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 WA, exercice n°135, participation ( 1° partie) Voir la page du message Afficher le message parent
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 15 janvier 2015 à 23:33:20
Ma fille, mon amour




Il ne faut pas qu’elle le sache, tu m’entends ? Jamais ! Tu es le seul à qui je puisse raconter tout ça. Je suis vraiment désolé pour toi, mon vieux, mais d’un autre côté ça me fait tellement de bien d’en parler à quelqu’un... Et je suis sûr de pouvoir compter sur ta discrétion. Nous avons toujours été amis. Enfin... de bons copains, c’est sûr. Tu faisais les quatre cents coups tandis que je trimais pour finir mes études, tu sortais toujours des blagues à deux balles mais tu n’étais avare ni de bières ni de pizzas. Je t’aimais bien. Maintenant, tu m’es indispensable.


La première fois que j’ai croisé son regard, je suis resté interdit, muet, foudroyé. Je l’ai reconnue. Toute ma mémoire m’est revenue d’un coup, tous les souvenirs de dizaines de vies antérieures, et Elle ! Elle, c’était dans ma première vie, celle qui nous marque à tout jamais. Celle qui laisse une empreinte indélébile au plus profond de l’âme, et dans tous les autres corps qui nous seront alloués ensuite. Je me suis souvenu, et ma vision était précise comme si je l’avais vécu la veille : je tenais sa main, nous marchions dans la ville en flammes au milieu des décombres, sous une pluie de cendres qui nous piquait les yeux et nous brûlait la gorge. Les gens hurlaient, couraient, tombaient. Certains, rattrapés par le feu du ciel se roulaient par terre pour tenter de l’éteindre mais en vain. Rien ne peut éteindre le feu du ciel. Nous aurions dû être terrifiés. Je me souviens seulement d’une grande compassion pour la souffrance des autres. Et d’une grande paix chaque fois que je plongeais mes yeux dans son regard d’azur. Qu’aurait-il pu nous arriver ? Nous étions ensemble. Nous étions prêts à mourir ensemble plutôt que de risquer d’être séparés ; le bonheur ultime, la félicité absolue, nous pensions les avoir déjà connus. La Mort n’aurait pu que consacrer notre union. Et c’est bien ce qu’elle fit.
« Lucas, tu rêves ? On l’appelle Laure, d’accord, comme ma grand-mère.
- Elora, ai-je répondu d’un ton tranchant sans un regard vers ma femme. « Elle s’appelle Elora. »
Forcément ! C’était elle, je te dis ! Et depuis cet instant, cet instant précis où je l’ai retrouvée, j’ai... comment dire... la capacité... le don ? Ca fait un peu prétentieux... Bref, je vois les gens comme ils sont, je vois d’eux même ce qu’ils ignorent, leurs vies antérieures, le poids de leur passé, leurs secrets les plus intimes... Tu ne me crois pas ? Je te fais un exemple.
La semaine dernière je vais chez un type cloué au lit par un lumbago, le genre très très douloureux, limite paralysant. Il n’est pas maçon, il est guichetier à la Poste ! Bref je commence mon massage, effleurage, pétrissage... Et là, je le vois. Il transporte des blocs de pierre pour la pyramide de Louksor ! Alors tout en continuant mon soin je lui dis :
« Ah, vous savez, la pyramide de Louksor, ça fait longtemps qu’elle est achevée. Terminée. Finie.
- La quoi ?
- La pyramide, en Egypte.
- Mais de quoi vous me parlez, là ? »
Le lendemain, je le croise au supermarché, fringant et guilleret.
« Ah, votre massage, super ! Je n’ai plus mal, plus rien ! Et il me reste encore dix jours d’arrêt de travail ! »
Etonnant, non ?


