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De : Asterion  Ecrire à Asterion
Page web : http://asterion
Date : Mardi 8 novembre 2016 à 01:28:19
Bon, cela fait des années, des éons même, que je n'étais pas passé par ici... Et puis voilà, à un moment, sans raison, comme à reculons, on en vient à remarcher dans ses pas, à avoir envie de revoir les paysages de jours passés... Et l'on voit qu'il y a encore de l'activité, et, au gré des souvenirs ravivés, la plume se met à démanger... Alors voilà. Je vous donne ce petit texte, peut-être un peu hors sujet - je m'en excuse si tel est le cas. Mais surtout, surtout, je vous remercie de faire vivre la flamme, et d'avoir permis à ces personnages de prendre la parole et de m'avoir ouvert une fenêtre nouvelle sur ce vieux monde qui ne veut pas quitter ma caboche.

JEUX GUERRIERS

L’ambiance dans la taverne était maussade, ce jour-là. Le temps était à la pluie, les mauvaises nouvelles de la guerre accaparaient les esprits et les clients s’étaient faits rares. Notre petit groupe habituel était loin d’être au complet.
— Que jouerons-nous ce soir ? glissa Thome à brûle-pourpoint, entre deux bières.
Je levai les yeux du carnet où j’avais nonchalamment noté quelques mots qui feraient peut-être de bons vers, pour peu que je retrouve l’inspiration et le fil du poème auquel je m’étais attelé depuis trop longtemps déjà, sans grand succès. La tragédie surgit quand on ne l’attend point, le destin est tissé de nos élans disjoints, bref, ce genre de rimes un peu trop banales, sinon bancales.
— Tu veux encore parier ? m’étonnai-je. Il ne m’avait pas échappé que le brave garçon n’avait pas demandé si nous jouerions, mais ce que nous jouerions. Pourtant, il ne faisait pas un très bon compagnon de table. Au demeurant, cela n’était guère prudent de sa part, car il avait beaucoup perdu ces derniers temps. Les subtilités des cartes lui échappaient en dépit du bon sens et les jeux de hasard, curieusement, tournaient régulièrement en sa défaveur. Je n’avais pas compté précisément, mais il ne devait pas lui rester beaucoup de destinées en poche.
— Oui-da, si cela vous plairait de gagner, à toi où aux autres.
Pour ma part, je ne le tolérais à nos parties que parce que c’était un bon vivant et un ami loyal en tout, mais je n’aimais pas le voir dispenser son peu de biens si aisément. Je n’eus cependant pas le temps de le lui reprocher. Un air frais s’engouffra soudain dans la pièce, suivi d’un parfum délicat de fleur sauvage – ou peut-être de savon rustique. Wemeth, toute en châles et en écharpes bariolées, venait de nous rejoindre.
— Affections, belle dame ! fit Thome avec une révérence appuyée.
Nyesem, dis-je sans effusions déplacées, me contentant de la formule d’usage à l’égard d’une dame de la cité.
Elle leva un sourcil mais rendit néanmoins sa révérence à mon compagnon, tandis qu’elle me souriait.
— Cette vilaine mode de saluer en langue vulgaire aurait-elle prise jusqu’ici ? Ou as-tu d’emblée décidé d’être discourtois ?
Les joues de Thome s’empourprèrent. Il ne s’était jamais vraiment fait au franc-parler de Wemeth, et la honte de déplaire lui montait facilement au visage.
— Allons, je t’aime bien quand même, Thomelin, et même plus qu’un peu, puisque je fais l’effort de parler avec toi dans ta langue, poursuivit-elle avec le même élan de sincérité crue. S’il y avait là de la taquinerie, elle le masquait bien. Loin d’apaiser le jeune homme, cela ne le fit que rougir davantage, et il s’empressa de l’aider à déposer ses affaires sur une patère.
La porte ne tarda pas à claquer de nouveau. Aduin et Emanthe firent leur entrée, bras dessus, bras dessous. Lui arborait cet air martial et conquérant qui ne le quittait que rarement, comme s’il était trop conscient de son rang pour se relâcher, même un instant, même en compagnie amicale. Elle, et bien, elle était comme à son habitude, le visage de la naïveté ou de l’enfance.
— Cartes ou dés ? lança la jeune demoiselle à la cantonade.
— Ah, tu vois bien qu’ils sont venus pour ça ! répliqua Thome à mon égard. Entrez, et séchez-vous, belles gens. Je vous cède ma place près de la cheminée.
— Il n’en manque qu’un... constata Aduin, tandis qu’il accrochait sa capeline à un porte-manteau.
— Il est retenu mais nous rejoindra plus tard, répondis-je laconiquement.
— Hum. Tarot, alors, si messire Keldre veut bien s’abstenir d’étaler sa science infinie des arcanes et de nous réciter l’histoire interminable du jeu depuis son invention, avec ou sans rimailles.
