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 WA, exercice n°133 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 3 juillet 2014 à 23:07:41
C'est l'été! De longues semaines de soleil (et des orages...), des vacances, des balades, des siestes, des confitures, de longues soirées à regarder doucement la nuit venir, le calme, les grillons ( les moustiques...). Et du temps libre! Pour lire, pour rêver, pour écrire! Alors là, il nous faut du top, du lourd, de l'or en barre!
Imaginez... une nouvelle d'heroic fantasy, avec des chevaux, des combats, un Monde sans cesse tiraillé entre les forces du Bien et celles du Mal, où se côtoient des créatures monstrueuses et de petits êtes attendrissants... Avec de vrais méchants, des Héros généreux et intrépides, la magie à chaque détour de chemin et un décor de rêve, plaines immenses, ruisseaux chantants, bois enchantés et montagnes vertigineuses... Et en prime un questionnement éthique et un vrai style soutenu... Ouaaafff! Une sorte de petit bijou moyenâgeux...
Et pour corser le tout, imaginez qu'on commence par le milieu, qu'on flashe-back sur le début et qu'à la fin on ait une grosse surprise... Voilà qui devrait vous occuper ... et nous réjouir!

Vous avez jusqu'au jeudi 4 septembre.
Profitez de la vie, ressourcez-vous, revenez aux choses essentielles: les gens qu'on aime, les choses qu'on aime... J'ose espérer que l'écriture en fait partie...
Bon été à tous.
Narwa Roquen, voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches...


  
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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2014-09-14 20:23:12 

 WA - Participation exercice n°133Détails
Le cadeau d’Héméra


La bande-son d'ouverture

La porte donnant sur la galerie extérieure s’ouvre. Un homme émerge à l'air libre. Le soleil n’est pas encore levé mais une clarté frissonnante embrasse déjà les sommets des gratte-ciel du centre ville. L’homme se dirige vers l’endroit qui fait face à l’océan, à l’ouest. Dans son dos, une mince bordure de feu embrase peu à peu la ligne montagneuse qui domine la cité d’émeraude endormie.

Il se tient sur la plus haute construction érigée dans la ville. L’Aiguille de l’Espace. Sans qu’il ait besoin de le vérifier, il sait que beaucoup d’autres se sont postés également sur les épaules des géants de pierre, même s’ils n’apparaissent sur aucun écran de contrôle.

Plusieurs minutes s’égrènent. Les ombres se décalent lentement sur les façades de verre et d’acier pendant que l’orbe solaire glisse par-dessus les crêtes éloignées. Les rayons obliques de l’astre levant rejoignent l’océan près de la ligne d’horizon, traçant une sorte de chemin lumineux si rectiligne qu'il semble défier la courbure terrestre. Inaudible sous le tumulte de la ville qui s’ébroue, une prière s’échappe de toutes les lèvres mi-closes, prononcée en une langue mélodieuse, oubliée depuis longtemps.

Puis le soleil passe un point invisible dans sa trajectoire incurvée vers le zénith. La lumière devient plus dense, ce qui en altère subtilement la transparence. La route scintillante s’efface rapidement sur les flots, ponctuée d’un soupir de déception poussé par ceux qui patientent au sommet des buildings. Le moment est passé. Il n’y a plus rien à attendre du jour nouveau. L’été s’achève bientôt et, avec lui, l’espoir de quitter cette terre inhospitalière.

Il voit ses semblables refluer lentement vers les bouches ombreuses qui les avalent les uns après les autres. Leurs rangs semblent s’être encore clairsemés. Il n’en tient plus le compte, alors que cette charge lui revient. Il a décidé de ne plus coucher sur le vélin consacré les noms de ses frères et de ses soeurs qui ne sont plus. Il était rongé par le sentiment insidieux de n’être que le fossoyeur attitré d’un immense cimetière. Cela fait longtemps qu’il a oublié l’utilité de ce décompte morbide.

Comme chaque matin, elle est la dernière à regagner les entrailles de la ville. Elle esquisse un léger sourire. Juste pour lui. Elle l’attendra dans la station de métro. Cette idée inonde son coeur d’une joie incoercible, même s’ils devront survivre une nuit supplémentaire, héros invisibles et sans gloire, pour gagner le droit de guetter une nouvelle fois l’horizon marin au petit jour.

Sur la carte plastifiée de son permis de conduire est inscrit le nom de John Ingmar Valdemarsdotter. Il a les traits et la stature des colons suédois qui franchirent l’océan pour s’installer dans le Minnesota, la terre de la glorieuse Nouvelle Scandinavie. Il habite un petit deux-pièces dans un bloc à loyer modéré d’une banlieue ouvrière, prisonnière du maillage autoroutier qui irrigue Seattle.

Il se hâte de redescendre. Le Skycity, le restaurant qui culmine à cent quatre vingts mètres au-dessus du sol, est prêt pour accueillir bientôt ses premiers visiteurs. En sortant de l’ascenseur, il remise son chariot de ménage dans le local technique et traverse le parc d’attractions qui entoure l’Aiguille de l’Espace. Les traces des combats nocturnes ont disparu. Les corps aussi. C’est une matinée ordinaire qui commence pour la ville. Un autre jour au paradis. Les manchettes des journaux ne relateront pas ce qui s’est passé durant la nuit. Cela n’a pas existé. John lâche encore un soupir. Il n’en a jamais été autrement. Dans le lointain, le Mont Rainier s’élève, majestueux, au-dessus des sapins d’Oregon qui déboulent, en vagues serrées, des hauteurs environnantes.

Il descend dans la station de métro de Republican Street. A cette heure, il n’y a pas grand monde sur le quai. Il la cherche du regard. Elle est là, aussi belle qu’hier et que les jours précédents. Les milliers et les milliers de jours qui se sont succédé depuis que le soleil se meurt, cloué au centre de la révolution copernicienne. Elle est vêtue simplement, comme toutes les autres femmes de ménage qui attendent l’express de 5 heures. John ne s’arrête pas à cette apparence. Ses yeux, qui ont la couleur changeante de la haute mer, scrutent bien plus profond. Il voit briller en elle une flamme éternelle qui disperse sans peine la grisaille de ces lieux souterrains. Son coeur bat plus vite quand elle vient à sa rencontre.

Ils s’enlacent au milieu du quai, se moquant des regards étonnés ou gênés. L’amour n’est guère glamour en salopette de travail et sans maquillage. Eux mesurent la chance d’être en vie. Ils se moquent de cette indifférence ignorante qui ne les crédite d’aucun remerciement. Dans les bras de celle qu’il aime, John sent naître en lui le faible écho de ce qui fut. Le quai et la lumière froide des néons, l’air confiné et les relents de caoutchouc brûlé cèdent place à la magie d’un sous-bois odorant baigné dans la pâle clarté lunaire. Un ancien monde disparu. Leur terre. A jamais perdue.

Le vacarme métallique de la rame qui freine devant eux les arrache à leur étreinte. Avec une grâce inattendue et une souplesse toute féline, ils franchissent le seuil de la voiture. Certains passagers remarquent, sans y prêter beaucoup d’attention, que l’éclairage vacille une demi-seconde, hoquette et enfin se rétablit. John dépose un chaste baiser sur les lèvres d’Ophélie et lui murmure à l’oreille :

« Tu m’as manqué ! »

*


John tourne le robinet et l’eau se déverse sur lui. Ses muscles sont perclus de fatigue. Sa peau est marbrée des contusions qui se ternissent légèrement. Une longue estafilade lui entaille le flanc quand il détache en grimaçant la bande de tissu qu’il a utilisée pour stopper le sang. Il s’en est fallu de peu, cette fois-ci. Il applique l’onguent déjà préparé, sans se soucier de l’eau qui ruisselle dessus. Il en badigeonne longuement la plaie à vif. Cela diffuse une chaleur réparatrice qui anesthésie aussi la douleur. Ce soir, il sera prêt à nouveau. Il le faudra bien. Il ferme les yeux pour délasser son esprit, comme son corps sous le jet qui l’enveloppe dans une énergie vivifiante.

« Tu mets bien trop de temps ! »

Elle le rejoint sous la douche. Il sent le contact de sa peau nue sur la sienne et cela l’électrise. Elle se presse tout contre lui, réveillant lentement son désir. Dans la petite cabine envahie d’une vapeur d’eau complice, ils font l’amour doucement, longuement, sans bruit, comme des amants clandestins qui réapprennent leurs caresses après une éprouvante absence.

Plus tard, il referme les volets, plongeant la chambrette dans une semi-obscurité moite. Elle défait le lit, répétant un rituel qu’ils acceptent faute de mieux. Il n’est pas midi quand il la rejoint sous le drap où, vaincus par cette pesanteur de l’être qui les accable depuis si longtemps, ils se réfugient dans un sommeil factice. Ce n’est pas un sommeil normal, ils n’en ont pas besoin. Mais il abrège le temps, ce temps qui les emprisonne et les étouffe. Ce temps qui les condamne à attendre.

Bientôt il rêve d’une clairière éloignée. En fait, il convoque un souvenir, comme chaque nuit, pour ne rien oublier.

Une rivière éclabousse les rochers qu’elle contourne en pépiant sans fin une chanson fraîche et rapide. Il est près d’un gué. Dans le ciel, un jeune soleil arrache des reflets argentés au fil de l’onde. John est accroupi sur la berge, fouillant du regard les profonds taillis qui encombrent l’autre versant. John ? Non ! Il est enfin lui-même. John n’est pas son véritable nom. Mais sa mémoire lui joue un tour. Cela devient de plus en plus fréquent. Il s’appelle... il s’appelle....

« Que vois-tu, Lenwë à la vue perçante ? Parle, cela fait des lieues que nous chevauchons dans la forêt. Nos ennemis nous ont-ils distancés ? Devrons-nous nous présenter bredouille devant le Roi ? Le Seigneur de la Septième Porte, Ecthelion de la Source, en serait contrarié. Il est rare que les Orques s’aventurent si près du Royaume Caché. Ceux-ci avaient peut-être un but qu’il nous faut découvrir ! »

Lenwë. Lenwë est son nom. Oropher, le capitaine de la Maison de la Fontaine, commande la petite troupe. Elle a été dépêchée par Ecthelion à la poursuite de la bande d’Orques repérée par les sentinelles postées sur les crêtes qui entourent Gondolin. Lenwë est son nom. Il se promet de ne plus l’oublier. Comme à chaque fois.

« Il y a des traces du passage d’une dizaine d’Orques, Oropher ! Elles sont visibles malgré le soin mis à les effacer. Les Orques ont traversé un peu en amont, là-bas, près de ces rochers. Ils ont ensuite longé la rive jusqu’ici. Puis ils ont gravi cet escarpement. Ils n’ont pas été plus loin. Ils attendent. Ils sont fourbus, nous les avons serrés de trop près pour qu’ils puissent envisager une autre option. Non, Oropher, nous ne les avons pas perdus... bien au contraire... préparez-vous à... »

Il n’a pas le temps de finir sa phrase. Une flèche se fiche sèchement dans la poitrine d’un cavalier. Celui-ci s’affaisse sur son cheval qui se cabre en hennissant. D’autres traits s’abattent sur les Elfes de Gondolin, semant la confusion. Oropher crie un ordre. A ses côtés, deux autres gardes s’écroulent, atteints par les sinistres flèches empennées de noir et de rouge. Lenwë, toujours accroupi, se protège tant bien que mal derrière son bouclier. Il est très exposé sur la berge. Il y a, à l’évidence, bien plus qu’une dizaine d’Orques. II recense des mouvements sur la crête qui les domine, trop nombreux pour être comptés. Une armée, ou son avant-garde, est rassemblée sous les futaies, les sous-bois et au-delà. Les Elfes ne sont pas tombés dans un piège. L’Ennemi ne concentrerait pas autant de forces pour un si maigre butin. Comment se fait-il qu’il n’ait rien remarqué, lui, le pisteur infaillible?

