’échouais lamentablement en tant que précepteur, je me suis entêté ! Je te demande pardon ce soir Romain. Mais es-tu capable de pardonner ? Tu ne t’es pas pardonné à toi-même ! »

« La pardon m’est interdit. Tu as parlé de chemin et de lumière. J’ai suivi un chemin, oui, mais empli de ténèbres. Tu vois, j’emploie les mots que j’ai entendus quand tu nous parlais des mystères de la Foi. Finalement, tu as imprimé en moi bien plus que tu ne le crois. Je n’ai rien oublié. Te souviens-tu des leçons d’astronomie où tu me parlais des planètes et de Galilée. Je me rappelle encore de ces points brillants que je voyais dans la lunette bon marché que tu pointais vers le ciel nocturne. Ce soir, ma fille m’a comparé à Pluton, tu sais, le Dieu des Enfers ! Elle ne se doutait sûrement pas à quel point elle était proche de la réalité ! »

Le vieillard hoqueta :

« Tu... tu as vu Chiara ? »

« Elle était à l’hôpital quand je suis arrivé. C’est troublant, elle ressemble tant à sa mère à son âge ! Elle n’a jamais posé de question ...sur moi ? »

« Elle a bien tenté au début. Mais peu étaient au courant et ceux-là n’ont jamais parlé. Sa propre mère ne lui a jamais rien dit. Alors Chiara s’est construite différemment. »

« Est-elle venue de voir ? »

« Pourquoi l’aurait-elle fait ? dit le vieil homme. Les choses de la religion s’effacent de nos jours. Elle ignore sans doute jusqu’à mon existence. Ta mère se tait à mon propos! »

Un silence gênant s’installa dans la petite chambre. Des mots qui ne pouvaient être prononcés assaillaient leur conscience. Le passé sembla investir comme un immense tourbillon l’espace confiné dans lequel ils se trouvaient. Il les enveloppa soudain dans un flot de souvenirs ressuscités. La profondeur du regard qui les unit juste à cet instant était impressionnante A la fin, ce fut le vieil homme qui baissa les yeux. Il avait compris. Il distinguait très nettement les immenses ailes noires qui se déployaient dans le dos de Romain. Il frissonna.

« Quand j’ai glissé ma lettre dans l’enveloppe, j’ai failli la cacheter et l’envoyer comme ça. Et puis, mû par un besoin inexplicable, appelle-le rédemption, j’ai retenu mon geste. J’ai repris le stylo et j’ai ajouté sur la face interne de l’enveloppe ma propre adresse afin que tu puisses... enfin que tu puisses être là ce soir! J’ai attendu sans crainte. Je me suis mis en règle avec mon Créateur et je ne redoute pas ce qui m’attend ! »

« N’attends rien de moi! L’étoile qui me guide n’appartient pas à ton ciel. Dans mes yeux d’enfant, tu as représenté ce père qui avait disparu. Tu aurais pu combler un vide. Mais tu as tout saccagé, tout pollué, tout rendu impossible ! »

« Tu n’as pas tout brûlé puisque tu m’a écrit une fois ! A la réception de ta lettre, j’ai décidé de me retirer hors du monde. J’ai abandonné toutes mes charges diaconales et rejoint un ordre monacal où j’ai prié pour tout le mal commis. Mais je savais bien que cela ne suffirait jamais. J’étais presque soulagé quand j’ai glissé la lettre dans la boîte aux lettres, en paix avec moi-même.»

Romain ne répondit rien. Il était déjà tard. Il lui restait une dernière chose à faire avant de partir. Le vieil homme respirait doucement, ses bras le long du corps. Aucune rébellion dans son attitude. Les aiguilles de la petite pendule progressaient lentement. Romain se leva et verrouilla la porte. Il vint se porter à la hauteur du lit et se pencha vers le vieux prêtre qui n’esquissa aucun mouvement.

Romain n’attendit pas les premières lueurs de l’aube. La pendule indiquait que la quatrième heure venait à peine d’être dépassée quand il se leva du fauteuil où il avait veillé jusque là. Il jeta un dernier regard vers le lit avant de quitter la pièce. Un vieil homme semblait dormir paisiblement.

Un examen plus attentif aurait permis de s’apercevoir que sa poitrine ne se soulevait plus.

(à suivre plus tard sans doute)

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2012-05-08 23:49:41 

 WA, exercice n° 106, participationDétails
LES TROIS PROMESSES (suite)


