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De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Dimanche 19 avril 2015 à 23:45:53
Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre...



De longs chemins






« Alors ? Qu’est-ce que tu en dis ?
- C’est splendide ! Un vrai palais de conte de fées ! Mais tu es sûr que je... J’aurais très bien pu dormir à l’astroport...
- Ah non ! Ici, je suis un Seigneur, mon vieux. Mes appartements sont ma propriété, et j’y invite qui je veux.
- Mais tout de même...
- Je suis un bâtard, c’est ce que tu veux dire ? C’est vrai. Mais ici, ce n’est pas comme chez nous. Le vieux seigneur Alton n’avait pas d’autre fils, et comme je possède le don de la famille, le don des rapports forcés, j’ai été reconnu comme héritier de plein droit.
- Les rapports...
- Télépathiques !
- Tu es...
- Mais on m’a enseigné ici à maîtriser mon don, et je ne suis plus un danger ni pour moi ni pour les autres.
- C’est vrai que tu as toujours su convaincre...
- Je me servais de ce don, d’une manière instinctive et sauvage. Ici j’ai appris à le contrôler.
- Ne me dis pas que tu t’en es servi pour persuader le Conseil Interstellaire de tenir son assemblée sur Cottman IV !
- Oh... presque pas... »
Danilo éclata de rire.
« Il paraît que je suis très doué. C’est ce qu’ils m’ont dit, à Arilinn, une de leurs Tours, là où se concentrent leurs télépathes les plus expérimentés. Rodolphe, mon vieux, ça va être dur de tout t’expliquer... Ténébreuse est un monde tellement différent... »
Un domestique en livrée frappa à la porte et entra avec un plateau chargé de victuailles.
« Puis-je servir, vai dom ?
- Très bien, très bien, merci. Assieds-toi, Rodolphe. »
Les deux amis se régalèrent d’un ragoût de lapin cornu avec des pommes de terre, suivi de coupelles de fromage frais parsemé de fruits secs. Un grand feu brûlait dans la cheminée, le silence était total, les fauteuils confortables et le vin parfumé et léger.
« Et quand tu reviens sur Cottman VI, ce n’est pas trop difficile ?
- Je suis bien, ici », répondit Danilo d’un air grave. « Et pas seulement à cause de tout ce luxe, dont je ne cesse de m’émerveiller comme un enfant, mais qui me semble dérisoire. Je sais d’où je viens. Mon père était maçon. J’ai été apprenti à 14 ans, comme lui, pendant plus de dix ans j’ai travaillé comme une bête pour un salaire de misère, dormant peu, mangeant mal... Je n’ai rien oublié. Je me bats chaque jour pour que les hommes du peuple, mes frères, soient respectés et correctement rétribués. Le Seigneur Alton, c’est génial. Mais mon vrai père... »
On frappa de nouveau à la porte.
« Je n’ai pas voulu vous déranger pendant le dîner, dom Danilo», déclara le coridom. « Deux messages sont arrivés il y a une heure de la zone Terrienne, un pour vous et un pour votre invité
- Merci, Damon », lui sourit Danilo en prenant les enveloppes sur le petit plateau d’argent. « Ta délicatesse est un don du ciel. »
Il déplia la lettre imprimée et s’exclama :
« Oh non ! »
En face de lui Rodolphe avait pâli.
« Mon père est mort », prononça Danilo, la gorge serrée.
- Ma mère aussi.
- Quand ?
- Le 24.
- Mon père aussi, le même jour. Elle avait quel âge ?
- 82.
- Comme mon père. Elle était née quand ?
- Le 30 janvier. »
Danilo se troubla.
« C’est... étrange... nés le même jour, morts le même jour, et nous... Elle est morte chez elle ?
- Non, depuis quelque temps elle était à Sainte Rita.
- Evidemment... Mon père est mort le jour où il y a été admis, j’avais usé de mon influence pour lui trouver une place... Tu sais, ici on pense que rien n’arrive par hasard. Parle-moi d’elle, bredu.