Un sortilège plane au-dessus de la rivière. Oui, un puissant sortilège est à l’oeuvre. Il n’y a jamais eu de piège. Lenwë scrute plus intensément le coteau opposé de la rivière. Blêmissant sous l’effort, à l’extrême limite de son champ de vision, il peine à deviner d’autres silhouettes. Ce ne sont pas des Orgues. Trop grandes. Elles attendent sous les saules, presque invisibles derrière le voile de protection tissé par quelque sombre incantation. D’autres détails se révèlent encore plus fugitivement. Les cimes des arbres, qui dépassent la ligne de crête, semblent ployer comme si quelque chose de monstrueusement lourd s’y frayait un passage en rampant. Lenwë entrevoit la réalité. Il se retourne vivement et, d’une voix de stentor, fait voler en éclats le silence trompeur :

« Oropher, il faut décrocher... Ce n’est pas un piège. Il n’y a pas que des Orques. Nous sommes tombés sur l’avant-garde d’une forte armée ! Il y a aussi au moins un puissant sorcier. Oropher, il faut prévenir Turgon. Gondolin court un grave danger ! Oropher... »

Mais le Capitaine de la Maison de la Fontaine gît, la gorge transpercée, dans les hautes herbes de la berge. Les Elfes survivants ont réussi à mettre pied à terre et reculent, essayant de se mettre à couvert derrière les arbres. Un seul est encore en selle. Il a entendu l’avertissement que Lenwë a adressé à son capitaine. Malgré les flèches et les silhouettes menaçantes qui apparaissent entre les troncs, il murmure quelques mots à l’oreille de son cheval qui s’élance au galop en direction des montagnes. Plusieurs traits ricochent sur le bouclier qui protège son dos.

Lenwë adresse une courte prière à Oromë, le Grand Chasseur Vala. Pas pour lui, ni pour ceux qui sont à ses côtés. Leur destin semble scellé. Mais pour celui qui tente de rompre l’encerclement pour délivrer son message au Grand Roi du Royaume Caché.

Le rugissement discordant d’une trompe s’élève au-dessus du tumulte. Elle appelle à la curée. Surgissant de tous côtés, les Orques accourent, leurs formes repoussantes contrefaisant la grâce elfique. Ils sont innombrables. Un Elfe, par bravade, embouche son cor et en délivre une seule et longue note. Une note puissante, limpide et fière, file droit vers l’azur. Cette note indomptable et inaltérable affirme le triomphe du Beau sur le Laid et du Bien sur le Mal. Mais elle s’éteint brusquement quand une hache impitoyable s’abat sur le porteur du cor.

Lenwë hurle de rage. A son appel, ses compagnons le rejoignent pour former un cercle. Ils s’apprêtent à vendre chèrement leur vie. Leurs armures rutilent d’or et d’argent et leurs capes, bleues ou vertes, rappellent qu’ils appartiennent à la Maison de l’Arbre et à celle de la Fontaine. L’instant est exaltant. Ne sont-ils pas des Noldor de Gondolin, ceux qui ont vu briller la lumière pure des Silmarils ? Ne servent-ils pas fidèlement Turgon, leur Seigneur, le fils du Grand Roi Fingolfin, depuis les rives d’Aman, sans jamais faiblir ni se renier? N’ont-ils pas survécu au long voyage à travers les glaces de l'Helcaraxë ? N’ont-ils pas assisté, émerveillés, au premier lever du Soleil ? Ils sont braves et intrépides. La prodigieuse force des Premiers Nés coule intacte dans leurs veines.

Mais Lenwë aperçoit, derrière les premières lignes d’Orques, quelques uns des démons à la stature impressionnante. Les Balrogs arrivent. En cet instant, Lenwë comprend que la Cité Cachée, par quelque traîtrise qu’il ne peut concevoir, n’est plus désormais protégée par le sceau d’invisibilité qui perdait sans retour les espions de l’Ennemi dans le dédale de l'Echoriath, le cercle des montagnes. Melko a ourdi son plan machiavélique avec grand soin. La fête de l’été bat son plein sur Amon Gwareth et elle est vouée au chant, à la danse et à la musique. Les remparts sont bien moins garnis qu’en nulle autre période de l’année.

Lenwë crie un nouvel ordre. A l’unisson, les Elfes se mettent en garde, épées levées et boucliers tendus devant eux, se préparant à l’impact. Le choc est terrifiant. Les Orques tentent de rompre la ligne de fer qui s’oppose à eux. Les Elfes résistent fermement. Ils repoussent cruellement les créatures difformes, leurs lames étincelantes taillant sans pitié dans les chairs, malgré les cuirs et les mailles. Dix fois les Orques montent à l’assaut et dix fois, ils meurent aux pieds des Elfes indomptables. Lenwë lit dans les yeux des créatures de Melko, le doute et la peur. Les lames forgées au feu inassouvi qui brûle dans les salles souterraines de la Cité Cachée déciment leurs rangs. Rien ne semble émousser l’ardeur des Elfes et surtout, pas celle de celui qui paraît en être le chef.

Une trompe impérieuse retentit à nouveau. Les Orques interrompent leur charge et s’écartent craintivement, se regardant les uns les autres. De nouveaux combattants avancent entre leurs rangs, lentement, sûrs de leur force, hauts comme deux Elfes. Ils sont armés de fouets aux multiples lanières ardentes et de longues épées semblables à des flammes vivantes. A leur vue, même le plus courageux des Elfes sent son sang refluer vers le coeur. Dans sa main, son épée se fait hésitante. Une quinzaine de Balrogs leur font face. Devant le péril qui les menace, Lenwë sait qu’il doit agir. Alors, il saisit une lance orque tombée à terre et la projette de toutes ses forces vers le Balrog le plus proche. La lance traverse les plaques de corne durcie qui enserrent le poitrail du démon où elle s’enfonce de plusieurs pouces. Le démon ne tressaille pas, ne ralentit pas. Tout en marchant, il agrippe de ses mains griffues la hampe qu’il retire d’un seul coup. Il beugle de défi, découvrant ses ignobles crocs, et fait claquer son fouet enflammé.

Malgré leur vaillance, les Elfes ne peuvent résister à la puissance de leurs adversaires, trop grands, trop forts. Avec l’énergie du désespoir, ils luttent pied à pied mais ils sont contraints de reculer inexorablement vers la rivière. Déjà, plusieurs sont tombés sous les coups des Balrogs. Le cercle se fait plus étroit. Les démons redoublent de férocité, décidés à en terminer rapidement. Bousculant les boucliers, écartant les épées, ils emprisonnent les derniers Elfes dans une horrible étreinte de feu qui les consume vivants. Seul Lenwë parvient à échapper aux griffes du grand Balrog qui visaient sa gorge. Il descend dans le lit de la rivière. C’est un répit illusoire. Il ne peut aller nulle part. Sur les deux rives se massent des dizaines d’Orques. Leurs arcs sont bandés et leurs flèches pointées droit sur lui. Le Balrog fait un signe. Les arcs s’abaissent. Le démon veut sa victoire et le coeur de son ennemi. Il s’avance à son tour dans la rivière, son épée flamboyante levée haut.

Soudain, un grondement se fait entendre et l’eau frémit autour des deux combattants. Surgissant de l’amont, une vague immense soulève l’onde, couronnée d’écume immaculée. Ulmo n’a pas oublié. Le Seigneur des Eaux n’a jamais abandonné les Elfes. La vague en furie prend l’apparence d’un grand cheval blanc que monte le Vala. Eclaboussant les deux rives sur son passage, Ulmo tend une main secourable à Lenwë tandis que les sabots de sa monture écrasent sans pitié le Balrog qui disparaît sous la surface à jamais.

« Viens, mon fils, ton destin n’est pas encore écrit dans le grand livre de Nàmo ! Il te reste beaucoup à accomplir ! »

*


(à suivre)

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2014-09-29 00:34:34 

  WA - Participation exercice n°133 (fin)Détails
Le cadeau d'Héméra (fin)


La bande-son idéale.

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Il rouvre les yeux. Dehors, la lumière filtre à travers les volets clos.

Il s’appelle Lenwë bien sûr. Il éprouve de plus en plus de mal à conserver cette information. C’est son nom ancien. Earwen a quitté le lit. Il entend l’eau couler dans la salle de bain. Son regard s’attarde sur les chiffres qui font défiler le temps.

Midi est passé.

Il ne peut s’empêcher de penser que les Hommes sont ingénieux. Il les a vus sautiller au ralenti sur un sol éloigné, leur représentation anthropique de la Lune. C’est une façon inconsciente de conceptualiser le futur. Celui-ci se résumera au vide et à la poussière. Le froid absolu dans un désert stérile. Le rêve de Sauron. Combien de temps Lenwë et les siens pourront-ils en reculer l’échéance? Son coeur et sa raison balancent entre deux aspirations contradictoires, tout aussi irréductibles qu’irréconciliables. La satisfaction de l’une se fera nécessairement au détriment de l’autre.

Dans toutes les fibres de son corps retentit l’appel d’Aman. La nostalgie des jours anciens, ces jours lumineux qui s’écoulaient sous les murailles blanches de Tirion, grandit en lui. Comment oublier la Lumière des Arbres qui baignait les Terres Immortelles ? Il a lu les signes dans les astres. Aman s’éloigne de la Terre à une vitesse qui s’accroît à chaque seconde. Les Hommes ont défini cet état et l’ont traduit en équations. Ils en ont fait un concept de leur théorie cosmologique. Sous le fatras de leurs fausses certitudes scientifiques, une vérité demeure. Aman s’éloigne et bientôt le Royaume Béni sera inaccessible. La dernière route ne sera plus simplement fermée. Elle disparaîtra à jamais.

Earwen sort de la douche, uniquement vêtue de la robe scintillante tissée par les gouttelettes d’eau qui courent sur sa peau, renvoyant mille reflets d’argent. Elle rayonne telle une flamme fluide et vive qui illumine la petite pièce sordide, comme un phare brillant au sein de ces temps crépusculaires. Elle l’attire doucement vers le lit. Entre ses bras, il n’est jamais aussi proche du jardin près de la rivière où ils se sont rencontrés pour la première fois, en Valinor.

L’après-midi touche à son terme.

Les ombres s’allongent sous les passerelles des autoroutes qui sillonnent le ciel de l’autre côté de la vitre. Il sera bientôt temps d’embaucher. Ils vont reprendre seaux, serpillières et balais car les Elfes occupent uniquement des emplois subalternes : veilleurs de nuit, employés de parking, manutentionnaires, chauffeurs de taxi, techniciens de surface, barmen, danseuses exotiques. Ils forment une armée invisible et nocturne, cantonnés au pied de l’échelle sociale. La vindicte de Sauron les poursuit toujours. Ils sont les derniers Elfes de ce côté-ci du continent. Seattle n’est pas loin de l’Alaska, cette étendue hyperboréenne qui leur rappelle tant le désert de glace sur lequel ils ont erré longtemps, perdus dans les brumes, cherchant le chemin qui les conduirait jusqu’à la Terre du Milieu. Ils étaient jeunes alors, jeunes et forts.

Aujourd’hui, ils livrent un combat d’arrière-garde qu’ils savent perdu d’avance. Sauron tient sa victoire. La Terre a changé. Les routes se sont arrondies, revenant désespérément à leur point de départ. Les Valar semblent avoir oublié les Elfes qui n’embarquèrent pas sur les nefs aux voiles blanches, après que la Montagne du Destin eut englouti l’Unique. Tous crurent trop hâtivement que Sauron avait été mis hors d’état de nuire, après que ses attributs de Maia lui eurent été retirés.