Faire le vide. Retrouver son calme. Laisser monter la vérité. C’était ce que lui avait dit Mahkto, qui avait dirigé le camp avant lui, avec sagesse et pondération, pendant des années qu’on disait plus nombreuses que les feuilles d’un chêne. Il était beaucoup plus âgé que Trégranpa, mais son esprit n’avait rien perdu de son intelligence ni de sa lucidité.
Roskh était assis en tailleur dans sa tente, les yeux clos, les mains posées sur les genoux. Méditer. Laisser la Sagesse du Clan s’infiltrer en lui, et les Esprits Bienveillants lui dicter sa conduite.
Mais son âme était confuse et son coeur agité. Le soir précédent ils avaient enterré Cayeskh dans la Clairière aux Morts, puis ils s’étaient assis, à la limite des arbres, pour la veillée silencieuse. Il revoyait leurs visages. Brahel, dont les yeux ne cessaient d’inonder le visage livide aux traits tirés, comme une source intarissable coulant goutte à goutte entre d’arides rochers, Brahel serrant compulsivement les deux enfants qui lui restaient. Menyo, le presque grand de six ans, l’air grave et soucieux, qui regardait sa mère à la dérobée comme s’il se demandait ce qu’il pourrait faire pour la consoler. Allihan, le petit, qui écarquillait ses yeux affolés sans oser prononcer un mot. Calskh, le père, le front barré d’une ride de colère, debout adossé à un large tronc, qui serrait les dents comme les poings pour ne pas enfreindre la Première Promesse, mais dont émanait une telle haine que personne n’osait s’en approcher. Altekh et Altya se tenaient par la main, et se retournaient souvent vers Verskya et Korh pour se rassurer de leur présence. Quelques hommes s’étaient regroupés, comme pour se sentir plus forts. Un vent frais s’était levé quand le soleil avait disparu, et les femmes avaient pris leurs enfants sur les genoux pour les réchauffer, mais personne n’avait bougé. Il fallait attendre. Il fallait que l’Esprit de Cayeskh s’envole, et ce temps donné était leur dernier présent à l’enfant courageux.
La lune était levée depuis longtemps quand enfin un oiseau blanc vint se poser sur le petit rectangle de terre fraîchement retournée. Il resta immobile un moment, et chacun sentit son regard se poser sur lui, comme pour un adieu. D’hommes ou de femmes, le chagrin se para de nouvelles perles liquides brillant au clair de lune, dans un silence lourd qu’aucun chant d’oiseau ne venait troubler. Puis le Hasko jeta un cri et d’un battement d’ailes prit son envol. Brahel ferma les yeux.



Comment Roskh aurait-il pu dormir cette nuit-là ? Il était à la fois effrayé, peiné, surexcité. Trois fois il se leva pour faire le tour de chaque tente, vérifier encore et encore qu’aucun danger ne menaçait. Ombre parmi les ombres, silencieux comme le renard, il savait qu’il n’éveillerait personne. Il était là, seul et debout, pour porter leurs angoisses et chasser les mauvais rêves. Il était le gardien de leur sommeil paisible. Cela au moins il pouvait le faire.
Au jour naissant il s’assit devant la tente de Mahkto, pour lui parler dès qu’il sortirait. Il vénérait le vieil homme, comme tout un chacun dans le Clan. Si un être humain pouvait lui donner un sage conseil, c’était Mahkto.