Elora, je l’ai reconnue tout de suite. Personne au monde n’a jamais eu et n’aura jamais ces yeux-là. Et ce regard profond, insondable, abyssal... J’ai vécu près de ces yeux-là, je les ai vus briller de joie et de désir, je les ai vus se fermer à l’acmé du plaisir et se rouvrir dans le feu de la passion sauvage. Je m’y suis abreuvé, je m’y suis noyé dans l’extase la plus parfaite, celle qui te donne envie de mourir pour ne plus rien connaître d’autre... Nous avions vingt ans et nous nous aimions. Nous nous aimions comme peu d’humains se sont aimés. Nous étions... les deux moitiés du même fruit, l’être parfait enfin reconstitué, complet, tout-puissant. Nos pensées se complétaient, chacun de nous pouvait finir les phrases de l’autre, il n’y avait entre nous ni secret ni distance, même le silence avec elle était un instant de bonheur... J’avais oublié tout ça. Tout m’est revenu quand je l’ai vue. Notre fuite dans Gomorrhe au milieu des ruines enflammées, des gémissements et des hurlements de souffrance. Nous nous tenions par la main, nous n’avions pas peur, mais nous voulions vivre, vivre encore ensemble ! Le feu du ciel pleuvait sur nous, dans une volonté d’extermination totale. Les nazis n’ont rien inventé : Dieu leur a donné l’exemple ! Et tu sais pourquoi ? On a parlé de stupre et de luxure, d’un peuple dévoyé qui ne respectait rien. On nous a fait passer à l’Histoire comme de grands criminels dont le châtiment n’était que justice. La vérité c’est que nous étions un peuple tolérant, où l’amour était libre et toujours bienvenu. Nous n’étions ni des assassins ni des voleurs. Nous n’avions pas d’esclaves, et tous les étrangers étaient accueillis avec bienveillance. Nos moeurs étaient libres, et alors ? Il n’y avait que des relations consenties, et ce qui se passe dans une chambre à coucher est de l’ordre de l’intime et du privé. Nous ne considérions pas l’acte sexuel comme un corollaire à l’enfantement. Nous autorisions le plaisir comme source de paix et d’équilibre, et de ce fait nous ignorions la violence. Et tu sais pourquoi Dieu nous a détruits ? Il était jaloux ! Jaloux que nous trouvions le bonheur en dehors de la prière, jaloux que nous puissions être heureux alors qu’il nous avait maudits en chassant Adam et Eve du paradis originel ! Nous remettions en cause son autorité, sa souveraineté. Nous, ses créatures, pouvions vivre dans la paix et la joie sans sa bénédiction ? Cela lui était insupportable. Il nous avait, disait-il, faits à son image. Et pourtant, ce jour-là, il s’est comporté comme un humain, non comme un dieu.
Nous sommes morts ensemble, la main dans la main, foudroyés par le même éclair blanc. Dans l’agonie nos yeux ne se sont pas quittés. Et si j’ai souffert, je ne m’en souviens plus. J’étais avec elle, la mort même était sans importance.