N’avait-il pas été écrit qu’il avait forgé vingt grands anneaux de pouvoir :

«Trois anneaux pour les rois Elfes sous le ciel,
Sept pour les Seigneurs Nains dans leurs demeures de pierre,
Neuf pour les Hommes Mortels destinés au trépas,
Un pour le Seigneur Ténébreux sur son sombre trône... »

C’était sans compter la malignité infinie de cet esprit perverti.

Constatant la disparition de l’Unique, et son impuissance à en capturer le Porteur, il décida, dans le plus grand secret, de prévenir une improbable défaite. Même ses plus proches commandants, les Nazgûls, furent tenus dans l’ignorance. Très loin sous la Montagne du Destin, tout près du coeur même de la Terre, il créa un ultime anneau. Pour cela, il travailla longtemps, penché au-dessus de la forge, maniant seul l’immense soufflet. Il fit appel à tout son talent de métallurgiste, science qu’il avait apprise sous la férule d’Aulé, pour confectionner un dernier anneau. Il enchâssa dans le métal, rouge et malléable, les incantations caractérisant sa puissance, en prononçant les plus terribles invocations. Treize incantations en langue noire, longues lignes de runes hérissées, scellèrent treize pouvoirs. Treize incantations, étroitement enlacées comme un noeud de serpents de feu, furent gravées sur la face interne du grand anneau. Chaque fois qu’une incantation était complétée, au terme d’un long et éprouvant rituel, Sauron sentait la morsure impitoyable de pinces invisibles mordre son être et ses chairs pour en déchirer un infime lambeau et l’assujettir à l’Anneau. A treize reprises, il hurla de douleur, sa raison vacillant plus d’une fois. Ses cris de pure souffrance ébranlèrent tellement les entrailles du volcan que celui-ci, révulsé, vomit des torrents de lave incandescente au milieu de suffocants nuages de soufre.

Sa création achevée, et malgré son extrême épuisement, Sauron prit une forme ailée et furtive pour cacher l’Anneau de Renaissance en un lieu inaccessible aux Valar et aux bouleversements géologiques. Car l’Ultime était à la fois son salut, si ses ennemis triomphaient, et sa perdition, si quiconque le découvrait avant lui. En effet, Sauron deviendrait alors l’esclave obéissant du porteur de l’Ultime, sans espoir de s’en libérer avant la fin du Monde qui verrait le retour de son Maître.

Après la bataille de la Montagne du Destin, Sauron, sous une forme immatérielle et impuissante, attendit son heure. Il patienta longtemps. Les premiers âges sombrèrent dans l’oubli. La carte du Monde fut une nouvelle fois redessinée. Sauron patienta encore. Comme esprit, il hanta les vastes étendues désertiques. Il plana au-dessus des plus hauts sommets, observant les eaux découvrir de nouvelles plages et les hommes balbutier de nouveaux apprentissages. Il guetta la plus infime manifestation qui aurait trahi l’influence distante des Valar. Quand il fut enfin certain que les Puissances de l’Ouest avaient définitivement abandonné ces terres, il s’insinua dans les profondeurs d’un volcan juvénile qui s’élevait sur la plaine grise et froide d’une grande île septentrionale. Là, dans une cavité protégée par un puissant sortilège, gisait l’Ultime, inviolé.

Sauron mobilisa ses maigres forces pour former une main fantomatique, guère plus dense qu’un ectoplasme. A plusieurs reprises, il tenta sans succès de glisser l’anneau à son doigt. L’Ultime passait à travers la substance insuffisamment affermie et retombait sur le sol sablonneux de la caverne. Son poids prodigieux provoqua de violents spasmes qui secouèrent la chambre magmatique. Bientôt, Sauron puisa dans ses dernières réserves. Un sentiment de panique et de frustration le gagna. Il banda toute sa volonté pour accomplir une dernière tentative. S’il échouait encore, il deviendrait trop faible pour s’enfuir hors de la cavité, à jamais prisonnier de la lave durcie.

Comme un songe devient réalité, une fois encore la main se matérialisa, flottant au-dessus du sable. Une main craquelée et difforme mais plus consistante. Son doigt maintint l’anneau durant deux battements de coeur. L’Ultime, reconnaissant enfin son Seigneur, se mit à luire d’une façon insoutenable tandis qu’une onde de lumière naissait du métal, désintégrant le sol de la cavité. Du tréfonds de la Terre, la lave bouillonnante s’y engouffra brutalement. Dans ce creuset infernal, un corps immense à la beauté étrangère émergea des flammes et de la lumière. Sauron avait recouvré son enveloppe et ses attributs.

Sans attendre, il surgit de la bouche ardente du volcan et, à grands pas, en dévala le flanc comme une tornade de feu enveloppée de fumées charbonneuses, faisant fuir les bergers épouvantés. Sauron respira l’atmosphère polluée de vapeurs nocives et son rire tonitruant recouvrit les détonations des bombes expulsées par le volcan islandais. Il regarda alentour et ce qu’il vit lui plut. Alors il convoqua ses serviteurs endormis au plus profond de la Terre et leur ordonna de construire une nouvelle forteresse. Il l'appela Utumno, comme la demeure originelle de son premier Maître.

Ayant, grâce à l’Ultime, recouvré sa puissance de Maia, Sauron répéta les stratagèmes qu’il avait utilisés pour perdre les Numénoréens, même s’il renonça à revêtir une apparence humaine. Il se montra plus habile dans son approche, devinant que les Hommes choisiraient de révérer de nouveaux Dieux et d’explorer de nouvelles voies. Il circonvint les esprits les plus réceptifs de leurs dirigeants, travestissant leurs rêves et orientant leurs pensées. Il flatta sans borne les orgueilleux et abusa cyniquement les crédules. Il souffla aux Hommes nombre de mensonges corrupteurs. Il leur fit miroiter nombre de tentations fallacieuses. Subjugués, les Rois des Hommes, avides de vain pouvoir, l’écoutèrent encore. Dans leurs sciences et leurs comportements, se reflétèrent peu à peu les noirs desseins du Nécromancien. Contemplant avec satisfaction l’oeuvre de son verbe venimeux, Sauron s’esclaffa sur son Trône, tout au fond de sa demeure creusée sous une autre Montagne du Destin. Il fit un dernier cadeau aux Hommes. Il leur offrit une enclume de fer sur laquelle ils brisèrent sans remords l’harmonie et la beauté du monde.

Mais Sauron ne put se contenter de son succès quand il apprit que des Elfes foulaient toujours ce qu’il revendiquait comme son Royaume. Les tourments qui lui avaient été infligés et la honte qu’il avait ressentie, obnubilèrent ses pensées, aveuglant son jugement. Cela devint pour lui une véritable obsession. Ses plans machiavéliques furent remisés pour un temps Il n’eut de cesse d’exterminer les enfants d’Illùvatar qui représentaient à ses yeux tout ce qu’il exécrait. Il lança à leurs trousses ses innombrables légions auxquelles il ordonna de lui rapporter les têtes de ses ennemis éternels. Il les réclama toutes, jusqu’à la dernière, sous peine d’un châtiment particulièrement horrible.

Depuis, chaque nuit, ses créatures se réveillent d’entre les ombres pour accomplir son funeste commandement.

*


Lenwë et Earwen se quittent après avoir débouché de la station de métro. Minuit n’est plus très loin. Après un dernier baiser échangé, Lenwë se dépêche de regagner l’endroit où l’attendent les autres Noldor de sa maigre compagnie.

C’est un secteur stratégique de la ligne de défense qui s’étend du nord au sud, séparant Seattle en deux. Les Orques et les Gobelins convergent de l’Est, descendant des mines désaffectées et des bois infestés des hauteurs qui entourent la ville. Une forte garnison est installée sous le Mont Rainier. Les patrouilles de Wargs sillonnent les flancs des chaînes montagneuses, interdisant tout renfort venu des immenses forêts de l’arrière-pays. C’est la tactique habituelle des légions infernales de Sauron. Elles circonscrivent les Elfes dans un périmètre restreint. Puis elles coupent toute communication entrante ou sortante, afin de rendre la poche de résistance imperméable. Enfin, elles la réduisent en multipliant les assauts nocturnes, quel qu’en soit le prix. Sauron n’est pas avare de chair orque, des bataillons entiers de ses infâmes créatures surgissent à chaque crépuscule.

Les Elfes ne peuvent, quant à eux, compter que sur leur courage et leur foi pour affronter ces vagues innombrables. Les Magiciens et les Porteurs des Trois Anneaux elfiques ont regagné le Royaume Béni, désormais indifférents au sort des derniers Eldar. Leurs pertes n’étant pas remplacées, le nombre des défenseurs diminue régulièrement. Bloc après bloc, ils sont refoulés vers l’océan, loin des arbres qu’ils chérissent tant.

Cela se termine souvent en un dernier et sauvage affrontement sur un quai désert ou sur une plage fermée. A la fin, le silence des vagues recouvre le théâtre de la tragédie. Les Orques repartent finalement, courbés sous le poids des sacs jetés sur leurs épaules, ces immondes sacs qui renferment d’effroyables trophées.

Les Hommes ignorent ce qui se déroule dans leur ville, dans leurs ruelles les plus sombres, juste au seuil de leurs portes. La police n’y voit rien d’autre que des bagarres entre SDF avinés, entre bandes rivales venues des quartiers défavorisés, ou entre junkies défoncés. Les rares rapports mentionnant, quoique de façon très fragmentaire, des faits inexpliqués, finissent invariablement dans la corbeille « à classer », à côté de la machine à café. Les sortilèges de Sauron déforment juste assez la réalité pour que les Edain ne se posent jamais les bonnes questions.

Le complexe de l’Aiguille de l’Espace recouvre une vaste superficie. Le Seattle Center, le parc d'activités culturelles construit pour l'exposition universelle de 1962, comprend de nombreux bâtiments abritant salle de concert, théâtre, stade, parc d'attraction et même un musée pour enfants. Sous les arches de la tour, le Pacific Science Center abrite de nombreuses galeries illustrant une variété considérable de domaines scientifiques.

Lenwë atteint le parvis de la haute tour. Sous le filament du monorail qui file vers le centre ville, les autres Noldor l’attendent. Pour l’instant, dans leurs combinaisons de travail tout à fait ordinaires, ils ressemblent à de simples agents techniques, chargés de l’entretien des installations. L’heure magique n’a pas encore sonné. Cette vingt-cinquième heure qui ouvre une perspective féerique dans le carcan des lois étriquées de la physique humaine. Un intervalle tridimensionnel singulier où le temps ne s’écoule pas de la même façon et où l’apparence des choses est différente selon le point de vue. Sans mot dire, Lenwë s’élance vers les ascenseurs ultra-rapides menant au sommet de l’Aiguille de l’Espace, entraînant à sa suite ses compagnons.