- C’est aussi ce que disait ma mère... Elle... Excuse-moi... »
Il s’essuya les yeux dans un coin de serviette brodée.
« Je suis désolé. »
- Il n’y a pas de honte à pleurer, mon ami. Ici, aux enterrements, les participants viennent, chacun à leur tour, raconter un de leurs souvenirs concernant le défunt. Puis ils disent « Que ce souvenir allège notre affliction ». Nous n’étions pas là pour leurs enterrements. Mais ce soir, rendons-leur hommage.
- Je... Ma mère s’appelait Marion. Elle était à la fois architecte et ingénieur. Je crois... qu’elle était très intelligente, et elle travaillait beaucoup. J’ai... J’avais une soeur, Délia, qui est morte il y a quelques années, dans un accident. Ma mère... jouait du piano. Elle était fille unique... Tu sais qu’à l’époque il fallait une dérogation pour ça, sur Cottman VI, la loi imposait quatre enfants par couple. Mais ma grand-mère avait des relations. Maman a suivi une scolarité brillante (dont elle ne s’est jamais vantée, j’ai appris ça par ma grand-mère), mais je crois qu’elle a toujours souffert de la solitude. J’ai vécu avec elle pendant vingt-trois ans, et je ne lui ai jamais connu aucun ami. A part... Elle me disait que ses amies, c’étaient les deux lunes, Alysa la bleue et Kaniel la verte... Que quand j’aurais trouvé la femme de ma vie, je pourrais aller avec elle parler aux deux lunes, que les lunes seraient contentes... Je suis sûr qu’elle ne l’a jamais fait avec mon père. C’était un homme courtois, discret, pacifique, mais il était homosexuel. Il respectait ma mère, il s’occupait bien de nous... mais... j’imagine que pour une femme ce devait être frustrant...
- Mais pourquoi l’a-t-elle épousé ?
- D’après ce que j’ai pu comprendre, elle n’a pas eu le choix. Elle avait 25 ans, et en ce temps-là il y avait une taxe exorbitante sur le célibat. Et puis les deux familles s’étaient mises d’accord... Pardonne-moi... Je... Raconte un peu, toi, je reprendrai ensuite. »
Danilo fronça les sourcils et commença son récit.
« Mon père, Romain Le Korr, était l’aîné de quatre enfants. Je sais par ma grand-mère qu’il était un enfant très doux, qui s’occupait beaucoup de ses frères et soeur. Plutôt silencieux et rêveur, toujours révolté par l’injustice, pas très doué à l’école... Mais pour les gens du quartier Un, que là-bas on nomme le Pied du Mur, ce n’était pas un défaut. L’école ne servait à rien et ne rapportait rien. A 14 ans il a commencé son apprentissage. C’était un ouvrier sérieux, toujours préoccupé du sort des autres, et les hommes lui faisaient confiance. Il est devenu chef de groupe, puis chef de chantier. Il s’est toujours battu pacifiquement pour que les ouvriers soient respectés et mieux payés.
Au moment de l’adolescence, après une sorte de grippe, j’ai commencé à pouvoir lire dans les pensées, et j’ai pu connaître ainsi bon nombre de ses souvenirs. Mais bien avant ça... Il était déjà le centre de ma vie d’enfant. Ma mère, Augustine, était commerçante, elle ne s’occupait pas beaucoup de nous, et j’étais le dernier des six. Tu m’as bien dit que ta soeur aînée s’appelait Délia ? Mes deux aînés se prénomment Délia... et Rodolphe !
- C’est troublant... Et Marion et Romain... Des anagrammes... Nés le même jour, morts le même jour, comme s’ils étaient jumeaux... Est-ce cette planète étrange qui rend tout différent ?
- Non ! Mais quand tu commences à remettre en question tes certitudes, alors tu ouvres les yeux et tu vois ce que hier tu aurais ignoré...
