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 WA, exercice n°152 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Samedi 5 novembre 2016 à 16:18:39
Cette semaine, je rôdais vaguement un soir devant la télé et j’ai jeté un oeil distrait sur « Divergente », un film de 2014 dans la veine de Hunger Game, mais en moins bien. Mais... ça m’a donné une idée.
Je vous propose d’écrire une histoire, dans le genre que vous voulez, où seront présents des personnages imposés :
- Un Erudit ( ou un savant, un technicien, un bibliothécaire...)
- Un Innocent ( le mec gentil, voyez, voire un peu illuminé, ou un enfant, ou un grand idéaliste...)
- Un Guerrier ( ou toute autre figure de pouvoir, de courage, d’audace...)
- Un Sincère (qui ne ment jamais)
- Un Altruiste (quelqu’un qui fait toujours passer le bonheur des autres avant le sien propre)
- ... plus un Joker ( un génie, un magicien, une victime, un sportif, un fou...)

Précisions :
- Quand je dis « un », ça peut bien sûr être « une »
- Vous n’êtes pas obligés de mettre un système de Castes où seraient ces personnages
- Ces personnages, même s’ils n’ont que des rôles secondaires dans l’intrigue, doivent être reconnaissables par leur description ou leurs actions. Leur donner un nom évocateur ne suffit pas.
- Le héros sera celui que vous voulez
- Vous pouvez ajouter d’autres personnages si ceux-là ne vous suffisent pas...

C’est un peu prise de tête au premier abord, mais c’est pour enrichir votre style. Parce que, bien entendu, quand vos personnages s’exprimeront, ce ne sera pas en fonction de votre style, mais de leur personnalité. Donc au-delà du sens de leurs paroles, il vous faudra rendre cohérents leur vocabulaire et leur syntaxe, et c’est là que ça devient intéressant...
Bon courage ! Vous avez jusqu’au jeudi 1° décembre, la veille d’Austerlitz ( et pourquoi pas). Voilà de quoi occuper vos longues soirées d’automne...
Narwa Roquen, les feuilles mortes se ramassent à la pelle...


  
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Réponses à ce message :
Asterion  Ecrire à Asterion

2016-11-08 01:28:19 

 Jeux guerriersDétails
Bon, cela fait des années, des éons même, que je n'étais pas passé par ici... Et puis voilà, à un moment, sans raison, comme à reculons, on en vient à remarcher dans ses pas, à avoir envie de revoir les paysages de jours passés... Et l'on voit qu'il y a encore de l'activité, et, au gré des souvenirs ravivés, la plume se met à démanger... Alors voilà. Je vous donne ce petit texte, peut-être un peu hors sujet - je m'en excuse si tel est le cas. Mais surtout, surtout, je vous remercie de faire vivre la flamme, et d'avoir permis à ces personnages de prendre la parole et de m'avoir ouvert une fenêtre nouvelle sur ce vieux monde qui ne veut pas quitter ma caboche.