— Promis, dis-je rapidement, un peu vexé par cette attaque inattendue. Là où l’un rimaille et l’autre se chamaille, me dis-je, mais je fis taire les alexandrins qui me venaient. Aduin n’y entendait rien à la poésie, et moins encore à la mienne.
— Oh oui, un tarot à trois fatalités, celui où tout le monde gagne, sauf le perdant ! s’exclama Emanthe en battant des mains. Cela ne voulait rien dire, mais elle semblait joyeuse.
— Voyons, c’est trop facile, ma chère. Levées simples et partie à une fatalité sans avantage, ordonna Aduin avec son ton sec de militaire. Au demeurant, il imposait plus que souvent le jeu de nos soirées, ne nous laissant que rarement l’occasion d’en décider par nous-mêmes. Les cartes étaient d’ailleurs déjà sur la table, disposées avec soin par Thome, qui avait aussi été chercher des pintes pleines et du fromage en morceau. Lui et moi avions déjà mangé, et probablement bien assez bu, mais Wemeth et Emanthe apprécièrent visiblement le geste. Que la patronne l’ait encore laissé commander pour nous, malgré son ardoise déjà longue, ne sembla perturber personne.
— A vos mises.
J’avais une assez bonne main, mais à ce jeu-là, il faut parfois s’abstenir de prendre. Aduin, lui, emporta le premier pli, directement à atout. Je me fis la réflexion qu’il ne s’embarrassait guère de fioritures, si tôt dans la partie. Était-il déjà en chasse ?
La partie s’accélère et les plis se succèdent, chacun testant son avantage. Je n’en gagne que quelques-uns, avec prudence.
— J’ai vraiment un jeu de feig, se plaint Wemeth.
— C’est une chose sale, traduit Emanthe sans qu’on ne lui demande rien. Ou tout comme, je ne sais pas comment vous dites chez vous.
— De la merde, surenchérît Thome. Je t’échange un atout contre une carte moindre, si cela peut t’aider.
— Mesdames, jeune homme ! Un peu de tenue, c’est un exercice de bluff... gronde Aduin. Et de silence. Vous parlez trop.
— Si fait, mais j’ai quand même une main merdique, tient à insister la vieille dame vexée.
— Merdique à ce point, sans mentir ? s’enquiert Emanthe, la bouche en coeur, en ayant l’air de savourer le mot grossier comme une découverte nouvelle. Sa voisine lui lance un regard désapprobateur.
— Les troupes d’Alster prennent la mer demain, au fait, continue notre bonhomme sans transition, tout en ordonnant ses cartes.
— Il leur en faut du courage pour quitter Almaq, commente Thome.
— Moi, je le pourrais pas, acquiesce Wemeth en rajustant une de ses écharpes. Mais je suis trop âgée pour ces bêtises, de toute façon.
— Vieux ou pas, oui-da, je laisse volontiers la guerre à d’autres, poursuit le jeune homme.
— Tu n’es pas courageux, Thome ? Oh, moi non plus ! intervient Emanthe, qui ne semble pas mesurer le poids de ses paroles. La méchanceté lui est étrangère autant que le calcul, mais il y a, à notre table, un esprit plus complexe auquel de telles choses n’échappent pas.
— C’est l’enjeu de cette partie, clame Aduin en abattant l’un de ses atouts maîtres, coupant le pli que moi et la jeune femme nous disputions. Voilà ce que je décide : Celui qui perd s’engage, et table rase !
Un silence se fait.
Aduin le taciturne a parlé et les cartes le suivent.
Ça y est, les choses sérieuses ont commencé, me dis-je. Nous ne jouons pas des destinées chaque soir par hasard. Bien que piètre joueur, je pense avoir assez d’arcanes en main pour le contrer, mais un calcul sommaire et une estimation de son style de jeu m’incitent à penser que ce n’est pas le cas pour mes compagnons.
Emanthe prend une carte entre ses mains, hésite et la remet dans son paquet. Celle qu’elle pose finalement met sa voisine en difficulté. Nous la connaissons assez pour savoir qu’elle ne l’a pas voulu, mais la vieille dame accuse le coup. Elle sait d’où il vient.
— Et toi, si tu perdais, tu partirais évidemment, lâche-t-elle avec une touche de hargne dans la voix. C’est un constat plus qu’une question.
— Un Aduin obéit à son destin, rétorque ce dernier.
Je dois reconnaître que je ne connais pas son nom choisi, ou que je ne l’ai pas retenu. « Aduin » n’est que celui de sa lignée patriarcale, la seule à ma connaissance de ce type parmi les anciennes familles d’Almaq où tout – maisons, titres et propriétés – provient normalement de l’héritage maternel. Mais, il est issu de la gémellité, ce qui est le signe indiscutable de la noblesse de sang à Almaq, et de surcroît descendant par ses pères d’un lignage ininterrompu de jumeaux, ce qui lui confère le droit unique, en tant qu’aîné d’une fratrie gémellaire, de porter ce titre. Un droit, et un devoir imposé par la société.