Au-dessus de leurs têtes, une lune gibbeuse apparaît dans une trouée au milieu des nuages. Une sorte de puits céleste déverse une lumière cendrée qui dépose sur les arêtes des immeubles une poudre miroitante, comme les myriades de grains scintillants d’un enchantement semés à la volée par une main divine. Alors, les immeubles qui constituent la ligne de défense tenue par les Elfes se transforment en une haute et fière muraille courant le long de l’océan. Juste en son milieu, comme une pierre angulaire assurant l’invulnérabilité de l’ensemble, l’Aiguille de l’Espace est une formidable tour de garde, dont la flèche sommitale paraît caresser l’orbe de la Lune. Là, une immense bannière claque dans le vent de la nuit. Elle arbore fièrement les couleurs elfiques. Un coeur vermeil et un soleil unis dans un croissant lunaire sur champ d’azur. C’est le blason de la Maison du Roi. La Maison de Turgon, le plus grand Roi des Elfes qui tomba quand tomba Gondolin, sa noble cité ! Lenwë, en levant les yeux vers la bannière, ne peut s’empêcher de penser que le cycle des choses se répète inlassablement. Les temps, les lieux et les visages peuvent être différents, il y a toujours une ville assiégée. Il y a toujours les forces du Mal qui s’avancent sous ses murs. A la fin, les murs finissent par s’écrouler, livrant la ville au pillage et à la destruction.

Mais cette nuit encore, la Compagnie fera son devoir et repoussera tous les assauts des Orques et des autres créatures du Chaos. La vindicte de Sauron ne lui imposera pas son cruel destin. Lenwë lève d’une main ferme Anguirel, la lame ayant jadis appartenu au traître Maeglin. Quand celui-ci fut précipité par Tuor dans le gouffre de Caragdûr, alors qu’il allait perpétrer un ignoble forfait, il tenait Anguirel. A la mort de Maeglin, la lame, forgée à Gondolin, fut libérée du joug maléfique. Un Aigle de Thorondor, de son regard acéré, aperçut la flamme d’argent qui gisait au fond du précipice. Il la saisit entre ses serres et la déposa, sur l’ordre d’Ulmo, là où seule une âme pure pourrait à nouveau la revendiquer.

Lenwë cessa de se battre quand tout fut perdu, quand les Balrogs de Morg_o_t_h foulèrent en conquérants les belles avenues pavées d’or de la Cité cachée. Durant sa fuite vers la Faille des Aigles, un éboulement de terrain le sépara soudain de la colonne désolée des survivants guidés à travers les montagnes par Glorfindel de la Fleur d’Or. Au fond d'un étroit ravin, sur un tapis de roses des sables, il la découvrit, comme l'avait souhaité Ulmo. Depuis ce jour, la lame elfique ne quitta plus le baudrier de Lenwë.

Une trompe retentit dans les ténèbres qui noient les pieds de la haute tour. Les Orques arrivent.

« Là ! » s’écrie un Noldo, en désignant le ciel de sa main tendue, l’effroi transparaissant dans sa voix..

Lenwë tourne son regard vers le point que lui signale la sentinelle. Une grande forme ailée passe furtivement devant la bosse lunaire.

« Un Dragon ! Un Dragon ! » hurle à son tour Lenwë, qui sent aussitôt son sang se figer dans les veines.

Cette nuit sera décisive. Sauron veut en terminer. Il a convoqué un Grand Ver Ailé, un Lôki. Lenwë les croyait disparus depuis les premiers âges de ce monde. Il réalise qu’il a toujours sous-estimé son Ennemi. Il pense aussi à Earwen qui va affronter ce péril, comme lui, comme tous ceux qui se tiennent sur les remparts. Alors il sait ce qu’il lui reste à faire.

Il ordonne à ses hommes, harnachés dans leurs brillantes cuirasses d’argent liquide, aussi fiers et nobles que les défenseurs de Gondolin, de descendre au pied de la tour pour repousser les Orques et les Gobelins quand ils enfonceront la porte. Il doit s’y reprendre à deux fois pour qu’ils lui obéissent enfin. Une fois seul, il détache de sa ceinture un cor rutilant. Le portant à ses lèvres, il en tire une longue note, belliqueuse et narquoise. Un appel irrésistible. Un défi. Un duel. Il jette ensuite le cor sur le sol dallé. Il n’en aura plus besoin. Le Dragon a entendu.

L’abominable ver traverse le ciel comme la foudre, ses ailes ramenées contre ses flancs. Au dernier moment, il les déploie largement pour freiner sa course et, de ses immenses griffes, il s’agrippe au créneau de la tour. Ses yeux incandescents se fichent sur celui qui se dresse devant lui. Il dodeline de la tête, reconnaissant l’épée menaçante pointée vers lui et le blason peint sur le grand bouclier. Une fleur d’or sur un champ sinople. Le blason d’un tueur de Balrog.

« Tu as reconnu le bouclier d’Ecthelion, n’est-ce pas et la lame de cette épée forgée à Gondolin ? » lance Lenwë.

« Misérable Elfe, siffle le Dragon, mon Seigneur m’a averti de ta présence. Tu m’as appelé. Je suis venu. Crois-tu que l’histoire retiendra ton nom ? Crois-tu que l’on me défie impunément ? Crois-tu que je ne suis qu’un vermisseau tout juste capable de baver quelques flammèches ? Non, je suis de la lignée d’Ancalagon, le premier des Dragons Ailés nés de la pierre et du feu. Sauron m’a réveillé pour que cette nuit voit un nouveau triomphe de ses armes. Il convoite depuis trop longtemps cette ville et ses richesses. Crois-tu pouvoir me vaincre avec ta lame de pacotille et ton bouclier de bois, Moi? Moi, qui ai participé à la chute de Gondolin ? Moi qui ai mis en déroute les Aigles de Thorondor ? Moi, qui ai rôti des dizaines d’archers postés sur les remparts? »

« Mes armes ne sont pas si inoffensives puisque tu t’en tiens à l’écart ! Sache que je ne te crains pas, Ver Ailé ! Tu n’es qu’une créature des ténèbres et je n’ai pas peur de toi ! Vois ! N’as-tu pas volé jusqu’à moi à l’appel du cor ?» le nargue Lenwë.

« Je suis fatigué d’écouter tes paroles insignifiantes, Elfe ! Je vais à présent te tuer et puis ensuite, j’irai m’occuper d’une certaine femelle Elfe, celle qui règne sur ton coeur, mon ami ! » crache mielleusement le Dragon, en balayant l’espace de ses immenses ailes. Puis il contracte son long cou, prêt à darder son souffle sur le brave capitaine Elfe.

Quand le feu jaillit des mâchoires distendues du Dragon, le bouclier d’Ecthelion sépare le flux des flammes de part et d’autre. Ainsi protégé, genou à terre, le Noldo suffoque néanmoins dans la fournaise qui règne autour de lui. Il se jette en arrière, évitant de justesse la queue du Dragon qui vient fouetter l’endroit où il se tenait. Lenwë feinte sur la gauche et lance une attaque fulgurante sur la droite. Le fil de son épée frappe là où l’aile rejoint le corps ventru de la bête. Mais la lame glisse sans mal, sur les écailles, le coup ayant été donné en bout de course. Le Dragon se retourne alors vivement et inonde à nouveau le sommet de la tour d’un torrent de flammes. Au fond de ses prunelles rougeoyantes, Lenwë ne lit rien d’autre que le néant et le mal absolu. Il bloque in extremis le plus gros du feu mais une langue ardente l’atteint au flanc et s’enroule autour de ses reins. Il vacille en grimaçant de douleur. Il ne sent plus du tout son côté droit et ses poumons sont en feu. Il a du mal à reprendre sa respiration. Le Dragon redresse son cou, sûr de sa force, sûr de sa victoire. Il plisse ses paupières aussi larges que des soucoupes, comme un chat s’amuse avec une souris.

« Comprends-tu pourquoi tu vas mourir, Elfe? Tu m’as à peine effleuré de ton épée elfique alors que je t’ai à moitié rôti en moins de temps qu’il ne faut pour le dire ! Tu vas mourir, Elfe et j’irai moi-même déposer ta tête aux pieds de Sauron. Il rira quand je lui raconterai tes exploits qui auront duré, quoi ? Une poignée de secondes ! Je suis certain que Sauron saura récompenser ta bravoure! Il fichera ta tête sur le corps d’un Orque, après t’avoir coupé le nez et les oreilles, les lèvres et les paupières! Je lui apporterai aussi la tête de l’Elfe femelle pour qu’elle te soit servie à ton premier repas d’Orque! » ricane le Dragon, qui se prépare à donner le coup fatal.

« Non.... Il n’en sera pas ainsi ! Je ne le permettrai pas! » s’exclame Lenwë qui se débarrasse de son bouclier. Puis, d’un saut prodigieux, il bondit sur le Dragon et d’une main ferme, s’accroche aux écailles recourbées de son encolure.

Surpris, le Dragon est déséquilibré. Il s’écarte maladroitement du sommet de la tour. A grands coups d’ailes furieux, il s’élève dans la nuit, essayant de décrocher son intempestif cavalier en se contorsionnant en tous sens. Mais Lenwë s’agrippe désespérément aux protubérances chitineuses, essayant de se tenir hors de portée de la queue barbelée et des griffes démesurées. Le Dragon, fou de rage, entame alors un ballet virevoltant en grimpant toujours plus haut. L’équipage fantastique tutoie bientôt les étoiles.

« Elfe, misérable Elfe, la dernière image qui s’imprimera dans tes yeux mourants sera celle où mes griffes sépareront ta tête de son col pendant que ton corps tombera du haut du ciel! Je te promets que ta belle mourra lentement et péniblement. Je te promets que ses lèvres glacées embrasseront tes lèvres glacées dans un baiser au-delà de la mort. Il paraît que les cavernes de Mandos ne sont plus. Alors cela signifiera pour vous deux une fin sans rémission. Je t’en fais le serment. Elfe, maudit Elfe, accepte ton destin et meurs ! »

Lenwë n’aperçoit plus la terre. Ils sont bien au-dessus des nuages, tout près d’une lune gibbeuse qui semble envahir toute la voûte céleste. Dans l’air raréfié, le froid endort la terrible souffrance endurée par Lenwë, causée par les profondes brûlures qui continuent de le ronger de l’intérieur. Alors, sentant ses forces le quitter, Lenwë adresse une ultime prière à Ulmo, son protecteur, même si le Vala est de l’autre côté de l’espace et du temps.

Il saisit l’unique occasion qui se présente. Il repère le défaut dans la cuirasse du Dragon, entre la naissance de l’aile et le ventre caréné. A deux mains, il enfonce Anguirel jusqu’à la garde. La lame elfique traverse facilement l’interstice qui sépare les deux plaques d’écailles et se fiche dans le coeur du monstre. Le Dragon pousse alors un horrible glapissement de douleur qui résonne dans le ciel comme un coup de tonnerre.

« Cruel... Elfe cruel... je péris à cause de toi, comme ont péri tous mes frères ! Sois maudit ! Sois maudit jusqu’à la fin des temps. Sauron... Sauron attendra ! »

Les grandes prunelles jaunes et rouges s’éteignent peu à peu tandis que le Dragon bascule du sommet du ciel, entamant une chute vertigineuse. Lenwë, à demi inconscient, s’accroche tant bien que mal au pommeau d’Anguirel. Les deux ennemis tombent encore et encore, en tournoyant follement. La ville grandit rapidement sous eux, se rapprochant terriblement vite. La lune accrochant tout le long l’argent étincelant de la cuirasse de Lenwë, c’est une étoile filante qui s’écrase au sol, soulevant un lourd nuage de poussière.

Les Orques et les Gobelins ont assisté à la chute du Dragon. Démoralisés par la défaite de leur champion, ils se débandent et fuient au loin, alors même qu’ils étaient sur le point de submerger les derniers défenseurs. La situation se rétablit à l’avantage des Elfes et leur victoire est incontestable. Sur tout le rempart, des vivats saluent l’éclatant fait d’armes de Lenwë, semblable à ceux de Glorfindel et d’Ecthelion !