Tu ne me crois pas ? Tu penses que je délire, que je suis devenu fou ? Je vais te dire. Ton accident, c’est juste la répétition du destin que tu traînes, parce que tu vis sans réflexion et sans prudence. A Rome, tu conduisais un char attelé de deux chevaux blancs ( ta voiture était blanche, non ?). Tu étais le champion de toutes les courses. Et puis, parce qu’un soir tu avais laissé le soin de tes chevaux à un esclave négligent, un cheval qui souffrait a fait un écart, et tu es tombé. Et ça s’est reproduit pendant la guerre de Sécession. Vaillant caporal, tu as abusé du whisky après une victoire nordiste, et tu n’as pas soigné ton cheval qui était truffé de mouches plates. Il s’est emballé dans une descente, dans la chute ta tête a heurté un rocher...
Toujours le même ! Tu conduisais vite, tu freinais sec... Tu aurais dû faire réviser ta voiture, mais tu avais rendez-vous avec une fille... Les freins ont lâché...
Il faudrait que tu prennes le temps de réfléchir, pour faire mieux la prochaine fois. C’est peut-être d’ailleurs l’occasion qui t’est offerte en ce moment... Trois ans de coma...
J’ai vécu d’autres vies. Je l’ai cherchée partout, sans savoir que je la cherchais. Je me souviens d’avoir marché, encore et encore, de ville en ville, d’avoir traversé des foules innombrables en dévisageant chaque passant... Je me souviens de l’angoisse, de la tristesse, auxquelles je ne trouvais pas de cause... Je sais, maintenant ! C’est terrifiant, mais en même temps c’est une immense libération, je peux voir, je peux comprendre, je n’ai rien à me reprocher, j’ai seulement fait ce que j’ai pu pour revenir auprès d’elle...
Ce Dieu pervers qui nous a assassinés me persécute encore une fois. Après des vies et des vies d’errance, il me rend la femme que j’aime... mais sous la forme de ma propre fille, la seule créature au monde qui me soit à jamais interdite ! Quoi ! Tu as pu en douter ? Tu as pu imaginer un instant que je ferais passer mon bonheur avant le sien ? Ah... tu n’as jamais été très intelligent, c’est vrai. Et sans doute n’as-tu jamais vraiment aimé... Dès le jour de sa naissance, cela a été pour moi une évidence. Douloureuse et terrifiante, mais une certitude absolue et incontournable. Elora était ma fille, et je la respecterais. Je me suis juré que je veillerais sur elle, que je la rendrais heureuse sans qu’elle ne sache jamais rien de notre vie passée. Plus elle grandit, plus la tentation est forte. Mais c’est justement parce que mon amour pour elle est infini que je n’enfreindrai pas le tabou de l’inceste.
En revanche... est-ce que je l’ai fait exprès ? Pas vraiment, pas tout à fait, peut-être un peu...
Dès la naissance d’Elora, Sabine m’est devenue totalement étrangère. Est-ce que je l’aimais, quand je l’ai épousée ? Elle m’aimait. Je l’aimais bien, j’avais envie d’avoir des enfants, elle était désirable. Je pensais que c’était bien comme ça.
Mais après Elora... Elle était de trop. Je ne la détestais pas, mais elle me dérangeait, elle m’encombrait. Non seulement je n’avais plus envie d’elle, mais elle voulait toujours s’occuper du bébé, elle me volait ma fille ! Elle, bien sûr, passés les premiers mois, était sans cesse demandeuse. Elle n’avait pas mérité d’être malheureuse, et au début j’ai accumulé les excuses. Mais le temps passait, et je me sentais acculé. Je ne voulais plus la toucher, je ne savais plus comment m’en sortir...J’aurais trahi Elora, tu comprends ? Tout mon corps se révulsait à cette idée !
Et puis... Je suis béni des Dieux, je crois. Ou bien c’est la pensée créatrice. Ou un hasard compatissant. Le Destin, oui, peut-être... La force de l’amour entre deux êtres est tellement magique qu’elle peut abattre tous les obstacles !
La petite avait quatre mois, et nous étions de mariage. Une de mes cousines qui convolait après six ans de vie commune. Je ne voulais pas y aller, je ne voulais pas quitter Elora, même pour un soir. Sabine a insisté, elle voulait sortir, voir du monde, s’amuser, danser...On a confié Elora à la voisine, une nounou à la retraite qui avait élevé une ribambelle d’enfants, en plus des quatre siens. On a mangé, on a bu, on a chanté, on a dansé. Elle, surtout. J’étais fatigué, au retour, peut-être un peu gris. J’étais pressé de rentrer. Je m’en voulais d’avoir délaissé Elora. J’en voulais à Sabine.
Je roulais trop vite. Oui, ça va te faire rire, je me suis moqué de toi l’autre jour, mais tu as raison je ne vaux guère mieux. J’ai freiné trop tard. J’ai défoncé le parapet et on est partis en tonneaux dans la descente ; la voiture s’est arrêtée en s’encastrant dans un arbre. J’ai eu trois côtes cassées. Sabine est morte sur le coup.
J’ai pleuré en public, mais si tu savais combien j’étais heureux, soulagé, apaisé, enthousiaste ! Elora ne serait plus qu’avec moi, toujours, tout le temps ! Elora ne verrait que moi, n’entendrait que moi, n’aimerait que moi, et je serais la personne la plus importante de sa vie !
C’est juste que... Il est normal qu’un jour... Mais tu vois, le jour où elle sera vraiment amoureuse, le jour où elle envisagera de porter l’enfant d’un autre...
Je ne sais pas. Je ne sais pas du tout ce que je ferai.


