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Elisandre

Tout à coup un vent se leva, dissipant la brume, et tous purent admirer la clairière où se déroulerait la fête. Depuis des semaines, ils attendaient cet événement et les tables et bancs, pour l’instant vides, apparaissaient enfin. La longue procession des habitants du village se dispersa rapidement au milieu des mille lucioles que formaient les lampions. Sur la scène déjà les musiciens s’activaient et les plus entreprenants des jeunes hommes amenaient la belle qu’ils convoitaient tourbillonner dans de folles danses. Les enfants, qui en ce soir de printemps pouvaient s’amuser sous la lune ronde, découvraient avec émerveillement les parfums de la nuit. Jusqu’aux vieux qui, de leurs sourires édentés saluaient les plus jeunes, tous oubliaient pour une nuit les tracas de la vie. Seul un homme adossé à l’écart contre un arbre gigantesque ne semblait pas prendre part aux joies qu’offrait la nuit d’Elisandre.

De sa rude main naissait la plus douce des caresses, que ses longs doigts prodiguaient à l’écorce craquelée, et ses lèvres s’avancèrent délicatement pour déposer un chaste baiser sur le chêne qui le soutenait. Son regard clair s’attarda un instant sur le banquet qui n’attendaient plus que les appétits enjoués puis s’enfonça entre les racines noueuses à ses pieds. Dans un murmure presque inaudible, de timides mots s’élevèrent vers l’arbre.

A toi mon compagnon qui depuis des années m’accompagne, je vais te raconter l'histoire d’Elisandre. Toi qui depuis tant de temps réponds à ma prière, puisses - tu encore y accéder.

Il y a bien longtemps dans ce village, vivait une jeune fille aux cheveux d’or. Sa grâce tenait du divin, et son rire cristallin faisait fondre les âmes les plus endurcies. Partout où la tristesse et la fatigue régnaient, la joie revenait quand apparaissait Elisandre. Toutes les nuits les hommes se relevaient devant sa porte pour protéger les rêves de celle-ci. Et au matin, lorsque ses parents partaient travailler, ses prétendants les priaient de leur accorder sa main. Invariablement, Elisandre, dans un sourire, les refusait et les chassait de sa main délicate. Car aucun pour elle n’égalait son amant aux yeux d’argent. Chaque jour ils se retrouvaient aux champs où le travail leur semblait un jeu. Le soir venu, pleins de regrets, ils se quittaient jusqu’à la matinée suivante.

Mais les parents de la demoiselle remarquèrent ce manège, et pour eux il n’était point question d’un paysan comme gendre. De cette fille si unique ils espéraient mieux, et ils décidèrent de tenter leur chance. Les messagers qu’ils envoyèrent finirent par trouver dans un village lointain un vieux prêtre qui entendit leurs désirs. De ses poussiéreux ouvrages, il déterra un rituel ancestral qui devait combler leurs aspirations.

A la première nuit de l’été, tous se réunirent dans cette clairière pour assister à la cérémonie hors d’âge. Elisandre, dans sa robe éclatante, semblait s’amuser follement des frasques de ses parents. Car ceux-ci n’avaient pas d’autre projet que de marier leur fille à une divinité. Alors l’impossible se produisit, et des cieux, Endorsan le dieu de la nuit répondit. Mais la jeune fille, ayant promis son coeur aux yeux clairs, refusa de sceller le mariage. Cette humiliation Endorsan ne pouvait la souffrir. De colère, il la maudit, et la condamna à porter la lune jusqu’à ce qu’elle accepte l’union. Et toutes les nuits depuis celle-ci, Elisandre parcourt les ténèbres, portant son lourd fardeau. Par la lumière argentée de l’astre dans ses bras elle inspire aux jeunes gens cet amour qu’on lui enleva. Seule une nuit chaque mois elle échappe à son labeur et se rend au près d’Endorsan pour renouveler son refus. Mais de nombreuses années ont passé depuis, et les souvenirs s’effacent. Aujourd’hui ils ont oublié sa détresse, et fêtent celle des leurs devenue déesse. Seuls mes yeux clairs savent encore la pleurer et mon coeur brûle toujours de la délivrer.

Toi, mon ami, qui ne m’a jamais fait défaut, je te supplie de m’ouvrir un passage vers là-haut. Que ne puis-je en cet instant caresser mon Elisandre...

Dans ses yeux d’argent se forma une larme. Elle roula sur les joues de ce visage sans âge, se détacha et s’écrasa dans la terre sèche à ses pieds. Et l’arbre, de ses racines tortueuses, bu la marque de cette douloureuse tristesse, essence même du désespoir, que seul un amour interdit peut générer. Sous les mains de l’homme, le tronc commença à gronder. Grondement tellement sourd qu’on le sentait plus qu’on ne l’entendait. Comme tous les ans, le miracle se produisit, invisible aux yeux des festoyeurs. Le tronc s’allongea, les branches se hissèrent vers le ciel, et l'arbre se rapprocha encore un peu plus de la résidence des Dieux. Désormais, il était plus imposant, et plus haut qu’au début de la soirée et, l’homme en avait conscience, cela participait au mythe d’Elisandre. Mais dans quelques années, il le savait, ces ramages lui permettraient d’atteindre le ciel. Le poids du monde sur ses épaules, il se releva, et d’un pas harassé reprit le chemin qui menait à sa demeure. Il n’y aurait pas de fête pour lui avant que sa mission ne soit achevée. A présent, loin derrière lui, il entendait la musique et les rires de ceux qui ignoraient la souffrance. Et alors que la distance les éteignait, il supplia les dieux une dernière fois de connaître bientôt lui aussi l’insouciance de ses frères.

Haut dans le ciel, la lune poursuivait son avancée. Dans ses bras Elisandre tenait celle qui inspirait tant aux amoureux. Son âme soeur, elle le savait, était là bas, si bas, et si loin. Comme chaque année, elle pria pour qu’enfin ils soient réunis. Une larme cascada sur sa joue avant de s’en détacher et d’éclater dans le noir du monde. Et dans les cieux, une nouvelle étoile apparue. Une étoile supplémentaire. Une marche supplémentaire. Une marche qui s’ajoutait à celles des années passées pour former le grand escalier qu’un jour elle descendrait pour rejoindre son aimé.

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Publication : 13 juin 2005
Dernière modification : 07 novembre 2006


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Maedhros
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Rapport
gawen
La Tisserande  
Le Barde-Artisan  

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signifie que la participation contient un Dessin.


1 Commentaire :

alya 
le 16-09-2008 à 15h42
dit...
...je le veux


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