Or donc, le capitaine demeure inerte, non loin de la carcasse désarticulée du grand Dragon. Earwen est la première à s’agenouiller auprès de lui. Elle le prend doucement dans ses bras aimants et guette le moindre signe de vie. Le visage de son amant est très pâle, aussi pâle que la lune qui s’efface dans le ciel. Les premières lueurs de l’aurore apparaissent sur les crêtes de l’Est. Earwen sent le coeur de Lenwë battre très faiblement. Elle dépose un léger baiser sur ses lèvres. Lenwë ouvre alors les yeux où Earwen lit la cruelle vérité. Elle lui caresse les cheveux mais quand elle retire ses doigts, ils sont poissés de sang. Elle refoule ses sanglots. C’est une Elfe. Une Noldo. Et les Noldor ont toujours affronté sans se plaindre les affres de cette vie loin de Valinor. Elle pleurera plus tard. Quand le moment sera venu.

« Earwen, emmène-moi en haut de la tour ! lui demande Lenwë, dans un souffle de voix. Je veux contempler une dernière fois l’océan. Je veux regarder vers l’Ouest ! Emmène-moi ! »

Les Elfes confectionnent rapidement une sorte de brancard dans lequel ils transportent Lenwë au sommet de la tour. Earwen les remercie en les congédiant. Elle souhaite être seule avec celui qu’elle a si longtemps aimé. Ils restent ainsi plusieurs heures.

A leurs pieds, sous la coursive extérieure, Seattle a recouvré son aspect habituel. La réalité a repris ses droits. Il n’y a aucune trace du Dragon qui s’est abîmé au centre du stade. Les jardiniers auront sans doute un peu plus de mal à entretenir le gazon. La terre, elle, se souviendra.

Les deux Elfes, Earwen soutenant Lenwë, fixent l’horizon, droit vers l’Ouest. Le chemin lumineux qu’ils appelaient de leurs voeux, naît magiquement sous les jeunes rayons du soleil. Lenwë pousse un soupir et sa main se crispe dans celle d’Earwen.

« Oui, tu ne délires pas, Lenwë mon amour ! Le jour tant attendu est enfin arrivé ! » répond-elle à son interrogation muette. Elle l’embrasse tendrement, ses joues ruisselantes de larmes.

« Tu as réussi, mon amour! Je supplierai Nàmo à genoux. Il exaucera ma prière. Il te rendra à moi ! »

Là-bas, encore loin sur l’océan, les Elfes à la vue perçante ont reconnu la forme familière des grandes voiles blanches qui s’avancent de l’Ouest, en provenance d’un port situé bien au-delà de la courbure du monde. Finalement les Valar ne les ont pas oubliés.


*

* *



M
(j'ai presque tout bien respecté)

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2014-10-16 22:20:55 

 WA, exercice n°133, participationDétails
Le Dragon des Czerniks
(suite et fin)





Svetloumine ! Ma ville, mon château, ma patrie, ma terre ! Tant de fois depuis mon départ, j’ai rêvé de tes remparts de pierre blanche, du bois noir de tes portes massives, de tes huit tours pointues dont, enfant, je croyais qu’elles allaient chatouiller les nuages, et de ton magnifique donjon bleu et or, qui m’évoquait la force de mon père et la prospérité du royaume. Cette leçon-là je l’avais apprise, et je sais qu’il avait fallu plus de deux cents artisans pour incruster un à un les émaux de ses murs et peindre à l’or fin le dôme gigantesque afin qu’on le voit briller depuis l’horizon. Svetloumine ! Tes ruelles odorantes, la place du marché, la place Royale, les fontaines, les petites cours intérieures où Vlad et moi allions jouer à cache-cache avec nos amis. Non, pas Marishka. Marishka ne jouait jamais. Ce que je prenais alors pour de la sagesse et de l’application n’était sans doute déjà que de l’arrogance et de l’ambition. Et aujourd’hui c’est elle qui est derrière ces remparts, souveraine en titre, et c’est moi qui viens porter la guerre sur ma propre terre pour l’en chasser.


Nous avions marché tout le jour, Aliocha et moi, escortés par vingt Thornterriens en armes. A ma demande, l’armée était restée massée de l’autre côté de la frontière, prête à nous porter main-forte si nos pigeons voyageurs leur en transmettaient l’ordre. J’étais vêtue d’un habit de voyage masculin, un chapeau aux larges bords dissimulant mon visage et mes cheveux, qui avaient bien repoussé. Avec Aliocha, nous aurions pu être deux frères visitant le monde, fils d’un petit noble craintif qui leur aurait fourni une bonne escorte. De larges capes brunes masquaient l’uniforme noir et or, et les boucliers aux armoiries de la Ronce étaient dissimulés dans les paquetages. Depuis la frontière, nous avions évité tous les bourgs et les villages, ou bien nous les avions traversés de nuit, par petits groupes. Je ne doutais pas que Marishka ne fût informée depuis longtemps de mon arrivée prochaine, peut-être même l’avait-elle su avant mon départ ; mais je ne voulais pour rien au monde qu’il fût jamais dit en Svetlakie que la fille du roi Igor avait bradé sa patrie à ses ennemis jurés contre une couronne scintillante de félonie.
Dans l’embrasement du couchant apparut alors Svetloumine, révélée par les éclairs dorés de son donjon magistral.
« Nous ferons halte ici, si tu veux bien », me murmura Aliocha. « Il fera bientôt nuit. »
La gorge nouée, j’opinai du chef. Je savais que je n’allais pas pouvoir dormir de la nuit. Même le long pansage que j’accordai à Nadievna, aussi méticuleux et attentionné que si ma vie en dépendait, ne parvint pas à apaiser mon coeur troublé.



Epaules crispées, dents serrées. J’essaie de tout relâcher, je me force à respirer, mais mon souffle se bloque. Un étau enserre ma tête, j’ai l’impression que mon cerveau va exploser. Je me concentre, je me relâche encore et encore – et ça recommence. Mon corps n’est qu’un arc tendu à l’extrême. Mais la cible n’est pas encore en vue, je dois attendre, je dois patienter. C’est comme si je portais le monde sur mes épaules. J’aurai beau y mettre toutes mes forces, le poids finira par m’écraser. Et je le sais, et je ne veux pas, je dois y arriver, ce n’est qu’une question de volonté et de patience, je n’ai pas le choix, je dois réussir, il n’est pas envisageable que...



« Si tu peines à t’endormir », me proposa Nadievna qui me connaissait mieux que moi-même, « je ne serais pas contre une petite balade au clair de lune, juste toi et moi, tranquilles, au pas...
- Mais après six journées de marche, tu dois être fatiguée !
- Je vais bien. Demain, c’est toute ta vie qui se joue, petite fille, alors peut-être est-ce le moment de réfléchir sereinement au passé, au présent et à l’avenir. Tu peux encore choisir ta destinée, mais demain... Si tu as besoin de moi, je serai à tes côtés. »




Je me glissai sans bruit hors de ma tente, mais Aliocha était assis devant la sienne ; à la lueur du clair de lune, il caressait Harinordoki.
« Où vas-tu ?
- Je vais marcher un peu avec Nadievna. J’ai besoin de réfléchir. »
Il sauta sur ses pieds.
« S’il te plaît... seule.
- Alors emmène Hari, il te servira d’escorte.
- Et puis ça le rassurera, n’oublie pas qu’il tient beaucoup à toi ! Et avant que tu ne me le demandes, non, je ne suis pas fatigué. »
Le maître et le chien étaient complices, mais je savais qu’il n’y avait pas d’indiscrétion dans leur sollicitude, juste une affection profonde.
Je sortis Nadievna de l’enclos et me glissai doucement sur son dos. Avec elle, comme autrefois avec Zéphyr, je n’ai jamais eu besoin de selle ni de mors. La selle est plus confortable pour les longs trajets, mais nous ne partions qu’en balade. Je lui laissai choisir l’itinéraire, m’en remettant totalement à elle. Ses flancs étaient chauds et sa crinière soyeuse. Le balancement de son pas régulier me berçait tendrement, et je sentais enfin mes muscles se dénouer peu à peu. Un grand soupir spontané me prouva que mon corps se relâchait enfin.
Le passé, le présent, l’avenir.
J’avais quitté Svetloumine presque deux ans auparavant, et ma vie protégée et routinière était devenue une succession d’aventures passionnantes et dangereuses. J’avais cru mourir plusieurs fois, j’avais eu peur, j’avais eu froid, j’avais eu faim. J’avais chevauché un Dragon, parlé à un fantôme, vu une malédiction disparaître – et des hommes mourir. Et puis... Aliocha.
Nous étions revenus à Thornterre, après la mort de son père et celle de son parrain Nicolaï, les deux responsables de la mort de Golgotch. Quoique n’ayant pas d’appétence particulière pour le pouvoir, Aliocha ne pouvait abandonner son peuple alors qu’il était l’héritier légitime du trône. Et gouverner Thornterre était aussi le meilleur moyen d’éviter une nouvelle guerre contre la Svetlakie. Je ne pouvais guère critiquer sa décision, et je résolus de l’aider de mon mieux.
Alexeï de Thorn fut couronné roi non pas dans la salle du Trône, mais sur la grande esplanade devant la citadelle de Thornia, afin que tout le peuple en soit témoin. Le banquet fut gigantesque ; pas d’estrade, pas de places d’honneur, chacun s’asseyait où bon lui semblait. Les cuisiniers avaient transporté plats et casseroles pour s’éviter le trajet depuis le château, et oeuvraient en plein air, aidés spontanément par des marmitons bénévoles. Tout le monde participait au service, même le roi en personne, ce qui fit tousser quelques baronnets fiers et austères. Mal leur en prit : ils furent bannis dès le lendemain.
Vers la fin du jour, quand les ventres furent repus et qu’il fut temps pour chacun de songer au retour, Aliocha sauta sur une table et prononça enfin le discours qu’il n’avait cessé de repousser depuis le matin.
« Mes amis... Chacun de vous a pu voir aujourd’hui qu’on pouvait me parler librement. J’ai écouté tous ceux qui se sont adressés à moi, et il en sera encore ainsi demain et tous les autres jours. Je ne peux pas vous promettre des richesses, des terres fertiles et des esclaves. Notre terre est pauvre, vous le savez, il y pousse plus de ronces que de blé. Et je me refuse d’envoyer à la mort les époux, les fils et les frères, dans des guerres interminables où la moindre conquête se paie au prix du sang. Je vous veux vivants, et je vous veux en paix ! Il est de mon devoir, à la tête de ce royaume, de trouver d’autres débouchés pour les ressources de notre sol et le travail de nos éleveurs et de nos artisans. Je vous promets de m’y employer de toutes mes forces. Comme je vous promets de faire régner l’ordre et la justice. Je veux que nous soyons tous fiers d’être Thornterriens, et que même si nous mangeons plus de gruau que de civets, nous nous endormions chaque soir du sommeil du juste, sans peur et sans remords, avec la satisfaction du travail accompli et la hâte que le soleil se lève sur un nouveau jour de labeur.
Quant à moi, c’est le hasard de ma naissance qui m’a placé ici. Je n’en tire aucune gloire, seulement le sentiment d’une immense responsabilité. Je vous promets de gouverner dans l’espoir que le jour de ma mort, ceux qui me survivront puissent dire que ce hasard fut une chance pour Thornterre, et que, la main sur le coeur, aucun d’entre eux ne puisse jurer devant les Dieux qu’à ma place il aurait fait mieux. Thornterriens, ma fierté, c’est vous, mon ambition, c’est vous, ma force, c’est vous ! »
Les applaudissements firent vibrer le sol comme un tremblement de terre. J’entendis des hommes hurler de joie, j’en vis d’autres qui avaient les larmes aux yeux. Ce tonnerre-là, fait d’espoir et d’allégresse, dura longtemps, jusqu’à la nuit tombée, et son écho se répercuta loin par delà les montagnes.