JEUX GUERRIERS

L’ambiance dans la taverne était maussade, ce jour-là. Le temps était à la pluie, les mauvaises nouvelles de la guerre accaparaient les esprits et les clients s’étaient faits rares. Notre petit groupe habituel était loin d’être au complet.
— Que jouerons-nous ce soir ? glissa Thome à brûle-pourpoint, entre deux bières.
Je levai les yeux du carnet où j’avais nonchalamment noté quelques mots qui feraient peut-être de bons vers, pour peu que je retrouve l’inspiration et le fil du poème auquel je m’étais attelé depuis trop longtemps déjà, sans grand succès. La tragédie surgit quand on ne l’attend point, le destin est tissé de nos élans disjoints, bref, ce genre de rimes un peu trop banales, sinon bancales.
— Tu veux encore parier ? m’étonnai-je. Il ne m’avait pas échappé que le brave garçon n’avait pas demandé si nous jouerions, mais ce que nous jouerions. Pourtant, il ne faisait pas un très bon compagnon de table. Au demeurant, cela n’était guère prudent de sa part, car il avait beaucoup perdu ces derniers temps. Les subtilités des cartes lui échappaient en dépit du bon sens et les jeux de hasard, curieusement, tournaient régulièrement en sa défaveur. Je n’avais pas compté précisément, mais il ne devait pas lui rester beaucoup de destinées en poche.
— Oui-da, si cela vous plairait de gagner, à toi où aux autres.
Pour ma part, je ne le tolérais à nos parties que parce que c’était un bon vivant et un ami loyal en tout, mais je n’aimais pas le voir dispenser son peu de biens si aisément. Je n’eus cependant pas le temps de le lui reprocher. Un air frais s’engouffra soudain dans la pièce, suivi d’un parfum délicat de fleur sauvage – ou peut-être de savon rustique. Wemeth, toute en châles et en écharpes bariolées, venait de nous rejoindre.
— Affections, belle dame ! fit Thome avec une révérence appuyée.
Nyesem, dis-je sans effusions déplacées, me contentant de la formule d’usage à l’égard d’une dame de la cité.
Elle leva un sourcil mais rendit néanmoins sa révérence à mon compagnon, tandis qu’elle me souriait.
— Cette vilaine mode de saluer en langue vulgaire aurait-elle prise jusqu’ici ? Ou as-tu d’emblée décidé d’être discourtois ?
Les joues de Thome s’empourprèrent. Il ne s’était jamais vraiment fait au franc-parler de Wemeth, et la honte de déplaire lui montait facilement au visage.
— Allons, je t’aime bien quand même, Thomelin, et même plus qu’un peu, puisque je fais l’effort de parler avec toi dans ta langue, poursuivit-elle avec le même élan de sincérité crue. S’il y avait là de la taquinerie, elle le masquait bien. Loin d’apaiser le jeune homme, cela ne le fit que rougir davantage, et il s’empressa de l’aider à déposer ses affaires sur une patère.
La porte ne tarda pas à claquer de nouveau. Aduin et Emanthe firent leur entrée, bras dessus, bras dessous. Lui arborait cet air martial et conquérant qui ne le quittait que rarement, comme s’il était trop conscient de son rang pour se relâcher, même un instant, même en compagnie amicale. Elle, et bien, elle était comme à son habitude, le visage de la naïveté ou de l’enfance.
— Cartes ou dés ? lança la jeune demoiselle à la cantonade.
— Ah, tu vois bien qu’ils sont venus pour ça ! répliqua Thome à mon égard. Entrez, et séchez-vous, belles gens. Je vous cède ma place près de la cheminée.
— Il n’en manque qu’un... constata Aduin, tandis qu’il accrochait sa capeline à un porte-manteau.
— Il est retenu mais nous rejoindra plus tard, répondis-je laconiquement.
— Hum. Tarot, alors, si messire Keldre veut bien s’abstenir d’étaler sa science infinie des arcanes et de nous réciter l’histoire interminable du jeu depuis son invention, avec ou sans rimailles.
— Promis, dis-je rapidement, un peu vexé par cette attaque inattendue. Là où l’un rimaille et l’autre se chamaille, me dis-je, mais je fis taire les alexandrins qui me venaient. Aduin n’y entendait rien à la poésie, et moins encore à la mienne.
— Oh oui, un tarot à trois fatalités, celui où tout le monde gagne, sauf le perdant ! s’exclama Emanthe en battant des mains. Cela ne voulait rien dire, mais elle semblait joyeuse.
— Voyons, c’est trop facile, ma chère. Levées simples et partie à une fatalité sans avantage, ordonna Aduin avec son ton sec de militaire. Au demeurant, il imposait plus que souvent le jeu de nos soirées, ne nous laissant que rarement l’occasion d’en décider par nous-mêmes. Les cartes étaient d’ailleurs déjà sur la table, disposées avec soin par Thome, qui avait aussi été chercher des pintes pleines et du fromage en morceau. Lui et moi avions déjà mangé, et probablement bien assez bu, mais Wemeth et Emanthe apprécièrent visiblement le geste. Que la patronne l’ait encore laissé commander pour nous, malgré son ardoise déjà longue, ne sembla perturber personne.
— A vos mises.
J’avais une assez bonne main, mais à ce jeu-là, il faut parfois s’abstenir de prendre. Aduin, lui, emporta le premier pli, directement à atout. Je me fis la réflexion qu’il ne s’embarrassait guère de fioritures, si tôt dans la partie. Était-il déjà en chasse ?
La partie s’accélère et les plis se succèdent, chacun testant son avantage. Je n’en gagne que quelques-uns, avec prudence.
— J’ai vraiment un jeu de feig, se plaint Wemeth.
— C’est une chose sale, traduit Emanthe sans qu’on ne lui demande rien. Ou tout comme, je ne sais pas comment vous dites chez vous.
— De la merde, surenchérît Thome. Je t’échange un atout contre une carte moindre, si cela peut t’aider.
— Mesdames, jeune homme ! Un peu de tenue, c’est un exercice de bluff... gronde Aduin. Et de silence. Vous parlez trop.
— Si fait, mais j’ai quand même une main merdique, tient à insister la vieille dame vexée.
— Merdique à ce point, sans mentir ? s’enquiert Emanthe, la bouche en coeur, en ayant l’air de savourer le mot grossier comme une découverte nouvelle. Sa voisine lui lance un regard désapprobateur.
— Les troupes d’Alster prennent la mer demain, au fait, continue notre bonhomme sans transition, tout en ordonnant ses cartes.
— Il leur en faut du courage pour quitter Almaq, commente Thome.
— Moi, je le pourrais pas, acquiesce Wemeth en rajustant une de ses écharpes. Mais je suis trop âgée pour ces bêtises, de toute façon.
— Vieux ou pas, oui-da, je laisse volontiers la guerre à d’autres, poursuit le jeune homme.
— Tu n’es pas courageux, Thome ? Oh, moi non plus ! intervient Emanthe, qui ne semble pas mesurer le poids de ses paroles. La méchanceté lui est étrangère autant que le calcul, mais il y a, à notre table, un esprit plus complexe auquel de telles choses n’échappent pas.
— C’est l’enjeu de cette partie, clame Aduin en abattant l’un de ses atouts maîtres, coupant le pli que moi et la jeune femme nous disputions. Voilà ce que je décide : Celui qui perd s’engage, et table rase !
Un silence se fait.
Aduin le taciturne a parlé et les cartes le suivent.
Ça y est, les choses sérieuses ont commencé, me dis-je. Nous ne jouons pas des destinées chaque soir par hasard. Bien que piètre joueur, je pense avoir assez d’arcanes en main pour le contrer, mais un calcul sommaire et une estimation de son style de jeu m’incitent à penser que ce n’est pas le cas pour mes compagnons.
Emanthe prend une carte entre ses mains, hésite et la remet dans son paquet. Celle qu’elle pose finalement met sa voisine en difficulté. Nous la connaissons assez pour savoir qu’elle ne l’a pas voulu, mais la vieille dame accuse le coup. Elle sait d’où il vient.
— Et toi, si tu perdais, tu partirais évidemment, lâche-t-elle avec une touche de hargne dans la voix. C’est un constat plus qu’une question.
— Un Aduin obéit à son destin, rétorque ce dernier.
Je dois reconnaître que je ne connais pas son nom choisi, ou que je ne l’ai pas retenu. « Aduin » n’est que celui de sa lignée patriarcale, la seule à ma connaissance de ce type parmi les anciennes familles d’Almaq où tout – maisons, titres et propriétés – provient normalement de l’héritage maternel. Mais, il est issu de la gémellité, ce qui est le signe indiscutable de la noblesse de sang à Almaq, et de surcroît descendant par ses pères d’un lignage ininterrompu de jumeaux, ce qui lui confère le droit unique, en tant qu’aîné d’une fratrie gémellaire, de porter ce titre. Un droit, et un devoir imposé par la société.
— Je vous concède le pli, conclut Wemeth de mauvaise grâce. Je n’ai vraiment rien de bon, et cela ne va pas changer.
A mon tour venu, je me défais d’une carte sans valeur, laissant mon jeune voisin dénouer le pli, qu’il remporte au prix de son avant-dernier atout, si mes estimations sont bonnes. Nous entamons le dernier tour de jeu.
— On pourrait faire la paix et s’aimer, dit Emanthe. Oh, ce serait tellement mieux.
— Je suis parfaitement d’accord avec toi. Je t’aime plutôt bien, pour ma part, ose Thome, le rose à nouveau aux joues. Puis il tente de changer de sujet : tu veux mon atout que dame Wemeth a refusé ? A la bonne pioche, oui-da ?
Je sais que le garçon en pince pour la demoiselle, mais il n’est pas très adroit en matière de femmes. En l’occurrence, cela n’est pas très grave, vu que la belle n’y perçoit que de l’amitié et ne se rend pas compte de ses sentiments plus profonds. Aduin, cependant, les dévisage tour à tour, faisant mine de ne pas comprendre.
— Je ne suis pas en guerre contre vous et je ne vous hais point, très chère. Soyez-en assurée.
— Mais je ne parle pas de nous, nous le savons bien tous deux maintenant ! rétorque la demoiselle avec un rire cristallin. (Et Thome alors de rosir de plus belle, soupçonnant qu’elle et le militaire entretiennent une liaison – Ce garçon est bien capable de se réjouir pour eux.) Je pensais à nos ennemis, à tous ces gens, ces peuples siléens et autres édrasiens contre lesquels nous luttons.
— Gentille Emanthe, on ne peut pas toujours faire la paix avec des mots, souligne le militaire, une certaine dureté dans la voix contredisant l’aménité de ses paroles. Ou peut-être que notre artiste de Keldre pense le contraire ?
Je n’ai pas envie de le laisser m’entraîner sur ce terrain mouvant et je me contrains à ne lui rendre qu’un sourire forcé comme monnaie de sa pièce. Mais c’est maintenant à Emanthe de jouer :
— Oh, j’accepte ton atout, gentil Thome, et tu auras un baiser.
Par la Chimère et la Dragon, que vient-elle de faire ? Aduin lui a donné un gage, il n’aurait pas cherché à lui nuire. Thome s’exécute sans-arrière pensée, mais il n’a maintenant plus rien de valable en main. Wemeth a dit vrai et elle l’a trop répété, elle n’a pas de jeu. La tension est palpable tandis que la vieille dame jette sa dernière carte.
— Vous voulez ma mort, Aduin. Je ne vous ai jamais aimé, mais j’ai assez de destinées pour me refaire.
— Je vais devoir m’excuser, dis-je en me défaussant de la carte du même nom.
— Jeu de mot un peu facile, ponctue Aduin, mais son regard d’aigle ne quitte pas mon jeune voisin. C’est néanmoins toujours à moi qu’il s’adresse quand il dit : « Vous auriez pu me contrer tout à l’heure, avec un peu plus d’audace et de stratégie. »
Thome tremble.
Sa carte est plus faible que celle de Wemeth.
— A la guerre comme à la guerre, j’ai donc gagné et vous avez perdu, jeune homme, achève avec raideur Aduin. Voyons, où en sommes-nous au décompte des destinées ?
Les destinées, ce sont ces petits cônes de fer que l’on peut gager au jeu et, comme leur nom l’indique, utiliser pour racheter une vie ou un destin contraire. Une sorte monnaie hautement symbolique, un enjeu codifiée avec tout le raffinement dont les gens d’Almaq sont capables. Les parieurs s’accordent, au début de leur association, sur le nombre octroyé à chacun, et se les arrachent ensuite au terme de parties acharnées. Quiconque en est a court est vite dans l’embarras, car il ne viendrait à l’idée de personne sain d’esprit et de jugement de se soumettre au destin. Il en va de sa réputation, et du comportement des autres à son égard. Bien sûr, et sa question est d’autant plus cruelle, Aduin est un fin observateur, il en connaît précisément le nombre, pour chacun de nous, sans qu’il soit utile en réalité de refaire les comptes.
— Je n’en ai plus assez, répond simplement un Thome fataliste. J’ai déjà tout joué avec vous, mes amis et mes voisins. Nous avons eu de belles parties, oui-da.
Le ton du militaire est impitoyable, tandis qu’il se lève :
— Serez donc soldat, camarade... M’en voyez désolé, c’est le jeu. Allons, Veremanthe, allons finir cette curieuse soirée par une promenade aux jardins... Vous raccompagnons en chemin, dame Wembeneth. Laissons l’ami Keldre à ses méditations en rimes, et Thome à ses préparatifs.
Déjà sur le pas de la porte, il se retourne :
— Au fait... Cela vous réconfortera peut-être de savoir que je me suis déjà engagé dans la marine d’Alster... Nommé capitaine, hier. Peut-être serons-nous sur le même navire, Thomel... Pourrons reparler de cette partie, quand vous m’aurez salué.