Sans manger et sans boire, devant les braises du foyer. La paix viendrait, la vérité viendrait. Il ne devait pas lutter contre les pensées qui se bousculaient dans sa tête. Il devait les ressentir profondément jusqu’à ce qu’elles s’épuisent d’elles-mêmes. Il avait été imprudent. Il n’aurait jamais dû laisser les femmes et les enfants sans protection. Il faudrait instaurer des tours de garde, surveiller tous les déplacements des membres du Clan, peut-être même suspendre les bannissements éducatifs. Il frémissait en pensant à Sihtin et son ami Artass, qui auraient pu faire une mauvaise rencontre. Le Bouclier était témoin qu’il aimait ses enfants plus que sa propre vie, mais si la victime avait été l’un d’eux, il se serait senti moins coupable. Il eût été juste qu’il fût puni dans sa chair, puisqu’il était le responsable du Clan. Mais la mort d’un enfant innocent, qui avait défendu sa mère alors que c’était à lui, Roskh, d’assurer la sécurité de tous... cette mort le laissait désemparé, impuissant et rongé de remords.
Comment un être humain, pour barbare qu’il fût, pouvait-il si facilement, si brutalement, si vite, ôter une vie ? Il s’était senti agressé. Mais c’était un enfant, désarmé, sans défense ! Il l’aurait renversé d’une bourrade ! Il n’y avait autour d’eux que des femmes et des enfants ! Cela n’avait pas de sens ! Cela ne s’était jamais vu ! Pas de son vivant, pas du vivant de son père... pas depuis la Grande Mort. Il n’en restait que des légendes tristes qu’on racontait aux enfants pour leur apprendre l’origine des Trois Promesses. Ce fut une guerre acharnée, dont tout le monde avait oublié l’objet, et qui avait laissé les Clans endeuillés et exsangues, épuisés et amers. Les survivants jurèrent que ce massacre serait le dernier, et dans leur sagesse contrite ils adoptèrent les Règles, et la paix s’installa entre les Clans, la paix s’installa dans les familles, et la paix s’installa dans les coeurs. Alors pourquoi les Dieux avaient-ils permis ce meurtre injuste et odieux ? Pourquoi Cayeskh, toujours si souriant, si calme, si serviable ? Pourquoi le fils de Brahel et Calskh, qui ne protestaient jamais, ne médisaient jamais, ne s’économisaient jamais dans les tâches communes ?
Ou alors les Dieux s’étaient désintéressés d’eux. Ou alors les Dieux n’existaient pas, n’avaient jamais existé. Un menteur les avait inventés, un menteur perspicace et intelligent, qui savait que prier donne l’espoir et que l’espoir permet de supporter et de survivre. Eh bien, si les Dieux n’existaient pas, ils devraient se protéger tout seuls ! Et les Esprits ? Les Esprits existaient, de cela au moins il était sûr, son corps tout entier le ressentait jusqu’au plus profond de son ventre. Les Hasko portaient les Esprits, et les Esprits avertissaient du danger, les Esprits étaient Bienveillants.
Et impuissants contre la cruauté des étrangers.
Peut-être était-il temps de quitter le camp, de partir encore plus loin. En abandonnant les Morts ? Et si les Hasko ne les suivaient pas ? Non, les Hasko étaient fidèles...
Jusqu’à quand ?
Fuir, toujours fuir comme des lapins devant le renard ! Etait-ce digne d’un peuple courageux ? Devraient-ils se résoudre à devenir des fuyards, sans cesse traqués sur des routes sans fin, sans foyer, sans racines, exposant les plus âgés et les plus faibles à mourir plus tôt, à être ensevelis n’importe où, au hasard des voyages et des exils ?
Peut-être fallait-il modifier les Promesses, les réserver aux seuls membres des Clans. S’armer de coutelas, d’épées ou de haches. Retrouver l’assassin, faire un exemple, venger la mort de cet enfant en supprimant une autre vie, ou deux, ou dix, ou cent...
Un haut le coeur lui souleva l’estomac.
« Tu ne prendras pas la vie d’autrui », disait la Troisième Promesse. Changer ça, c’était redevenir fauve parmi les fauves, perdre sa dignité humaine, et risquer un jour d’affronter une autre Grande Mort.
Des larmes brûlantes inondèrent ses joues. Toutes les larmes qu’il n’avait pu verser jusque là s’échappaient douloureusement de ses yeux clos, comme si un Dieu cruel les lui arrachait une à une avec une pointe de feu.
C’était trop lourd. Trop de responsabilité, trop de culpabilité, il se sentait misérable et stupide, incapable et faible... Il n’était pas Mahkto. Il n’aurait jamais dû devenir Chef, il n’était pas à la hauteur de cette tâche. La vérité était toute simple : il devait mourir, s’enfoncer un couteau dans le coeur, se punir de son incompétence et de sa légèreté. Cayeskh serait vengé, et lui-même aurait fini de souffrir. Sans doute aucun Hasko ne voudrait porter son esprit, eh bien tant pis, il ne resterait que le silence et l’obscurité, le néant pour l’éternité. Mais plus de souffrance ! Il vit son propre corps gisant à terre dans une mare de sang. Il vit Idoha, sa femme bien aimée, hurlant son désespoir et se tordant les mains, Korh, Renyo et Sihtin, ses trois fils chéris, reculant horrifiés devant le sinistre spectacle. Et il ressentit leur honte à tous devant sa lâcheté. Sihtin n’était encore qu’un adolescent. Quand la vie l’éprouverait à son tour... Cèderait-il aussi, comme son père ? Suivrait-il ce triste exemple dans un moment de découragement ? Il ne suffisait donc pas d’avoir laissé assassiner Cayeskh, il lui fallait aussi pousser son propre fils à sa suite dans le Néant des couards ?
Un sanglot le secoua. Il ne pourrait pas échapper à sa charge. Il aurait voulu être un homme quelconque, n’avoir qu’à suivre et obéir... Ou mieux encore, être Mahkto, se retirer du commandement avec tous les honneurs, après une vie bien remplie. Mais comment accepter qu’un autre dirige, comment obéir simplement quand on a si longtemps été le premier ? Cela lui sembla insupportable. Pourtant Mahkto ne se plaignait jamais, ne le critiquait jamais, ne semblait ni déçu ni aigri... Mahkto n’avait jamais cherché à l’influencer. Il lui avait encore dit le matin même :
« Je te fais confiance. »
Son coeur se calma, mais les larmes reprirent de plus belle, semblables à celles de Brahel, en un flot paisible et continu. Il avait des décisions à prendre, et il les prendrait.
Son peuple était chasseur, il pouvait en faire des guerriers. Il choisirait les plus calmes et les plus sages. Il leur demanderait de s’entraîner au combat. Il en ferait une troupe redoutable afin qu’aucun étranger ne verse plus jamais le sang du Clan. Les étrangers seraient éliminés, un par un, jusqu’au dernier, pour que le Clan continue de vivre en paix. La rivière se teinterait de rouge et ses flots charrieraient des têtes coupées et des membres mutilés. Parce que seul le Clan méritait de vivre puisque le Clan respectait les Promesses !
D’un coup son esprit s’embrasa. Rompant une invisible digue, une immense vague de sang rutilant, tiède et épais le submergea tout entier, lui coupant le souffle. Il se débattit pour refaire surface, tandis que le heurtait le crâne chevelu d’un barbare peinturluré de noir, et une main, et une jambe, puis un courant profond l’entraîna dans un tourbillon sans fin, et il vit passer la tête de Verskya, celle de Mahkto, celle de Sihtin, le torse démembré de sa chère Idoha, et la petite main potelée d’Altya agitée par le sombre flot dans un horrible au revoir...
Il poussa un cri. La vision disparut, le laissant haletant, courbatu, douloureux dans ses reins, son front et ses jambes. Enfin un souffle profond envahit ses poumons d’une fraîcheur nouvelle, et elle fut là, l’immense lumière blanche, la bénédiction et la paix, la communion, la fusion et la joie, la vérité à qui il suffit d’Etre. Et il se sentit réunifié avec le monde, et un sourire bienheureux se dessina sur ses lèvres craquelées, tandis qu’en lui montait la force paisible que rien ne peut compromettre et que rien ne peut altérer.



La clarté du jour l’éblouit quand il sortit de la tente. L’air lui parut vif, piquant, abrupt, et pourtant son corps était inondé d’une douce chaleur. Il cligna des yeux plusieurs fois avant de s’apercevoir qu’un soleil rieur mettait des étincelles dorées sur la première neige. Idoha se leva vivement et lui tendit un gobelet d’eau. Il lui sourit. Il sourit à tous ceux qui étaient là autour de lui, à tous ceux qui arrivaient au pas de course, attirés par la clameur qui avait salué son retour. Il reconnut Mahkto, au premier rang, l’air tranquille et satisfait. Brahel ne pleurait plus, Sihtin dansait sur place, Altya battait des mains, Calskh vint recouvrir ses épaules d’une couverture. Dans le regard de chacun il y avait l’espoir et il y avait la confiance.
« Il faut que tu manges quelque chose », lui souffla Idaho. « Trois jours et trois nuits !
- Plus tard, mon aimée. Ne t’alarme pas, je vais bien. Mes frères », continua-t-il d’une voix forte, « la vérité m’est apparue. Je sais ce que je dois faire, et je le ferai seul. Je partirai demain matin. En mon absence, Mahkto décidera. »
Il ne révéla rien de ses projets, ni à sa femme, ni à ses fils qui le pressaient de questions. Il veilla lui-même au chargement de son âne. Et il partit avant l’aube. Seul.