Le soir des 40 ans de mon père, j’avais cinq ans et j’avais passé une mauvaise journée : les enfants de l’école m’avaient une fois de plus traité de bâtard parce que j’étais le seul roux de ma famille, et ils avaient ajouté en ricanant que mon père allait me chasser. J’ai retrouvé ce souvenir dans la mémoire de mon père, aussi intense que dans la mienne : son discours simple me disant qu’il n’était peut-être pas mon père biologique mais que j’étais son fils et qu’il m’aimait ; pardonnant à ma mère parce que lui-même était souvent absent sur des chantiers lointains ; me promettant de m’offrir un jour le voyage sur Cottman IV, où il y avait beaucoup de rouquins. Et enfin... et sur mon lit de mort je m’en souviendrai encore, me disant « les enfants de l’amour sont toujours plus forts que les autres ». Ensuite, pendant la soirée, il est sorti respirer un peu et parler à ses lunes chéries (il les adorait depuis l’enfance), et il s’est retrouvé dans le quartier des riches. Il s’est arrêté, attiré par le son d’un piano. Il est resté longtemps à l’écouter, envahi par une grande émotion. Et je peux te dire que ce piano, il s’en est souvenu à chacun des évènements importants de sa vie, comme un message d’espoir et de réconfort.
- Un piano, tu dis ? Ma mère jouait souvent du piano. Il y avait un air... Comment était-ce ?
- Attends », l’interrompit Danilo. « Laisse-moi essayer quelque chose. »
D’un grand coffre en bois sculpté il sortit un rryl, en accorda rapidement les cordes, et se concentrant sur un souvenir, il joua une mélodie très simple, sereine et mélancolique à la fois.
« C’est ça ! C’est ça ! Lalala... la.... Je ne connais rien à la musique, mais je m’en souviens très bien... Comment peux-tu connaître cet air ?
- Je l’ai entendu dans la mémoire de mon père. Eh bien, Dolphie, tu es tout pâle ! Reversons-nous un verre de vin. Il vient de mes vignes d’Armida, et là-bas on dit qu’il a le pouvoir de revigorer le coeur de l’homme.
- Danilo, j’ai l’impression d’être pris dans un rêve envoûtant et mystérieux... Je... Je ne sais pas ce qui s’est passé le soir des 40 ans de ma mère. Elle a commencé à fêter ses anniversaires l’année suivante. Elle avait dû rentrer tard, comme d’habitude, et la gouvernante nous avait envoyés au lit. Si je me souviens bien... c’était l’année où ont débuté les travaux de l’astroport Nord de Protopolis. Je sais qu’elle s’est battue comme un beau diable pour qu’il soit entièrement ouvert, y compris la zone commerciale, sans distinction de classe sociale.
- Ca ne fait que cinq ans qu’ils ont décloisonné l’astroport Sud : c’était une sacrée avancée pour l’époque !
- Alors il est possible que, rentrée tard, seule dans l’appartement silencieux, elle se soit mise au piano... et que ton père, dans la rue, l’ait entendue... Elle adorait jouer la fenêtre ouverte, pour mieux voir les lunes...
Mais en revanche je me souviens de ses 60 ans. C’était le soir de ton investiture. Elle s’en était réjouie, elle nous avait montré les images sur le grand écran, ce qui avait fait hurler ma soeur. Quand je lui ai appris que j’étais ton ami et que je militais avec toi depuis sept ans, elle m’a dit «Je suis fière de toi, mon garçon. Vous allez tous les deux enfin changer les choses. Je n’aurais pas pu rêver d’un plus beau cadeau ! »
- Que de coïncidences ! J’ai comme l’impression que ta mère a été seule toute sa vie. Et mon père aussi. Il a épousé ma mère parce qu’à 25 ans il aurait dû payer la taxe, et que ses parents le lui avaient conseillé. Il travaillait beaucoup, il n’avait pas le temps de chercher ailleurs. Je crois qu’il avait pour ma mère de l’affection et du respect, mais il ne l’a jamais emmenée parler aux lunes. De toute façon, elle aurait ricané.