Tous partis et la patronne s’étant couchée, je demeurai seul dans la pièce commune. J’approchai un fauteuil de la cheminée, où le feu allait sur sa fin. Mon carnet et mon crayon en main, je m’assoupis cependant assez vite, sans que l’inspiration ne fût venue.
C’est un Dongann passablement aviné qui survint à la tombée de la nuit. Je ne l’attendais plus, mais je l’entendis venir de loin. Il braillait à tue-tête Bedaine en barrique et d’autres chansonnettes de son cru. Il en était à l’affreux C’est moi le bouffon trublion lorsqu’il parvint à la porte.
Que j’aime la bière en fontaine, marmiton et marmitaine / Que j’aime la cuisine fine, arlequin et arlequine / Moi le bouffon roi des boutades, fanfaron fanfaronnade...
Il manquait des boutons à son vestons, et des boules à son bonnet. Les marmitons vilains et veules... Sans même me saluer, il s’engouffra dans la pièce en titubant entre les chaises... La baston la bastonnade... Puis, avec des propos décousus et confus, il m’entreprit au sujet d’un triton qui vivrait dans sa poche – laquelle était vide et retournée – et de ses amours perdues (au triton, pas à lui, merci bien, cela allait fort bien de se côté-là, bedaine en barrique)... Il lui fallut, c’est peu de le dire, un bon moment pour dégriser.
— Je ne demande pas ta soirée, fit-il une fois calmé.
— Ils ne l’ont pas dit, mais ils espéraient tous ta venue, tu sais. Après tout, c’est toi qui nous avais réunis... Tu aurais su comment détendre l’atmosphère, calmer l’ombrageux Aduin et éviter un drame.
— Mais je ne te la demande pas, te dis-je, puisque je l’ai faite, après tout. Il faut être cinq et non six, pour jouer au tarot. Le sixième, c’est le croupier qui distribue les cartes, ou la main du destin tirant les ficelles.
— Que veux-tu dire ?
— Eh, tu sais bien... Si l’on veut changer la société, foi de bouffon, il faut bien commencer quelque part, à petits pas mesurés. Et il en faut des manoeuvres, ça oui, pour faire comprendre la culpabilité aux innocents, le mensonge aux sincères et l’égocentrisme aux altruistes. Au moins autant que pour qu’un militaire apprenne le sens des mots, ou un poète l’art de la guerre, tu ne crois pas ?
Je restai coi.

La tragédie surgit quand on ne l’attend point,
Le destin est tissé de nos élans disjoints.

Ma foi, peut-être me servirais-je de ces vers...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2016-11-08 20:18:44 

 Welcome home!Détails
En espérant parler au nom de la petite communauté, c'est avec beaucoup de plaisir que nous accueillons celui qui revient dans le Cercle après une très longue absence.

Qui plus est, quand il est porteur d'un présent inestimable : une contribution à la WA!

C'est Narwa qui va être contente.

M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2016-11-09 17:26:41 

 Absolument !Détails
Re-bienvenue, petit écrivain amateur !
Sers-toi un hydromel et un biscuit nain à la farine de granit ! Y a de la place près du feu.

Est', qui versifie.