Le ciel venait à peine de s’éclaircir quand un oiseau blanc se posa sur son épaule.
« Tu es l’Esprit de Cayeskh, n’est-ce pas ? Merci. J’espérais bien que tu serais d’accord. »
Précédant l’âne, il suivit le Hasko qui volait devant pour lui montrer le chemin. La neige avait vite fondu, mais le vent du nord faisait gémir les branches des arbres. Roskh n’avait pas froid. C’était peut-être une folie, c’était peut-être vers la mort qu’il marchait d’un pas assuré. Mais il était en paix avec lui-même. Il avait la conviction, et plus encore, la certitude, que tel était son devoir.
Le deuxième jour, la neige se remit à tomber, l’enveloppant d’un tourbillon brumeux où il ne voyait rien à cinq pas. Mais le Hasko le guidait. Les collines succédaient aux collines, et si les montées étaient parfois rudes, les descentes étaient plus dangereuses ; alors le Hasko lui faisait décrire des lacets pour éviter la pente, et il le suivait en toute confiance.
Le voyage dura presque une semaine, dans la neige et le brouillard, et Roskh ne tremblait pas. L’âne patient le suivait, et il suivait l’oiseau blanc. Enfin un soir, au crépuscule, quand il arriva au sommet d’un raidillon, il vit des feux au bout de la plaine, près d’un bosquet d’arbres nus. Le Hasko lança un cri joyeux, et Roskh sut qu’il était arrivé.


Une quinzaine d’hommes enveloppés dans des capes de fourrure se dressèrent à son approche. Certains tenaient une épée à la main, les autres devaient penser qu’il ne constituait pas, à lui seul, une menace assez sérieuse. Quelques cahutes de branchages, dressées à la va-vite, constituaient le campement. Des chevaux au poil long grattaient la terre de leur enclos de fortune pour extirper de la neige quelques brins d’herbe malingre. Les hommes avaient l’air grave et fatigué. Ils le laissèrent avancer en silence. Quand il fut à quelques pas, avec le Hasko perché sur son épaule, il se mit à décharger son âne, montrant le contenu de chaque sac. Il vit les yeux s’allumer de convoitise, entendit quelques rires étranglés. Enfin il leur fit face.
« Je m’appelle Roskh, du Clan des Hasko. Est-ce l’un de vous parle ma langue ? »
Un homme aux cheveux gris et aux traits tirés, boitant bas, passa devant les autres.
« Moi, un peu.
- J’ai apporté du grain pour vos chevaux, de la farine, de la viande séchée... et de la toile d’ortie... ça permet de rester au sec, au moins pour la nuit... »
L’homme fronça les sourcils et traduisit en regardant fixement un grand gaillard blond qui mit les poings sur les hanches en prononçant quelques mots de son idiome.
« Adventius, notre chef. Il dit : pourquoi ? »
Roskh sourit en montrant ses mains, les doigts écartés.
« Je suis un humain, j’ai cinq doigts à chaque main. Vous aussi. Alors pourquoi je ne vous aiderais pas ? »
Adventius resta silencieux. Ses yeux restaient méfiants sous son air étonné, et sa bouche hésitait. Il avala plusieurs fois sa salive.
« Il a faim », pensa Roskh.
Puis le chef s’inclina et l’invita d’un geste à s’asseoir près du feu, où un jeune garçon leur servit un bol de tisane brûlante. Le Hasko n’avait pas bougé de son perchoir.



Ils partagèrent le repas, et Ménius, l’interprète, traduisit les réponses d’Adventius aux nombreuses questions de Roskh. Ainsi, ils venaient de l’est, de terres arides où les hommes vivaient de chasse et de pillages. Guerriers, oui, tous des guerriers, seuls les plus forts survivaient, c’était bien ainsi. Mais il arriva que plusieurs tribus s’unirent ; leur camp fut brûlé, les femmes et les enfants massacrés jusqu’au dernier, et ils furent poursuivis, pourchassés, traqués, pendant des jours et des jours ; alors ils se séparèrent en plusieurs groupes, et une cinquantaine d’entre eux se dirigea vers l’ouest. Récemment, un guerrier du nom de Garrius décida de partir encore plus loin, et la plupart des hommes le suivirent. Eux étaient restés. Les chevaux étaient trop fatigués. Les hommes aussi. Mais la neige les avait surpris, c’était dur.
« Nous ne sommes pas des guerriers », déclara Roskh. « Nous respectons les Trois Promesses, et nous vivons en paix, près d’une rivière, à six jours de marche d’ici. »
Adventius pâlit dans la lumière dansante des flammes.
« Nous avons attaqué un camp désert, il y a quelque temps... Près d’une rivière...
- C’était notre camp », répondit Roskh doucement.
-« Et... ensuite... un de nos guerriers a voulu enlever une femme...
- Je sais cela aussi. Autrefois, nous étions comme vous. Puis nous avons chassé la violence de nos vies. »
Adventius hocha la tête.
« Tu es un homme courageux.
- Je n’ai fait que suivre le chemin sur lequel j’ai grandi. Il faut beaucoup plus de courage pour changer de vie.
- Aucune violence ?
- Aucune. Pas de colère, pas de coups, pas de meurtres. Trois Promesses. C’est un choix difficile. Parle à tes hommes. Je repartirai demain. »