Donc, comme je te disais... c’est exactement ce qui s’est passé. J’ai quitté la clinique pour m’installer en libéral, dans un cabinet de groupe. Ca me permettait d’être libre de mes horaires tout en me faisant remplacer facilement quand j’en avais besoin. J’ai pu l’accompagner à toutes ses rentrées scolaires, être avec elle pour la varicelle, la scarlatine et la pneumopathie, assister à ses auditions de guitare et à ses galas de danse... Elle a toujours été souriante, adorable, facile. Pas un caprice, pas une colère, pas une rébellion. Elle me regardait comme si j’étais Dieu, et je me sentais capable de soulever des montagnes...
Et puis, elle a grandi. Elle s’est épanouie comme une fleur au soleil et elle a commencé à ressembler à la femme que j’avais aimée. Je ne sais pas de quel crime je souffre le châtiment, mais c’est une torture permanente. Elle est belle, tellement belle... Le moindre de ses sourires me bouleverse et son corps... Souvent je dois me faire violence pour dissimuler l’émoi qu’elle fait monter en moi. Je vais faire un tour, je cours jusqu’à l’épuisement, je claque des dents sous la douche froide... Mais devant elle, je suis toujours resté calme, affectueux sans excès, respectueux, placide. J’ai chassé toute ambigüité de mes gestes et de mes propos. Parfois, la nuit, j’en pleure. Je ne hurle ma rage et mon désespoir que les soirs où elle dort chez une copine.
Attends, tu crois que je suis dupe ? Ses copines doivent s’appeler Kevin, Thibault ou Clément. J’en crève de jalousie, mais ce n’est rien. Ils ne font que passer, moi je reste. Ils se traînent tous à ses pieds, mais elle est difficile, exigeante, absolue. Et les gamins ne sont pas à la hauteur ! Elle les prend et elle les jette, et elle a bien raison. Je ne me sens pas en danger.



« Bonsoir, monsieur. Excusez-moi, mais il est tard, normalement ce n’est plus l’heure des visites. Mais bon... Vous savez, le pauvre, à part vous... Sa soeur vient deux fois par an, et ses parents... Deux ou trois fois, au début, puis plus rien... C’est bien ce que vous faites, vous êtes un homme bon, et je suis sûre que le bon Dieu vous le rendra, ah ça c’est sûr... »
Je me lève, je souris à l’infirmière Martiniquaise dont le sourire est un rayon de soleil. Un fugace instant de honte me traverse. Je lui tends la main, je la serre dans les miennes.
« Ce que vous faites pour lui est bien plus important... »
Elle a été martyr à Rome. Esclave au Missouri. Putain à la Nouvelle-Orléans. Bonne soeur pendant la guerre de 40. Toujours des vies difficiles, avec le soin de la souffrance des autres pour oublier sa propre souffrance. Toujours noire, et toujours lumineuse et réconfortante comme un astre sacré. Elle pourrait peut-être comprendre... Mais non, je ne vais ajouter mon fardeau à tous ceux qu’elle porte depuis si longtemps. Je la regarde intensément, j’ai envie de lui dire « merci, ma soeur, au nom de tous les malheureux ». Mais j’ai un secret à garder.
« Je vous souhaite une nuit calme, bon courage. » Elle me sourit.
Je me sens terriblement seul. Est-ce qu’Elora dormira chez Clémentine ( Pierre), ce soir ? J’ai tellement envie de la serrer dans mes bras...
Narwa Roquen, la suite viendra ( comme l'hiver)


  
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3 Asymptote - Maedhros (Dim 8 fev 2015 à 18:24)


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