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2016-11-11 22:08:48 

 Enchantée...Détails
Un peu que je suis contente, enchantée même, de revoir un auteur! Le Cercle, c'est comme une certaine maison bleue, on y vient à pied, on ne frappe pas, ceux qui vivent là ont jeté la clé...
Un carré de noir-noisette? Une tasse de Chai-Masala? Ou... une bière rousse? Installe-toi, fais comme chez toi, ton commentaire viendra... En attendant, si tu as envie d'écrire sur un autre exercice, tu n'as que l'embarras du choix! Et je ne le raterai pas, puisqu'il apparaîtra dans les "derniers messages". Re-bienvenue, j'adore les revenants, j'ai personnellement de très bons amis fantômes...
Narwa Roquen, accrochée à la colline

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2016-12-19 10:56:06 

 A moi il me fend le cœur. Et à toi, il ne te fait rien ?Détails
Pour un premier texte que tu délivres dans notre WA, je dois dire qu'il m'a enchanté, sur la forme et sur le fond.

Sur la forme d'abord.

Je suis fan de ces histoires qui entrent dans le vif du sujet, sans expliquer le quand, le pourquoi, le comment... qui font fi de l'introduction. Elles nous plongent direct dans le coeur de l'action, laissant le lecteur comprendre ce qu'il en est au hasard d'informations tronquées laissées de-ci, de-là, presque sans importance. Ces histoires tablent sur l'imagination du lecteur qui construit le background tel qu'il le ressent, nullement bridée par des descriptions assommantes qui expliquent par le menu la couleur des décors, la texture du rideau et la dimension de la scène, détails tellement prosaïques et superfétatoires! Ton histoire est un véritable huis-clos qui va influencer lourdement la vie des joueurs de cartes.

Sur le fond ensuite.

Donc ton histoire est la capture sur le vif d'une partie de cartes! Et quelle partie de tarot qui exacerbe les caractères, détermine leur psychologie et les campe dans leurs rapports aux autres. Au gré de quelques assertions suffisamment précises, tu dépeins quelques aspects de l'univers dans lequel se déroule l'action. Tout y est feutré comme ces duels qui s'échangent à paroles mouchetées : la guerre qui rôde, les codes sociaux et l'importance de ces bouts de métal qui lestent les destins. Bien vu. On a envie d'en savoir plus. Chaque personnage est croqué par un trait externe caractéristique, complété par les propos des autres protagonistes. Le dernier pli scelle la partie et l'altruiste paie pour tous les autres. Comme d'hab, je dirais! Et l'amère constatation du fou, qui clôt le drame, est en soi une sentence définitive.

Ton style, chatoyant, élégant et distancié, léger et grave à la fois, m'a rappelé celui de JAWORSKI (Gagner la guerre) ce qui n'est pas sans m'impressionner. La consigne est respectée naturellement, chacun des personnages campant l'un des six caractères imposés. Mention spéciale pour le poète (les alexandrins sont juste parfaits dans leur tonalité tragique).

Au rayon des bricoles :

- Wemeth, toute en châles : . Wemeth, tout en châles
- pleines et du fromage en morceau : pleines et du fromage en morceaux
- un enjeu codifiée : un enjeu codifié

J'ai été un peu surpris par le changement de temps à partir de " La partie s’accélère et les plis se succèdent...". Alors que l'histoire se déclinait au passé, à partir de là, tu utilises le présent sans qu'il y ait une justification particulière.

Sinon, bien joué!

M

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Asterion  Ecrire à Asterion

2016-12-20 11:29:51 

 Merci pour ta relecture, cartes sur tableDétails
Merci pour ta relecture et tes remarques. Je suis heureux que le texte t'ait plu !

Pour tout dire, je ne suis pas très sûr des règles du jeu de cartes un brin "étrange" auquel jouent les protagonistes (un genre de tarot modifié ), et je craignais un peu que cela s'en ressente !

Cela étant, suite à ce texte, j'ai tout récemment relu "Cartes sur table" d'A. Christie - Et bien que ne connaissant rien au bridge (et à son vocabulaire si spécifique, que ce cher Hercule Poirot semble bien maîtriser, au point d'en deviner, à l'analyse de leur jeu, le caractère des personnages !), j'ai quand même beaucoup apprécié ce vieux policier. Mais évidemment avec A. C. et son limier à la célèbre moustache, même le bridge semble simple... ;)

Cela me touche beaucoup que tu aies ressenti comme un air de Jaworski. Autant j'ai eu un peu de mal avec "Gagner la guerre" (*), autant son précédent "Janua Vera" m'a fait une très forte impression. J'ai reçu une belle claque, en fait, en le découvrant - parce que c'est exactement le genre de choses que j'aurais aimé savoir écrire, même avec moins de talent, et que j'ai souvent chercher à approcher... Chaque nouvelle y a son ton propre et la cohérence du tout frise la perfection...

(*) Peut-être parce que c'est un très gros roman, bêtement. J'ai le même genre de réserve pour "Le Royaume blessé" de Kloetzer, par rapport à ses textes précédents.

Pour le passage au présent, il m'a semblé que cela rendait la partie plus vivante et rapide. Comme si le narrateur, entraînant le lecteur, la revivait dans l'instant. Elle me paraissait un peu figée, au passé. Mais c'est délicat, en effet.

Ast'

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2017-02-24 11:42:20 

  WA - Participation exercice n°152Détails
DRONE WITH THE WIND


La bande-son qui s'imposait comme une évidence!

En déchirant le ciel crépusculaire à toute vitesse, deux F35 gouvernementaux simulèrent une manoeuvre agressive au-dessus des faubourgs extérieurs, avant d’effectuer un large crochet pour revenir vers les cimes enneigées de la chaîne des Cascades, en lâchant derrière eux une flopée d’éclairs brillants destinés à les protéger d’éventuels missiles sol-air. Trois Predators les prirent en chasse quelques secondes avant de remonter se dissimuler dans les nuages.

« Ils sont de plus en plus téméraires ! lâcha Rhett en reposant sa bière. A-t-on des nouvelles du Sud ?
- La colonne envoyée de Sacramento est toujours bloquée devant Olympia, à l’embouchure de la vallée de la Willamette. Les Volontaires de Californie et les francs-tireurs du Nevada sont arrêtés par plusieurs régiments de Washington redéployés d’Irak et d’Afghanistan, répondit Bill qui essuya ses lunettes rondes, cerclées d’une fine monture en écailles. D’après les rapports, les combats sont assez intenses. Sans l’aide de combattants aguerris, les Volontaires, malgré toute leur bravoure, ne peuvent faire le poids face à des Rangers disciplinés renforcés d’unités Delta surentraînées. Cette guerre est asymétrique, mais dans un sens qu’aucun expert de West Point n’aurait imaginé il y a encore moins de deux ans !
- Et la colonne de secours qui est partie ce matin ? questionna Rhett qui fit mine de ne pas remarquer le trouble que suscita ses paroles chez Mélanie.
- Où est Scarlett ? intervint Melinda pour désamorcer la tension engendrée par la réflexion de Rhett. »

Depuis la terrasse qui dominait les quartiers ouest de la Ville des Pluies, Scarlett embrassait les environs, loin à la ronde. Appuyée contre le garde-corps, elle ne sentit pas les regards de toutes les personnes assises autour de la table se braquer sur elle. Elle était perdue dans ses pensées, se remémorant tous les détails du périple qu’elle avait entrepris pour se retrouver piégée dans cette ville. Elle avait cru pouvoir tourner la page en répondant à l’invitation de Mélanie. Elle s’était illusionnée. Elle n’avait pas tardé à regretter sa décision. Elle n’avait pas oublié Ashley.