Artass faisait la vigie en haut d’un grand chêne. Il cria :
« Des chevaux ! Alerte ! Des chevaux ! Mais... ils viennent au pas... Et devant eux il y a un homme, avec un âne... et un Hasko vole autour de lui. C’est Roskh ! Venez tous, Roskh est revenu ! Mahkto, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce que c’est un piège ? Est-ce qu’on doit fuir ?
- Les Hasko ne mentent jamais, mon enfant. Tu peux descendre. Nous n’avons rien à craindre.
- Mais ce sont peut-être des voleurs... des assassins...
- Et ce sont peut-être des hommes affamés et fatigués. Et ce sont peut-être des hommes qui ont reconnu leurs erreurs et que Roskh guide sur le chemin des Trois Promesses. Cayeskh n’est pas parti en vain, et Roskh est un grand Chef. Regardez, le soleil revient. L’hiver n’est pas fini, mais le soleil revient toujours. Sihtin, vite une ligne pour attacher les chevaux. Artass, va chercher du foin. Amenez les chaudrons sur la place, préparez le cercle de feu, cette année nous aurons deux cérémonies du Retour, et celle-ci sera encore plus belle que la précédente ! »
Narwa Roquen, je coche

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2012-05-14 22:37:41 

 Commentaire Maedhros, exercice n°106Détails
Comm Maedhros ex 106



Pauvres de nous, qui espérions explications et éclaircissements ! Au lieu de ça, le mystère s’épaissit, tandis que le texte bascule franchement dans le fantastique... Que ce soit dans la première partie, où l’on évoque le héros à travers ceux qui lui donnent la chasse, ou dans la deuxième où il apparaît, tout se complique et les questions s’ajoutent aux questions :
- Achigan : la perche truitée ( « celui qui se bat » pour les indiens) : c’est le nom du héros ? ou un nom de code ?
- Où en sont-ils de leurs enquêtes ? Cartwright est-il venu à Marseille par une simple coïncidence ?
- Comment le héros peut-il être soupçonné dans des disparitions alors qu’il n’y a pas de scène de crime ?
- Le chiffre vertigineux des disparitions nous fait basculer dans l’irréel...
- Quel rôle a joué le prêtre dans la vie du héros ? Comment a-t-il pu tout gâcher ?
- Est-ce qu’il le tue par vengeance, par compassion, ou par habitude ?

Un Ange de la Mort traqué par deux policiers, qui découvre qu’il a une fille de vingt ans... Ca laisse pas mal de possibilités pour la suite...


Bricoles
- entre 25 et 40 ans : c’est vrai que maintenant les hommes mettent des crèmes anti-rides parce qu’ils le valent bien... mais la fourchette me semble large !
- il pourrait passer : il aurait pu
- une ... tour semblant veillait : veiller
- le soir se faisait fait plus profond
- si vous ne voyez pas d’inconvénient : n’y voyez
- il devait réagit : réagir
- je me rappelle encore de ces points : je me rappelle ces points, ou je me souviens de
- est-elle venue de voir : te


Bluffante, la théorie de la SES, qui nous fait naviguer du jeu à la génétique, en passant par la politique et le comportement humain ( trahison ou coopération ?) ! Et l’application aux tueurs en série... grande classe ! Après ça on a une bonne migraine, mais on a l’impression de se coucher moins bête... et en même temps assez déboussolé par tant de similitudes entre des univers qu’à priori tout sépare. Dans un texte fantastique, ça accentue le côté déstabilisant et c’est donc une très bonne idée. Accroche-toi, lecteur, je pressens encore pas mal de turbulences dans la suite... Mais bon, n’est-ce pas ce que nous souhaitons tous ? That’s entertainment !
Narwa Roquen, Google est mon ami!

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2012-05-18 18:48:44 

 La vérité est ailleurs...Détails
Oui, cette histoire réserve encore bien des surprises. J'en connais la fin (encore heureux, pourrais-tu me dire!) mais pour l'atteindre c'est pire que le paradoxe de Zénon. Le prêtre s'est auto-greffé dans l'intrigue pour ainsi dire.

Pour les points que tu abordes :

- Achigan : c'est à l'évidence un poisson assez spécial. Comme sur cette page! .

- La venue du profiler: elle n'est pas fort(r)uite même s'il ne suit pas exactement Romain.

- Le chiffre vertigineux des disparitions nous fait basculer dans l’irréel... : en fait, ce sont les chiffres réels publiés par le FBI.. qu'on peut voir ici!. Je voulais dire par là que vu le nombre de disparitions annuelles recensées aux USA, le FBI croit de moins en moins à l'existence d'un serial killer comme le prétend le profiler. Pas de corps. Pas de mode opératoire classique que suit habituellement le criminel.

- Quel rôle a joué le prêtre dans la vie du héros ? Comment a-t-il pu tout gâcher ? : je pensais que cela serait assez "transparent!".

- Est-ce qu’il le tue par vengeance, par compassion, ou par habitude : je ne crois pas que ses motivations soient aussi claires que ça.

Enfin, c'est ce qu'il m'a dit.

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2012-06-10 11:30:44 

 Paix sur la Terre aux hommes de bonne volontéDétails
On dit que l’homme est souvent jugé sur ses actes. A mon avis, c’est un peu réducteur. L’homme doit être jugé sur ses choix, les actes n’étant que des conséquences. Mes maîtres penseurs auraient sans doute formulé ceci d’une bien meilleure façon.