— Je vous concède le pli, conclut Wemeth de mauvaise grâce. Je n’ai vraiment rien de bon, et cela ne va pas changer.
A mon tour venu, je me défais d’une carte sans valeur, laissant mon jeune voisin dénouer le pli, qu’il remporte au prix de son avant-dernier atout, si mes estimations sont bonnes. Nous entamons le dernier tour de jeu.
— On pourrait faire la paix et s’aimer, dit Emanthe. Oh, ce serait tellement mieux.
— Je suis parfaitement d’accord avec toi. Je t’aime plutôt bien, pour ma part, ose Thome, le rose à nouveau aux joues. Puis il tente de changer de sujet : tu veux mon atout que dame Wemeth a refusé ? A la bonne pioche, oui-da ?
Je sais que le garçon en pince pour la demoiselle, mais il n’est pas très adroit en matière de femmes. En l’occurrence, cela n’est pas très grave, vu que la belle n’y perçoit que de l’amitié et ne se rend pas compte de ses sentiments plus profonds. Aduin, cependant, les dévisage tour à tour, faisant mine de ne pas comprendre.
— Je ne suis pas en guerre contre vous et je ne vous hais point, très chère. Soyez-en assurée.
— Mais je ne parle pas de nous, nous le savons bien tous deux maintenant ! rétorque la demoiselle avec un rire cristallin. (Et Thome alors de rosir de plus belle, soupçonnant qu’elle et le militaire entretiennent une liaison – Ce garçon est bien capable de se réjouir pour eux.) Je pensais à nos ennemis, à tous ces gens, ces peuples siléens et autres édrasiens contre lesquels nous luttons.
— Gentille Emanthe, on ne peut pas toujours faire la paix avec des mots, souligne le militaire, une certaine dureté dans la voix contredisant l’aménité de ses paroles. Ou peut-être que notre artiste de Keldre pense le contraire ?
Je n’ai pas envie de le laisser m’entraîner sur ce terrain mouvant et je me contrains à ne lui rendre qu’un sourire forcé comme monnaie de sa pièce. Mais c’est maintenant à Emanthe de jouer :
— Oh, j’accepte ton atout, gentil Thome, et tu auras un baiser.
Par la Chimère et la Dragon, que vient-elle de faire ? Aduin lui a donné un gage, il n’aurait pas cherché à lui nuire. Thome s’exécute sans-arrière pensée, mais il n’a maintenant plus rien de valable en main. Wemeth a dit vrai et elle l’a trop répété, elle n’a pas de jeu. La tension est palpable tandis que la vieille dame jette sa dernière carte.
— Vous voulez ma mort, Aduin. Je ne vous ai jamais aimé, mais j’ai assez de destinées pour me refaire.
— Je vais devoir m’excuser, dis-je en me défaussant de la carte du même nom.
— Jeu de mot un peu facile, ponctue Aduin, mais son regard d’aigle ne quitte pas mon jeune voisin. C’est néanmoins toujours à moi qu’il s’adresse quand il dit : « Vous auriez pu me contrer tout à l’heure, avec un peu plus d’audace et de stratégie. »
Thome tremble.
Sa carte est plus faible que celle de Wemeth.
— A la guerre comme à la guerre, j’ai donc gagné et vous avez perdu, jeune homme, achève avec raideur Aduin. Voyons, où en sommes-nous au décompte des destinées ?
Les destinées, ce sont ces petits cônes de fer que l’on peut gager au jeu et, comme leur nom l’indique, utiliser pour racheter une vie ou un destin contraire. Une sorte monnaie hautement symbolique, un enjeu codifiée avec tout le raffinement dont les gens d’Almaq sont capables. Les parieurs s’accordent, au début de leur association, sur le nombre octroyé à chacun, et se les arrachent ensuite au terme de parties acharnées. Quiconque en est a court est vite dans l’embarras, car il ne viendrait à l’idée de personne sain d’esprit et de jugement de se soumettre au destin. Il en va de sa réputation, et du comportement des autres à son égard. Bien sûr, et sa question est d’autant plus cruelle, Aduin est un fin observateur, il en connaît précisément le nombre, pour chacun de nous, sans qu’il soit utile en réalité de refaire les comptes.
— Je n’en ai plus assez, répond simplement un Thome fataliste. J’ai déjà tout joué avec vous, mes amis et mes voisins. Nous avons eu de belles parties, oui-da.
Le ton du militaire est impitoyable, tandis qu’il se lève :
— Serez donc soldat, camarade... M’en voyez désolé, c’est le jeu. Allons, Veremanthe, allons finir cette curieuse soirée par une promenade aux jardins... Vous raccompagnons en chemin, dame Wembeneth. Laissons l’ami Keldre à ses méditations en rimes, et Thome à ses préparatifs.
Déjà sur le pas de la porte, il se retourne :
— Au fait... Cela vous réconfortera peut-être de savoir que je me suis déjà engagé dans la marine d’Alster... Nommé capitaine, hier. Peut-être serons-nous sur le même navire, Thomel... Pourrons reparler de cette partie, quand vous m’aurez salué.