Elle le revit à la tête de l’escouade offensive des Rams de Los Angeles, distribuant les ballons à ses partenaires, bien protégé par ses avants. Elle était tombée amoureuse la première fois qu’elle l’avait vu au milieu du stade, aussi beau qu’un héros antique dans son costume de lumière. Quand il avait envoyé un sourire complice à Mélanie, sa fiancée assise à côté d’elle, Scarlett avait imaginé qu’il lui était adressé. Qui pouvait vraiment lui résister ? C’était avant. A peine deux ou trois ans auparavant. Une éternité, lui sembla-t-il. Barack Obama était encore Président et les Etats-Unis portaient encore fièrement leur nom.

« Scarlett ! La voix de Rhett l’arracha à ses souvenirs. Viens chérie, tu nous manques et tu manques à tes hôtes ! Il ne me reste encore qu'une poignée d’heures avant que le devoir ne m’appelle à nouveau ! »

Scarlett détourna ses regards de la ville qui s’assombrissait déjà afin de respecter le couvre-feu. Au-dessus d’elle, dans l’obscurité étoilée, elle crut percevoir un léger vrombissement. Les défenseurs de la ville ne disposant pas de flotte aérienne digne de ce nom, compensaient cette infériorité par des drones sophistiqués, capables de déjouer les meilleurs systèmes informatiques embarqués des aéronefs fédéraux. Les laboratoires, réinstallés dans les sous-sols de la ville, tournaient à plein régime. Des bataillons d’informaticiens de toutes nationalités développaient sans relâche des systèmes ultra-perfectionnés qui jetaient la confusion dans les transmissions ennemies. Cela rééquilibrait un peu les forces.

En effet, l’armée fédérale était très dépendante de son environnement technologique. Comme un drogué à besoin de son fix. Il lui fallait des fantassins connectés, des satellites opérationnels H24, des schémas tactiques disponibles en temps réel et des couvertures, aérienne et d’artillerie, guidées par GPS capables de frapper au millimètre près à la demande des troupes au sol. Car la notion de guerre no-dead demeurait profondément ancrée dans les esprits des stratèges du Pentagone. Cette panoplie de la guerre du futur s’était révélée être le talon d’Achille des troupes expérimentées de Washington, trop vulnérable aux intrusions malignes qui faisaient les délices infinis des jeunes prodiges de Redmond et de Mountain View, sans parler des facéties informatiques des geeks de Redwood.

Les jeunes informaticiens, qui jouaient en tee-shirt et en sandales au babyfoot ou au flipper dans les salons de détente, avaient toujours une ligne de code d’avance ou une application géniale mettant la pagaille dans les transmissions pourtant ultra-sécurisées des unités fédérales. Ils étaient épaulés par les Mad Hackers, viscéralement attachés à des valeurs battues en brèche par les séides du Maître de la Maison Blanche. Ces virtuoses du code livraient une guerre invisible et stressante pour la maîtrise des réseaux auxquels aucun camp n’avait vraiment osé s’attaquer. Les Mad Hackers s’insinuaient dans les moindres failles des firewalls les plus durcis pour tenter d’aller prendre d’assaut les forteresses virtuelles qui protégeaient les centres névralgiques des fédéraux. Au sein de matrices à n-dimensions, ils affrontaient, sans jamais les voir, leurs homologues ennemis qu’ils avaient baptisés par dérision les Trump Pets, nom de code Jéricho !

Bien sûr, quelle que fut l’ingéniosité de leurs défenseurs, elle n’était pas suffisante pour conférer aux Etats GAFA un avantage décisif sur l’oppresseur mais elle accordait un peu plus de temps aux diplomates qui siégeaient en permanence dans l’immeuble des Nations-Unies à New-York. Cela retardait aussi la chute de Seattle qui signifierait celle de l’Etat de Washington, l’un des derniers états libres à résister encore à la reprise en main de l’ensemble du territoire américain par le pouvoir fédéral. Depuis la fermeture de la frontière avec le Canada tout proche au nord, qui ne cachait pas ses sympathies pour les Etats GAFA, la nourriture et le matériel nécessaires à maintenir la résistance devenaient plus rares. Cette fermeture avait fait suite à l’incident de Blaine, sur la frontière américano-canadienne, qui avait opposé, durant plus d’une heure, militaires américains et canadiens.

Quand les armes s’étaient tues, plusieurs dizaines de victimes avaient été dénombrées dans les deux camps. La gravité de l’accrochage avait conduit les autorités américaines à élever au maximum le niveau d’alerte de leurs forces armées. Une demi-division avait franchi la frontière de façon symbolique, repoussant la garde montée canadienne, tandis que des F35 et des Raptors survolaient le Canada, ne recherchaient qu’un prétexte pour déclencher des représailles à la hauteur de l’hystérie qui s’était emparée du Bureau Ovale.

A la demande des deux ex-puissances coloniales du continent Nord-Américain, la France et le Royaume-Uni, le Conseil de Sécurité de l’ONU avait été réuni en extrême urgence. Les diplomates européens avaient déployé des trésors de persuasion pour désamorcer la crise et enrayer l’escalade. Au terme de négociations très serrées, les deux parties avaient convenu d’un arrangement à l’amiable, le Canada s’engageant à ne plus aider de quelque façon que ce soit, les états GAFA, les Etats-Unis se repliant derrière la frontière internationale. Lors du vote, les représentants russe et chinois s’étaient empressés de se murer dans une abstention circonstancielle et hypocrite. Le Président américain était alors monté à la tribune de l’Assemblée Générale des Nations-Unies où il avait tonné, menaçant du feu atomique quiconque désormais s’immiscerait dans une affaire interne des Etats-Unis.

Le lendemain de ce discours enflammé, il avait signé un décret-loi autorisant le blocus terrestre et maritime des états rebelles. Les 3ème et 7ème flottes du Pacifique, la 4ème flotte de l’Atlantique Sud et la 5ème flotte de l’océan indien furent rappelées pour monter une garde vigilante des eaux territoriales américaines. Des dizaines de navires de surface et autant de sous-marins surveillèrent nuit et jour les milliers de kilomètres de côtes s’étendant du Canada au Mexique. La Garde nationale de plusieurs états loyalistes avait été mobilisée pour sécuriser la frontière terrestre au nord et des travaux supplémentaires avaient encore étendu la Grande Muraille entre les deux océans, au sud. La Forteresse America vit le jour. Ce cauchemar, qui n’appartenait jusque là qu’aux auteurs de hard science-fiction, devint réalité. America First, proclamaient fièrement les hérauts de Washington DC, comme le martelait chaque jour, le président élu en fin 2016.