La tâche qui attendait Aliocha était immense, et il le savait. Il lui fallait d’abord s’entourer de conseillers dévoués et fidèles ; pour la plupart, il les choisit parmi les hommes simples, dont l’honnêteté et la droiture n’avaient jamais été mises en doute. Son Conseil une fois constitué, il me demanda d’y participer. Je lui répondis que je n’y avais pas ma place.
« Alors épouse-moi ! », s’écria-t-il, « et viens prendre auprès de moi ton rôle légitime. »
Je secouai la tête.
« Je souhaite moi aussi que nos deux vies soient unies à jamais. Mais je ne crois pas me tromper en présumant que le peuple de Thornterre acceptera plus volontiers le mariage de son roi avec la reine de Svetlakie, plutôt que son union morganatique avec une princesse exilée. »
Il ouvrit de grands yeux.
« Sonietchka, depuis quand parles-tu comme une politicienne chevronnée ? A moins que... tu ne sois en train de me suggérer », ajouta-t-il les yeux brillants de malice, « que je devrais épouser Marishka ? »
Nous éclatâmes de rire à l’unisson. Et ces rires mêlés furent plus qu’un serment.


Je restai donc dans l’ombre, mais point dans l’inaction. Pendant un an j’avais géré l’intendance du château de Svetloumine. J’avais appris à organiser, diriger, compter. Mais si je m’efforçais de ne point dilapider les ressources, je n’avais pas à me préoccuper de leur provenance. Gérer un Etat était autrement complexe, et rien ne m’y avait préparée. Quant à Aliocha, son père l’avait gardé éloigné des décisions du pouvoir. Aussi, tandis qu’il réfléchissait avec ses conseillers aux moyens de tenir ses promesses, je cherchais dans la grande bibliothèque si quelqu’écrit du passé aurait pu nous venir en aide. Et je trouvai ! Un trésor, un véritable trésor, une mine de sagesse, une méthode de réflexion, des livres et des livres couverts d’une écriture fine et précise tracée par un homme timide et prodigieusement intelligent, qui avait consacré sa vie à servir humblement son pays. Piotr Balienko était le frère de lait du roi Alexeï, le père d’Ivan. Quand le roi avait accédé au trône, il s’était vu confier la trésorerie du royaume ; et à côté de ses livres de comptes, tenus magistralement sans la moindre rature, il avait écrit l’histoire du royaume, jour après jour. Il avait relaté les faits, mais plus encore, il en avait cherché les causes, en avait estimé les conséquences, critiquant lui-même ses conclusions au vu des évènements ultérieurs, affinant ainsi son jugement et offrant à qui voudrait le lire un instrument précieux pour ne pas répéter les erreurs du passé. Il avait poursuivi son oeuvre jusqu’au jour de sa mort, cinq ans auparavant, sans relâche et sans reconnaissance, car si le roi Ivan l’avait confirmé dans sa tâche comptable, il n’avait jamais manifesté la moindre considération ni pour ses écrits, ni pour ses conseils.
Je passais des journées entières à le lire, de l’aube au coucher du soleil. Je n’avais jamais autant lu de ma vie ! J’eus quelque difficulté à convaincre Aliocha de la valeur de ces textes, car Piotr était le père de Nicolaï, le parrain félon qui avait voulu le tuer. Mais mon enthousiasme eut raison de sa méfiance, et plus d’une fois il me demanda si Piotr avait eu un avis sur la question qui le préoccupait. Et le plus souvent, j’avais une réponse !


Les caisses de l’Etat étaient vides. Aliocha fit vendre tous les objets précieux du château, sculptures, tentures, tableaux, argenterie, bijoux... Il fit dessertir les gros diamants de la couronne, la faisant refondre en un simple cercle d’or, que de toute façon il ne portait jamais... Il put ainsi baisser l’impôt des plus pauvres, créer des écoles, des dispensaires, des filatures, ouvrir deux nouvelles mines de fer et lancer de grands travaux pour tracer une route vers la mer et fabriquer des bateaux. Thornterre n’a pas d’accès maritime. Qu’à cela ne tienne ! Il se rendit lui-même, avec une simple escorte de dix hommes, négocier un droit de passage en terre Volnzienne, en échange de l’agrandissement de leur route et de tarifs préférentiels pour nos objets de métal et notre laine.
Il nous arrivait de travailler, ensemble ou séparément, plus de dix-huit heures par jour. Nous nous croisions parfois devant un bol de soupe ou une cuisse de poulet, hébétés de fatigue, les yeux brûlants et la voix rauque – lui surtout : il lui fallait rassembler, expliquer, convaincre... Nous avions à peine la force de nous tenir la main, mais ces quelques instants nous réchauffaient le coeur et nous redonnaient foi et courage.


Aliocha ! Chaque jour je m’émerveillais de son intelligence, de sa détermination, de sa délicatesse, et du respect attentif qu’il manifestait aux autres. Je commençais aussi à découvrir ses défauts, qui me le rendaient plus cher encore. Une opiniâtreté qui pouvait confiner à l’entêtement, l’impatience de
réaliser tous ses projets dans la minute même... et une capacité de travail qui le conduisait parfois à abuser de ses forces, et à épuiser son entourage. Je désirais être sa femme. Je voulais que chaque jour qui se lèverait me trouvât à ses côtés. Je voulais voir le temps passer doucement sur son visage, le voir devenir père, grand-père, bisaïeul, et avoir toujours ma main dans la sienne. Rester dans l’ombre à ses côtés aurait suffi à mon bonheur. Mais il y avait la Svetlakie. Si Marishka avait été une reine juste et magnanime, si mon peuple n’avait pas souffert de sa gouvernance, alors même son illégitimité n’aurait pu me pousser à vouloir la détrôner. Mais comment aurais-je pu ne penser qu’à mon bonheur quand les miens étaient accablés ? J’étais la seule à pouvoir mener ce combat. Cela me répugnait ! Jamais Marishka ne reconnaîtrait sa trahison. Jamais elle ne cèderait sans qu’il n’y eût encore des morts et des blessés. Je ne voulais plus de victimes. Je ne voulais pas que les Svetlakiens puissent penser que j’avais mené Thornterre à leurs portes pour les asservir. Je ne voulais pas que les Thornterriens puissent croire que je les aurais sacrifiés à mon ambition personnelle ! Je voulais réunir les deux royaumes dans la paix et l’harmonie, pour le bien de tous. Je venais d’avoir 17 ans. Et je me disais, tandis que Nadievna marchait toujours d’un pas égal et confiant, que je courais sans doute après un rêve d’enfant et que même avec tout l’amour d’Aliocha et toute ma volonté de bien faire, le fardeau serait trop lourd pour moi.
Que n’étais-je née parmi les gens simples ! Quelques jours plus tôt, après avoir passé la frontière, nous avions fait halte sur les bords de la Kornine, pour abreuver les chevaux. Une frêle enfant avait lavé son linge à la rivière, et elle s’en revenait avec son lourd panier dégoulinant d’eau claire, le pas alourdi encore d’une boiterie de hanche. Aliocha l’avait soulagée de sa charge, et nous l’avions raccompagnée chez elle. Sa mère nous avait offert une tasse de thé, et elle m’avait reconnue.
« Vous êtes vraiment la princesse Sonia ? », s’était exclamée la petite fille. « La reine a mis votre tête à prix, vous accusant d’avoir tué son fiancé et d’avoir voulu l’assassiner. Mais nous, dans le petit peuple, on n’y a pas cru ! Vous êtes revenue ! Nous avons tous beaucoup prié pour que le Donateur vous garde en vie et vous permette de rentrer chez nous ! Pauvre Princesse ! Exilée, orpheline, et menacée par une soeur indigne ! Quelle dure destinée ! »
Elle était sincère.
« Comment peux-tu dire cela, Katia ? Tu vis dans le plus grand dénuement avec tes parents, ta vie est rude et fatigante, et ta boiterie te fait sûrement souffrir. Je ne suis pas la plus à plaindre des deux ! »
Elle avait jeté un regard joyeux vers son père et sa mère, puis elle avait ajouté d’une voix douce, comme on parle à un enfant malade :
« Nous sommes pauvres, mais nous sommes heureux. Nous nous aimons, et nous avons de bons voisins, prêts à nous soutenir comme nous le faisons quand ils sont en peine. Notre chaumière est petite mais la cheminée tire bien, et nous n’avons pas froid l’hiver. En vérité, sans vouloir vous offenser, Princesse, je ne donnerais pas ma vie contre la vôtre. »
Les larmes m’étaient montées aux yeux. Tant de sagesse chez une enfant si jeune ! Pendant un court instant, oubliant la responsabilité qui était mon fardeau et mon honneur, je m’étais prise à l’envier...
Mais baste ! Chacun doit suivre le chemin que le Donateur a tracé pour lui. Le mien me terrifiait, et pourtant je devais y avancer sans frémir, cela n’aurait-il été que pour honorer la mémoire de mes parents disparus. Je ne doutais pas que c’était ce qu’ils auraient voulu.




Aliocha vivait au jour le jour, d’urgence en urgence, sans jamais penser à lui. Et si mon impatience de revenir en Svetlakie commençait à hanter chacune de mes heures, je ne m’étais encore permise que de vagues allusions – que d’ailleurs il n’avait pas relevées. Et puis...
Ce jour là, après une matinée studieuse à lire et relire les manuscrits de Balienko, un mal de tête sournois m’étreignit les tempes. J’avais plus de nausée que d’appétit, et je ressentais une intense fatigue. J’essayai de fermer les yeux, mais mille pensées saugrenues m’empêchaient de goûter le repos, tandis que toutes sortes d’images incongrues se déployaient derrière mes paupières closes. Je traînai ma lassitude jusqu’au pré de Nadievna, et son hennissement joyeux à mon approche me fit pleurer de soulagement. J’étais exténuée, il me fallait bien le reconnaître. Il était temps de faire une pause, sinon je deviendrais inefficace, ou pire encore, désagréable. Je sautai sur le dos de la jument et je partis en balade, vite rejointe par Hari, qui probablement, ne me quittait pas des yeux sans que je m’en aperçoive.
Délaissant la grande route où trop de chariots allaient et venaient (le commerce était en plein essor, et c’était une bénédiction pour Thornterre), nous empruntâmes les petits chemins, coupant parfois à travers champs, où les moutons occupés à brouter levaient à peine le nez pour nous regarder passer. Au pas tranquille de Nadievna, je me remettais à respirer, à humer les senteurs de la terre, ne faisant qu’un avec le vent léger, la terre nourricière, la chaleur du soleil et les vapeurs exhalées de la pluie de la nuit précédente. Je me fondais dans la nature, notre mère à tous, jouissant de chaque sensation, retrouvant le rythme lent et rassurant de la vie. Mon coeur s’apaisait, mon corps retrouvait son aisance et sa liberté. Une joie infinie montait en moi, pure et inaltérable.
Hari se mit à aboyer. J’arrêtai Nadievna. Un miaulement plaintif sortait d’un fourré. Je mis pied à terre. Je découvris alors, tremblant d’épuisement, une chatte isabelle allongée sur le flanc. Je la soulevai, sortis la gourde de mes fontes et lui proposai à boire dans le creux de ma main. La pauvre bête était si fatiguée qu’elle ne pouvait laper que quelques gorgées, reprenant son souffle ensuite pendant plusieurs minutes avant de recommencer. Quand elle eut étanché sa soif, elle se mit à ronronner de reconnaissance et planta dans mes yeux son regard fier. Je sursautai. Des yeux noirs ! Ce chat... J’avais déjà vu ce regard, je le connaissais par coeur, je n’aurais pu l’oublier pour rien au monde...
«Pola ?
- Tu m’as reconnue, petite Sonietchka ! J’en étais sûre !
- Pola ! Mais alors...
- Oui, c’est vrai. Quand tu es partie, Marishka m’a tenue responsable de ton évasion, ce qui, après tout, n’était que l’exacte vérité. Elle m’a fait mettre à mort, mais le soir même, la chatte de Diakine mettait bas... Il m’a reconnue tout de suite. Entre lui et moi... C’est une longue histoire... Notre fidélité inconditionnelle aux Svetlakov nous avait réunis, et... tu as grandi... Entre un homme et une femme, tu dois comprendre... Ce n’était plus pareil, mais nous étions toujours ensemble.... La semaine
dernière, la Reine a décidé de lever une armée, en augmentant encore l’impôt qui torture déjà assez le peuple. Elle veut marcher sur Thornterre, elle veut ta vie ! Diakine a pu s’absenter assez longtemps pour m’amener près de la frontière. Je venais te prévenir... et tu m’as trouvée !
- Ne meurs pas, Pola, je t’en supplie ! Je te ramène au château, je vais te soigner, reste avec moi ! Nous allons rentrer à Svetloumine, tu reverras Diakine, je te le promets, reste avec moi ! »