Dans le prolongement de la première partie qui a ébranlé l’harmonie du Clan, son chef est à l’un de ces carrefours, un qui déterminera le destin du groupe d’humains dont il a la responsabilité. Il sera tenté de suivre une fois facile en rejetant le credo ancien. Mais Mahkto a vu juste, Roskh ne faillira pas. Il empruntera la voie la plus longue, la plus difficile, transcendant l’émotion, mais qui, au bout, se révèlera la plus noble.

La consigne est effectivement respectée. La mort du jeune garçon a permis à Roshk de prendre une nouvelle dimension et a conduit le Clan à accueillir d’autres membres. Les réflexions et les doutes du chef sont très bien observés. Les images sont très évocatrices (la veillée funéraire, la vague de sang, la neige et les paysages en général) et la progression de la vérité qui chemine dans l’esprit du chef est équilibrée jusqu’à la « révélation » finale.

Juste une remarque : j’ai l’impression que Roshk sort à deux reprises de sa tente. La première quand il veut attendre Mahkto afin de lui parler le plus tôt possible. La seconde après que la voie à suivre lui ait été révélée.

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2012-06-12 20:35:48 

 Plus que deux fois!Détails
... puisque dans la nuit, il ne peut s'empêcher d'aller faire des rondes dans le camp pour vérifier que tout va bien. Mais dans le texte , je n'ai dit qu'une fois qu'il sortait, quand il a fini de méditer.
Narwa Roquen,il est passé par ici...

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Onirian  Ecrire à Onirian

2012-06-20 15:54:13 

 WA-Exercice 106 - Mort d'un personnage suite.Détails
A la bourre pour la suite, mais elle arrive quand même ;-))
Pour rappel, le début est .
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Dick Tales


* * *


Paire de gants, paire de bottes, paire de claques.

Les gants, c'était les mains de Julie, la première fois que Cassie l'avait vue. De long gants désuets, du genre qu'on porte dans une soirée mondaine, remontant jusqu'au dessus du coude. Sauf qu'elles étaient dans une sorte de braderie géante, elle avait un T-shirt, un jean et cette paire de gant décalée, chinée pour une demie piécette.
La paire de bottes, c'était une dispute, elles en voulaient toute les deux, Cassie avait gagné, puis les lui avait données.
La paire de claques, c'est ce qu'on éprouvait au quotidien. Julie avec ses idées simplistes, toujours étonnée de ses conséquences. Sa beauté un peu brut, ses manières un peu brutes. C'était aussi ce que Cassie voyait à terre. Cette tête avec un trou béant, d'où aurait du sortir une logorrhée d'idées idiotes plutôt qu'un filet rouge.
Dans le café, personne ne bronchait. Une fille au sol, et Marc.
Non.
Marc avait disparu. Aucune trace rien.
Cassie releva les yeux vers John, qui se retourna et sorti du café, probablement pour rentrer chez lui. Pas concerné. Circulez, y a rien à voir. Le monde s'écroule et personne n'en a rien à foutre. Et ça voulait dire quoi ce Grouille putain ! que Marc avait lâché avant de se tirer une balle ?

* * *


Cassie était allongée dans le lit de Julie. Sans elle, évidement. Des hommes en noirs étaient venus, avaient emporté le corps, nettoyé la tache de sang, et plus personne ne semblait savoir qu'elle avait existé. Plus personne, sauf Cassie, bien sûr. Est-ce qu'il n'y aurait pas du y avoir une enquête ? Qu'on lui pose des questions au moins ? Un enterrement ? Et Marc ?
Le monde ne tourne pas rond ma fille. Tu le sais, tu le sens. Mais c'est quoi le vrai truc qui cloche ?
L'absence.
L'absence de douleur, l'absence du corps de Marc, l'absence de réaction de l'univers.

* * *


John faisait les cents pas dans son appart, désemparé. Du bout des doigts, il tenait une bouteille de vodka presque vide, buvant une gorgée de temps en temps. Son esprit était confus. Il aurait du se souvenir d'un truc très important, quelque chose qui s'était passé chez Roger. Un truc choquant, comme voir une fille se faire violer. Il s'arrêta de marcher un instant, regarda son entrejambe. Non, déconne pas, t'as rien fait. Et le flingue alors ? Oué le flingue... celui qui est dans ma poche. Il me fait flipper, je dois m'en débarrasser. Le donner à quelqu'un. Qui ? Cassie bien sûr, qui d'autre ?

* * *


Tête à tête avec la cave à vin de Julie, une espèce de placard moche à température constante contenant juste du bourbon, du whisky et de la vodka. Cassie ne comprenait rien. Elle se repassait les évènements en boucle, sans saisir le détail, l'instant du dérapage. Tout fout le camp, toujours. J'ai l'impression d'être en prison. Une immense prison, tout autour de moi. Une rasade de plus. Cassie pris le pistolet et le jeta par la fenêtre. Et si j'allais le rejoindre ? Grouille putain. La voix de Marc dans ma tête. Tout était mêlé, tellement embrouillé. Marc était présent. Je veux dire... plus que les autres. Alors pourquoi a-t-il disparu si complètement ?
La porte sonna. Cassie se leva et alla ouvrir. De l'autre côté, John qui lui tendait, tenu par le canon, son arme.
- Tiens, tu en as besoin.
- Pourquoi j'en aurai besoin ?
- Aucune idée. Au revoir.
Il se retourna.
- Attends ! Tu n'as rien d'autres à me dire ?
- Si... "Souviens-toi". Mais je ne sais pas ce que ça veut dire. Au revoir.