Scarlett revint s’assoir à côté de Mélanie, l’épouse comblée d’Ashley. Mélanie était une jeune femme au teint pâle, aux cheveux châtains et aux grands yeux bleus. Elle enseignait le droit, avant la crise, à l’université de Berkeley. C’était aussi la meilleure amie de Scarlett depuis le lycée de Foster City, leur ville natale où elles avaient grandi dans des familles aisées. Leurs parents travaillaient dans des start-up florissantes de la Vallée, à l’ombre bienveillante des géants de l’économie numérique. Mélanie, malgré tout ce qu’avait fait Scarlett pour empêcher son mariage et capter le coeur d’Ashley, en vain, ne lui en avait jamais voulu.

Mais ce soir, Mélanie était mélancolique, malgré toute la gentillesse des hôtes de la soirée, Bill et Melinda.

Bill avait brandi très tôt l’oriflamme de la désobéissance civile, et avait consacré une partie non négligeable de son inépuisable fortune à financer de multiples initiatives visant à contrecarrer la politique du gouvernement fédéral de plus en plus liberticide. Il avait été rapidement rejoint par les Géants de la Silicon Valley. Un Conseil de Défense des Valeurs Américaines, rassemblant tous les grands dirigeants emblématiques, fut constitué. Ses couleurs étaient celles de l’Arc-en-ciel d’où émergeait une colombe tenant un rameau de paix dans son bec.

Les grands états de l’Ouest, celui de Washington, l’Oregon, la Californie et le Nevada, furent les premiers à braver l’autorité de la capitale fédérale, rejetant les mesures impopulaires, bientôt imités par ceux de New-York, de Floride et du Colorado. Le Président nouvellement élu eut beau jeu de stigmatiser la tentative de sécession de ces états, par ailleurs démocrates, qui foulaient aux pieds la volonté du peuple américain. Il menaça d’envoyer la troupe pour rétablir l’ordre et forcer les congrès locaux à reconnaître la légitimité du Capitole. Rien n’y fit. Les états rebelles formèrent une confédération territorialement discontinuelle, une nouveauté juridique dans la géographie politique, et demandèrent à l’ONU de reconnaître sa souveraineté.

Bien sûr, les Etats-Unis, mais aussi la Russie et la Chine, alliés objectifs qui craignaient des revendications similaires de certaines parties de leur territoire, opposèrent leur véto. L’Union Européenne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande reconnurent la nouvelle fédération et y nommèrent des ambassadeurs tandis que le Royaume-Uni s’abstenait, aux prises avec les Ecossais qui exigeaient violemment que le Parlement britannique entérinât le référendum ayant vu la victoire écrasante du Parti Indépendantiste. Aux Etats-Unis, les « évènements », selon l’expression consacrée pudiquement par le gouvernement fédéral, commencèrent peu après.

Quand les premières tensions naquirent entre les autorités fédérales et les états GAFA, Ashley avait demandé Mélanie en mariage, écoutant sa raison. Scarlett avait étourdi ses sens mais il avait été dépassé par la passion qui animait la jeune femme. Il s’était enrôlé très vite dans les Volontaires du Southland où ses exploits sur la pelouse du Memorial Coliseum de Los Angeles l’avaient propulsé directement au grade de lieutenant-colonel. Il commandait une troupe d’anciens vétérans démobilisés des guerres du Moyen-Orient auxquels se mêlaient de jeunes idéalistes des campus californiens, les Schwarzy Irreverents et les Hollywood Associeted Stars. Ashley avait une conception très élevée de sa mission et de son but dans la vie. Il dirigeait ses hommes comme le quaterback qu’il avait été menait ses coéquipiers à la victoire, sans coup-fourré et sans compromission.

Il avait affronté à Mesquite, dans le nord-est du Nevada, quelques unités de Marines en mission de reconnaissance sur la route menant à Las Vegas. Cela n’avait été qu’une escarmouche, les Marines s’étant contentés de tester la résolution et la cohésion de leurs adversaires. Ashley ne recula pas, tenant ses positions près d’un petit pont enjambant une rivière à sec. Il donna ses ordres sans faiblir, même quand les obus de mortiers s’abattirent non loin. Les Marines étaient de redoutables combattants. Ils avaient traqué les talibans en Afghanistan et étaient rompus aux techniques de guérilla les plus tordues. Mais Ashley tint bon. Ses hommes ne s’enfuirent pas quand les balles s’écrasèrent à quelques pas de leurs visages. Ils ne se débandèrent pas quand deux Apaches survolèrent leurs positions à très basse altitude. Soulevé par leurs pales, le sable les avaient giflés si fort qu’il s'était incrusté dans leur chair. Ashley laissa passer l’orage puis il fit parler ses armes à bon escient, veillant lui aussi à ne pas commettre l’irréparable. L’échange de tirs ne s’éternisa pas. Devant une opposition aussi ferme, les Marines se replièrent en bon ordre.

Ce n’était que le début de la crise. Il y avait des Américains des deux côtés. Cette drôle de guerre s'acheva à Blaine. A partir de là, les faucons de Washington prirent leur envol et plus rien, ni personne, ne put se mettre en travers de leur route.

Scarlett but une gorgée de la boisson fermentée concoctée par Melinda. Fraîche et désaltérante, elle était sucrée et laissait un goût pimenté surprenant sur la langue. Scarlett se tourna vers sa voisine :
« Mélanie, as-tu reçu des nouvelles d’Ashley ? demanda-t-elle sans arrière-pensée.
- Aucune. Juste un SMS avant qu’il n’atteigne le nord d’Olympia. Il allait bien jusque là.
- Bill, combien d’unités as-tu dépêchées pour tenter de briser l’encerclement et permettre le passage des Volontaires de Northern Cali ? demanda Rhett
- Il y avait un régiment d’Amazon Laughters, répondit Bill, un autre de Starbuck Miners, trois escouades blindées d’Uber, une demi-escadrille de Predators Microsoft et une cohorte complète de drones de couverture aérienne. Les plans ont été établis en liaison avec les coordonnateurs du D.Wave 2X Mark VII, à Mountain View. A sa demande, j’ai confié à Ashley la tête d’une petite troupe de technopérateurs Google Men, fraîchement débarquée à Seattle. C’est une équipe logistique et de support. Ashley devrait rester en retrait de la première ligne. Mélanie, tu veux que j’aille moi-même aux nouvelles ?
- Merci Bill mais ce n’est pas la peine, assura Mélanie qui triait les grains de céréales au fond de son assiette.
- Avez-vous vu en streaming la nouvelle comédie musicale française, qui fait fureur à Broadway, essaya Melinda pour changer de sujet.
- Oh oui... ! s’empressa de suivre Scarlett. Les Français sont devenus vraiment les maîtres du genre. Bon, l’image était un peu pixellisée mais le son passait bien.
- Les gars de chez Cisco font des miracles! intervint Bill.
- Non, je ne l’ai pas vue, dit Mélanie avec un pauvre sourire. Quel est son titre ?
- Lol ! Holland, je crois, la renseigna Scarlett. Cela raconte comment François Hollande, le président de la France qui, après un premier mandat complètement raté, a réussi in extremis à se faire élire une deuxième fois, en jouant sur les difficultés de ses adversaires, leur crédulité et grâce à une certaine mentalité bien française. C’est irrésistible. C’est bien la première fois, je crois, que la politique contemporaine et le music hall se marient et avec quel succès ! Le spectacle se joue à guichets fermés tous les soirs depuis un mois !
- Lol ! Holland... le jeu de mot est facile, sourit Melinda.
- Quel jeu de mot ? demanda Rhett qui se joignit à la conversation.
- Il est à plusieurs niveaux. Il fait référence bien sûr à la réputation d’humoriste que les médias français prêtent à François Hollande. Mais il rappelle aussi le film du réalisateur franco-américain Damien Chazelle, La la Land, qui fut multi-oscarisé en 2017.
- Mais François Hollande est toujours président de la France, non ? s’enquit Scarlett.
- Mais oui, confirma Bill, et il a même fredonné un refrain lors du dernier Conseil de l’Europe, en duo avec le Chancelier allemand, Martin Schulz, son compère social-démocrate qui lui aussi a joué un sacré tour à Angela Merkel en 2017 ! »