Tous partis et la patronne s’étant couchée, je demeurai seul dans la pièce commune. J’approchai un fauteuil de la cheminée, où le feu allait sur sa fin. Mon carnet et mon crayon en main, je m’assoupis cependant assez vite, sans que l’inspiration ne fût venue.
C’est un Dongann passablement aviné qui survint à la tombée de la nuit. Je ne l’attendais plus, mais je l’entendis venir de loin. Il braillait à tue-tête Bedaine en barrique et d’autres chansonnettes de son cru. Il en était à l’affreux C’est moi le bouffon trublion lorsqu’il parvint à la porte.
Que j’aime la bière en fontaine, marmiton et marmitaine / Que j’aime la cuisine fine, arlequin et arlequine / Moi le bouffon roi des boutades, fanfaron fanfaronnade...
Il manquait des boutons à son vestons, et des boules à son bonnet. Les marmitons vilains et veules... Sans même me saluer, il s’engouffra dans la pièce en titubant entre les chaises... La baston la bastonnade... Puis, avec des propos décousus et confus, il m’entreprit au sujet d’un triton qui vivrait dans sa poche – laquelle était vide et retournée – et de ses amours perdues (au triton, pas à lui, merci bien, cela allait fort bien de se côté-là, bedaine en barrique)... Il lui fallut, c’est peu de le dire, un bon moment pour dégriser.
— Je ne demande pas ta soirée, fit-il une fois calmé.
— Ils ne l’ont pas dit, mais ils espéraient tous ta venue, tu sais. Après tout, c’est toi qui nous avais réunis... Tu aurais su comment détendre l’atmosphère, calmer l’ombrageux Aduin et éviter un drame.
— Mais je ne te la demande pas, te dis-je, puisque je l’ai faite, après tout. Il faut être cinq et non six, pour jouer au tarot. Le sixième, c’est le croupier qui distribue les cartes, ou la main du destin tirant les ficelles.
— Que veux-tu dire ?
— Eh, tu sais bien... Si l’on veut changer la société, foi de bouffon, il faut bien commencer quelque part, à petits pas mesurés. Et il en faut des manoeuvres, ça oui, pour faire comprendre la culpabilité aux innocents, le mensonge aux sincères et l’égocentrisme aux altruistes. Au moins autant que pour qu’un militaire apprenne le sens des mots, ou un poète l’art de la guerre, tu ne crois pas ?
Je restai coi.

La tragédie surgit quand on ne l’attend point,
Le destin est tissé de nos élans disjoints.

Ma foi, peut-être me servirais-je de ces vers...


  
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Réponses à ce message :
3 WA n° 152 : Asterion - Estellanara (Mer 22 nov 2017 à 15:07)
3 A moi il me fend le cœur. Et à toi, il ne te fait rien ? - Maedhros (Lun 19 dec 2016 à 10:56)
       4 Merci pour ta relecture, cartes sur table - Asterion (Mar 20 dec 2016 à 11:29)
3 Enchantée... - Narwa Roquen (Ven 11 nov 2016 à 22:08)
3 Welcome home! - Maedhros (Mar 8 nov 2016 à 20:18)
       4 Absolument ! - Estellanara (Mer 9 nov 2016 à 17:26)


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