Jamais Nadievna n’avait galopé aussi vite. Je croisai Aliocha dans le grand hall et ne lui accordai pas un regard. J’installai la chatte dans mon lit et toute la nuit je la nourris de petites bouchées de poisson cuit et de miettes de fromage de chèvre, la faisant boire régulièrement. Au matin, son coeur avait repris un rythme stable, ses flancs n’étaient plus creux et elle respirait paisiblement. Je m’écroulai près d’elle d’un sommeil sans rêve.
Je parlai à Aliocha le jour même. Il ne pouvait pas communiquer avec les animaux, mais parmi ses talents de sorcier il y avait celui de distinguer la vérité du mensonge. Et en outre, il avait confiance en moi.
« Nous partirons demain », me déclara-t-il sobrement. « Mon armée est à toi.
- L’armée restera à la frontière. Je ne veux pas envahir la Svetlakie ! Juste une escorte.
- D’accord, cinquante hommes.
- Vingt. Nous attirerons moins l’attention. »
Il soupira.
« Comme tu veux, mon amour. C’est ton combat. Mais je souffre de ne pouvoir te protéger davantage !
- Tu l’as dit : c’est mon combat. Et si le Donateur estime qu’il est juste, nous vaincrons. »





Il ne restait que quelques heures de marche avant d’atteindre le pied des remparts de Svetloumine. Je savais que Marishka nous attendrait de pied ferme, quelles qu’eussent été nos précautions.
« Je ne veux pas que le sang coule », déclarai-je à Aliocha tandis que nous chevauchions côte à côte. « Nous arriverons par la porte ouest, parce que le bois de Nouriev est juste à côté. Tu m’attendras à couvert avec tes hommes. J’irai seule.
- Tu as perdu l’esprit ? Une seule flèche tirée des remparts et c’en sera fini de toi.
- Ils ne tireront pas. Le peuple est avec moi, tu as entendu ce qu’a dit la petite Katia. Mais s’ils croient que Thornterre vient les attaquer, alors oui... Je t’en prie, écoute-moi. Je parlerai aux soldats. Tous ceux qui m’ont connue ne peuvent pas douter de ma loyauté. »
Je le vis crisper les mâchoires et serrer les poings, tandis que ses yeux lançaient des éclairs de rage. Mais sa voix resta calme et sa réponse pondérée.
« Il en sera fait selon ton désir. »




Le soleil était à son zénith, et une petite brise légère faisait virevolter les premières feuilles jaunies. Nadievna monta son dos et je redressai mes épaules. Nous n’allions pas à la parade mais je devais donner l’apparence d’une future Reine pleine d’assurance. Je contrôlai mon souffle et je m’accordai au balancement souple du pas de mon cheval. « Si le corps est en paix alors l’esprit est libre », me répétait Diakine pendant mes leçons d’équitation. Le dôme du Donjon explosait de lumière, mais les remparts semblaient déserts. La porte ouest était fermée, et aux abords du château, pas âme qui vive, pas un colporteur, pas un paysan, pas de bandes d’enfants se pourchassant à grands cris. On aurait dit que même les oiseaux retenaient leur souffle, tant le silence était profond. Ainsi donc, j’étais attendue. En regardant mieux, il me sembla détecter par moments quelques éclairs fugaces entre les créneaux du chemin de ronde. Marishka avait placé ses soldats. Et alors ? C’était mon peuple.
« Peuple de Svetlakie ! Je viens à vous, seule, telle que je suis partie. Je reviens prendre la place légitime qui est la mienne et vous libérer du joug d’une reine cruelle et traîtresse qui a sans vergogne fait assassiner le roi Igor, la reine Katiouchka et le prince Vlad. C’est une enfant adoptée, voilà pourquoi elle n’a pas le Don des Svetlakov ! Voilà pourquoi elle n’a pas le droit de régner ! Elle a fait changer le trône : le dossier de l’original porte l’inscription « Seulement avec le Don, dans l’honneur du Dragon ». Pourquoi n’y a-t-il plus de Fête du Dragon ? Parce qu’avec ses complices, elle a mis à mort Golgotch, notre fidèle protecteur, insultant sa dépouille en l’utilisant pour vous leurrer. Lui vivant, elle n’aurait jamais pu usurper cette place ! Ce que j’avance, j’en ai les preuves, et je vous les... »
Les portes s’ouvrirent avec fracas, couvrant le son de ma voix, et une troupe de cavaliers armés surgit au grand galop. L’épée au clair, ils se précipitèrent vers moi et m’encerclèrent, s’arrêtant à moins de vingt pas de moi, le visage fermé et les yeux fixes. Montée sur un grand cheval blanc, harnaché luxueusement de satin incrusté de pierres précieuses, vêtue d’une longue robe rouge de la soie la plus brillante, s’avança alors Marishka, le front ceint de la couronne de rubis des Svetlakov. Je me fis la réflexion qu’une telle tenue s’accordait plus à une soirée de bal qu’à une chevauchée guerrière, mais je ne soufflai mot. Les soldats s’écartèrent pour la laisser passer. Un rictus triomphant sur les lèvres, elle m’accueillit ainsi :
« Quelle impudence, petite soeur ! Je ne te savais point tant d’imagination ! Quel sorcier Thornterrien a inventé pour toi toutes ces balivernes ? Ainsi, non contente d’être une meurtrière, tu t’es alliée à nos ennemis jurés pour asservir le peuple qui t’a nourrie !
- Je ne suis pas venue porter la guerre !
- Ah non ? Regardez bien, vous tous, regardez bien ! »
Elle leva le bras, et cent flèches enflammées s’envolèrent dans les airs. Le bois de Nouriev s’embrasa aussitôt, recrachant vingt chevaux affolés montés par des cavaliers aux couleurs de Thornterre. Une clameur indignée s’éleva du château, et tandis que les Svetlakiens faisaient face aux envahisseurs, des volées de flèches s’abattirent sur les arrivants. Mais aucune ne toucha sa cible. Dans un éclair bleu, un dôme transparent s’étendit sur le champ de bataille, où les projectiles rebondirent sans parvenir à le transpercer. Je me souvins alors de ma première rencontre avec Aliocha : il avait plu tout le jour et toute la nuit précédente, et lui était complètement sec !
Le choc était imminent, et ce que je voulais éviter à tout prix allait se réaliser : encore un combat, encore du sang et des larmes. Marishka exhortait ses troupes, et je ne savais que faire.
« Fais-la tomber ! Bats-toi ! Le droit est pour toi ! »
De son propre chef, Nadievna fonça sur le cheval blanc, qui ne put éviter l’impact. J’empoignai ma soeur à bras le corps et nous roulâmes toutes deux à terre.
« Dommage pour la robe ! » m’écriai-je en essayant de la maîtriser. Mais tandis que j’entendais, à travers le fracas des fers croisés la voix d’Aliocha qui me hurlait « Tiens bon ! », je sentis une lame brûlante entamer la chair de mon épaule. Je tentai en vain de désarmer Marishka. Je ne voulais pas la tuer, mais je ne devais pas mourir ! Je me relevai, plus leste qu’elle dans mes habits d’homme, et en enchaînant feintes et esquives, au milieu des piétinements des chevaux et des cris des hommes enragés, je criai silencieusement vers le ciel « Soxtiotch ! Au secours ! » Nadievna bouscula Marishka par derrière et elle perdit son poignard, mais aussitôt elle se jeta sur moi, ses deux mains autour de mon cou, les yeux exorbités de fureur. Je me débattis, sans pouvoir desserrer l’étau mortel qui m’étouffait, et déjà des étoiles filantes dansaient devant mes yeux...
Ce fut un cri stupéfiant, tel que je n’en avais jamais entendu. Un cri de commandement, de colère et de justice, un cri tellement sidérant que chacun se figea d’effroi et de surprise – et Marishka lâcha son étreinte. Les yeux levés nous vîmes tous scintiller dans sa colossale splendeur un immense dragon bleu qui plana au dessus de nous, nous cachant le soleil tant son envergure était gigantesque ; un dragon noir tout aussi majestueux le suivait dans son sillage. Soxtiotch fondit sur le champ de bataille, que tous les combattants désertèrent pêle-mêle sans plus se préoccuper de leur appartenance. Je ne bougeai pas. Le dragon se posa près de moi, l’oeil joyeux et la voix rieuse, et il me dit :
« Grimpe, Sonietchka ! Nous allons leur montrer ! »
Il me tendit son aile pour m’aider, et j’enfourchai son encolure avec ravissement. En un instant il tournoyait déjà au-dessus de la citadelle, et se posa légèrement au sommet de la tour ouest, ses ailes déployées frémissant doucement dans la brise d’automne. Xetiakh continuait de planer dans le ciel pâle.
« A genoux, peuple de Svetlakie ! A genoux, peuple de Thornterre ! Je suis Soxtiotch, fils de Golgotch. Je suis le Dragon des Czerniks, le protecteur de la Svetlakie, et je ne veux plus de guerre sur ce sol ! Souvenez-vous, pauvres humains ! Autrefois, Thornterre et Svetlakie étaient unies sous la même bannière, du temps du roi Vassili et de la reine Natacha. Malheureusement, ils eurent des jumeaux, Dmitri et Fiodor, qui scindèrent en deux le royaume, faute d’avoir pu s’entendre sur le commandement. Dmitri avait des pouvoirs magiques, aussi le Dragon choisit-il de protéger Fiodor et les siens, pour équilibrer les forces. Etait-ce une décision sage ou non, il ne m’appartient pas d’en juger. Mais depuis, une guerre fratricide a sans cesse déchiré les deux peuples. Qui d’entre vous n’a jamais rêvé que ce combat cesse enfin ? Cela a bien failli se produire, de la pire façon qui soit: Marishka a fait alliance avec le roi Ivan, mais c’était un pacte maléfique, qui a conduit à la mort de Golgotch et à celle du roi Igor, de sa femme et de son fils, héritier du Trône. Ma volonté est que Sonia de Svetlakie et Alexeï de Thornterre refondent l’unité originelle, pour que la paix règne à jamais entre les deux frères ennemis. »
Marishka se campa sur ses jambes et telle une aliénée en proie à une hallucination, elle leva un bras devant son front.
« Sorcellerie ! C’est de la sorcellerie ! Il n’y a plus de dragon dans les Czerniks ! Ce que vous voyez n’est qu’une illusion ! Je reconnais bien là la magie de Thornterre ! Par pitié, ne vous laissez point abuser par ces ennemis impitoyables qui nous ont fait tant de mal ! Comment pourriez-vous faire confiance à des Thornterriens ? »
Soxtiotch fronça son sourcil bleu devant le grondement de la foule, sortie sur l’esplanade pour y voir de plus près. Il y avait des femmes, avec leur enfant dans les bras. Il y avait des menuisiers, le tablier encore plein de sciure ; il y avait des boulangers, des tailleurs, le pourpoint hérissé d’épingles ; des forgerons, le visage encore rougi de la chaleur de la forge ; des marchands bedonnants, des nobles chamarrés, des mendiants étiques et des enfants des rues, sales et les pieds nus. Et tous avaient dans le regard une inquiétude muette, une interrogation, un doute, la peur d’une nouvelle souffrance...
O Soxtiotch ! Si jeune et pourtant déjà si sage, et tellement maître de sa force ! Comment pouvait-il comprendre ce que ressentaient les humains, ces créatures faibles et stupides qu’il aurait pu anéantir d’un seul souffle ? Qui lui avait appris la patience et la compassion ? Il s’adressa à eux d’une voix presque douce.
« Vous doutez ! On vous a tellement trompés, on vous a tellement menti que vous ne reconnaissez plus la vérité quand elle se présente. Malgré tout le mal que vous a fait votre reine, vous seriez prêts à la croire tant la délivrance vous semble inespérée ! Mais le don des Svetlakov est de communiquer par la pensée avec les animaux, cela vous le savez, n’est-ce pas ? Le roi Igor le possédait, et son père, et le père de son père... Cela, vous le savez ! Sonia, toi qui peux chevaucher les Dragons parce que tu as su mériter leur confiance, fais coucher les chevaux. Tous. Et garde-les couchés. »
Je lançai un appel mental aux pauvres montures effrayées. Je les rassurai, je les apaisai, et je leur demandai, comme preuve qu’ils m’avaient bien entendue, de se coucher. Ce qu’ils firent aussitôt, au grand étonnement de leurs cavaliers qui n’eurent que le temps de sauter à terre.
« Bien », reprit Soxtiotch. « Et maintenant, Marishka, est-ce que tu peux les relever par la seule pensée ? Ou bien dois-tu reconnaître que tu n’as pas le Don, et que tu n’es pas légitime sur ce trône ? »
Marishka, éperdue, se jeta sur le cheval le plus proche, le prit par la bride, le bourra de coups de pieds, sans que la bête ne bouge. Alors, dans sa folie, elle ramassa une épée tombée à terre et en traversa le corps de Diakine, qui s’effondra. Je criai ma douleur, m’impatientant sur l’encolure de Soxtiotch, mais il ne bougea pas. Il savait mieux que moi. Car Xetiakh fondit sur Marishka, projetant une langue de feu fine comme une épée, qui la frappa de plein fouet.
« Meurs, traîtresse ! Tu as fait assassiner mon mâle bien-aimé, tu as torturé ton peuple, tu n’as répandu que mort et douleur autour de toi ! Meurs et sois maudite à jamais, et que personne ne verse une larme sur ton juste trépas ! »
Il ne resta bientôt sur le sol qu’un petit cercle calciné, dont s’élevait une fumée vaguement teintée de rouge. Soxtiotch prit son envol et se posa près de Diakine. De ses yeux s’écoulèrent quelques larmes qui touchèrent la poitrine de l’homme blessé. Le sang qui coulait à flots se tarit, Diakine se releva, incrédule et vivant ! Puis, m’ayant demandé de mettre pied à terre, il lécha ma plaie qui guérit aussitôt.
« Eh bien », demanda-t-il de la voix goguenarde que je lui connaissais si bien, « sommes-nous une illusion ? Ou croyez-vous enfin que le bonheur soit possible ? »
Jamais le ciel de Svetlakie n’avait résonné d’autant de cris de liesse. Je sentis Aliocha prendre ma main et je me jetai dans ses bras, pleurant à chaudes larmes dans son épaule offerte. Tant de peur, tant de peur, tant de peur ! Et enfin le Donateur nous avait offert la victoire ! Je pourrais vivre encore cent siècles que ce jour resterait à jamais comme le plus beau de tous. Mon peuple m’était revenu et je n’avais plus rien à craindre.