Les 60 ans de mon père, il les a passés tout seul. Il a juste été invité chez son voisin, Alberto, pour voir mon investiture sur l’écran. Il travaillait encore, il avait de l’argent, mais ma mère l’avait chassé de la maison quand il avait pris mon parti – la vie est... paradoxale, parfois. Ma mère trouvait mes activités trop subversives. Elle craignait que le moindre changement ne vienne lui ôter le peu qu’elle avait. Le sort des autres, elle s’en fichait ! Et puis, avec son argent, mon père aidait ses enfants, ses petits-enfants, les cousins, et aussi plusieurs veuves de gars qui étaient morts sur ses chantiers... J’ai mis des années à comprendre ça et après j’ai fait en sorte qu’il ne manque de rien. Mais il a vécu plus de quinze ans dans la misère, toujours souriant, ne se plaignant de rien, et il me disait « Continue, Dani, continue, c’est bien, tu vas changer le monde », alors que c’était lui, au quotidien, qui changeait la vie de tous ceux qu’il aimait...
Cette année, il est devenu de plus en plus faible. J’ai pu le faire admettre à Sainte Rita, en espérant qu’ils pourraient le prolonger un peu, mais il est mort le jour de son arrivée...
- Ma mère y était depuis quinze jours. Elle perdait la mémoire, elle avait du mal à marcher... Et moi, toujours outre-planète... Je m’en veux, tu sais, de ne pas avoir été là...
- Je suis sûr qu’elle ne t’a rien reproché. Elle était fière de toi, et elle était généreuse. Est-ce qu’ils t’ont dit où elle était enterrée ?
- Dans le cimetière de l’hôpital, concession 23. »
Dani éclata de rire.
« Mon père est à la concession 24 ! Ils se sont rejoints, finalement !
- Mais tu imagines », répondit Rodolphe gravement, « si ces deux-là s’étaient rencontrés... Tu imagines combien ils auraient pu s’aimer, et quelle force ils auraient retiré de leur union, et combien de choses ils auraient pu faire ensemble...
- Ils ont travaillé pour nous,bredu. Ils se sont battus pour défricher devant nos pas, pour que notre route soit plus large. Et s’ils nous voient aujourd’hui, ne doute pas qu’ils se sentent récompensés de leurs efforts. Nous sommes frères jurés, et nous suivons leur trace...
- Et nous porterons le flambeau, et nous le transmettrons à nos enfants... Quand nous en aurons... Quelle est cette formule, déjà, des enterrements sur Ténébreuse ?
- Que ces souvenirs allègent notre affliction... Mais la vie continue, mon frère ! J’espère que tu ne t’es pas inscrit au banquet du Congrès, après-demain soir ?
- Oh moi, tu sais, les mondanités...
- Alors nous sommes invités chez Callista Aillard, une Comynara tout ce qu’il y a de plus ténébran, télépathe et tout... En fait, on m’a adoubé ici avec la condition implicite que je me reproduirais, pour transmettre mon don... Mais Callista est une jeune femme intelligente, ouverte, cultivée... et presque aussi belle que sa soeur Elaine, qui est aussi célibataire...
- C’est quoi, ce plan ? »
Rodolphe fronça les sourcils.
« Tu n’as aucune obligation,bredu. Mais si elle te plaît, si tu lui plais... Tu sais, quoi... C’est la vie... Et je serais ravi d’avoir un beau-frère avec qui je ne me disputerais jamais... »
Narwa Roquen, qui chemine


  
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Réponses à ce message :
3 Lux ex tenebris - Maedhros (Jeu 7 mai 2015 à 19:36)
       4 Comm' Roquen - Elemmirë (Jeu 14 mai 2015 à 13:43)


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