Soudain, plusieurs explosions retentirent de l’autre côté des collines sur lesquelles avait été bâtie Seattle. Des déflagrations puissantes, accompagnées par d’intenses halos éblouissants, déplacèrent vivement les masses d’air, faisant trembler les vitres pourtant épaisses des baies vitrées de la terrasse. A peine visibles dans le soir qui s’épaississait, des formes sombres et fuselées glissèrent dans le ciel, en direction de la plus haute tour de Seatlle, la Space Needle, qui culminait à plus de 160 mètres de hauteur.

« Des F35, cria Bill pour se faire entendre dans le vacarme des sirènes qui avait succédé aux coups de tonnerre des explosions. On y est, je crois que Trump a décidé que le siège avait suffisamment duré. Rhett, il faut que vous repreniez la mer. Emmenez avec vous Mélanie et Scarlett. Elles seront en sécurité. »

Des trainées de feu signalèrent que les chasseurs venaient de larguer des missiles air-sol. Au même moment, de minces lignes lumineuses formèrent une sorte de toile d’araignée éphémère qui se déploya dans le ciel. Elle emprisonna la plupart des AGM-87 Focus qui se désintégrèrent à son contact. Malheureusement, quelques uns réchappèrent aux drones de défense et continuèrent leur course programmée. Quand ils touchèrent leur but, il fit soudain jour en pleine nuit. La Space Needle, touchée de plein fouet, se disloqua de haut en bas, ses débris pleuvant alentour. Les forces gouvernementales avaient abattu le symbole de Seattle, en guise de funeste introduction.

Ebahis, Bill et ses invités, assistèrent à la chute de la tour altière. Le Président américain avait décidé de frapper fort. Oubliée, la reddition de New-York, qui avait eu lieu presque paisiblement. Oubliée, la reddition de Miami qui avait suivi peu après. Oubliée celle de Denver, qui n’avait fait que quelques poignées de victimes. L’Ouest avait montré une résistance plus acharnée, organisée autour des ressources cumulées de la Californie et de l’état de Washington. Ces deux états avaient un PIB qui les plaçait dans les toutes premières nations au niveau mondial. C’était l’affront suprême pour le président américain. Ses négociateurs avaient tous échoué et il sentait que les puissances européennes inclinaient dangereusement vers les Etats GAFA.

Mais celui qui avait fait pencher la balance du côté de l’épreuve de force, celui qui avait emporté la conviction du président était son récent conseiller à la sécurité intérieure. Un esprit diabolique et avide pouvoir. Un esprit calculateur et sournois qui avait écarté les autres conseillers humains. Personne ne savait ce qu’il avait murmuré à l’oreille du président. Quelles promesses mirifiques lui avait-il faites.

Bill serra son épouse, Melinda, entre ses bras. Il l’embrassa avec tendresse puis il lui dit :

« Melinda, il faut penser à demain. Le Conseil va se réunir. Pars avec Rhett. Son navire est rapide et il est doté des technologies qui lui permettront de se faufiler sans dommage entre les mailles du filet tendu par la Navy. Pars avec lui, il est plus que temps. Si Dieu le veut, nous nous retrouverons à San Francisco bientôt.
- Viens avec moi, supplia Melinda, ici, tout est perdu si l’armée fédérale ne retient plus ses coups. Nos défenses n’arrêteront pas les chars Abrams, ni les hélicoptères Apache, ni les Marines et les autres troupes d’élite. Nos drones les retiendront quelques heures, au plus. Après, les fédéraux deviendront les maîtres de la ville.
- Il faut que je reste encore un peu. Si le général part avant que la bataille ne se termine, la défaite volera à ses trousses. Je vais parler aux autres Conseillers. Le Président n’est pas fou au point de raser une ville de son propre pays ! Il n’est pas fou à ce point-là, je ne peux le croire ! Il y a des centaines de milliers d’habitants à Seattle. Cela serait une infamie. Un crime contre l’humanité ! La Liberté sera bannie de ce pays à jamais !
- Lui peut-être pas, avertit Rhett qui se préparait à partir, mais n’oublie pas Loki, cette langue de vipère. Maudit soit-il ! Il a profité que son frère était occupé au loin pour jeter de l’huile sur le feu. Il n’attend que ça, l’avènement de la folie et de la dictature. Entre ses mains, le Président sera, s’il ne l’est pas déjà, sa créature.
- Rhett, tu es encore ici, s’énerva Bill. Filez ! Il ne reste pas beaucoup de temps avant que les ports ne deviennent impraticables. Ton navire est rapide mais il ne pourra rien contre les armes de Stark Industrie.
- Iron Man n’a pas choisi son camp, il a refusé de combattre d’autres américains, comme la plupart des Avengers ! protesta Scarlett.
- Peut-être pas lui directement, mais son entreprise a passé des marchés avec le gouvernement. Elle lui a vendu un des systèmes d’armes très évolués que nous avons beaucoup de mal à contrecarrer, répondit Bill. Bon, je ne le répèterai pas une fois de plus. Partez ! »

Rhett poussa devant lui les trois femmes. Ils descendirent par des chemins détournés jusqu’à un petit port, à peine un ponton mobile où mouillait l’Eclair de Lune, le puissant catamaran géant de Rhett, en fibre de carbone et en matériau non réfléchissant.