C’est ce jour-là qu’Aliocha et moi avons fondé l’Union, réunion des deux provinces. Et depuis maintenant cinquante ans, nous connaissons la paix et la prospérité. La Fête du Dragon a été rétablie, devenue maintenant la Fête des Dragons, car Soxtiotch a trouvé une femelle, au bout du monde, et notre ciel est rempli de ses fils et de ses filles ! Oh, mes chers petits, je ne me lasse pas de vous raconter cette histoire, comme vous ne vous lassez pas de l’entendre. Mais quels que soient votre vaillance et votre enthousiasme, souvenez-vous toujours que la guerre n’est autre qu’un échec, et que le vrai courage est de préserver la paix à tout prix.
Je vous aime tant ! Allez jouer, maintenant, je dois donner mes ordres en cuisine, sinon ce soir vous n’aurez pas de gâteaux ! Et puis, demain... Cela fera six mois que nous sommes à Thornia, et nous repartons demain pour Svetloumine. Le roi Léonid, mon fils bien-aimé, tient beaucoup à respecter cette tradition, et Aliocha et moi lui en sommes reconnaissants. Allez, marmaille, dispersez-vous, et n’oubliez pas votre leçon d’équitation, ou vous serez privés de dessert !




Narwa Roquen
Narwa Roquen, et deux semaines de bonheur!

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2014-10-26 21:18:44 

 Commentaire Maedhros, exercice n°133Détails
Ououououhhhh ... Ainsi le loup hurle à la lune et ainsi le Tolkien-addict hurle de nostalgie à la lecture de ce texte. Vous en rêviez ? Maedhros l’a fait ! La suite improbable, impossible, vous m’entendez ? LA SUITE ! Ce n’était même pas imaginable et pourtant c’est là devant moi, noir sur blanc. J’ai cru halluciner, et puis j’ai frémi. Et non, je ne spoilerai RIEN !
Pauvres humains qui ne fréquentez pas le Cercle de Faëries, tant pis pour vous ! Vous mourrez dans l’ignorance...


Bricoles :
- Des sapins d’Oregon qui déboulent, en vagues serrée : serrées
- Les milliers et les milliers de jours qui se sont succédé : succédés
- Cela fait des lieux : lieues
- Fait voler aux éclats le silence trompeur : en éclats
- Les elfes survivants ont réussi à démonter : je m’insurge violemment contre cet usage abusif du verbe « démonter » pour dire « mettre pied à terre », même s’il est largement et outrageusement utilisé dans toutes les traductions de la littérature anglo-saxonne. En français, démonter un adversaire, c’est le désarçonner, le faire tomber de cheval. Le cheval peut aussi démonter son cavalier. C’est le seul sens reconnu. L’emploi intransitif est un abus !
- Rien ne semble émousser l’ardeur des Elfes et surtout pas celle de celui qui... : pas top
- Dans une horrible étreinte de feu qui les consument : qui les consume
- Où s’ils se sont rencontrés : où ils
- Sur tapis de roses des sables : sur un

Bon, le coup de la rivière, on nous l’a déjà fait... disons que c’est un clin d’oeil, comme la 25° heure et un autre jour au paradis. En revanche mention spéciale à tes scènes de combat, qui sont vraiment bien léchées. Quoique le passage sur la Main ne leur soit guère inférieur. Et le forgeage de l’Anneau est un moment d’extase !
Plutôt que de nous bassiner avec de lourds délires hobbitesques, futiles prétextes à un déluge d’effets spéciaux ( certes réussis), George Lucas ferait mieux d’acheter les droits de ton texte pour en faire une super méga production qui nous tirerait des cris et des larmes... Mais, désolée, je n’ai pas son n° de téléphone. Quelqu’un, parmi vous... ? Non ? Quel gâchis !
Mais merci pour cet intense moment de bonheur...


PS : si un jour de mélancolie tu te plaisais à regarder en arrière, tu constaterais à quel point ton talent s’est épanoui : tu maîtrises bien les dialogues, tu les insères facilement dans tes textes, qu’ils rendent plus fluides et plus vivants. Et surtout, tes personnages expriment facilement leurs émotions, ce qui touche toujours le coeur du lecteur. Je ne suis pas la seule à prêcher dans ce sens. Je lisais récemment une interview de Ken Follet ( « Les piliers de la terre », « La chute des géants » etc... ), et il en fait une de ses priorités. Ca m’a confortée, et réconfortée.
Narwa Roquen, les yeux pleins d'étoiles

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2014-10-28 20:25:56 

 Le règne du feu.Détails
Voici donc le 7ème et dernier épisode de cette longue épopée commencée il y a plus de quatre ans, puisque c’était dans la WA 75. Cela donne la mesure de la distance que nous avons parcourue, seul ou en bande, par monts et par vaux, empruntant des sentiers inexplorés.

Tout d’abord, je suis bluffé par la constance et la motivation dont tu as fait preuve pour ne pas perdre le fil de l’histoire ! Chapeau bas ! Pour ma part, je ne compte plus les débuts d’histoires que je n’ai pas poursuivis ! Je dois être un prince des neverending stories ! Une sorte de bluffeur de mots qui fait briller ses chromes : vous allez voir ce que vous allez voir.... Mais pour ça, il faudra attendre un certain temps. Revenez plus tard, le patron est dans l’arrière boutique où il fait l’inventaire !

Dans cette dernière partie, les protagonistes sont présents pour l’acte final. Il ne pouvait en aller autrement. Le destin des Czerniks était écrit d’avance. Chassée de son légitime héritage, la princesse Sonietchka revient chez elle pour affronter sa soeur et tenter reprendre les rênes de son destin. Elle est aidée dans son entreprise par ses fidèles alliés, qui, homme ou animaux, entretiennent avec elle une relation fortement empreinte du respect de l’autre. Comme la consigne le demandait, le récit commence en cours de route puis tu ouvres une parenthèse pour décrire tous les évènements qui s’étaient déroulés auparavant, avec une description très cohérente de la restauration du royaume thornterrien.

Le récit foisonne de personnages, de situations qui s’imbriquent les uns aux autres sans fausse note. Tu mets toujours autant l’accent sur les valeurs humaines. Les animaux sont également très présents, dragons, cheval, chien et bien sûr le chat (ne pas oublier le chat !), éléments familiers qui se retrouvent dans bon nombre de tes histoires. Bien vu l’origine de la scission du royaume originel et l’explication entre les dons octroyés aux deux lignées souveraines ! Finalement, le dragon des Czerniks fera justice et rétablira la véritable héritière dans ses droits et titres ! Cela se termine comme les contes de fées. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ! Entre, nous, qu’est ce que la vie pourrait offrir de mieux, tout compte fait ?

Au rayon des bricoles :

« Epaules crispées, dents serrées. J’essaie de tout relâcher..... » : étonnant ce paragraphe au présent, alors que l’ensemble du récit respecte les différentes formes du passé. Je n’ai pu relier l’emploi de ce temps à aucune condition de narration !

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2014-10-28 20:31:31 

 George Lucas?Détails
Mais pourquoi pas, au fait?

"Maedhros.... fffoouuuu... je suis ton père!" me confierait Sauron, dans la chambre ardente du volcan, au bord du gouffre d'où monterait la lave....

joke!

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2014-10-29 14:43:32 

 Alzheimer?Détails
Evidemment, il fallait lire Peter Jackson... Ma fourche a langué...
Narwa Roquen, en pleine confusion

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