* * *


Cassie resta seule sur ce palier, pistolet en main, avec, chevillée au corps, la certitude que les paroles de John étaient les bonnes. Mais me souvenir de quoi ? Et Julie... Julie...
- Salut ma puce.
Cassie se retourna brusquement. Il n'y avait personne, juste son imagination. Je deviens folle. Julie, que ferais-tu à ma place ? Tes idées étaient simple à comprendre, à suivre. Tu aimes ou pas, toujours en ligne droite.
Quelle est la distance la plus courte entre aujourd'hui et demain ? Le plaisir sans gène, quitte à faire un détour par le désir. Le monde se délite. Prise d'une intuition étrange, Cassie alluma la télé. Neige. Play, qu'est ce qui est dans le lecteur ? Sur l'écran apparu la tête de Julie, encore elle.
- Salut ma puce. Sujet de philo - elle avait horreur de la philo - peut-on souffrir quand on...
Neige à l'écran. Cassie tenta une nouvelle lecture, mais rien. Plus rien. Le pistolet était posé sur la table basse. Bam, la télé explosa en une gerbe d'étincelles. Une manière de tuer à nouveau ?
Souviens-toi.
Qu'est-ce que j'ai oublié ? Idiota. Foolish. Studip.

Bordel, mais pourquoi est-elle morte ? Pourquoi Marc, ce Marc si présent quand il était dans une pièce, si intelligent, pourquoi cet andouille a buté mon amie ? Mon ancre à la raison ? Mon pilier ?
Parce qu'elle était mon ancre à la raison, mon pilier.

Souviens-toi, le goût de la viande. La texture des fibres sur la langue. Ton enfance, les jeux, la vie. La douleur.
J'ai trouvé.

Cassie se mit le flingue sous le menton et tira, éclaboussant le poster de Muse avec des gerbes de cervelle, de sang, et d'os brisé. Julie aurait fait la tronche. Tant pis.

* * *


- Cassie ? Cassie ? Tu m'entends ?
Cassie entendait.
Elle ouvrit les yeux, la pièce était familière. Sur le mur, un poster de Muse, impeccable. Devant elle, Marc. S'il est là alors...
- Julie ?
- C'était un PNJ. Un peu trop bien codé si tu veux mon avis. Tu t'étais trop attachée à elle. Ainsi qu'à John.
- John ?
- PNJ aussi. En fait, tout le monde. Sauf moi. Tu te souviens maintenant ? Tu rentres dans le jeu, mais tu dois décider toi même d'en sortir, sinon tu restes coincée dans les limbes numériques, et tu oublies. Bravo, tu as réussi. Et juste à temps. Ton cerveau commençait à déconner grave, j'ai eu peur qu'il y ait déjà des lésions.
- J'ai mal à la tête.
- T'inquiète, ça va passer.
Julie pris son casque, l'ôta, et se leva tant bien que mal. La pièce où elle se trouvait était toute petite, avec des instruments partout, machines étranges, ordinateurs, électrodes, encéphalotruc... Et sur la petit table, à côté du clavier...
- D'où il vient ce flingue ?
- Pour te sortir de là, il fallait que j'agisse sans te révéler mes raisons, sinon je risquais de provoquer un rejet. Alors j'ai envoyé quelques stimulis aux PNJ, et il te fallait un moyen de mourir. Pour lui donner de la consistance dans le jeu, j'en ai acheté un vrai.
Cassie s'approcha de la table, et le soupesa. Exactement le même.
- Tout était faux ?
- Les émotions étaient vraies, mais l'univers et ceux que tu as croisés sont issus d'algorithmes un peu couillus.
- Toi non plus tu n'es pas réel.
- Quoi ? Non !
Cassie leva son arme et tira. Marc s'écroula. Puis elle posa le canon sous son menton, en prenant bien soin de de placer juste à côté du poster de Muse, pour l'éclabousser le plus possible. Julie.
Bam.

--
Onirian, Dickien.

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z653z  Ecrire à z653z

2012-06-26 15:53:24 

 suite et pas fin, c'est sûrDétails
L'impact déterminant de la mort de sa mère dans la suite de l'intrigue ne sera révélée qu'au(x) prochain(s) épisode(s).

"Ta mère se tait à mon propos" -- j'aurais mis cette phrase au passé composé.

C'est très bien écrit, les nouveaux personnages s'imbriquent naturellement dans l'intrigue.

Sinon, on attend la suite (et surtout la fin) car le mystère s'épaissit un peu.
En même temps, demander à Maedhros de ne faire que deux épisodes, c'est aller contre sa nature.

PS : ce commentaire vaut pour les deux parties

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z653z  Ecrire à z653z

2012-06-26 17:12:00 

 Il a réussi !!Détails
ça ressemble un peu à eXistenZ avec le côté jeu trop immersif et la mise en abîme.
Et tout est cohérent quand on lit le dernier paragraphe.
Dans la première partie, j'avais juste soupçonné Marc d'avoir donné un flingue à tout le monde et encore j'en étais même pas sûr.
Et quand j'ai appris que Marc s'était suicidé... sans laisser de traces, j'ai abandonné mes réflexions pour lire cette partie le plus vite possible.
Superbe !

PS : le jeu de mots avec Dick Dale est-il fortuit ?

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z653z  Ecrire à z653z

2012-06-26 17:22:56 

 La mort était plus important que le mortDétails
Avec cette suite, peu importait qui mourait.
Et me voyait bien embêté pour deviner qui doit mourir avant la fin de la première partie.
Le cheminement des pensées du chef est bien décrite.
On s'attend à ce qu'il fasse un geste vers ces guerriers quand il part seul après avoir beaucoup douté. Mais c'est si bien raconté et ça fait chaud au coeur.