Pendant que Rhett se dirigeait vers la passerelle, criant ses ordres à l’équipage, Scarlett ne suivit pas Mélanie et Melinda qui s’engouffrèrent dans la cabine. Elle resta sur le pont et regarda en arrière. Les gratte-ciels de Seattle se découpaient nettement sur les halos aveuglants des explosions qui se succédaient sans interruption. Dans le ciel balayé par les larges pinceaux de puissants projecteurs, elle assista au ballet vertigineux des hélicoptères qui zigzaguaient entre les tours. Elle en vit un, le rotor en feu, tournoyer en une vrille incontrôlable et, à la fin, s’écraser contre la façade d’un building de verre et d’acier. Mais une alouette ne faisait pas le printemps. Seattle ne tomberait pas sans combattre mais elle était déjà perdue.

Scarlett sentit sous ses pieds les vibrations qui annonçaient que les turbines se réveillaient. L’Eclair de Lune glissa lentement en arrière, le long du ponton. Aucune lumière ne filtrait de ses ponts et sa peinture non réfléchissante était d’un noir mat. Même le bruit des moteurs était assourdi et contenu pour réduire au maximum la signature radar du bateau. Comme une ombre sur les flots, l'Eclair de Lune sortit de la petite rade qui dissimulait le ponton pour mettre le cap vers la pleine mer.

Scarlett tressaillit. Le froid de la nuit avait fini par traverser ses légers vêtements en coton. Croisant les bras sur sa poitrine, elle leva les yeux vers le firmament. Quand une perle de lumière glissa du haut du ciel, Scarlett frissonna plus encore, retenant un sanglot. Elle venait d'assister, impuissante, à la chute d’une autre étoile du drapeau américain.

M

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2017-11-22 15:07:19 

 WA n° 152 : AsterionDétails
Quel superbe texte ! Je l'ai lu plusieurs fois en le faisant tourner en bouche comme un bonbon ! Le style est absolument charmant et tu emploies très bien le style indirect libre, chose que j'apprécie toujours.
Tes personnages sont bien campés, presque tous attachants.
Le thème est bien respecté et j'ai reconnu facilement les personnages. J'espère ne pas me tromper :
- Un Erudit : Keldre
- Un Innocent : Emanthe
- Un Guerrier : Aduin
- Un Sincère : Wemeth
- Un Altruiste : Thome
- ... plus un Joker : Dongann
La sincérité de Wemeth donne quelques répliques croustillantes.
L'altruisme de Thome est juste légèrement remis en question avec "je laisse volontiers la guerre à d’autres".
Aduin m'est assez antipathique et semble bien impitoyable.
C'est rigolo comme Keldre fait des alexandrins en son fort intérieur.
Ça me parait évident, à moi, qu'Aduin et Emanthe ont une liaison ! Surtout avec le sous-entendu d'Emanthe.
Emanthe est de la haute société aussi, donc. J'adore quand elle dit le gros mot, elle est adorable.
Très jolis, ces noms propres qui sonnent médiéval, surtout Emanthe, joli homonyme d'aimante. Bien vu aussi les diminutifs. Ces noms et les quelques mots inventés donnent des sonorités intéressantes au texte.
Tu fais quelques allusions subtiles qui permettent d'imaginer une cité avec des castes, une cité riche et des faubourgs pauvres, parlant des langues différentes, ne se mélangeant que peu.
Vue la tension pendant le jeu, on devine que l'enjeu est réel et pas une façon de parler.
Le passage au présent m'a fait un peu bizarre. Je suppose qu'il sert à renforcer la tension de la partie.
Une société matrilinéaire, chouette !
Je n'ai pas bien compris le principe des destinées, spécialement la phrase "il ne viendrait à l’idée de personne sain d’esprit et de jugement de se soumettre au destin".
Cela sous-entend que les gens ne choisissent pas ce qu'ils font de leur vie mais laissent le choix à ceux qui gagnent les parties de carte ?
J'aime beaucoup la chanson du bouffon ! Elle sonne vrai.
Il change la société par la guerre ?! Curieuse méthode... J'aime son style parlé.
Au final, un excellent texte !

Est', en mode ultra mou.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2017-11-27 17:20:37 

 WA n° 152 : MaedhrosDétails
J'ai sourit et même un peu pouffé en lisant ce texte.
Je n'avais pas prêté attention au titre de prime abord. J'ai donc lu Rhett et je me suis dit "tiens, un prénom rare, intéressant". Puis, j'ai lu Scarlett et là, ça a fait tilt. Joli calembour sur le titre, soit dit en passant.
Tu t'y connais en z'avions et en géographie américaine ou tu as fait des recherches ? Ça sonne vrai en tous cas.
On comprend assez vite le principe d'une nouvelle guerre de sécession. C'est presque dommage que le titre et les prénoms des personnages ne vendent la mèche mais je comprends l'intention satyrique.
Joli nom "Mad Hackers". Et ils ont le sens de l'humour, apparemment.
États GAFA ? Tu pars du principe que les "méga-corpos" s'opposent au pouvoir en place en aidant les insurgés ou carrément qu'elles sont à l'origine de la sécession ? C'est fou cette idée de troupes carrément financées par les sociétés. Cela dit, elles jouent déjà un rôle politique non négligeable mais elles le font pour le moment dans l'ombre.
Ton texte est horriblement réaliste (réaction des russes, de Trump...). Ce qui s'y passe est à la fois terrible et néanmoins porteur d'espoir car si les américains pouvaient s'opposer à Trump, je pense que tout le monde y gagnerait (la planète, la paix, la solidarité, le QI moyen des hommes politiques...).
Mouahaha, l'UE a reconnu l'état séparatiste !
J'adore les noms des unités (Schwarzy Irreverents, Starbuck Miners, Predators Microsoft...).
J'aime bien aussi comment tu repeins le paysage politique européen.
Purée, heureusement qu'elle explique le jeu de mot du film parce que j'avais pas compris... J'ai de l'ADN de blonde, moi.
Euh... j'avoue que j'ai été pas mal interloquée par l'arrivée inopinée des Avengers dans ton texte. Je ne vois pas bien le rapport avec la choucroute. Quitte à les utiliser, ç’aurait pas été plus mal, je trouve, de les mentionner avant en mode foreshadowing.
C'est joli ça : "Elle venait d'assister, impuissante, à la chute d’une autre étoile du drapeau américain.".

J'ai eu du mal à identifier les personnages. Je dirais :
- Un Erudit : Bill ?
- Un Innocent : Mélanie ?
- Un Guerrier : Ashley ?
- Un Sincère : ?
- Un Altruiste : Melinda
- ... plus un Joker : Loki

Bricoles :
"écarté les autres conseillers humains" : curieux choix de terme vu que tout le monde était humain jusque là
"Quelles promesses mirifiques lui avait-il faites." : il lui avait faite

Est', nage petit saumon, nage...

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