PS : ce commentaire vaut pour les deux parties

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Onirian  Ecrire à Onirian

2012-06-27 10:22:13 

 Simulacron IIIDétails
eXistenZ, Inception, Simulacron III...
Oui, le lien avec Dick Dale est fortuit. En fait, le titre fait évidement référence à Monsieur Philip K. Dick, qui aime jouer avec les niveaux de réalité.

--
Onirian, ici, là, et/ou ailleurs.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2012-06-27 13:17:25 

 Faut-il armer les Sims?Détails
J’avais laissé passer les 2 textes, mea culpa. C’est en lisant la critique de Z que je m’en suis aperçu. J’ai donc décidé de rebrousser chemin et réparer cet oubli .

La lecture des 2 textes dans leur continuité permet de les mettre dans leur perspective. Et notamment le caractère assez binaire de Julie par exemple (pas de nuances, c’est blanc ou noir, 0 ou 1) que vient à l’évidence éclairer l’explication finale.

La confusion réel/virtuel est très bien rendue, les repères sont flous et minimalistes. La construction des phrases, hachées, répétitives pour certaines et les dialogues renforcent cette sensation de déséquilibre et de désorientation. Le style est vraiment bon. Les décors sont épurés façon sim’s, il n’y a d’ailleurs que des intérieurs (bar, appartement...). L’ambiance également est sympa. Elle a ce côté glacé, presque figé... comme dans ces rêves dans lesquels on se débat avec une conscience élastique et fuyante de la réalité.

On pense bien sûr à « eXistenZ » mais aussi à « Passé virtuel », un autre film sympa qui emprunte les mêmes chemins tortueux (la phrase code). Les personnages non joueurs (John & Julie) sont également une trouvaille intéressante qui brouille les cartes...Et la référence du titre (sympa) à Philip K Dick ne peut pas me déplaire, étant un fan absolu de cet auteur qui nous a livré tant de textes somptueux sur les apparences et la réalité.

La fin est originale, le réel se contorsionnant pour se conformer au rêve...De toute façon, j’aime pas MUSE !


Au rayon des bricoles :

Texte 1 :
- « officiellement, soutient » : ...officiellement, soutien (avec un t c’est le verbe).
- « les petits doigts de pieds ont été programmé.... » : ont été programmés.
- « Elles partirent, sans s'être embrassée, chez Julie, soutient... » : ... s'être embrassées, chez Julie, soutien..
- « John, téléphone en main, faisait les cents pas : » :... les cent pas
- « quand j'imagine tes sales pates sur ses petits seins, je voudrai t'étrangler » : ...sales pattes...je voudrais t'étrangler

Texte 2 :

- « et cette paire de gant décalée.. » : et cette paire de gants..
- « Sa beauté un peu brut » : Sa beauté un peu brute
- « ...John qui lui tendait, tenu par le canon, son arme » : . ... tenue par le canon, son arme.
- « Pourquoi j'en aurai besoin ? » : ... j'en aurais besoin ?
- « Tu n'as rien d'autres à me dire » : ...d'autre à me dire
- « Tes idées étaient simple à comprendre » : ...étaient simples à comprendre
- « , en prenant bien soin de de placer juste » : ...de se placer juste

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2012-07-06 22:24:49 

 Commentaire Onirian, exercice n°106Détails
Bizarre, vous avez dit bizarre ? Le concept rappelle un peu « Inception » et ses manipulations hypertechnologiques qui font mélanger le virtuel et le réel, jusqu’à la folie. Ce qui finalement est plutôt rassurant. Je veux dire : le lecteur, pour peu qu’il s’identifie à un personnage ( Cassie en l’occurrence), se dit qu’à sa place il deviendrait fou. Et c’est bien ce qui arrive, ouf ! Enfin, ouf... c’est quand même bien dommage... ah oui mais c’est vrai, ce n’est qu’un personnage... Autant on rame dans toute l’étrangeté de l’histoire, autant la fin, inattendue et assénée comme un coup de poing, est très forte et sans appel. Et effectivement ( le titre est bien trouvé), c’est bien dans la veine de Ph. K. Dick, qui me laisse toujours perplexe quand ce n’est pas mal à l’aise...


Bricoles :
- et cette paire de gant décalée : gants
- elles en voulaient toute les deux : toutes
- sa beauté un peu brut : je comprends bien que tu as voulu jouer sur les divers sens de « brut » ; mais c’est un pauvre adjectif, qui a le devoir de s’accorder... et ton effet tombe à l’eau. Alors pourquoi ne pas essayer « sa beauté à l’état brut », « sa beauté comme un champagne brut » etc...
- D’où aurait du sortir : dû
- Qui se retourna et sorti du café : sortit
- sans elle, évidement : évidemment
- des hommes en noirs : noir
- est-ce qu’il n’y aurait pas du y avoir : dû
- Il aurait du se souvenir : dû
- Cassie pris le pistolet : prit
- Pourquoi j’en aurai besoin : aurais
- Tu n’as rien d’autres à me dire : autre
- Le plaisir sans gène : gêne (= malaise) ; le gène, c’est dans les chromosomes
- Sur l’écran apparu : apparut
- Foolish. Studip : je suppose que c’est « stupid »
- Cet andouille : même si ça désigne un homme, ça reste féminin : cette andouille
- Julie pris son casque : prit
- Et sur la petit table : petite
- En prenant bien soin de de placer : de se


Le style est hyperréaliste, accentuant les détails et jouant sur les associations d’idées, comme dans les rêves. En résumé, un style onirique... Quelqu’un devait oser, je l’ai fait, je coche !
Décidément, tu ne manques pas de cordes à ton arc. Tu navigues de la fantasy au fantastique, en passant par la SF pure et dure... Je ne peux que m’incliner devant ce talent de caméléon !
Narwa Roquen,de plus en plus en retard, et de plus en plus désolée...

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